Conclusion
Exception préliminaire rejetée (non-épuisement des voies de recours internes) ; Violation de l'art. 6-1 en ce qui concerne la durée de la procédure ; Violation de l'art. 6-1 en ce qui concerne l'équité de la procédure ; Violation de P1-1 ; Dommage matériel - réparation pécuniaire ; Satisfaction équitable réservée (préjudice moral et frais et dépens)
PREMIERE SECTION
AFFAIRE SCORDINO c. ITALIE (No 1)
(Requête no 36813/97)
ARRÊT
STRASBOURG
29 juillet 2004
CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT
LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE
29 mars 2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
Dans l’affaire Scordino c. Italie (no 1),
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. C.L. Rozakis, président,
P. Lorenzen,
G. Bonello,
Mmes N. Vajić,
S. Botoucharova,
E. Steiner, juges,
M. Del Tufo, juge ad hoc,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 juillet 2004,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 36813/97) dirigée contre la République italienne et dont quatre ressortissants de cet Etat, MM. G., E., M. et G. S. (« les requérants »), avaient saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 21 juillet 1993 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole no 11).
3. Ils sont représentés devant la Cour par Me N. P., avocat à Rome. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, I. M. Braguglia, et par son coagent, F. Crisafulli.
4. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition des ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée. Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement. A la suite du déport de M. V. Zagrebelsky, juge élu au titre de l’Italie (article 28 du règlement), le Gouvernement a désigné Mme V. del Tufo pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement).
5. L’affaire porte sur la procédure qui suivit l’expropriation du terrain des requérants. Sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 et de l’article 6 de la Convention, les requérants se plaignaient en particulier d’une violation de leurs droits au respect des biens et à un procès équitable.
6. Une audience dédiée à la fois aux questions de recevabilité et à celles de fond s’est déroulée en public au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 27 mars 2003 (article 54 § 3 du règlement).
Ont comparu :
- pour le Gouvernement
M. Francesco Crisafulli, Coagent,
– pour les requérants
M. N. P., avocat
Mme A. M., conseil
7. Par une décision du 27 mars 2003, la chambre a déclaré la requête recevable.
8. Les requérants ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire, mais non le Gouvernement (article 59 § 1 du règlement). Ce dernier a déposé, le 4 février 2004, une demande tendant à obtenir la déclaration d’irrecevabilité de la requête, à la lumière d’une jurisprudence de la Cour de cassation italienne du 26 janvier 2004.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
9. Les requérants ont hérité de A. S. des terrains situés à Reggio Calabria, enregistrés au cadastre (feuille 111, parcelles 105, 107, 109 et 662). Le 25 mars 1970, la municipalité de Reggio Calabria avait adopté un plan général d’urbanisme, approuvé par la région Calabria le 17 mars 1975.
10. Le terrain en cause dans la présente requête, d’une surface de 1 786 mètres carrés, et désigné comme la parcelle 109, faisait l’objet, en vertu du plan général d’urbanisme, d’une permis d’exproprier en vue d’y construire des habitations. Le terrain fut ensuite inclus dans le plan d’urbanisme de zone approuvé le 20 juin 1979 par la région Calabria.
A. L’expropriation du terrain
11. En 1980, la municipalité de Reggio Calabria décida que la société coopérative E. A. procéderait aux travaux de construction sur ledit terrain. Par un arrêté du 13 mars 1981, l’administration autorisa la coopérative à occuper le terrain.
12. Le 30 mars 1982, en application de la loi no 385 de 1980, la municipalité de Reggio Calabria offrit un acompte sur l’indemnité d’expropriation déterminée conformément à la loi no 865 de 1971. La somme offerte, à savoir 606 560 lires italiennes (ITL), était calculée selon les règles en vigueur pour les terrains agricoles, c’est-à-dire en prenant pour base une valeur de 340 ITL par mètre carré, sous réserve de la fixation de l’indemnisation définitive après l’adoption d’une loi établissant de nouveaux critères d’indemnisation pour les terrains constructibles.
13. L’offre fut refusée par A. S..
14. Le 21 mars 1983, la région décréta l’expropriation du terrain.
15. Le 13 juin 1983, la municipalité présenta une deuxième offre d’acompte s’élevant à 785 000 ITL. Cette offre ne fut pas acceptée.
16. Par l’arrêt no 223 du 15 juillet 1983, la Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnelle la loi no 385 de 1980, au motif que celle-ci soumettait l’indemnisation à l’adoption d’une loi future.
17. En conséquence de cet arrêt, la loi no 2359 de 1865, selon laquelle l’indemnité d’expropriation d’un terrain correspondait à la valeur marchande de celui-ci, déploya de nouveau ses effets.
