TROISIÈME SECTION
AFFAIRE TÄ‚NÄ‚SESCU c. ROUMANIE
(Requête no 23692/02)
ARRÊT
STRASBOURG
29 septembre 2009
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Tănăsescu c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Corneliu Bîrsan,
Boštjan M. Zupan�i�,
Egbert Myjer,
Ineta Ziemele,
Luis López Guerra,
Ann Power, juges,
et de Stanley Naismith, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 septembre 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 23692/02) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet Etat, M. A. T. (« le requérant »), a saisi la Cour le 13 juin 2002 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me A. M. R., avocate à Buzău. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Răzvan-Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le 10 janvier 2008, le président de la troisième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l'affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1934 et réside à Bucarest.
A. L'action en reconstitution du droit de propriété (la loi no 18/1991)
5. En 1991, le requérant demanda aux commissions d'application de la loi no 18/1991 sur le domaine foncier de Pătârlagele et de Buzău (ci-après « la loi no 18/1991 » et respectivement « la commission locale » et « la commission départementale ») la reconstitution du droit de propriété sur un terrain de 2 700 m², qui avait été la propriété de sa mère avant le remembrement forcé des terrains agricoles par les autorités communistes. Sa demande fut rejetée.
6. Par un jugement définitif du 10 janvier 1992, le tribunal de première instance de Pătârlagele accueillit la contestation du requérant et condamna les autorités compétentes à reconstituer son droit de propriété sur un terrain de 2 700 m² situé sur le territoire de Pătârlagele, sans toutefois en indiquer l'emplacement.
7. En exécution de ce jugement, le requérant, par un procès-verbal dressé le 28 juillet 1995 et signé par la commission locale et par le représentant du cadastre, fut mis en possession d'un verger de 1 350 m², situé à Pătârlagele (lieu-dit Buruieneşti). Se référant au règlement d'application de la loi no 18/199, le requérant refusa de signer le procès-verbal en cause au motif que la valeur de ce terrain était inférieure à celle du terrain détenu par sa mère sur l'ancien emplacement et qu'il n'y avait pas lieu de réduire de moitié la superficie attribuée puisqu'il ne s'agissait pas d'un verger productif. De plus, selon l'intéressé, l'ancien propriétaire du verger l'avait menacé lorsqu'il avait voulu utiliser le terrain.
B. L'action en revendication tendant à la mise en possession de la superficie restante de 1 350 m2 de terrain
8. A une date non précisée, le requérant introduisit une action en revendication contre C.A., A.I., A.V., qui avaient chacun ou en possession ou en propriété le terrain de 2 700 m2 ayant appartenu à sa mère, estimant qu'une partie au moins de ce terrain devait lui être restituée. Par ailleurs, dans une autre action, connexe à la première, il demanda que la commission locale soit condamnée à le mettre en possession, sur l'ancien emplacement et sur la base d'une expertise, du terrain restant de 1 350 m2 qui ne lui avait pas été restitué.
9. Par un jugement du 6 janvier 2000, le tribunal de première instance de Pătârlagele rejeta l'action en revendication au motif que le requérant ne disposait pas d'un titre de propriété sur le terrain revendiqué. Il ordonna en revanche à la commission locale de mettre l'intéressé en possession de 1 350 m² de terrain sur le territoire de Pătârlagele, sans toutefois préciser sur quel emplacement. Après avoir administré une expertise, le tribunal départemental de Buzău, par un arrêt du 5 novembre 2001, rejeta l'appel interjeté par le requérant, au motif que les parties défenderesses avaient des titres sur la majeure partie du terrain revendiqué et que la mise en possession de l'intéressé sur le restant dudit terrain n'était pas possible en raison de la configuration de celui-ci et de l'emplacement des bâtis. Le tribunal conclut que le terrain de 1 350 m2 dû au requérant devait lui être attribué sur le territoire intra muros de Pătârlagele ou, à défaut, à proximité.
10. Le 5 février 2002, lors du jugement du recours formé par le requérant contre l'arrêt précité, la cour d'appel de Ploieşti intima à l'intéressé de payer le droit de timbre d'un montant proportionnel à la valeur du terrain revendiqué. Tout en acceptant la qualification de son action par la cour d'appel, le requérant, s'appuyant sur l'article 15 r) de la loi no 146/1997 sur le droit de timbre qui disposait que les actions en restitution des immeubles abusivement nationalisés étaient exemptes d'un tel droit, refusa de payer le droit de timbre réclamé. Par un arrêt définitif du 14 février 2002, la cour d'appel de Ploieşti, en vertu de l'article 20 § 3 de la loi no 146/1997 sur le droit de timbre, annula pour défaut de paiement du droit de timbre le recours formé par le requérant.
