PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE SAMPSONIDIS ET AUTRES c. GRÈCE
(Requête no 2834/05)
ARRÊT
STRASBOURG
6 décembre 2007
DÉFINITIF
02/06/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Sampsonidis et autres c. Grèce,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. L. Loucaides, président,
C.L. Rozakis,
Mme N. Vajić,
M. A. Kovler,
Mme E. Steiner,
MM. K. Hajiyev,
G. Malinverni, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 novembre 2007,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 2834/05) dirigée contre la République hellénique par trois cent cinquante-quatre ressortissants de cet Etat et des sociétés commerciales ayant leurs sièges en Grèce, dont les noms figurent ci-joint (« les requérants »), qui ont saisi la Cour le 7 janvier 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). Les requérants sous les nos 90 et 231 étant décédés les 26 octobre et 21 juillet 2005 respectivement, l’épouse, E. M., et les enfants, D., E. et D. M. du premier requérant et les héritiers A. T. et H. T. de la seconde, ont déclaré désirer poursuivre la procédure en leur lieu et place. En outre, le nom de la société-requérante sous le no 54, a été modifié en « C. M.- P. P. O.E. ».
2. Les requérants sont représentés par Me T. H., avocat au barreau de Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. S. Spyropoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l’Etat et Mme Z. Hatzipavlou, auditrice auprès du Conseil juridique de l’Etat.
3. Les requérants se plaignaient en particulier d’atteintes à leur droit d’accès à un tribunal et à leur droit à la protection des biens.
4. Le 5 mai 2006, la Cour a décidé de communiquer au Gouvernement les griefs tirés du droit d’accès à un tribunal ainsi que du droit à la protection des biens. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Par une décision conjointe du 11 février 1997, les ministres des Finances, de l’Environnement et de l’Agriculture procédèrent à l’expropriation d’une surface, de superficie non précisée, pour permettre l’élargissement de la route nationale reliant Thessalonique à Nea Moudania. Les propriétés des requérants se trouvaient concernées, une partie de leurs terrains étant affectée à la construction des nouveaux tronçons. Sur le reliquat, certains des requérants avaient fait construire des immeubles utilisés à des fins commerciales.
6. Le 8 janvier 1999, les requérants demandèrent la fixation du montant unitaire définitif du mètre carré pour les indemnités d’expropriation. Ils sollicitèrent aussi une indemnité spéciale pour les parties non expropriées de leurs terrains. Selon les requérants, les parties non affectées à l’expropriation subissaient une dépréciation en raison du caractère surélevé des nouveaux tronçons de la route principale ainsi que du manque d’accès de leurs propriétés à celle-ci.
7. En 2002, la cour d’appel de Thessalonique fixa les montants unitaires définitifs du mètre carré pour les indemnités d’expropriation, à des prix oscillant entre 41 et 50 euros. Selon les requérants, ces montants représentaient le 1/6e de la valeur vénale des terrains expropriés et la moitié des prix proposés par l’Etat.
8. Ladite juridiction alloua une indemnité pour les parties non expropriées des terrains en raison de leur scission et rejeta la demande des requérants quant à la fixation d’une indemnité spéciale en raison de la nature de l’ouvrage public comme dépourvue de base légale. S’agissant des parties non expropriées sur lesquels étaient construits des bâtiments hébergeant des entreprises, la cour d’appel refusa d’allouer une indemnité pour la dépréciation alléguée des propriétés en raison de la perte de clientèle et de la baisse consécutive des revenus. Elle jugea qu’il ressortait de l’article 13 du décret-loi no 797/1971 que l’indemnité pour la partie non expropriée de la propriété devait refléter sa dépréciation consécutive uniquement à l’expropriation et ne saurait prendre en considération la nature de l’ouvrage sur la partie expropriée (arrêt no 1924/2002).
9. Le 11 octobre 2002, les requérants, représentés par un avocat, se pourvurent en cassation. Ils alléguaient entre autres que la cour d’appel de Thessalonique aurait dû tenir compte de la proposition de l’Etat quant au prix unitaire de l’indemnité à allouer et que la même juridiction aurait dû leur allouer une indemnité spéciale au titre de la dépréciation des parties non expropriées en raison de la nature de l’ouvrage. La demande de fixation du montant unitaire définitif de l’indemnisation ainsi que l’arrêt no 1924/2002 de la cour d’appel de Thessalonique étaient joints au pourvoi en cassation.