18. Le 10 août 1984, A. S. mit la municipalité en demeure de fixer l’indemnité définitive selon la loi no 2359 de 1865. Le 16 novembre 1989, il apprit que la municipalité de Reggio Calabria, par un décret du 6 octobre 1989, avait fixé l’indemnité définitive à 88 414 940 ITL (50 000 ITL par mètre carré).
B. La procédure engagée afin d’obtenir l’indemnité d’expropriation
19. Contestant le montant de cette indemnité, l’exproprié assigna le 25 mai 1990 la municipalité et la société coopérative devant la cour d’appel de Reggio Calabria.
20. Il alléguait que le montant fixé par la municipalité était ridicule par rapport à la valeur marchande du terrain et demandait notamment que l’indemnité soit calculée conformément à la loi no 2359 de 1865. En outre, il demandait à être indemnisé pour la période d’occupation du terrain précédant le décret d’expropriation et réclamait une indemnité pour le terrain (1 500 m2) devenu inutilisable à la suite des travaux de construction.
21. La mise en état de l’affaire commença le 7 janvier 1991.
22. La coopérative se constitua dans la procédure et excipa de l’absence de qualité pour agir.
23. Le 4 février 1991, la municipalité ne s’étant toujours pas constituée, la cour d’appel de Reggio Calabria déclara celle-ci défaillante et ordonna une expertise du terrain. Par une ordonnance du 13 février 1991, un expert fut nommé et un délai de trois mois lui fut fixé pour le dépôt de l’expertise.
24. Le 6 mai 1991, la municipalité se constitua dans la procédure et excipa de l’absence de qualité pour agir. L’expert accepta son mandat et prêta serment.
25. Le 4 décembre 1991, un rapport d’expertise fut déposé.
26. Le 8 août 1992 entra en vigueur la loi no 359 de 1992, qui prévoyait dans son article 5 bis de nouveaux critères pour calculer l’indemnité d’expropriation des terrains constructibles. Cette loi s’appliquait expressément aux procédures en cours.
27. A la suite du décès de A. S., survenu le 30 novembre 1992, les requérants se constituèrent dans la procédure le 18 septembre 1993.
28. Le 4 octobre 1993, la cour d’appel de Reggio Calabria nomma un nouvel expert et lui demanda de déterminer l’indemnité d’expropriation selon les critères introduits par l’article 5 bis de la loi no 359 de 1992.
29. L’expertise fut déposée le 24 mars 1994. Selon l’expert, la valeur marchande du terrain à la date de l’expropriation était de 165 755 ITL par mètre carré. Conformément aux critères introduits par l’article 5 bis de la loi no 359 de 1992, l’indemnité à verser était de 82 890 ITL par mètre carré.
30. A l’audience du 11 avril 1994, les parties demandèrent un délai pour présenter des commentaires sur l’expertise. L’avocat des requérants produisit une expertise et fit remarquer que l’expert désigné par la cour avait omis de calculer l’indemnité pour les 1 500 m2 non couverts par le décret d’expropriation mais qui étaient devenus inutilisables à la suite des travaux effectués.
31. L’audience pour la présentation des observations en réponse eut lieu le 6 juin 1994. L’audience suivante, fixée au 4 juillet 1994, fut reportée d’office au 3 octobre 1994, puis au 10 novembre 1994.
32. Par une ordonnance du 29 décembre 1994, la cour ordonna un complément d’expertise et ajourna l’affaire au 6 mars 1995. Toutefois, l’audience fut reportée d’office à plusieurs reprises, le juge d’instruction étant indisponible. A la demande des requérants, ce dernier fut remplacé le 29 février 1996 et l’audience de présentation des conclusions eut lieu le 20 mars 1996.
33. Par un arrêt du 17 juillet 1996, la cour d’appel de Reggio Calabria déclara que les requérants avaient droit à une indemnité d’expropriation calculée selon l’article 5 bis de la loi no 359 de 1992, tant pour le terrain formellement exproprié que pour celui devenu inutilisable à la suite des travaux de construction. La cour estima ensuite que, sur l’indemnité ainsi déterminée, il n’y avait pas lieu d’appliquer l’abattement ultérieur de 40 % prévu par la loi dans les cas où l’exproprié n’aurait pas conclu un accord de cession du terrain (cessione volontaria), étant donné qu’en l’espèce, au moment de l’entrée en vigueur de la loi, l’expropriation avait déjà eu lieu.
