PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE SERRILLI c. ITALIE
(Requêtes nos 77823/01, 77827/01 et 77829/01)
ARRÊT
(Satisfaction équitable)
STRASBOURG
17 janvier 2008
DÉFINITIF
17/04/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Serrilli c. Italie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Christos Rozakis, président,
Loukis Loucaides,
Peer Lorenzen,
Nina Vajić,
Vladimiro Zagrebelsky,
Dean Spielmann,
Sverre Erik Jebens, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 décembre 2007,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouvent trois requêtes (nos 77823/01, 77827/01 et 77829/01) dirigées contre la République italienne et dont trois ressortissantes de cet Etat, Mmes P. G. S., A. M S. et G. S. (« les requérantes »), ont saisi la Cour respectivement le 10 février et le 14 mars 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le 2 septembre 2004, la première section a décidé de joindre les trois requêtes.
3. Par un arrêt du 17 novembre 2005 (« l'arrêt au principal »), la Cour a jugé que l'ingérence dans le droit au respect des biens des requérantes n'était pas compatible avec le principe de légalité et que, partant, il y avait eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 (Serrilli c. Italie, nos 77823/01, 77827/01 et 77829/01, § 78, et point 3 du dispositif, 17 novembre 2005).
4. En s'appuyant sur l'article 41 de la Convention, au titre du préjudice matériel les requérantes réclamaient une somme correspondant à la différence entre la valeur du terrain litigieux à l'époque de son occupation et la somme qu'elles obtiendraient à l'issue de la procédure devant les juridictions nationales, indexation et intérêts en sus.
5. La question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l'a réservée et a invité le Gouvernement et les requérantes à lui soumettre par écrit, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt deviendrait définitif, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 85, et point 4 du dispositif).
6. L'arrêt au principal est devenu définitif le 17 février 2006, aucune demande de renvoi devant la Grande Chambre n'ayant été formulée au titre de l'article 43 de la Convention. Le délai de trois mois est échu sans que les parties ne parviennent à un accord.
7. Tant les requérantes que le Gouvernement ont déposé des observations complémentaires sur la satisfaction équitable
EN DROIT
8. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
1. Arguments des parties
9. Les requérantes sollicitent une somme correspondant à la valeur que le terrain litigieux avait au moment du début de l'occupation (août 1979), déduction faite de l'indemnité que le tribunal de Foggia leur a accordée (64 140 264 ITL, soit 33 125, 68 EUR), plus indexation et intérêts.
10. Avant l'arrêt au principal, les requérantes fondaient leurs prétentions sur les calculs effectués par l'expert commis d'office dans la procédure nationale (§§ 16-17 et 80 de l'arrêt au principal). De cette sorte, la somme réclamée s'élevait à 63 235 464 ITL (32 658,39 EUR), plus indexation et intérêts.
11. Le 10 mars 2006, les requérantes ont adressé à la Cour un rapport d'expertise rédigé par un expert mandaté par elles. Ce dernier, se basant sur des actes de vente de terrains voisins, a estimé que le terrain litigieux valait, en 1983, 312 724,88 EUR.
12. Les requérantes ne demandent aucune somme au titre du préjudice moral.
13. Le Gouvernement fait observer que la procédure en indemnisation engagée par les requérantes au niveau national est toujours pendante et porte essentiellement sur le montant de l'indemnité accordée. Selon lui, si la Cour accordait une somme au titre de satisfaction équitable, les requérantes seraient indemnisées deux fois.
14. En outre, les requérantes n'auraient le droit de réclamer aucune somme au titre de préjudice matériel, étant donné que devant les juridictions nationales, elles n'ont pas contesté les calculs de l'expert commis d'office et qu'elles ont critiqué uniquement les critères suivis par le tribunal pour les dédommager.
15. Enfin, le Gouvernement demande à la Cour de ne pas prendre en compte les prétentions formulées par les requérantes après l'arrêt sur le fond, sur base d'une expertise, et de les déclarer tardives. Par ailleurs, le Gouvernement observe que l'expertise litigieuse contient les calculs de l'expert privé des requérantes, « étayés par des convictions subjectives, alors que cette méthode paraît inacceptable ». Enfin, le Gouvernement s'oppose à toute hypothèse d'une autre expertise qui représenterait une charge ultérieure que l'Etat défendeur devrait supporter quelle que soit l'issue de l'affaire, dépourvue de toute utilité.
