QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE SERRILLI c. ITALIE
(Requête no 77822/01)
ARRÊT
(Satisfaction équitable)
STRASBOURG
17 juillet 2008
DÉFINITIF
17/10/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Serrilli c. Italie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Nicolas Bratza, président,
Lech Garlicki,
Giovanni Bonello,
Vladimiro Zagrebelsky,
Ljiljana Mijović,
Ján Šikuta,
Päivi Hirvelä, juges,
et de Lawrence Early, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 juin 2008,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 77822/01) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. P. C. S. (« le requérant»), a saisi la Cour le 10 février 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Par un arrêt du 6 décembre 2005 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé que l’ingérence dans le droit au respect des biens du requérant n’était pas compatible avec le principe de légalité et que, partant, il y avait eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 (Serrilli c. Italie, nos 77822/01, §§ 82-83, et point 3 du dispositif, 6 décembre 2005).
3. En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, le requérant réclamait une somme au titre du préjudice matériel correspondant à la différence entre la valeur du terrain litigieux à l’époque de son occupation et la somme qu’il obtiendrait à l’issue de la procédure devant les juridictions nationales, indexation et intérêts en sus.
4. La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et le requérant à lui soumettre par écrit, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt deviendrait définitif, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 90 et point 4 du dispositif).
5. L’arrêt au principal est devenu définitif le 6 mars 2006, aucune demande de renvoi devant la Grande Chambre n’ayant été formulée au titre de l’article 43 de la Convention. Le délai de trois mois est échu sans que les parties ne parviennent à un accord.
6. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations sur la satisfaction équitable.
EN DROIT
7. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
1. Arguments des parties
8. Le requérant sollicite une somme correspondant à la valeur que les terrains litigieux avaient au moment de leur occupation (§§ 12 et 15 de l’arrêt au principal), déduction faite de l’indemnité que le tribunal de Foggia lui a accordée, plus indexation et intérêts.
9. Pour un premier terrain, par rapport auquel le requérant peut revendiquer des droits avec trois tierces personnes (§§ 7 et 25 de l’arrêt au principal), le tribunal de Foggia accorda 64 140 264 ITL, soit 33 125, 68 EUR, par rapport à une estimation du terrain en 1979.
Pour un deuxième terrain, duquel le requérant était le seul propriétaire, le tribunal de Foggia accorda 48 195 785 ITL, soit 24 891,05 EUR, par rapport à une estimation du terrain en 1982.
10. Avant l’arrêt au principal, le requérant fondait ses prétentions sur les calculs effectués par les experts commis d’office dans la procédure nationale (§§ 20-21 de l’arrêt au principal). De cette sorte, la somme réclamée s’élevait à 63 235 464 ITL (32 658,39 EUR) pour le premier terrain, plus indexation et intérêts, et à 47 721 024 ITL (24 645,85 EUR) pour le deuxième terrain, plus indexation et intérêts.
11. Le 10 mars 2006, le requérant a adressé à la Cour un rapport d’expertise rédigé par un expert mandaté par lui. Ce dernier, se basant sur des actes de vente de terrains voisins, a estimé que le terrain dont le requérant était copropriétaire valait, en 1983, 312 724, 88 EUR. Le terrain dont il était seul propriétaire valait, en 1983, 164 360, 34 EUR.
12. Le requérant ne demande aucune somme au titre du préjudice moral.
13. Le Gouvernement fait observer que la procédure en indemnisation engagée par le requérant au niveau national est toujours pendante et porte essentiellement sur le montant de l’indemnité accordée. Selon lui, si la Cour accordait une somme au titre d’une satisfaction équitable, le requérant pourrait être indemnisé deux fois.
14. En outre, le requérant n’aurait le droit de réclamer aucune somme au titre de préjudice matériel, étant donné que devant les juridictions nationales, il n’a pas contesté les calculs de l’expert commis d’office et qu’il a critiqué uniquement les critères suivis par le tribunal pour le dédommager.
15. Enfin, le Gouvernement demande à la Cour de ne pas prendre en compte les prétentions formulées par le requérant après l’arrêt au principal, sur base d’une expertise, et de les déclarer tardives. Par ailleurs, le Gouvernement observe que l’expertise litigieuse contient les calculs de l’expert privé du requérant, et il considère que ceux-ci sont étayés par des convictions subjectives, selon une méthode qui paraît inacceptable. Enfin, le Gouvernement s’oppose à toute hypothèse d’une autre expertise, qu’il estime être dépourvue de toute utilité.