34. En conclusion, la cour d’appel ordonna à la municipalité et à la coopérative de verser aux requérants :
– une indemnité d’expropriation de 148 041 540 ITL (82 890 ITL par mètre carré pour 1 786 m²) ;
– une indemnité de 91 774 043 ITL (75 012,50 ITL par mètre carré pour 1 223,45 m²) pour la partie de terrain devenue inutilisable et qu’il fallait considérer comme étant de facto expropriée ;
– une indemnité pour la période d’occupation du terrain ayant précédé l’expropriation.
35. Ces sommes devaient être indexées et assorties d’intérêts jusqu’au jour du paiement.
36. Le 20 décembre 1996, la coopérative se pourvut en cassation, faisant valoir qu’elle n’avait pas qualité pour agir. Les 20 et 31 janvier 1997, les requérants et la municipalité déposèrent leurs recours.
Le 30 juin 1997, la coopérative demanda la suspension de l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel. Cette demande fut rejetée le 8 août 1997.
37. Par un arrêt du 3 août 1998, déposé au greffe le 7 décembre 1998, la Cour de cassation accueillit le recours de la coopérative et reconnut qu’elle n’avait pas qualité pour agir, puisqu’elle n’était pas formellement partie à l’expropriation bien qu’elle en bénéficiât. Pour le reste, elle confirma l’arrêt de la cour d’appel de Reggio Calabria.
38. Entre-temps, le 18 juin 1997, la somme accordée par la cour d’appel avait été déposée auprès la banque nationale. Le 30 septembre 1997, cette somme avait été taxée de 20 % au sens de la loi no 413 de 1991.
39. La date à laquelle les requérants perçurent effectivement l’indemnité accordée n’est pas connue
C. Le recours Pinto
40. Le 18 avril 2002, les requérants déposèrent près la cour d’appel de Reggio Calabria une demande d’indemnisation pour la durée de la procédure, conformément à la loi Pinto.
Les requérants sollicitaient la réparation du préjudice moral et du dommage matériel.
41. Par une décision du 1er juillet 2002, la cour d’appel de Reggio Calabria accorda aux requérants une somme globale de 2 450 euros (EUR) au titre du dommage moral uniquement et procéda à la compensation des frais de procédure.
42. Les requérants ne se sont pas pourvus en cassation. La décision de la cour d’appel est devenue définitive le 26 octobre 2003.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Quant au grief tiré de la procédure
43. Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans la décision de recevabilité (Scordino c. Italie, no 36813/97, CEDH 2003-IV).
44. Par la suite, la Cour de cassation en assemblée plénière, saisie d’un recours contre une décision rendue par une cour d’appel dans le cadre d’une procédure « Pinto », a affirmé, dans son arrêt no 1340 du 26 janvier 2004 le principe selon lequel « la détermination du dommage non patrimonial effectuée par la cour d’appel selon l’article 2 de la loi no 89/2001, bien que par nature fondée sur l’équité, doit se mouvoir dans un environnement qui est défini par le droit puisqu’il doit se référer aux montants alloués, dans des affaires similaires, par la Cour de Strasbourg.»
B. Quant à l’expropriation
45. La loi no 2359 de 1865, en son article 39, prévoyait qu’en cas d’expropriation d’un terrain, l’indemnité à verser devait correspondre à la valeur marchande du terrain au moment de l’expropriation.
46. L’article 42 de la Constitution, tel qu’interprété par la Cour constitutionnelle (voir, parmi d’autres, l’arrêt no 138 du 6 décembre 1977), garantit, en cas d’expropriation, une indemnisation qui n’atteint pas la valeur marchande du terrain.
47. La loi no 865 de 1971 a introduit de nouveaux critères : tout terrain, qu’il fût agricole ou constructible, devait être indemnisé comme s’il s’agissait d’un terrain agricole.
48. Par l’arrêt no 5 de 1980, la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnelle la loi no 865 de 1971, au motif que celle-ci traitait de manière identique deux situations très différentes, à savoir qu’elle prévoyait le même type d’indemnisation pour les terrains constructibles et les terrains agricoles.
49. Pour remédier à cette situation, le Parlement adopta la loi no 385 du 29 juillet 1980, qui réintroduisait les critères venant d’être déclarés inconstitutionnels mais cette fois à titre provisoire : la loi disposait en effet que la somme versée était un acompte devant être complété par une indemnité, qui serait calculée sur la base d’une loi à adopter prévoyant des critères d’indemnisation spécifiques pour les terrains constructibles.
50. Par l’arrêt no 223 du 15 juillet 1983, la Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnelle la loi no 385 de 1980, au motif que celle-ci soumettait l’indemnisation en cas d’expropriation d’un terrain constructible à l’adoption d’une loi future.
