TROISIÈME SECTION
AFFAIRE VIDRASCU c. ROUMANIE (no 2)
(Requête no 11138/06)
ARRÊT
STRASBOURG
27 octobre 2009
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Vidrascu c. Roumanie (n° 2),
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Elisabet Fura,
Corneliu Bîrsan,
Boštjan M. Zupan�i�,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Ann Power, juges,
et de Stanley Naismith, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 octobre 2009,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 11138/06) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme E. M. Ş. V. (« la requérante »), a saisi la Cour le 17 mars 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante est représentée par Me C. P., avocat à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. R.-H. Radu, du ministère des Affaires Étrangères.
3. Le 16 mars 2007, le président de la troisième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. La requérante est née en 1920 et réside à Rochester, aux États-Unis.
5. En 1950, le bien immobilier situé au no 16, rue Vasile Pârvan, à Bucarest, qui était composé de plusieurs appartements (dont les appartements nos 1, 3 et 4 intéressent la présente affaire) et un terrain libre de constructions et appartenant au père de la requérante, fit l’objet d’une nationalisation en vertu du décret no 92/1950.
6. Le 6 mai 1998, la requérante saisit le tribunal de première instance du premier arrondissement de Bucarest d’une action en revendication des appartements susmentionnés, y compris les terrains afférents, et du terrain libre de constructions, dirigée contre le conseil local de Bucarest.
7. Par une décision du 1er février 1999, le tribunal de première instance du premier arrondissement de Bucarest renvoya l’affaire devant le tribunal départemental de Bucarest qui était compétent pour examiner le fond de l’affaire.
8. Le 17 mai 1999, les époux I., C.B. et L.M. demandèrent à intervenir dans la procédure devant le tribunal départemental, au motif qu’ils étaient propriétaires des appartements nos 1, 3 et 4 depuis les ventes conclues respectivement les 28 novembre 1996, 22 juillet 1997 et 10 janvier 1997.
9. Par un jugement du 23 septembre 1999, le tribunal départemental de Bucarest rejeta l’action de la requérante pour absence de qualité d’ester en justice. Ce jugement fut confirmé en appel, par un arrêt de la cour d’appel de Bucarest du 5 mai 2000. Toutefois, le 4 mai 2001, la Cour suprême de justice accueillit le pourvoi en recours de la requérante et renvoya l’affaire devant le tribunal de première instance du premier arrondissement de Bucarest, après avoir constaté que la requérante avait apporté la preuve de ce qu’elle était l’unique héritière de son père.
10. Compte tenu de la demande d’intervention formulée dans la procédure, la requérante précisa devant le tribunal de première instance qu’elle entendait diriger son action également contre les personnes ayant acheté les appartements réclamés.
11. Par un jugement du 26 novembre 2002, le tribunal de première instance du premier arrondissement de Bucarest accueillit l’action de la requérante et ordonna aux époux I., à C.B. et à L.M. de restituer les appartements et au conseil local de Bucarest de lui rendre la possession du terrain libre de constructions.
12. Par un arrêt du 1er novembre 2004, le tribunal départemental de Bucarest rejeta l’appel interjeté contre le jugement du 26 novembre 2002 par les parties défenderesses.
13. Toutefois, par un arrêt du 20 septembre 2005, la cour d’appel de Bucarest accueillit le recours des époux I., de C.B. et de L.M. Tout en confirmant le caractère illégal de la nationalisation, la cour d’appel rejeta l’action de la requérante pour ce qui était des appartements et des terrains afférents, au motif que les acheteurs étaient de bonne foi lors de la conclusion des contrats de vente avec l’État.
14. Au cours de la procédure, la requérante sollicita à trois reprises l’ajournement de l’instance et formula une demande de récusation d’un juge.
15. Le 19 mars 2001, sur le fondement de la loi no 10/2001, la requérante déposa auprès de la mairie de Bucarest une demande de restitution des appartements litigieux. Aucune décision n’a pas été prise jusqu’à présent.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
16. Les dispositions légales (y compris celles de la loi no 10/2001 sur le régime juridique des biens immeubles pris abusivement par l’État entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989, et de ses modifications subséquentes) et la jurisprudence interne pertinentes sont décrites dans les arrêts Brumărescu c. Roumanie ([GC], no 28342/95, CEDH 1999-VII, pp. 250-256, §§ 31-33), Străin et autres c. Roumanie (no 57001/00, CEDH 2005-VII, §§ 19-26), Păduraru c. Roumanie (no 63252/00, §§ 38-53, 1er décembre 2005) ; et Tudor c. Roumanie (no 29035/05, §§ 15–20, 11 décembre 2007).
