Conclusion Violation de l'art. 6-1 ; Non-lieu à examiner P1-1
QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE TEBALDI c. ITALIE
(Requête n° 44486/98)
ARRÊT
STRASBOURG
1er mars 2001
DÉFINITIF
01/06/2001
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive.
En l’affaire Tebaldi c. Italie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. G. Ress, président,
A. Pastor Ridruejo,
B. Conforti,
J. Makarczyk,
I. Cabral Barreto,
Mme N. Vajic,
M. M. Pellonpää, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 février 2001,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête dirigée contre la République italienne et dont une ressortissante italienne, Mme T. T. (« la requérante »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme le 31 juillet 1997 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). La requête a été enregistrée le 13 novembre 1998 sous le numéro de dossier 44486/98. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. U. Leanza, et par son coagent, M. V. Esposito.
2. La Cour a déclaré la requête recevable le 29 juin 2000.
EN FAIT
3. Le 10 octobre 1978, la requérante assigna quatre personnes devant le tribunal de Vérone afin d’obtenir le partage d’un héritage.
4. La première audience se tint le 16 novembre 1978. Des neuf audiences fixées entre le 4 janvier 1979 et le 30 octobre 1980, trois concernèrent le dépôt de documents ou mémoires, quatre furent renvoyées afin que les parties tentent de parvenir à un règlement à l’amiable du différend, une le fut à la demande des parties et deux suite à l’absence des défendeurs. Le 12 février 1981, le juge fixa la présentation des conclusions au 14 mai 1981. L’audience de plaidoiries devant la chambre compétente fut fixée au 30 avril 1982 ; toutefois elle fut reportée au 9 juillet 1982 en raison de l’absence des parties. Par une ordonnance hors audience du 22 juillet 1982, dont le texte fut déposé au greffe le 29 juillet 1982, le tribunal rouvrit la mise en état afin de mettre en cause quatre autres personnes et fixa l’audience suivante au 17 février 1983.
5. Cette audience fut toutefois reportée d’office au 21 avril 1983. Après une audience, le 15 décembre le juge déclara défaillantes deux des personnes mises en cause et renvoya l’affaire devant la chambre afin qu’elle se prononce sur l’admission de plusieurs moyens de preuve. Par une ordonnance du 26 mars 1984, dont le texte fut déposé au greffe le 12 mai 1984, le tribunal admit l’audition des parties et de témoins et reporta l’affaire au 20 juin 1984. Des sept audiences fixées entre le 12 juillet 1984 et le 6 février 1986, quatre concernèrent l’audition des parties et des témoins et trois le dépôt de mémoires et documents. Le 10 avril 1986, le juge fixa la présentation des conclusions au 3 juillet 1986 ; toutefois, cette audience ne se tint que le 25 septembre 1986 car elle fut renvoyée à la demande de l’un des défendeurs. L’audience de plaidoiries devant la chambre compétente eut lieu le 22 janvier 1988. Par un jugement non définitif du 28 janvier 1988, dont le texte fut déposé au greffe le 8 juin 1988, le tribunal rejeta en partie la demande de la requérante et, par une ordonnance du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 8 juin 1988, renvoya les parties devant le juge à l’audience du 7 juillet 1988.
6. Une audience plus tard, le 23 mars 1989 le juge nomma un expert, qui prêta serment le 8 juin 1989. Des neuf audiences fixées entre le 23 novembre 1989 et le 27 mai 1993, une concerna l’expertise, une la constitution devant le juge du nouvel avocat de l’un des défendeurs, une le dépôt du projet de partage et une le dépôt de l’arrêt de la cour d’appel de Venise (voir ci-dessous), une fut reportée à la demande des parties et une le fut par le juge suite à une erreur du greffe qui avait transmit le dossier à la cour d’appel de Venise. Des six audiences fixées entre le 9 décembre 1993 et le 7 juillet 1994, une fut reportée d’office, une concerna la constitution du nouvel avocat de la requérante devant le juge, une l’approbation du projet de partage et trois la comparution personnelle des parties devant le juge - dont une fut renvoyée car l’un des défendeurs était absent. Le 14 juillet 1994, eut lieu le tirage au sort des lots et le juge déclara clos le procès.
