TROISIÈME SECTION
AFFAIRE SILVIU MARIN c. ROUMANIE
(Requête no 35482/06)
ARRÊT
(fond)
STRASBOURG
2 juin 2009
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Silviu Marin c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Elisabet Fura-Sandström,
Corneliu Bîrsan,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Ineta Ziemele,
Ann Power, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 mai 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 35482/06) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet Etat, M. S. M (« le requérant »), a saisi la Cour le 24 août 2006 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Răzvan-Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le 5 mars 2008, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, elle a en outre décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l'affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1950 et réside à Slobozia.
5. Par une décision du 31 juillet 1991 de la mairie d'Amara, il se vit accorder un terrain de 800 m2 en vue de la construction d'une maison. La décision mentionnait qu'elle était adoptée en vertu de la loi no 4/1973 et de l'article 8 du décret-loi no 42/1990 (voir paragraphes 14-15 ci-dessous) ; elle précisait également les quatre propriétés limitrophes du terrain, sans toutefois préciser les dimensions de chaque côté.
Par une décision du 25 février 1992, la préfecture du département d'Ialomiţa attribua en propriété au requérant un terrain ayant les mêmes propriétés limitrophes et une surface de 1 000 m2. Cette décision précisait les dimensions de chaque côté du terrain, à savoir 40 m en longueur et 20 m en largeur. Elle était adoptée en vertu de l'article 35 §§ 2 et 6 de la loi no 18/1991 (voir paragraphe 16 ci-dessous).
Par une décision du 29 janvier 1993, le conseil départemental d'Ialomiţa modifia la décision du 25 février 1992, dans le sens de préciser que la superficie du terrain était de 800 m2. Cette dernière décision mentionnait expressément :
« Le terrain de 800 m2 (...), accordé en usage en vue de la construction d'un logement propriété privée, est attribué en propriété à Monsieur M. S. ».
6. A une date non précisée, la décision du 25 février 1992 fut inscrite dans les registres de propriété immobilière. Le 9 mars 1993, la décision du 29 janvier 1993 y fut également enregistrée.
7. Les 7 décembre 1993 et 18 décembre 1995, la mairie délivra au requérant des autorisations de construction pour l'édification d'une maison. La construction fut ensuite effectivement réalisée sur le terrain en question, et le requérant jouit alors de son bien sans perturbation aucune.
8. Le 31 octobre 2005, le préfet d'Ialomiţa saisit le tribunal de première instance de Slobozia d'une action contre le requérant, la mairie d'Amara et le conseil départemental, afin de faire constater la nullité absolue des trois décisions susmentionnées, qu'il estimait contraires à la loi no 18/1991 sur le fonds foncier. Le préfet considérait que l'article 35 §§ 2 et 6 de ladite loi avaient été méconnu, compte tenu que le logement du requérant n'était, à l'époque des trois décisions, pas encore édifié. Tant le requérant que la mairie et le conseil départemental déposèrent des mémoires en réponse, demandant le rejet de l'action, au motif que les trois décisions étaient légales.
9. Par un jugement du 15 décembre 2005, le tribunal de
première instance rejeta l'action, retenant que les décisions contestées étaient conformes à la loi.
10. Par un arrêt du 16 février 2006, le tribunal départemental d'Ialomiţa fit droit au pourvoi en recours formé par le préfet, accueillit l'action introductive d'instance et constata la nullité absolue des trois décisions, se fondant sur l'article III alinéa 1 lettre a) de la loi no 169/1997. Le tribunal retint que la situation du terrain en question était régie par la loi no 18/1991 et non par la loi no 4/1973 et le décret-loi no 42/1990. Il jugea également qu'il ressortait de l'article 35 §§ 2 et 6 de la loi no 18/1991 que pour se voir accorder le terrain en propriété, l'intéressé aurait dû être propriétaire de la maison à la date de l'adoption desdites décisions, ce qui n'était pas le cas en l'espèce.
11. Selon le requérant, bien qu'il y eût seize autres personnes dans la même situation que lui, il fut le seul cité à comparaître devant les tribunaux en vue de l'annulation des décisions administratives le concernant.