11. Par un arrêt du 11 novembre 2003, la cour d'appel de Ploieşti rejeta comme mal fondée la contestation en annulation du requérant tendant à un nouvel examen de l'affaire. Elle rejeta son argument relatif au droit de timbre, retenant que l'article 15 r) qu'il avait invoqué portait sur la restitution d'un immeuble nationalisé alors que son action avait eu comme objet la revendication d'un terrain se trouvant en possession de tiers.
12. Par des lettres du 25 février et du 23 décembre 2002, la commission locale informa le requérant que la question de la propriété des terrains qu'il revendiquait avait été résolue par la mise en possession de 1995, selon l'annexe no 21 du règlement d'application de la loi no 18/1991, suivie de la transmission du dossier à la commission départementale pour la délivrance du titre de propriété, et par le rejet de ses actions ultérieures.
C. La procédure fondée sur la loi no 10/2001
13. Par une décision du 13 juin 2002, la mairie de Pătârlagele rejeta une notification faite par le requérant en vertu de la loi no 10/2001 sur le régime juridique des biens immeubles pris abusivement par l'Etat entre 1945 et 1989 (« la loi no 10/2001 »), par laquelle il visait la restitution d'un terrain intra muros de 3 328 m2, soit l'intégralité du terrain ayant appartenu à sa mère.
14. Le requérant forma un recours judiciaire contre la décision précitée. Il alléguait la nullité des contrats de vente et des titres de propriété des tiers sur le terrain ayant appartenu à sa mère, et soutenait qu'une partie de ces titres avaient été délivrés par l'administration au cours de l'action en revendication (point B ci-dessus). Après une cassation avec renvoi (arrêt du 21 avril 2004 de la Haute Cour de cassation et de justice), l'affaire fut réinscrite au rôle du tribunal départemental de Buzău.
15. Par une décision avant dire droit du 26 octobre 2005, le tribunal départemental suspendit le cours de l'instance en raison de l'absence des parties à l'audience et du défaut d'indication de leur part quant à la poursuite du jugement de l'affaire en leur absence. Le 10 janvier 2006, cette décision fut communiquée au requérant. Le lendemain, celui-ci envoya au tribunal départemental une demande de réinscription de l'affaire au rôle.
16. Par une décision du 10 novembre 2006, le tribunal départemental, en l'absence du requérant qui avait été légalement cité, conclut à la péremption de l'affaire en vertu de l'article 242 § 1 du code de procédure civile. Le tribunal retint qu'aucune demande de réinscription au rôle de l'affaire n'avait été envoyée par les parties. Le requérant ne forma pas de recours contre cette décision.
D. L'action fondée sur la loi no 247/2005 portant modification de la loi no 10/2001
17. A la suite d'une notification faite par le requérant en vertu de la loi no 247/2005, le tribunal de première instance de Pătârlagele, par un jugement du 8 septembre 2006, accueillit la demande de l'intéressé et reconstitua son droit de propriété sur 628 m2 de terrain à Pătârlagele. Ces 628 m2 représentaient la différence entre la superficie de 2 700 m2 déjà attribuée en vertu de la loi no 18/1991 et celle de 3 328 m2 qui avait été la propriété de la mère de l'intéressé. Ce jugement fut confirmé en dernier ressort par un arrêt du 18 décembre 2006 rendu par le tribunal départemental de Buzău, qui retint que la commission locale n'avait pas été condamnée à mettre le requérant en possession de 628 m2 sur l'ancien emplacement du terrain ayant appartenu à sa mère.
18. Le requérant sollicita la mise en possession des terrains qui lui était dus. Par une lettre du 12 octobre 2007, la commission locale lui répondit que, par le jugement définitif du 8 septembre 2006, les tribunaux n'avaient pas annulé les titres dont bénéficiaient des tiers sur le terrain situé sur l'ancien emplacement et que c'était à elle qu'il incombait de fixer l'emplacement du terrain de 628 m2 à restituer.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
19. Les extraits pertinents de la loi no 18/1991 sur le domaine foncier sont présentés dans l'affaire Sabin Popescu c. Roumanie (nº 48102/99, §§ 42-46, 2 mars 2004).