17. Des mesures visant l’accélération de la procédure d’octroi des dédommagements à travers le fonds d’investissement « Proprietatea » ont été prises récemment par les autorités nationales en vertu notamment de l’ordonnance d’urgence du Gouvernement no 81/2007.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
18. La requérante allègue que l’impossibilité de recouvrer la propriété des appartements nos 1, 3 et 4 de l’immeuble sis au no 16, rue Vasile Pârvan, à Bucarest, et des terrains afférents, qui ont été vendus par l’État, ou de se voir verser une indemnisation correspondant à leur valeur réelle a porté atteinte à son droit au respect de ses biens, tel que reconnu par l’article 1 du Protocole no 1 :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
19. Réitérant pour l’essentiel ses arguments présentés dans les affaires similaires antérieures, le Gouvernement soulève en substance une exception d’incompatibilité ratione materiae, estimant qu’en l’absence de reconnaissance de leur droit de propriété ou de constat, dans le dispositif d’une décision définitive, de l’illégalité de la nationalisation, la requérante ne disposaient pas d’un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 s’agissant des appartements litigieux. Le Gouvernement soutient que la cour d’appel de Bucarest ne s’est pas prononcée de manière définitive sur la légalité de la nationalisation, puisque les mentions à cet égard ne figurent que dans les considérants de son arrêt du 20 septembre 2005, ne jouissant pas du pouvoir de la chose jugée.
20. La Cour estime que l’exception d’incompatibilité ratione materiae est étroitement liée à la substance du grief que la requérante fonde sur l’article 1 du Protocole no 1, de sorte qu’il y a lieu de la joindre au fond. Par ailleurs, elle constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
21. Le Gouvernement réitère ses arguments présentés précédemment dans des affaires similaires, soutenant que l’ingérence dans le droit de la requérante au respect de ses biens est proportionnée, vu qu’elle a la possibilité de se voir octroyer des dédommagements selon la procédure prévue par les lois nos 10/2001 et 247/2005 et soutient qu’un éventuel retard dans l’octroi de tels dédommagements ne rompt pas le juste équilibre à ménager en l’espèce.
22. La requérante insiste sur l’atteinte à son droit de propriété, considère que le cadre législatif actuel ne lui permet pas d’obtenir une réparation adéquate.
23. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 1er du Protocole no 1 (voir les affaires citées ci-dessus, notamment Străin précité, §§ 39, 43 et 59, et Porteanu c. Roumanie, no 4596/03, §§ 32-35, 16 février 2006). S’agissant d’abord de la question de l’applicabilité de l’article 1 du Protocole no 1, elle a jugé que le constat des tribunaux internes quant à l’illégalité de la nationalisation a pour effet de reconnaître, indirectement et avec effet rétroactif, l’existence d’un droit de propriété du requérant en cause sur le bien litigieux. Par ailleurs, pour ce qui est de l’exception d’incompatibilité ratione materiae soulevée, la Cour rappelle avoir déjà rejeté les arguments du Gouvernement à ce titre, considérant que le fait que le constat susmentionné des tribunaux n’apparaissait pas dans les dispositifs des décisions judiciaires, mais dans leurs motifs, ne saurait déterminer une approche différente sur la question de l’existence d’un « bien » (Reichardt c. Roumanie (no 6111/04, §§ 17 à 20, 13 novembre 2008, et Popescu et Dimeca c. Roumanie (no 17799/03, §§ 22 à 24, 9 décembre 2008).
24. Partant, eu égard au constat de la cour d’appel de Bucarest du 20 septembre 2005 quant au fait que les biens litigieux avaient été nationalisés par l’État sans titre valable, la Cour estime que la requérante bénéficiait d’une « valeur patrimoniale » relevant de l’article 1 du Protocole no 1, au sens de la jurisprudence précitée (voir, entre autres, Păduraru, précité, §§ 81 et suivants).
25. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener dans le cas présent à une conclusion différente de celle à laquelle elle a abouti dans les affaires précitées. La Cour réaffirme notamment que, dans le contexte législatif roumain régissant les actions en revendication immobilière et la restitution des biens nationalisés par le régime communiste, la vente par l’État du bien d’autrui à des tiers de bonne foi, même lorsqu’elle est antérieure à la confirmation définitive en justice de l’existence du « bien » de l’autre, s’analyse en une privation de bien. La Cour réitère qu’une telle privation, combinée avec l’absence totale d’indemnisation, est contraire à l’article 1 du Protocole no 1 (Străin, précité, §§ 39, 43 et 59, et Reichardt, précité, § 24).
26. Par ailleurs, la Cour observe qu’à ce jour, le Gouvernement n’a pas démontré que le système d’indemnisation mis en place par la loi no 247/2005 permettrait aux bénéficiaires de cette loi de toucher, selon une procédure et un calendrier prévisibles, une indemnité en rapport avec la valeur vénale des biens dont ils ont été privés.