51. A la suite de l’arrêt no 223 de 1983, la loi no 2359 de 1865 déploya de nouveau ses effets ; par conséquent, un terrain constructible devait être indemnisé à hauteur de sa valeur marchande (voir, par exemple, Cour de cassation, sec. I, arrêt no 13479 du 13 décembre 1991 ; sec. I, arrêt no 2180 du 22 février 1992).
52. Le décret-loi no 333 du 11 juillet 1992, qui devint la loi no 359 du 8 août 1992, introduisit, en son article 5 bis, une mesure « provisoire, exceptionnelle et urgente », tendant au redressement des finances publiques, valable jusqu’à l’adoption de mesures structurelles. Cette disposition s’appliquait à toute procédure pendante.
53. L’article 5 bis dispose que l’indemnité à verser en cas d’expropriation d’un terrain constructible est calculée selon la formule suivante :
[[valeur marchande du terrain + total des rentes foncières des 10 dernières années] : 2] – abattement de 40 %.
54. En pareil cas, l’indemnité correspond à 30 % de la valeur marchande. Sur ce montant, un impôt de 20 % à la source est appliqué (impôt prévu par l’article 11 de la loi no 413 de 1991).
55. L’abattement de 40 % est évitable si l’expropriation se fonde non pas sur un décret d’expropriation, mais sur un acte de « cession volontaire » du terrain, ou bien, comme en l’espèce, si l’expropriation a eu lieu avant l’entrée en vigueur de l’article 5 bis (voir l’arrêt de la Cour constitutionnelle no 283 du 16 juin 1993). Dans ces cas-là, l’indemnité qui en résulte correspond à 50 % de la valeur marchande. De ce montant il faudra encore déduire à 20 % à titre d’impôt (paragraphe 54 ci-dessus).
56. La Cour constitutionnelle a estimé que l’article 5 bis de la loi no 359 de 1992 et son application rétroactive étaient compatibles avec la Constitution (arrêt no 283 du 16 juin 1993 ; arrêt no 442 du 16 décembre 1993), dans la mesure où cette loi avait un caractère urgent et provisoire.
57. Le Répertoire des dispositions sur l’expropriation (décret du Président de la République no 327 de 2001, successivement modifié par le décret législatif no 302 de 2002), entré en vigueur le 30 juin 2003, a codifié les dispositions existantes en matière d’expropriation et les principes élaborés par la jurisprudence en la matière.
58. L’article 37 du Répertoire reprend pour l’essentiel les critères de fixation de l’indemnité d’expropriation prévus par l’article 5 bis de la loi no 359 de 1992.
EN DROIT
I. SUR L’EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT
59. Le Gouvernement soulève de nouveau l’exception tirée du non épuisement des voies de recours internes, concernant le grief tiré de la durée excessive de la procédure, qu’il avait soulevée avant l’examen sur la recevabilité de la requête.
Le Gouvernement se réfère à une jurisprudence de la Cour de cassation du 26 janvier 2004 (paragraphe 44 ci-dessus) et soutient que le recours en cassation dans le cadre des recours « Pinto » est un recours à épuiser. De ce fait, il reproche aux requérants de ne pas avoir formé de pourvoi en cassation contre la décision de la cour d’appel de Reggio Calabria du 1er juillet 2002.
60. Les requérants demandent le rejet de l’exception.
61. La Cour note que l’exception du Gouvernement a déjà été rejetée dans sa décision sur la recevabilité du 27 mars 2003. Elle relève ensuite que la jurisprudence de la Cour de cassation citée par le Gouvernement date du 26 janvier 2004, alors que la décision de la cour d’appel de Reggio Calabria était devenue définitive à compter du 26 octobre 2003 (paragraphe 42 ci-dessus).
62. La Cour considère que le Gouvernement fonde son exception sur des arguments qui ne sont pas de nature à remettre en cause sa décision sur la recevabilité. Par conséquent, l’exception doit être rejetée.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
63. Les requérants allèguent une double violation de l’article 6 § 1 de la Convention qui, dans ses parties pertinentes, dispose :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) et dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) ».
64. Plus particulièrement, les requérants se plaignent, d’une part, de ce que l’adoption et l’application de l’article 5 bis de la loi no 359 de 1992 constitue une ingérence législative incompatible avec leur droit à un procès équitable. D’autre part, les requérants se plaignent de la durée excessive de la procédure engagée à fin d’obtenir l’indemnité d’expropriation.
A. Durée de la procédure
65. Les requérants allèguent que la procédure engagée afin d’obtenir l’indemnité d’expropriation a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention.
66. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse et souligne les difficultés objectives survenues pendant le procès, par exemple la nouvelle loi sur l’indemnité d’expropriation, le décès de A. S., le manque de magistrats. A ce propos, le Gouvernement indique que l’affaire a été suivie par trois juges d’instruction qui se sont succédé.
67. La Cour rappelle que dans sa décision sur la recevabilité du 27 mars 2003, elle a estimé qu’en octroyant la somme de 2 450 EUR, à titre de réparation du dommage non patrimonial en application de la loi Pinto, la cour d’appel de Reggio Calabria n’avait pas réparé de manière appropriée et suffisante l’infraction alléguée par les requérants.
68. La Cour note que la période à considérer a débuté le 25 mai 1990 et s’est terminée le 7 décembre 1998. Elle a donc duré environ huit ans et demi, pour deux instances.
69. La Cour rappelle avoir constaté dans quatre arrêts du 28 juillet 1999 (par exemple, Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, CEDH 1999-V), l’existence, en Italie, d’une pratique contraire à la Convention résultant d’une accumulation de manquements à l’exigence du « délai raisonnable ». Dans la mesure où la Cour constate un tel manquement, cette accumulation constitue une circonstance aggravante de la violation de l’article 6 § 1.
70. Ayant examiné les faits de la cause à la lumière des arguments des parties et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime que la durée de la procédure litigieuse ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable » et qu’il y a là encore une manifestation de la pratique précitée.
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
B. Procès équitable
71. Les requérants dénoncent une immixtion du pouvoir législatif dans le fonctionnement du pouvoir judiciaire, en raison de l’adoption et de l’application à leur égard de l’article 5 bis de la loi no 359 de 1992. Ils se plaignent notamment de ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable lorsqu’il a été décidé du montant de leur indemnité d’expropriation, la question soumise aux tribunaux nationaux ayant été tranchée par le législateur et non pas par le pouvoir judiciaire.
72. A cet égard, les requérants observent que la disposition litigieuse introduisait des critères de calcul de l’indemnité d’expropriation, de façon à réduire celle-ci d’au moins 50% par rapport à la somme à laquelle ils avaient droit selon la loi en vigueur au moment de l’introduction de la procédure en indemnisation devant la cour d’appel de Reggio Calabria.
73. Les requérants soutiennent que la loi litigieuse ne répondait pas à un intérêt public essentiel et qu’elle tendait uniquement à déterminer l’issue des procédures pendantes de manière à favoriser l’administration défenderesse.
74. Les requérants font ensuite remarquer que l’article 5 bis de la loi a été jugé conforme à la Constitution par la Cour constitutionnelle, parce qu’il s’agissait d’une mesure provisoire et qu’elle répondait à une conjoncture particulière. Or, cette disposition serait toujours en vigueur.
75. Le Gouvernement soutient que l’application de l’article 5 bis de la loi no 359 de 1992 en l’espèce ne soulève aucun problème au regard de la Convention.
76. Le Gouvernement reconnaît que l’article 5 bis litigieux a été inspiré par des raisons budgétaires ; il fait toutefois observer que, compte tenu de son caractère provisoire, cette disposition a été jugée conforme à la Constitution par la Cour constitutionnelle.
77. Le Gouvernement fait observer que, d’après la jurisprudence de la Convention et le droit italien, le principe de non rétroactivité n’est pas absolu. En outre, la loi litigieuse s’expliquerait par le besoin de combler le vide législatif créé par les arrêts de la Cour constitutionnelle, qui avait annulé les lois du Parlement italien tendant à modifier les critères de fixation d’indemnités d’expropriation, par rapport au critère de la valeur marchande tel que prévu par la loi no 2359 de 1865.
78. La Cour réaffirme que si, en principe, il n’est pas interdit au pouvoir législatif de réglementer en matière civile, par de nouvelles dispositions à portée rétroactive, des droits découlant de lois en vigueur, le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l’article 6 de la Convention s’opposent, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement judiciaire du litige (Zielinski et Pradal & Gonzales c. France [GC], no 24846/94 et 34165/96 à 34173/96, § 57, CEDH 1999-VII ; Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, arrêt du 9 décembre 1994, série A no 301-B ; Papageorgiou c. Grèce, arrêt du 22 octobre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VI).