12. Le 24 juin 2008, la mairie informa le Gouvernement, en réponse à sa demande de renseignements, que le terrain en question avait été attribué au requérant tout d'abord à usage et ensuite en propriété, et l'intéressé occupait toujours ledit terrain, où il avait fait édifier une maison. Par une lettre du 26 juin 2008, la mairie compléta ces renseignements, estimant que le requérant avait la possibilité de demander la concession du terrain en vertu de la loi no 50/1991, compte tenu de ce qu'il y avait déjà dans la zone en question 107 contrats de concession portant sur des terrains afférents aux maisons.
13. Il ressort des dires du requérant qu'il acquitte toujours des impôts en vertu de la décision du 25 février 1992.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
14. L'article 4 de la loi no 4 du 28 mars 1973 concernant le développement de la construction de logements (« la loi no 4/1973 ») était ainsi rédigé dans ses parties pertinentes en l'espèce :
« Les terrains se trouvant dans la propriété de l'Etat peuvent être attribués, en vue de la construction de logements, à l'usage de personnes physiques (...)
Le droit d'usage du terrain est attribué uniquement pour la durée d'existence de la construction en question. »
15. L'article 8 du décret-loi no 42 du 29 janvier 1990 concernant certaines mesures pour la protection des gens de la campagne (« le décret-loi no 42/1990 ») était libellé comme suit :
« Le terrain d'assiette du logement et de ses annexes, ainsi que la cour et le jardin qui les entourent (...) constituent la propriété privée de leurs possesseurs ; ils peuvent être aliénés et transmis par voie de succession ».
16. L'article 35 de la loi no 18/1991 sur le fonds foncier (« la loi no 18/1991 ») était ainsi rédigé :
« (2) Les terrains propriété de l'Etat situés à l'intérieur des localités et qui ont été, en vue de la construction d'un logement propriété personnelle, attribués à usage permanent ou limité à la durée de la construction (...) peuvent être transférés, à la demande des propriétaires des logements, dans leur propriété (...)
(6) L'attribution des terrains en propriété se fait par la voie d'une décision adoptée par la préfecture, sur proposition faite par la mairie après vérification de la situation juridique des terrains. »
17. A la suite de la republication de la loi no 18/1991 le
10 décembre 2007, l'article 35 précité est devenu l'article 36.
18. Les dispositions de la loi no 50 du 29 juillet 1991 concernant l'autorisation des constructions (« la loi no 50/1991 »), republiée le 13 octobre 2004, qui ont été invoquées par le Gouvernement sont les suivantes :
Article 13
« (2) Les terrains appartenant au domaine public de l'Etat (...) peuvent faire l'objet d'une concession uniquement en vue de la réalisation des constructions ou d'autres objectifs d'usage ou d'intérêt public, en conformité avec la documentation urbanistique approuvée en vertu de la loi.
(3) La concession doit être faite à partir d'un appel d'offres à présenter par les candidats, dans le respect des dispositions légales et en poursuivant une mise en valeur considérable du potentiel du terrain. »
Article 15
« Par exception (...), les terrains destinés à la construction peuvent être attribués en concession sans appel d'offres, à la condition du paiement d'une redevance établie en conformité avec la loi ou peuvent, le cas échéant, être attribués en usage pour une durée limitée, dans les cas suivants :
e) en vue de l'extension de constructions sur des terrains avoisinants, à la demande du propriétaire ou en accord avec celui-ci. »
19. Selon l'article III alinéa 1 lettre a) de la loi no 169 du
27 octobre 1997 (« la loi no 169/1997 ») portant modification de la
loi no 18/1991, les actes de reconnaissance du droit de propriété en faveur des personnes qui n'en étaient pas autorisées sont entachés de nullité absolue.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION
20. Le requérant se plaint d'une atteinte à son droit de propriété à raison de l'arrêt du 16 février 2006 du tribunal départemental d'Ialomiţa, qui a retenu que les décisions lui attribuant le terrain étaient entachées de nullité absolue. Il souligne que, bien que les autorités administratives lui aient accordé ce terrain, elles ont toutefois entamé, treize ans après leurs propres décisions, une procédure visant à faire constater leur nullité et ce, sans tenir compte du fait qu'il avait déjà édifié une maison sur ledit terrain. L'intéressé insiste sur le fait que le terrain lui avait été attribué en vue de la construction de la maison, ce qu'il a fait, en respectant les dispositions de la loi. Selon lui, la sanction de la nullité absolue n'était pas applicable, dans la mesure où il n'y avait aucun intérêt général à protéger en l'espèce. Il ajoute qu'à la suite de l'annulation des décisions en question, il se voit placé dans une situation permanente d'incertitude, n'ayant aucune idée de ce que les autorités entendent faire avec son terrain et même avec la maison édifiée sur celui-ci. Il invoque l'article 1 du Protocole no 1, qui est ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
21. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
22. Le Gouvernement considère que le droit du requérant au respect de ses biens n'a pas été violé. Il note à cet égard l'intéressé ne disposait pas d'un droit de propriété en l'espèce, la décision de la mairie de 1991 ne constituant pas un titre de propriété. En revanche, le requérant a le droit d'usage du terrain pendant la durée d'existence de la maison. En tout cas, celui-ci utilise toujours ledit terrain, où il a fait édifier une maison. De surcroît, il ressort de la lettre du 26 juin 2008 de la mairie d'Amara que le requérant aurait la possibilité de demander aux autorités de lui concéder le terrain. Le Gouvernement cite à cet égard les dispositions de l'article 13 §§ 2 et 3 e) de la loi no 50/1991.
23. Le Gouvernement note ensuite qu'à supposer même qu'il y ait eu une ingérence dans le droit du requérant au respect de ses biens, une telle ingérence était toutefois prévue par la loi (à savoir la loi no 18/1991 sur le fonds foncier), poursuivait un but légitime (celui d'assurer le respect de la loi) et ménageait un juste équilibre entre les intérêts en présence. Il cite à son appui l'affaire Wittek c. Allemagne, no 37290/97, §§ 58-61,
CEDH 2002-X.
24. Le requérant conteste les arguments du Gouvernement, faisant valoir que, du point de vue juridique, il n'a actuellement plus aucun droit sur le terrain, dans la mesure où les trois décisions administratives le lui attribuant ont été annulées. Il souligne que ces décisions avaient été émises par les autorités publiques après qu'elles eurent fait les vérifications nécessaires, qu'il n'a été ensuite aucunement perturbé dans l'exercice de son droit de propriété pendant treize ans, pour voir alors les décisions en question être annulées d'un coup, sans raison valable. L'intéressé note également qu'il avait enregistré la décision du 25 février 1992 dans les registres de publicité immobilière et qu'en vertu de cette décision il acquitte toujours les impôts sur le terrain en question.
25. Le requérant conteste avoir la possibilité de demander la concession du terrain, estimant les dispositions invoquées par le Gouvernement inapplicables dans son cas. A cet égard, il précise que son terrain était bordé par des parcelles appartenant à d'autres personnes et par la voie publique. Dès lors, il ne pourrait pas demander l'extension de ses constructions pour rendre applicables les dispositions citées par le Gouvernement. A son avis, en procédant ainsi, il s'exposerait à d'autres procédures judiciaires à l'avenir.
26. Le requérant observe que les dispositions en vertu desquelles il s'était vu attribuer le terrain en propriété sont toujours en vigueur et permettent aux autorités locales de lui attribuer à nouveau son terrain. Il renvoie à cet égard à l'article 35 §§ 2 et 6 de la loi no 18/1991, devenu l'article 36 après la republication de la loi. Dans ces conditions, le requérant se demande pourquoi celles-ci refusent de procéder ainsi dans son cas, surtout dans la mesure où d'autres personnes auraient bénéficié récemment de ces dispositions. Il est d'avis que ce refus est motivé par le fait qu'il avait saisi la Cour de la présente requête.