7. Entre-temps, le 21 octobre 1988, la requérante avait interjeté appel du jugement non définitif du tribunal du 28 janvier 1988 devant la cour d’appel de Venise. La mise en état de l’affaire avait commencé le 15 mars 1989. Cette audience avait été renvoyée au 14 juin 1989 suite à l’absence de la requérante. A cette date, le juge avait fixé l’audience de présentation des conclusions au 8 novembre 1989. Le jour venu, la requérante s’était constituée devant le juge, en demandant la jonction de la présente affaire avec une autre ayant le même objet, et le juge avait réservé sa décision ; par une ordonnance hors audience du 9 novembre 1989, le juge avait constaté qu’entre-temps les deux affaires avaient été jointes et avait fixé une nouvelle audience de présentation des conclusions au 14 février 1990. L’audience de plaidoiries devant la chambre compétente avait été fixée au 24 novembre 1992, mais elle avait été renvoyée au 15 décembre 1992 car les avocats de deux parties avaient remis leur mandats. Par un arrêt du même jour, dont le texte avait été déposé au greffe le 9 février 1993, la cour avait rejeté l’appel de la requérante.
8. Selon la requérante, le tribunal de Vérone, lors de l’approbation du projet de partage et du tirage au sort des lots, n’avait pas bien identifié les biens faisant partie de chaque lot, ce qui aurait rendu impossible l’exécution du résultat du tirage au sort. Pour cette raison, le 12 décembre 1995, la requérante assigna trois des parties à la procédure en première instance devant le tribunal de Vérone afin de se voir confier le lot qu’elle avait obtenu avec le tirage au sort, d’obtenir la réparation des dommages subis pour ne pas avoir pu disposer de ses biens immédiatement et, le cas échéant, d’identifier mieux les lots.
9. La mise en état de l’affaire commença le 27 mars 1996. Des trois audiences fixées entre le 24 octobre 1996 et le 16 octobre 1997, deux furent renvoyées à la demande des parties et une concerna la mise en cause d’une autre personne. A l’audience du 12 mars 1998, le juge réserva sa décision quant à la nomination d’un expert ; par une ordonnance hors audience du 28 juillet 1998, dont le texte fut déposé au greffe le 30 juillet 1998, le juge nomma un expert, qui prêta serment le 9 février 1999. A cette date, le juge reporta l’affaire au 30 septembre 1999.
10. Le jour venu, le juge ordonna le dépôt au greffe du projet de partage rédigé par l’expert et fixa au 14 mars 2000 l’audience pour la comparution personnelle des parties. Les quatre audiences, fixées entre le 28 mars 2000 et le 3 octobre 2000, concernèrent un complément d’expertise. Le 30 octobre 2000, l’audience fut renvoyée au 15 décembre 2000 à la demande de la partie défenderesse.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
11. La requérante allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (…) qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »
12. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
13. La période à considérer concerne deux procédures. La première a débuté le 10 octobre 1978 et s’est terminée le 14 juillet 1994. La deuxième, qui est une suite de la première, a débuté le 12 décembre 1995 et était encore pendante au 15 décembre 2000.
14. Elle avait à cette date déjà duré un peu plus de vingt ans et neuf mois.
15. La Cour rappelle avoir constaté dans de nombreux arrêts (voir, par exemple, Bottazzi c. Italie [GC], n° 34884/97, § 22, CEDH 1999-V) l’existence en Italie d’une pratique contraire à la Convention résultant d’une accumulation de manquements à l’exigence du « délai raisonnable ». Dans la mesure où la Cour constate un tel manquement, cette accumulation constitue une circonstance aggravante de la violation de l’article 6 § 1.
16. Ayant examiné les faits de la cause à la lumière des arguments des parties et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime que la durée de la procédure litigieuse ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable » et qu’il y a là encore une manifestation de la pratique précitée.
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE N° 1
17. La requérante se plaint également de ce que la longueur de la procédure litigieuse a porté atteinte au droit au respect de ses biens tel que garanti par l’article 1 du Protocole n° 1.
18. Eu égard au constat relatif à l’article 6 § 1 (paragraphe 16 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 1 du Protocole n° 1 (voir l’arrêt Zanghì c. Italie du 19 février 1991, série A n° 194-C, p. 47, § 23).
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
19. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. DOMMAGE
20. La requérante réclame 1 284 993 997 lires italiennes (ITL) au titre du préjudice matériel et 1 284 993 997 ITL au titre du préjudice moral qu’elle aurait subis.
21. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 52 000 000 ITL au titre du préjudice moral.
B. INTÉRÊTS MORATOIRES
22. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d’intérêt légal applicable en Italie à la date d’adoption du présent arrêt était de 3,5 % l’an.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
2. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 1 du Protocole n°1 ;
3. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt est devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 52 000 000 (cinquante-deux millions) lires italiennes pour dommage moral ;
b) que ce montant sera à majorer d’un intérêt simple de 3,5 % l’an à compter de l’expiration de ce délai et jusqu’au versement ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 1er mars 2001, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Vincent Berger Georg Ress
Greffier Président