20. Le règlement d'application de la loi no 18/1991, tel qu'il était en vigueur entre le 9 janvier 1993 – date de sa publication au Moniteur officiel – et le 21 décembre 2001, prévoyait, dans son annexe no 21, que les commissions locales pouvaient appliquer un « coefficient d'équivalence » entre le terrain agricole et d'autres terrains effectivement attribués aux ayants droit ; en fonction de plusieurs critères qualitatifs, 1 ha de verger classique productif pouvait représenter l'équivalent de 1 à 2 ha de terrain agricole. Le règlement prévoyait par ailleurs la procédure de mise en possession et de délivrance de titres de propriété (articles 35 à 37). Dans le cas où l'ayant droit n'était pas présent lors de la mise en possession effective du terrain ou qu'il refusait de signer le procès-verbal dressé à cette occasion et le titre de propriété, les autorités en faisaient mention et déposaient le titre en cause à la mairie pour envoi ultérieur à l'intéressé. Les dispositions pertinentes du règlement après 2002 figurent dans l'arrêt Constantin Popescu c. Roumanie (no 5571/04, § 21, 30 septembre 2008).
EN DROIT
I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION ET DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
21. Le requérant allègue en substance que les autorités n'ont pas exécuté les jugements définitifs du 10 janvier 1992 et du 8 septembre 2006 du tribunal de première instance de Pătârlagele, que la mise en possession du 28 juillet 1995 n'a pas été légale, et que les autorités administratives et judiciaires ont refusé de le mettre en possession des terrains en cause sur l'emplacement d'origine et d'annuler les titres délivrés à des tiers. Il y voit une violation de son droit d'accès à un tribunal et du droit au respect de ses biens prévus par les articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1. Ces dispositions sont ainsi libellées :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Article 1 du Protocole no 1
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
22. Le Gouvernement combat cette thèse.
A. Sur la recevabilité
23. En ce qui concerne le refus des autorités de mettre le requérant en possession des terrains attribués par les tribunaux internes sur l'ancien emplacement, la Cour observe qu'aucun des jugements définitifs favorables au requérant ne lui a reconnu un tel droit. L'arrêt définitif du 5 novembre 2001 du tribunal départemental de Buzău a même conclu, sur la base d'une expertise, à l'impossibilité d'une telle mise en possession. Pour ce qui est des titres octroyés à des tiers sur l'ancien emplacement au cours des procédures litigieuses, il convient de noter que non seulement le requérant ne s'est pas vu reconnaître un droit de propriété sur ledit terrain (voir, a contrario, mutatis mutandis, Porteanu c. Roumanie, no 4596/03, § 32, 16 février 2006), mais que, surtout, il n'a pas poursuivi son action tendant à l'annulation desdits titres en formant un recours contre le jugement du 10 novembre 2006 qui avait conclu à la péremption de l'action susmentionnée (paragraphe 16 ci-dessus). Il s'ensuit que, au regard des articles 6 § 1 et 1 du Protocole no 1 de la Convention, cette partie de la requête est à rejeter pour non-épuisement des voies de recours et comme incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, en vertu de l'article 35 §§ 1, 3 et 4.
24. En ce qui concerne la non-exécution alléguée des jugements définitifs du 10 janvier 1992 et du 8 septembre 2006 du tribunal de première instance de Pătârlagele, la Cour constate que cette partie de la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
25. Le requérant considère que les autorités n'ont pas exécuté les jugements définitifs rendus le 10 janvier 1992 et le 8 septembre 2006 par le tribunal de première instance de Pătârlagele et que la mise en possession du 28 juillet 1995 ne peut pas passer pour une exécution conforme du premier jugement précité.
26. Le Gouvernement estime que l'exécution partielle et le retard dans la mise en exécution des jugements précités sont dus à l'insistance du requérant dans ses démarches tendant à la mise en possession sur l'ancien emplacement malgré l'occupation de celui-ci par des tiers. Face à l'attitude de l'intéressé et à l'absence d'une solution acceptable, les autorités auraient ainsi été mises devant une impossibilité objective d'exécuter les jugements. Le Gouvernement ajoute que l'établissement de l'emplacement du terrain à attribuer au requérant était de la compétence de la commission locale, qui avait exécuté en 1995 le jugement du 10 janvier 1992 en vertu de l'annexe no 21 du règlement d'application de la loi no 18/1991.