79. Dans le cas d’espèce, la Cour estime que, même si les procédures litigieuses n’ont pas été annulées en vertu de la loi no 359 de 1992, la loi en question a influencé le dénouement judiciaire du litige (Anagnostopoulos et autres c. Grèce, no 39374/98, §§ 20-21, CEDH 2000-XI), auquel l’Etat était partie. En effet, l’article 5 bis inclut expressément dans son champ d’application les procédures pendantes et fixe définitivement les termes du débat soumis aux juridictions de l’ordre judiciaire et ce, de manière rétroactive (paragraphe 52 ci-dessus). La Cour relève que la cour d’appel de Reggio Calabria et la Cour de cassation n’ont pas omis de faire référence aux dispositions de la loi critiquée pour étayer leurs décisions. Ce faisant, elles ont modifié au détriment des intéressés, avec effet rétroactif, l’indemnisation à laquelle ceux-ci pouvaient légitimement s’attendre au sens de la loi no 2359 de 1865 (voir paragraphes 17-18 ci-dessus), en vigueur au moment de l’introduction du recours en indemnisation devant les juridictions nationales. Par l’effet de l’application de l’article 5 bis, les requérants ont été privés d’une partie substantielle de l’indemnisation à laquelle ils pouvaient prétendre (paragraphes 29, 33 et 34 ci-dessus).
80. De l’avis de la Cour, le fait que les juridictions nationales se soient fondées sur la disposition critiquée pour décider de la question de l’indemnité d’expropriation dont elles étaient saisies, se traduit en une immixtion du pouvoir législatif dans le fonctionnement du pouvoir judiciaire en vue d’influer sur le dénouement du litige.
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
81. Les requérants allèguent une double violation de l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
82. Les requérants allèguent d’une part avoir supporté une charge disproportionnée en raison du montant inadéquat de l’indemnité d’expropriation.
83. D’autre part, les requérants se plaignent de l’application rétroactive de l’article 5 bis de la loi no 359 de 1992.
84. Il n’est pas contesté que les intéressés ont été privés de leur propriété conformément à la loi, et que l’expropriation poursuivait un but légitime d’utilité publique. Dès lors, c’est la seconde phrase du premier paragraphe de l’article 1 du Protocole no 1 qui s’applique en l’espèce (Mellacher et autres c. Autriche, arrêt du 19 décembre 1989, série A no 169, § 42).
A. Sur le montant de l’indemnisation accordée aux requérants
85. Les requérants font observer que l’indemnité qu’ils ont reçue correspond à 40 % de la valeur de leur bien. Selon eux, cela ne saurait être considéré comme une indemnisation présentant un rapport raisonnable avec la valeur du bien.
86. A cet égard, les requérants observent que l’indemnité d’expropriation qui leur a été accordée par les juridictions nationales correspond à la moitié de la valeur marchande du terrain. Ce montant a ensuite été encore diminué de 20 %, en raison de l’impôt à la source prévu par la loi no 413 de 1991.
87. Par ailleurs, les requérants soulignent que l’abattement ultérieur de 40 % prévu par l’article 5 bis, pour ceux qui s’opposent à l’offre d’indemnisation, n’a pas été appliqué dans leur cas.
88. Les requérants soutiennent qu’en l’espèce il n’y a aucune raison d’utilité publique pouvant justifier une indemnisation inférieure à la valeur marchande du terrain. A cet égard, les requérants allèguent que leur terrain a été exproprié pour permettre à une société coopérative d’y construire des logements destinés à des particuliers et que ces derniers, conformément au droit interne (article 20 de la loi no 179 de 1992), seront libres cinq ans plus tard de revendre le logement au prix du marché. Cela signifie que l’expropriation du terrain des requérants a en réalité avantagé des particuliers.
89. Les requérants font enfin observer qu’une longue période s’est écoulée entre l’expropriation du terrain et la fixation définitive de l’indemnité. Ils soulignent que la ville de Reggio Calabria n’a communiqué l’offre d’indemnisation qu’en 1989, soit six ans après le décret d’expropriation, et qu’à partir de cette date seulement, il a été possible d’introduire un recours en opposition devant la cour d’appel.
90. A la lumière de ces considérations, les requérants estiment avoir supporté une charge excessive et demandent à la Cour de constater la violation de l’article 1 du Protocole no 1.
91. Le Gouvernement soutient que la situation dénoncée est compatible avec l’article 1 du Protocole no 1. Il observe que, dans le calcul d’une indemnité d’expropriation, il faut rechercher un équilibre entre l’intérêt privé et l’intérêt général. Par conséquent, l’indemnité d’expropriation adéquate peut être inférieure à la valeur marchande d’un terrain comme la Cour constitutionnelle l’a du reste reconnu (arrêts no 283 du 16 juin 1993, no 80 du 7 mars 1996 et no 148 du 30 avril 1999).