10. Le 15 juillet 2004, la Cour de cassation rejeta le moyen de cassation tiré de la différence entre l’indemnité au mètre carré proposée par la partie adverse et celle fixée par la cour d’appel de Thessalonique. La haute juridiction jugea que les juridictions compétentes n’étaient pas liées par les prix d’indemnisation proposés par les parties au litige. En outre, la Cour de cassation rejeta comme vague le moyen tiré du refus d’allouer l’indemnité spéciale prévue par l’article 13 du décret-loi no 797/1971. Elle considéra que les requérants n’avaient pas précisé dans leur pourvoi « les circonstances de fait concernant leurs propriétés » sur lesquelles s’était fondée la cour d’appel pour rejeter leur grief. Enfin, la haute juridiction fit droit à cinq autres moyens de cassation soulevés par les requérants, cassa partiellement l’arrêt attaqué et renvoya l’affaire devant la juridiction inférieure pour se prononcer à nouveau sur la partie cassée (arrêt no 1014/2004).
11. Les parties ne fournissent pas d’informations sur la suite de la procédure.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La Constitution
12. L’article 17 de la Constitution dispose :
« 1. La propriété est placée sous la protection de l’Etat. Les droits qui en dérivent ne peuvent toutefois s’exercer au détriment de l’intérêt général.
2. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dûment prouvée, dans les cas et suivant la procédure déterminés par la loi et moyennant toujours une indemnité préalable complète. Celle-ci doit correspondre à la valeur de la propriété expropriée à la date de l’audience sur l’affaire concernant la fixation provisoire de l’indemnité par le tribunal. Dans le cas d’une demande visant à la fixation immédiate de l’indemnité définitive, est prise en considération la valeur de la propriété expropriée au jour de l’audience du tribunal sur cette demande.
(...) »
B. Le décret-loi no 797/1971 relatif aux expropriations
13. Le décret-loi no 797/1971 des 30 décembre 1970/1er janvier 1971 constitue la législation fondamentale qui régit les expropriations, en application des principes énoncés dans les dispositions constitutionnelles.
14. Le chapitre A du décret-loi fixe la procédure et les conditions préalables à l’annonce d’une expropriation.
15. Selon l’article 1 § 1 a), si elle est autorisée par la loi dans l’intérêt public, l’expropriation de propriétés urbaines ou rurales ou la revendication de droits réels sur celles-ci est annoncée par une décision conjointe du ministre compétent dans le domaine visé par l’expropriation et du ministre des Finances.
16. L’article 2 § 1 fixe les conditions préalables à une décision annonçant une expropriation ; en particulier : a) un plan cadastral indiquant la zone à exproprier, et b) la liste des propriétaires des biens-fonds, la superficie de ceux-ci, leur délimitation et les principales caractéristiques des bâtiments qui y sont édifiés.
17. L’article 17 § 1 confie aux tribunaux le soin de fixer l’indemnité. Il dispose expressément que ceux-ci fixent uniquement le montant unitaire de l’indemnité, sans préciser le ou les bénéficiaires de celle-ci ou la partie tenue de la verser.
18. D’après l’article 13 § 1, l’indemnité se calcule par rapport à la valeur réelle de la propriété expropriée au moment de la publication de la décision annonçant l’expropriation.
19. Aux termes du paragraphe 3 du même article,
« En cas d’expropriation d’une partie d’un bien et lorsque la partie restant au propriétaire subit une dépréciation substantielle de sa valeur ou devient inutilisable, le jugement qui fixe l’indemnité détermine aussi l’indemnité spéciale pour cette partie. Cette indemnité spéciale est versée au propriétaire avec celle pour la partie expropriée. »
20. Selon la jurisprudence que la Cour de cassation a suivie pendant de nombreuses années, la nature des travaux à effectuer n’était jamais prise en compte pour la fixation de « l’indemnité spéciale » prévue par l’article 13 § 3 du décret-loi no 797/1971 (parmi d’autres ΑΠ1255/2001, 349/2000, 8/1999, 455/1998, 803/1994). Toutefois, dans un arrêt récent, la Cour de cassation jugea, à la lumière de l’article 1 du Protocole no 1, que cette interprétation du droit interne portait atteinte au droit de propriété des intéressés et procéda donc à un revirement de sa jurisprudence en la matière (arrêt no 31/2005).
C. La loi no 653/1977 des 25 juillet et 5 août 1977, relative aux obligations de propriétaires riverains en matière de percée de routes nationales
21. Les dispositions pertinentes de l’article 1 de la loi no 653/1977 sont ainsi libellées :
« 1. En cas de percée, en dehors du plan d’urbanisme, de routes nationales d’une largeur maximale de trente mètres, les propriétaires riverains qui en tirent profit sont astreints à payer pour une zone d’une largeur de quinze mètres, participant ainsi aux frais d’expropriation des bien sis sur ces routes. Cette charge ne peut toutefois dépasser la moitié de la surface du bien concerné.
(...)
3. Aux fins de l’application du présent article, sont considérés comme propriétaires riverains avantagés ceux dont les immeubles acquièrent une façade sur les routes percées.