27. La Cour relève que le requérant s'est vu attribuer le terrain en question en vue de la construction d'une maison. Même si le terrain lui fut accordé tout d'abord en usage par la décision du 31 juillet 1991 de la mairie, toutefois les décisions du 25 février 1992 de la préfecture et du
29 janvier 1993 du conseil départemental le lui attribuèrent en propriété. Dès lors, la Cour ne saurait souscrire à l'argument du Gouvernement selon lequel le requérant n'avait en l'espèce qu'un droit d'usage à l'égard du terrain. Par ailleurs, il a fait enregistrer les deux dernières décisions aux registres de publicité immobilière et a fait édifier la maison sur le terrain en question. Ensuite, pour une longue période de temps, il n'a été aucunement perturbé dans l'exercice de son droit de propriété.
28. La Cour estime dans ces conditions que le requérant disposait d'un « bien » au sens de l'article 1 du Protocole no 1, et ce, nonobstant le fait que l'arrêt du 16 février 2006 du tribunal départemental d'Ialomiţa ait déclaré la nullité absolue des décisions précitées (voir, mutatis mutandis, Gashi c. Croatie, no 32457/05, § 22, 13 décembre 2007).
29. La Cour doit dès lors examiner les effets de cet arrêt sur le droit de propriété du requérant. A cet égard, elle relève que, même si le requérant continue à ce jour d'occuper le terrain, sur lequel est par ailleurs sise sa maison, il se trouve placé dans une situation d'incertitude totale quant à ce terrain, dans la mesure où les décisions qui constituaient le fondement de son droit ont été supprimées, de sorte que l'intéressé n'a actuellement aucune possibilité de disposer juridiquement du terrain. Il a été ainsi privé d'un attribut essentiel du droit de propriété. Il s'ensuit que l'arrêt en question a eu comme effet de priver l'intéressé de son bien au sens de la seconde phrase du premier alinéa de l'article 1 du Protocole no 1.
30. La Cour rappelle qu'une privation de propriété relevant de cette norme ne peut se justifier que si l'on démontre notamment qu'elle est intervenue pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi. De plus, toute ingérence dans la jouissance de la propriété doit répondre au critère de proportionnalité.
31. L'article 1 du Protocole no 1 exige, avant tout et surtout, qu'une ingérence de l'autorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale. La prééminence du droit, l'un des principes fondamentaux d'une société démocratique, est inhérente à l'ensemble des articles de la Convention (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 58,
CEDH 1999-II). Le principe de légalité signifie l'existence de normes de droit interne suffisamment accessibles, précises et prévisibles (Belvedere Alberghiera S.R.L. c. Italie, no 31524/96, § 57, CEDH 2000-VI).
32. En l'espèce, la Cour observe que le tribunal départemental d'Ialomiţa a fondé son constat relatif à la nullité absolue des décisions administratives sur deux dispositions : l'article 35 §§ 2 et 6 de la loi no 18/1991, qu'il a interprété dans le sens qu'il était nécessaire que l'intéressé fût propriétaire de la maison à la date de l'adoption desdites décisions, et l'article III alinéa 1 lettre a) de la loi no 169/1997, laquelle prévoyait la sanction de la nullité absolue dans le cas où le droit de propriété a été reconnu en faveur des personnes qui n'en étaient pas autorisées.
33. Vu qu'il appartient au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, d'interpréter la législation interne (voir, parmi beaucoup d'autres, Miragall Escolano et autres c. Espagne, nos 38366/97, 38688/97, 40777/98, 40843/98, 41015/98, 41400/98, 41446/98, 41484/98, 41487/98 et 41509/98, § 33, CEDH 2000-I), la Cour dispose d'une compétence limitée en la matière. Dès lors, elle n'estime pas nécessaire de se pencher sur l'interprétation donnée par le tribunal départemental de l'article 35 §§ 2 et 6 de la loi no 18/1991.
34. Elle relève toutefois que ce n'est qu'en 1997 que la loi no 169 portant sur la modification de la loi no 18/1991 a prévu la sanction susmentionnée et que le tribunal départemental a fait l'application de cette sanction à l'égard des décisions administratives en question, bien que la dernière d'entre elles datât de 1993, soit environ quatre ans avant l'adoption de la loi no 169/1997.