92. Se référant aux arrêts de la Cour dans les affaires Les saints monastères c. Grèce (arrêt du 9 décembre 1994, série A no 301-A), Lithgow et autres c. Royaume-Uni (arrêt du 8 juillet 1986, série A no 102) et James et autres c. Royaume-Uni (arrêt du 21 février 1986, série A no 98), le Gouvernement soutient que la requête en question doit être examinée à la lumière du principe selon lequel les causes d’utilité publique (telles qu’une réforme économique ou une politique de justice sociale) peuvent militer pour un remboursement inférieur à la pleine valeur marchande. Cela s’inscrit, selon le Gouvernement, dans une volonté politique de mettre en œuvre un système dépassant le libéralisme classique du XIXe siècle. Tout se résume à la question de savoir si l’écart entre la valeur marchande et l’indemnité payée est raisonnable et justifié.
93. Le Gouvernement soutient que, à compter de 1993, les requérants auraient pu obtenir une indemnité de 40 % plus élevée s’ils avaient accepté l’indemnité d’expropriation offerte par l’administration. Il soutient ensuite que la valeur marchande du terrain a été prise en compte dans le calcul effectué par les juridictions internes, au sens de l’article 5 bis de la loi no 359 de 1992. Le Gouvernement observe qu’aux termes de cette disposition, la valeur marchande du terrain est tempérée par un autre critère, à savoir la rente foncière calculée sur la valeur inscrite au cadastre.
94. Le Gouvernement en conclut que le système de calcul de l’indemnité d’expropriation appliqué en l’espèce n’est pas déraisonnable et n’a pas rompu le juste équilibre.
95. Quant au temps écoulé entre l’expropriation et la fixation définitive de l’indemnité, le Gouvernement observe que la procédure devant la cour d’appel de Reggio Calabria n’a été introduite qu’en 1990, et estime que les requérants auraient pu engager l’action civile dès 1983. Cela équivaut à dire qu’ils ont contribué eux-mêmes à retarder le versement de l’indemnité. En outre, le Gouvernement fait observer que le préjudice causé par l’écoulement du temps est réparé par le versement d’intérêts.
96. En conclusion, le Gouvernement demande à la Cour de constater l’absence de violation de la disposition invoquée.
97. La Cour rappelle qu’une mesure d’ingérence dans le droit au respect des biens doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l’intérêt général et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (Sporrong et Lönnroth c. Suède du 23 septembre 1982, série A no 52, § 69). Afin d’apprécier si la mesure litigieuse respecte le juste équilibre voulu et notamment si elle ne fait pas peser sur les requérants une charge disproportionnée, il y a lieu de prendre en considération les modalités d’indemnisation prévues par la législation interne. A cet égard, sans le versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constitue normalement une atteinte excessive qui ne saurait se justifier sur le terrain de l’article 1. Ce dernier ne garantit pourtant pas dans tous les cas le droit à une compensation intégrale, car des objectifs légitimes « d’utilité publique » peuvent militer pour un remboursement inférieur à la pleine valeur marchande (Les saints monastères c. Grèce, arrêt du 9 décembre 1994, série A no 301-A, §§ 70-71).
98. La Cour relève que les requérants ont reçu en l’espèce l’indemnité la plus favorable prévue par l’article 5 bis de la loi no 359 de 1992. En effet, l’abattement ultérieur de 40 % n’a pas été appliqué dans ce cas (paragraphes 33 et 37 ci-dessus).
99. La Cour note ensuite que le prix définitif d’indemnisation fut fixé à 82 890 ITL par mètre carré alors que la valeur marchande estimée du terrain était de 165 755 ITL par mètre carré (paragraphes 29, 33, 34 et 37 ci-dessus).
100. En outre, ce montant a été ultérieurement réduit de 20 % à titre d’impôt (paragraphe 38 ci-dessus).
101. Enfin, la Cour ne perd pas de vue le laps de temps s’étant écoulé entre l’expropriation et la fixation définitive de l’indemnité (paragraphes 14 et 37 ci-dessus).
102. Eu égard à la marge d’appréciation que l’article 1 du Protocole no 1 laisse aux autorités nationales, la Cour considère le prix perçu par les requérants comme non raisonnablement en rapport avec la valeur de la propriété expropriée (Papachelas c. Grèce [GC], no 31423/96, § 49, CEDH 1999-II ; Platakou c. Grèce, no 38460/97, § 54, CEDH 2001-I). Il s’ensuit que le juste équilibre a été rompu.
103. Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.
B. Sur l’application de l’article 5 bis de la loi no 359 de 1992
104. Les requérants se plaignent ensuite de l’application à leur cas de l’article 5 bis de la loi no 359 de 1992, dont l’adoption est intervenue longtemps après l’expropriation du terrain. En conséquence, l’indemnisation à laquelle ils pouvaient légitimement s’attendre, au sens de la loi no 2359 de 1865, a été réduite de 50%.