27. La Cour observe que, même si le requérant a obtenu, le 10 janvier 1992 et le 8 septembre 2006, des jugements définitifs qui ordonnaient aux autorités administratives de reconstituer son droit de propriété sur des terrains de 2 700 m2 et 628 m2 dans le périmètre de Pătârlagele, ces jugements n'ont été ni exécutés, ni annulés ou modifiés à la suite de l'exercice d'une voie de recours prévue par la loi. Or seule une telle annulation ou la substitution, par le tribunal, des obligations dues en vertu des jugements en cause par d'autres obligations équivalentes aurait permis de mettre fin à la situation continue de non-exécution (Sabin Popescu, précité, § 54). La Cour rappelle avoir déjà conclu, dans des affaires soulevant des questions semblables à celles de la présente espèce, à la violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 (voir, parmi d'autres, Sabin Popescu, précité, et Taculescu et autres c. Roumanie, no 16947/03, 1er avril 2008).
28. Dans la présente affaire, la Cour ne saurait accepter les arguments du Gouvernement qui soutient pour l'essentiel que les autorités se sont trouvées devant une impossibilité objective d'exécuter les jugements précités à cause de l'attitude du requérant, et qui affirme que de toute manière le jugement du 10 janvier 1992 a été exécuté par la mise en possession du 28 juillet 1995.
29. Certes, à cette dernière date, les autorités compétentes, s'appuyant sur l'annexe no 21 du règlement d'application de la loi no 18/1991, ont dressé un procès-verbal relatif à la mise en possession du requérant d'un verger de 1 350 m2. L'intéressé en a été informé et n'a pas prouvé, devant les tribunaux internes et devant la Cour, que cette mise en possession eût été illégale ou qu'elle eût été faite sur le terrain qui était la propriété d'un tiers (voir, mutatis mutandis, Gavrileanu c. Roumanie, no 8037/02, §§ 40-41, 22 février 2007, et, a contrario, Draculet c. Roumanie, no 20294/02, §§ 46 et 50, 6 décembre 2007). Néanmoins, vu l'arrêt définitif du 5 novembre 2001 du tribunal départemental de Buzău, qui a jugé que l'intéressé devait encore se voir attribuer un terrain de 1 350 m2 (paragraphe 9 ci-dessus), il convient de conclure que l'exécution du jugement du 10 janvier 1992 n'avait été que partielle.
30. La Cour observe à ce titre que le Gouvernement n'a pas fourni la preuve des offres faites au requérant par les autorités pour la mise en possession de la superficie restante de 1 350 m2 et, ensuite, de celle de 628 m2, qui a été ordonnée par le jugement définitif du 8 septembre 2006, alors que l'intéressé avait sollicité l'exécution des jugements en cause (paragraphes 12 et 18 ci-dessus). De surcroît, alors que toutes les décisions susmentionnées avaient ordonné non seulement la mise en possession, mais aussi la reconstitution du droit de propriété du requérant sur les superficies de 2 700 m2 et 628 m2, aucun titre de propriété n'a été délivré à l'intéressé jusqu'à présent (voir, mutatis mutandis, Gavrileanu, précité, § 43). Or, dans la mesure où les tribunaux avaient rejeté les prétentions du requérant relatives à l'ancien emplacement, les autorités avaient à leur disposition les moyens nécessaires, prévus par le droit interne, pour remplir leurs obligations positives, répondre aux demandes d'exécution de l'intéressé, et le mettre en possession et lui délivrer des titres de propriété, conformément aux décisions définitives précitées (paragraphe 20 in fine ci-dessus). Le Gouvernement ne saurait donc mettre en avant l'existence d'une impossibilité objective à l'exécution des jugements en cause.
31. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu'en l'espèce l'Etat, par le biais de ses organes spécialisés, n'a pas déployé tous les efforts nécessaires afin de faire exécuter les jugements définitifs précités par la délivrance au requérant des titres de propriété pour les terrains de 2 700 m2 et 628 m2 et par la mise en possession de cette dernière parcelle ainsi que d'une parcelle de 1 350 m2 représentant la moitié du premier terrain susmentionné, dans le périmètre de Pătârlagele. Dès lors, la Cour conclut qu'il y a eu violation du droit d'accès du requérant à un tribunal, droit garanti par l'article 6 § 1 de la Convention, et du droit au respect de ses biens garanti par l'article 1 du Protocole no 1.
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
32. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de l'annulation de son recours pour défaut de paiement du droit de timbre par l'arrêt de la cour d'appel de Ploieşti du 14 février 2002. Il allègue que son action était exemptée du paiement d'un tel droit et que la cour d'appel n'a pas fourni les motifs du rejet de sa demande. De plus, selon lui, lors de la procédure fondée sur la loi no 10/2001 le tribunal départemental de Buzău a failli à porter à sa connaissance la suspension de l'instance et a décidé, le 10 novembre 2006, en son absence, la péremption de l'affaire.