35. Dans la mesure où il ne ressort aucunement des pièces du dossier que le requérant aurait agi d'une manière illégale afin de se voir accorder le terrain en question (Gashi, précité, § 37) et où il appartenait aux autorités de vérifier si les exigences requises par la loi étaient réunies avant d'adopter les décisions en question (voir, mutatis mutandis, Drăculeţ c. Roumanie, no 20294/02, § 40, 6 décembre 2007), la Cour estime que l'intéressé ne pouvait pas raisonnablement s'attendre à ce que ces décisions puissent être annulées plus de treize ans après leur adoption et ce, en application d'une nouvelle loi établissant une telle sanction.
36. Au vu de ce qui précède et compte tenu des circonstances de l'espèce, la Cour estime que l'annulation desdites décisions ne pouvait passer pour prévisible aux yeux du requérant (voir, mutatis mutandis,
Fener Rum Erkek Lisesi Vakfı c. Turquie, no 34478/97, § 57, CEDH 2007-... (extraits)).
37. Partant, la Cour considère que l'ingérence litigieuse n'était pas « prévue par la loi » au sens de l'article 1 du Protocole no 1 et, par conséquent, est incompatible avec le droit au respect des biens du requérant. Une telle conclusion la dispense de rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits individuels.
38. Dès lors, il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
39. Citant l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de l'issue de la procédure tranchée par l'arrêt du 16 février 2006 du tribunal départemental d'Ialomiţa. Sous l'angle de l'article 14 de la Convention, le requérant se plaint d'avoir subi une discrimination par rapport à d'autres personnes qui n'ont pas été citées à comparaître devant les juridictions en vue de l'annulation de leurs titres de propriété. Il estime que cette discrimination était due au fait qu'il ne faisait partie d'aucun parti politique.
40. Vu son raisonnement sur le terrain de l'article 1 du Protocole no 1, la Cour ne juge pas nécessaire d'examiner ces griefs séparément.
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
41. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
42. Le requérant demande 5 000 euros (EUR) pour le préjudice moral qu'il avait subi à raison des souffrances physiques et psychiques auxquelles il a été soumis par les autorités locales. Il note que son état de santé s'est gravement détériorée, l'intéressé ayant été subitement atteint d'une maladie cardiaque en raison de laquelle il a été obligé de prendre des congés médicaux et de demander sa mise à la retraite pour motifs de santé entre 2007 et 2008. Le requérant demande également 12 850 EUR pour dommage matériel. Il précise que cette somme a été calculée comme différence entre son salaire et l'indemnité de retraite, à laquelle il a ajouté le prix des médicaments qu'il a dû se procurer. Il verse au dossier des documents médicaux, des bulletins de paye pour le salaire et l'indemnité de retraite, ainsi que des récépissés pour l'achat de médicaments. Toujours au titre du dommage matériel, le requérant réclame que la propriété du terrain de 800 m2 sur lequel il a fait édifier sa maison lui soit restituée, comme elle lui avait été attribué par les décisions du 25 février 1992 et 29 janvier 1993.
43. Le Gouvernement rappelle tout d'abord qu'à son avis le requérant ne disposait pas d'un droit de propriété sur le terrain, mais uniquement d'un droit d'usage, dont il jouit toujours tranquillement. Il considère également qu'il n'y avait en l'espèce aucun lien de causalité entre l'annulation des trois décisions administratives et la détérioration de l'état de santé de l'intéressé, ni entre le dommage moral allégué par le requérant et la prétendue violation de ses droits.
44. La Cour estime que la question de l'application de l'article 41 sur ce point ne se trouve pas en état, de sorte qu'il convient de la réserver en tenant également compte de l'éventualité d'un accord entre l'Etat défendeur et les intéressés (article 75 §§ 1 et 4 du règlement de la Cour).
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare recevable le grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1 ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ;
3. Dit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les griefs fondés sur les articles 6 § 1 et 14 de la Convention ;
4. Dit que la question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ; en conséquence :
a) la réserve en entier ;
b) invite le Gouvernement et le requérant à lui adresser par écrit, dans le délai de trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention, leurs observations sur cette question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;
c) réserve la procédure ultérieure et délègue au président de la chambre le soin de la fixer au besoin.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 juin 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Josep Casadevall
Greffier Président