27. Cette conclusion ne préjuge pas toute évolution positive que pourraient connaître à l’avenir les mécanismes de financement prévus par cette loi spéciale en vue d’indemniser les personnes qui, comme la requérante, se sont vues privées d’un « bien », au sens de l’article 1 du Protocole no 1. A cet égard, la Cour prend note avec satisfaction de l’évolution qui semble s’amorcer en pratique et qui va dans le bon sens en la matière (paragraphe 17 ci-dessus).
28. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce, la mise en échec du droit de propriété de la requérante sur les appartements litigieux et les terrains afférents, combinée avec l’absence totale d’indemnisation, lui ont fait subir une charge disproportionnée et excessive, incompatible avec le droit au respect de ses biens garanti par l’article 1 du Protocole no 1.
29. Partant, la Cour rejette l’exception du Gouvernement et conclut qu’il y a eu violation de l’article susmentionné.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
A. Durée de la procédure
30. La requérante se plaint de la durée de la procédure concernant ses biens, qui a commencé le 6 mai 1998 et s’est achevée définitivement par l’arrêt du 20 septembre 2005. Elle estime que cette durée est contraire à l’article 6 § 1 de la Convention, qui dispose :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
1. Sur la recevabilité
31. La Cour constate que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle considère par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.
2. Sur le fond
a) Période à prendre en considération
32. La Cour note que la procédure a commencé le 6 mai 1998, avec la saisine du tribunal de première instance du premier arrondissement de Bucarest, et a pris fin le 20 septembre 2005 avec l’arrêt définitif de la cour d’appel de Bucarest. Elle a donc duré sept ans, quatre mois et dix-sept jours.
b) Caractère raisonnable de la procédure
33. Le Gouvernement estime que l’exigence de célérité prévue par l’article 6 § 1 de la Convention n’a pas été méconnue, compte tenu de ce que l’affaire présentait un certain degré de complexité, puisqu’elle a comporté la réalisation d’une expertise topographique et des questions liées à la dévolution successorale. Invoquant la jurisprudence Farcaş et autres c. Roumanie (requête no 67020/01, § 33, arrêt du 10 novembre 2005), ainsi que le fait que devant chacun des tribunaux la procédure judiciaire a connu des délais acceptables, le Gouvernement conclut au caractère raisonnable de la période prise en considération. En ce qui concerne la conduite de la requérante, il estime que les trois renvois sollicités par elle ainsi que la demande de récusation d’un juge qu’elle avait formulée, contribuent au retard dans le traitement de l’affaire.
34. La requérante ne soumet pas d’observations à ce sujet.
35. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour l’intéressé (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII, et Hartman c. République tchèque, no 53341/99, § 73, 10 juillet 2003).
36. De l’avis de la Cour, le présent litige ne revêtait pas une complexité particulière, puisqu’il s’agissait au départ d’une simple action en revendication immobilière (voir Străin, précité, § 67).
37. La Cour note que le tribunal examinant l’affaire en premier ressort a été saisi en mai 1998 et a mis quatre ans pour se prononcer sur le fond de l’affaire, le 26 novembre 2002, après avoir refusé dans un premier temps de statuer au principal. Or, ce délai ne saurait être imputé à la requérante.
De manière générale, au vu des éléments du dossier, la Cour estime que l’on ne peut reprocher un manque de diligence à l’intéressée.
38. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que la cause de la requérante n’a pas été entendue dans un délai raisonnable.
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
B. Impartialité et indépendance des tribunaux
39. La requérante allègue le défaut d’indépendance et d’impartialité des tribunaux, lesquels auraient été orientés par les discours politiques de l’époque.
40. Le Gouvernement ne se prononce pas à ce sujet.
41. La Cour note que la requérante n’a fourni aucune précision à l’appui de ses affirmations. En outre, en examinant le dossier, elle ne décèle aucun élément susceptible de mettre en doute l’impartialité subjective ou objective des tribunaux ayant connu de leur affaire ou leur indépendance.
42. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 46 DE LA CONVENTION
43. L’article 46 de la Convention dispose :
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. »
44. La conclusion de violation de l’article 1 du Protocole no 1 révèle un problème à grande échelle résultant de la défectuosité de la législation sur la restitution des immeubles nationalisés qui ont été vendus par l’État à des tiers. Dès lors, la Cour estime que l’État doit aménager dans les plus brefs délais la procédure mise en place par les lois de réparation (actuellement les lois nos 10/2001 et 247/2005) de sorte qu elle devienne réellement cohérente, accessible, rapide et prévisible (voir, les arrêts Viaşu c. Roumanie, no 75951/01, § 83, 9 décembre 2008; Katz c. Roumanie, no 29739/03, §§ 30-37, 20 janvier 2009, et Faimblat c. Roumanie, no 23066/02, §§ 48-54, 13 janvier 2009).