33. En ce qui concerne le défaut de motivation allégué, le Gouvernement répond que la cour d'appel a indiqué la base légale justifiant le rejet de l'action du requérant et que celui-ci a eu ensuite la possibilité de corriger la violation alléguée par le biais de la contestation en annulation, lorsque la cour d'appel lui a fourni des motifs justifiant le rejet de son action.
34. La Cour observe d'emblée que le refus du requérant de payer le droit de timbre n'a pas été justifié par l'absence de moyens suffisants, mais par une interprétation différente des dispositions légales en la matière (voir, a contrario, parmi d'autres, Iorga c. Roumanie, no 227/02 §§ 18, 37 et 43, 25 janvier 2007). Compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n'a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par les articles de la Convention ou de ses Protocoles.
Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
35. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
36. Sans s'appuyer sur une expertise ou d'autres pièces à cet égard, le requérant réclame 83 200 euros (EUR) pour le préjudice matériel qu'il estime avoir subi du fait de la non-exécution des jugements définitifs relatifs au terrain de 3 328 m2. Il se borne à préciser que, selon lui, la valeur du terrain intra muros à Pătârlagele est de 25 EUR/m2. Il demande en outre 5 000 EUR pour préjudice moral.
37. Soumettant un tableau datant de décembre 2007 et utilisé par les études notariales pour établir les honoraires et les taxes sur la vente de terrains dans le département en cause, le Gouvernement soutient que la valeur marchande d'un terrain agricole intra muros de 3 328 m2 est de 2 730 EUR. Considérant que la demande du requérant est excessive, il estime qu'un éventuel constat de violation pourrait représenter une réparation suffisante du préjudice moral.
38. La Cour relève que la seule base à retenir pour l'octroi d'une satisfaction équitable réside en l'espèce dans le constat de violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 en raison de la non-exécution partielle des jugements définitifs du 10 janvier 1992 et du 8 septembre 2006 (paragraphe 31 ci-dessus).
39. Partant, elle estime qu'il incombe aux autorités de prendre les mesures nécessaires afin de mettre le requérant en possession des terrains de 628 m2 et de 1 350 m2 sur le territoire de Pătârlagele et de lui délivrer les titres de propriété correspondant aux terrains indiqués dans les jugements définitifs en question. Cela placerait l'intéressé, autant que possible, dans une situation équivalant à celle où il se trouverait si les exigences des articles précités n'avaient pas été méconnues.
40. La Cour décide que si, dans un délai de trois mois à compter du jour où le présent arrêt sera devenu définitif, l'Etat défendeur n'a pas procédé aux opérations précitées, le Gouvernement devra verser au requérant une somme correspondant à la valeur actuelle des terrains qui restent à restituer. Eu égard à l'ensemble des éléments en sa possession et statuant en équité, la Cour considère qu'il convient d'allouer au requérant 5 000 EUR pour dommage matériel.
41. De surcroît, elle estime que le requérant a subi un préjudice moral certain du fait de l'incertitude et la frustration provoquées par l'impossibilité de voir exécuter de manière intégrale et effective les jugements définitifs susmentionnés, dont celui du 10 janvier 1992 après le 20 juin 1994, date de la ratification de la Convention par la Roumanie, et que ce préjudice n'est pas suffisamment compensé par un constat de violation. Statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, la Cour lui alloue 2 000 EUR pour dommage moral.
B. Frais et dépens
42. Sans fournir de justificatif, le requérant demande également 5 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes.
43. Le Gouvernement souligne que l'intéressé n'a accompagné sa demande d'aucun justificatif.
44. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour rejette la demande du requérant à ce titre.
C. Intérêts moratoires
45. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 relatifs à la non-exécution des jugements définitifs du 10 janvier 1992 et du 8 septembre 2006 du tribunal de première instance de Pătârlagele, et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention et de l'article 1 du Protocole no 1 ;
3. Dit
a) que l'Etat défendeur doit délivrer au requérant des titres de propriété pour les terrains de 2 700 m2 et 628 m2 et le mettre en possession de cette dernière parcelle ainsi que d'une parcelle de 1 350 m2 sur le territoire de Pătârlagele, conformément aux jugements définitifs précités, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention ;
b) qu'à défaut d'avoir accompli ces opérations, l'Etat défendeur
doit verser au requérant, dans le même délai de trois mois, 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage matériel ;
c) qu'en tout état de cause l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans le délai susmentionné, 2 000 EUR (deux mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
d) que les sommes en question seront à convertir dans la monnaie de l'Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
e) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 septembre 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley Naismith Josep Casadevall
Greffier adjoint Président