16. S’agissant du dommage moral, le Gouvernement observe qu’aucune somme n’est due au requérant à ce titre faute pour lui d’avoir présenté de demande à cet égard.
2. Appréciation de la Cour
17. La Cour répond d’emblée à l’argument du Gouvernement, tiré de ce que la procédure en indemnisation devant les juridictions nationales est toujours pendante. Elle considère improbable que le requérant reçoive une double indemnisation, étant donné que les juridictions nationales, lorsqu’elles décideront de la cause, vont inévitablement prendre en compte toute somme accordée à un requérant par cette Cour (Serghides et Christoforou c. Chypre (satisfaction équitable), no 44730/98, § 29, 12 juin 2003). En outre, vu que la procédure nationale dure depuis plus de seize ans (§§ 19-27 de l’arrêt au principal) il serait déraisonnable d’en attendre l’issue.
18. Elle rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’Etat défendeur l’obligation de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).
19. Les Etats contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’Etat défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2000-I).
20. Dans son arrêt au principal, la Cour a dit que l’ingérence litigieuse ne satisfaisait pas à la condition de légalité (§§ 82-83 de l’arrêt au principal). Dans la présente affaire c’est l’illégalité intrinsèque de la mainmise sur le terrain, qui a été à l’origine de la violation constatée sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1.
21. La Cour rappelle que le caractère illicite de pareille dépossession se répercute par la force des choses sur les critères à employer pour déterminer la réparation due par l’Etat défendeur, les conséquences financières d’une mainmise licite ne pouvant être assimilées à celles d’une dépossession illicite (Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC] (satisfaction équitable), no 25701/94, § 75, 28 novembre 2002 ; Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 250, CEDH 2006-).
22. L’indemnisation à fixer dans un cas comme celui de l’espèce devrait dès lors refléter l’idée d’un effacement total des conséquences de l’ingérence litigieuse. Dans sa jurisprudence, pour réparer intégralement le préjudice subi, la Cour a octroyé des sommes reflétant la valeur actuelle du terrain par rapport au marché immobilier d’aujourd’hui. En outre, elle a cherché à compenser les pertes subies qui ne seraient pas couvertes par le versement de ce montant, en tenant compte du potentiel du terrain en cause, calculé, le cas échéant, à partir du coût de construction des immeubles érigés par l’expropriant (voir les affaires Papamichalopoulos et autres c. Grèce (article 50), arrêt du 31 octobre 1995, série A no 330-B, Carbonara et Ventura c. Italie (satisfaction équitable), no 24638/94, 11 décembre 2003, Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie (satisfaction équitable), no 31524/96, 30 octobre 2003 ; Scordino c. Italie (no 3) (satisfaction équitable), no 43662/98, CEDH 2007-).
23. Toutefois, la Cour note qu’en l’espèce, le requérant s’est borné à demander la différence entre la valeur que les terrains avaient à l’époque du début de l’occupation et l’indemnité accordée par le tribunal de Foggia, plus indexation et intérêts.
24. Quant à la question de savoir si l’expertise déposée par le requérant le 10 mars 2006 est tardive, la Cour estime que cette question peut rester ouverte, car en l’espèce le Gouvernement conteste également le bien-fondé de cette expertise.
25. La Cour doit enfin prendre en compte le fait qu’en plus du requérant, trois tierces personnes peuvent également revendiquer des droits par rapport au premier terrain objet de la cause (§§ 7 et 25 de l’arrêt au principal). En l’absence d’indications contraires, la Cour estime que le requérant n’est fondé à recevoir une satisfaction équitable qu’à 25% par rapport à la valeur de ce terrain.
26. Dans ces circonstances, au vu des prétentions du requérant, et statuant en équité, la Cour accorde à celui-ci 200 000 EUR.
B. Frais et dépens
27. Le requérant sollicite le remboursement des frais de procédure, sans toutefois chiffrer ceux-ci.
28. Le Gouvernement soutient que le requérant a quantifié ceux-ci de manière vague et imprécise.
29. Selon la jurisprudence établie de la Cour, l’allocation des frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002 ; Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003-VIII).
30. En l’absence de justificatifs, la Cour estime que le requérant n’a droit à aucune somme de ce chef.
C. Intérêts moratoires
31. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 200 000 EUR (deux cent mille euros) pour dommage matériel, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 juillet 2008 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Lawrence Early Nicolas Bratza
Greffier Président