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
45. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
46. Dans ses observations du 4 septembre 2007, la requérante réclame, au titre de dommage matériel, la restitution de ses biens nationalisés par l’État ou, à défaut, l’octroi de la somme de 1 000 000 EUR, représentant la valeur actuelle des appartements nos 1, 3 et 4, de la moitié de l’appartement no 2 et du terrain libre de constructions. A cet effet, elle soumet deux expertises : une première estimant la valeur des appartements nos 1, 3 et 4 et des terrains afférents à 563 000 EUR, et une deuxième estimant à 1 273 900 EUR l’entier bien immeuble (comprenant aussi l’appartement no 2 et le terrain libre de constructions). La requérante réclame aussi 20 000 EUR au titre de dommage moral pour les souffrances causées par la méconnaissance par l’État de son droit de propriété et de la durée excessive de la procédure initiée pour récupérer ses biens.
47. Dans ses observations du 20 novembre 2007, le Gouvernement fait remarquer que seulement les appartements nos 1, 3 et 4 de l’immeuble sis au no 16, rue Vasile Pârvan, à Bucarest, font l’objet de la présente affaire et que leur valeur marchande est de 484 607 EUR, selon le rapport d’expertise produit en ce sens. S’agissant du dommage moral, le Gouvernement estime en premier lieu qu’il n’y a pas de lien de causalité entre le dommage moral allégué et les prétendues violations de la Convention. Il argue également qu’un éventuel dommage moral serait suffisamment compensé par un constat de violation. A titre subsidiaire, le Gouvernement considère que les prétentions de la requérante sont excessives.
48. En ce qui concerne le dommage matériel, la Cour rappelle qu’elle a conclu à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention en raison de la vente par l’État des appartements nos 1, 3 et 4 de l’immeuble sis au no 16, rue Vasile Pârvan, à Bucarest de la requérante, combinée avec l’absence d’indemnisation.
49. La Cour estime, dans les circonstances de l’espèce, que la restitution des appartements litigieux placerait la requérante autant que possible dans une situation équivalant à celle où elle se trouverait si les exigences de l’article 1 du Protocole no 1 n’avaient pas été méconnues.
50. A défaut pour l’État défendeur de procéder à pareille restitution dans un délai de trois mois à compter du jour où le présent arrêt sera devenu définitif, la Cour décide qu’il devra verser à la requérante, pour dommage matériel, une somme correspondant à la valeur actuelle des appartements susmentionnés.
Compte tenu des informations dont elle dispose sur les prix du marché immobilier local et des éléments fournis par les parties, la Cour estime la valeur marchande actuelle de ces appartements à 500 000 EUR.
51. La Cour considère que les événements en cause ont pu provoquer à la requérante des souffrances et un état d’incertitude qui ne peuvent pas être compensés par le constat de violation. Elle estime que la somme de 5 000 EUR représente une réparation équitable du préjudice moral subi par la requérante en raison de la privation de propriété et de la durée de la procédure engagée en vue de récupérer ses biens.
B. Frais et dépens
52. La requérante demande également 2 500 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour. Elle n’a déposé aucun justificatif en ce sens.
53. Le Gouvernement s’oppose au remboursement des frais de justice qui ne sont pas réellement et nécessairement exposés ni étayés par des justificatifs pertinents, comme dans le cas présent.
54. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. La Cour observe que la requérante n’a fourni aucun document justificatif concernant les frais et dépens prétendument encourus. En l’absence de tout document attestant les frais réclamés, la Cour ne saurait allouer aucune somme à ce titre.
C. Intérêts moratoires
55. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs relatifs à l’atteinte au droit de propriété et à la durée de la procédure, et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention, en ce qui concerne la durée de la procédure en restitution des appartements litigieux ;
4. Dit
a) que l’État défendeur doit restituer à la requérante les appartements nos 1, 3 et 4 et les terrains afférents de l’immeuble sis au no 16, rue Vasile Pârvan, à Bucarest, dans les trois mois à compter du jour où le présent arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention ;
b) qu’à défaut d’une telle restitution, l’État défendeur doit verser à la requérante, dans le même délai de trois mois, 500 000 EUR (cinq cent mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôtA, pour dommage matériel ;
c) qu’en tout état de cause, l’État défendeur doit verser à la requérante 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôtA, pour préjudice moral ;
d) que les sommes en question seront à convertir en lei nouveaux (RON) au taux applicable à la date du règlement ;
e) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 octobre 2009, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley Naismith Josep Casadevall
Greffier adjoint Président