16. S'agissant du dommage moral, le Gouvernement observe qu'aucune somme n'est due aux requérantes à ce titre faute pour elles d'avoir présenté de demande à cet égard.
2. Appréciation de la Cour
17. La Cour répond d'emblée à l'argument du Gouvernement, tiré de ce que la procédure en indemnisation devant les juridictions nationales est toujours pendante. Elle considère improbable que les requérantes reçoivent une double indemnisation, étant donné que les juridictions nationales, lorsqu'elles décideront de la cause, vont inévitablement prendre en compte toute somme accordée aux requérantes par cette Cour (Serghides et Christoforou c. Chypre (satisfaction équitable), no 44730/98, § 29, 12 juin 2003). En outre, vu que la procédure nationale dure depuis plus de seize ans (§§ 15-22 de l'arrêt au principal), il serait déraisonnable d'en attendre l'issue.
18. Elle rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).
19. Les Etats contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Ce pouvoir d'appréciation quant aux modalités d'exécution d'un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l'obligation primordiale imposée par la Convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l'Etat défendeur de la réaliser, la Cour n'ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l'accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de la violation, l'article 41 habilite la Cour à accorder, s'il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2000-I).
20. Dans son arrêt au principal, la Cour a dit que l'ingérence litigieuse ne satisfaisait pas à la condition de légalité (§§ 77-78 de l'arrêt au principal). Dans la présente affaire c'est l'illégalité intrinsèque de la mainmise sur le terrain, qui a été à l'origine de la violation constatée sous l'angle de l'article 1 du Protocole no 1.
21. La Cour rappelle que le caractère illicite de pareille dépossession se répercute par la force des choses sur les critères à employer pour déterminer la réparation due par l'Etat défendeur, les conséquences financières d'une mainmise licite ne pouvant être assimilées à celles d'une dépossession illicite (Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC] (satisfaction équitable), no 25701/94, § 75, 28 novembre 2002 ; Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 250, CEDH 2006-).
22. L'indemnisation à fixer dans un cas comme celui de l'espèce devrait dès lors refléter l'idée d'un effacement total des conséquences de l'ingérence litigieuse.
23. La Cour note qu'en l'espèce les requérantes se sont bornées à demander la différence entre la valeur que le terrain avait à l'époque du début de l'occupation et l'indemnité accordée par le tribunal de Foggia, plus indexation et intérêts.
24. Quant à la question de savoir si l'expertise déposée par les requérantes après l'arrêt au principal est tardive, la Cour estime que cette question peut rester ouverte étant donné qu'en l'espèce le Gouvernement conteste également le bien-fondé de cette expertise. La Cour se basera dès lors sur l'expertise ordonnée par les juridictions nationales.
25. La Cour doit enfin prendre en compte le fait qu'en plus des requérantes, une tierce personne peut revendiquer des droits à l'égard du terrain objet de la cause (§§ 7 et 20 de l'arrêt au principal). En l'absence d'indications contraires, la Cour estime que les requérantes ne sont fondées à recevoir une satisfaction équitable qu'à concurrence de 75% par rapport à la valeur du terrain objet de la cause.
26. Dans ces circonstances, au vu des prétentions des requérantes, et statuant en équité, la Cour accorde à celles-ci 200 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme.
B. Frais et dépens
27. Les requérantes demandent le remboursement des frais encourus dans la procédure à Strasbourg, sans toutefois produire les justificatifs nécessaires.
28. Le Gouvernement soutient que les requérantes ont quantifié ceux-ci de manière vague et imprécise.
29. Selon la jurisprudence établie de la Cour, l'allocation des frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002 ; Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003-VIII).
30. En l'absence de justificatifs, la Cour estime que les requérantes n'ont droit à aucune somme de ce chef.
C. Intérêts moratoires
31. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser aux requérantes, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 200 000 EUR (deux-cent mille euros) pour dommage matériel, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 janvier 2008 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Christos Rozakis
Greffier Président