105. Le Gouvernement soutient que l’application rétroactive de la disposition litigieuse ne pose aucun problème sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1. Il réitère les arguments invoqués aux paragraphes 75-77 ci-dessus.
106. La Cour note que les griefs des requérants à cet égard se confondent avec ceux qu’ils soulèvent sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, pour ce qui est de l’équité de la procédure. Eu égard à la conclusion formulée au paragraphe 80, elle n’estime pas nécessaire de les examiner séparément sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
107. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage matériel
108. Les requérants sollicitent une somme correspondant à la différence entre l’indemnité qu’ils auraient perçue au sens de la loi no 2359 de 1865 et celle qui leur a été accordée en fonction de l’article 5 bis de la loi no 359 de 1992. Cette somme s’élève à 123 815, 56 EUR par rapport à 1983, l’année de l’expropriation. La même somme assortie de l’intérêt légal jusqu’en 2003 s’élève à 405 891, 89 EUR. En indexant le capital en plus de l’intérêt légal, cette somme s’élève à 585 717,09 EUR.
109. Les requérants réclament en outre le remboursement de l’impôt de 20% qui a été appliqué sur l’indemnité, indexé et assorti d’intérêts. Ce montant s’élève à 125 191, 83 EUR.
110. Le Gouvernement ne se prononce pas.
111. La Cour vient de constater que l’expropriation subie par les requérants satisfaisait à la condition de légalité et n’était pas arbitraire (paragraphe 84 ci-dessus). L’acte du gouvernement italien que la Cour a tenu pour contraire à la Convention est une expropriation qui eût été légitime si une indemnisation raisonnable avait été versée (paragraphe 102 ci-dessus). La Cour n’a pas non plus conclu à l’illégalité de l’application de l’impôt de 20 % en tant que telle (paragraphe 100 ci-dessus), mais a pris en compte cet élément dans l’appréciation de la cause. Enfin, la Cour a constaté la violation du droit à un procès équitable des requérants en raison de l’application à leur cas de l’article 5 bis.
112. Compte tenu de ces éléments, statuant en équité, la Cour estime raisonnable d’accorder aux requérants la somme de 410 000 EUR.
B. Dommage moral
113. Les requérants estiment à 6 000 EUR la réparation du préjudice moral subi par chacun d’eux en raison de la durée de la procédure et à 6 500 EUR la réparation du préjudice moral résultant de l’iniquité du procès et de l’atteinte à leur droit au respect des biens. Au total, les requérants réclament donc 50 000 EUR au titre du préjudice moral.
114. Le Gouvernement ne se prononce pas.
115. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour ne s’estime pas suffisamment éclairée sur les critères à appliquer pour évaluer le préjudice moral subi par les requérants et considère dès lors que la question de l’application de l’article 41 ne se trouve pas en état. Partant, il y a lieu de réserver la question et de fixer la procédure ultérieurement, en tenant compte de l’éventualité d’un accord entre l’Etat défendeur et les requérants (article 75 § 1 du règlement).
C. Frais et dépens
116. Factures à l’appui, les requérants réclament 17 905, 99 EUR pour les frais et dépens encourus dans les procédures devant les juridictions nationales, dont 3 060 EUR pour la procédure instituée dans le cadre de la loi « Pinto ».
Pour ce qui est des frais encourus dans la procédure devant la Cour, les requérants présentent une note d’honoraires et frais rédigée sur la base du barème national et sollicitent le remboursement de 46 207, 58 EUR, dont 2 207, 58 pour frais, taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en sus.
117. Le Gouvernement ne se prononce pas.
118. La Cour estime qu’il y a lieu de réserver la question et de fixer la procédure ultérieurement.
D. Intérêts moratoires
119. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Rejette, à l’unanimité, l’exception préliminaire du Gouvernement ;
2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée de la procédure ;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de l’absence d’équité de la procédure ;
4. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;
5. Dit, à l’unanimité,
a) que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif, conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 410 000 EUR (quatre cent dix mille euros) pour dommage matériel ;
ii. tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur ladite somme ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Dit, par 6 voix contre 1, que la question de l’article 41 ne se trouve pas en état pour le dommage moral relatif aux violations constatées ainsi que pour les frais et dépens supportés devant les juridictions nationales pour remédier auxdites violations et que pour les frais encourus dans la procédure devant la Cour.
7. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 juillet 2004 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Christos Rozakis
Greffier adjoint de section Président
ARRÊT SCORDINO c. ITALIE (N° 1)
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