4. Lorsque les ayants droit à indemnité en raison d’une expropriation sont en même temps débiteurs du paiement d’une partie de celle-ci, il y a compensation des droits et obligations. »
22. Cette présomption, selon laquelle la plus–value tirée de travaux d’aménagement routier constitue une indemnité suffisante, a longtemps été considérée comme irréfragable. Suite aux arrêts de la Cour dans les affaires Katikaridis et autres c. Grèce, Tsomtsos et autres c. Grèce (arrêts des 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996–V) et Papachelas c. Grèce ([GC], no 31423/96, § 49, ECHR 1999-II), les juridictions nationales admettent désormais que la présomption en question n’est plus irréfragable. Dès lors, les intéressés peuvent saisir les juridictions civiles pour faire juger qu’ils ne sont pas des propriétaires avantagés au sens de la loi susmentionnée et percevoir, le cas échéant, une indemnité complémentaire.
D. La loi d’accompagnement (Εισαγωγικός �όμος) du code civil
23. L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil se lit comme suit :
« L’Etat est tenu à réparer le dommage causé par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si l’acte ou l’omission a eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable avec l’Etat, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »
24. Cette disposition établit le concept d’acte dommageable spécial de droit public, créant une responsabilité extracontractuelle de l’Etat. Cette responsabilité résulte d’actes ou omissions illégaux. Les actes concernés peuvent être non seulement des actes juridiques, mais également des actes matériels de l’administration, y compris des actes non exécutoires en principe (Kyriakopoulos, Commentaire du code civil, article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, no 23; Filios, Droit des contrats, partie spéciale, volume 6, responsabilité délictueuse 1977, par. 48 B 112 ; E. Spiliotopoulos, Droit administratif, troisième édition, par. 217; arrêt no 535/1971 de la Cour de cassation; Nomiko Vima, 19e année, p. 1414; arrêt no 492/1967 de la Cour de cassation ; Nomiko Vima, 16e année, p. 75). La recevabilité de l’action en réparation est soumise à une condition : la nature illégale de l’acte ou de l’omission.
E. Le code de procédure civile
25. Les articles pertinents du code de procédure civile disposent :
Article 118
« Les recours notifiés entre les parties ou déposés auprès du tribunal doivent inclure (...) 4) l’objet du recours de manière claire, précise et succincte (...) »
Article 566 § 1
« Le pourvoi en cassation doit comprendre les éléments exigés par les articles 118 à 120, citer l’arrêt attaqué, les moyens de cassation en entier ou en partie de l’arrêt attaqué ainsi qu’une demande quant au fond de l’affaire. »
Article 577 § 3
« La Cour de cassation examine la recevabilité et le fond des motifs de cassation, si elle juge le pourvoi en cassation légal et recevable. »
Article 578
« La Cour de cassation rejette le pourvoi en cassation, si les motifs de l’arrêt attaqué sont jugés erronés mais son dispositif juste (...) »
26. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, le pourvoi en cassation doit préciser quelle est la règle de fond qui a été violée, en quoi consiste l’erreur juridique, autrement dit où se trouve la violation dans l’interprétation ou l’application de la règle en cause, et doit aussi comporter l’exposé des faits sur lequel s’est fondée la cour d’appel pour rejeter le recours (Cour de cassation, nos 372/2002, 388/2002).
EN DROIT
I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 6 § 1 ET 13 DE LA CONVENTION
27. Les requérants se plaignent que le rejet de l’un de leurs moyens de cassation comme vague a porté atteinte à leur droit d’accès à un tribunal. En outre, ils se plaignent d’une violation du principe de l’égalité des armes, du fait que la cour d’appel fixa une indemnité au mètre carré qui représenterait la moitié du prix proposé par la partie adverse. Ils invoquent les articles 6 § 1 et 13 de la Convention.
Les parties pertinentes de l’article 6 § 1 de la Convention sont ainsi libellées :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...), par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
L’article 13 de la Convention se lit comme suit :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
A. Sur le droit d’accès à un tribunal
1. Sur la recevabilité
28. Le Gouvernement allègue, tout d’abord, que le pourvoi en cassation a été déclaré irrecevable en raison de son caractère vague. Si les requérants avaient formulé leurs griefs de manière conforme aux règles de recevabilité régissant l’exercice du pourvoi en cassation, celui-ci n’aurait pas été rejeté et leur grief aurait été examiné sur le fond. Par conséquent, le Gouvernement affirme que les requérants ont omis d’épuiser valablement les voies de recours internes.
29. Les requérants rétorquent que, suite au rejet de leur moyen de cassation par la Cour de cassation, il ne leur était pas possible d’exercer un quelconque recours devant les instances nationales et, en conséquence, ils ne pouvaient que s’adresser à la Cour.
30. S’agissant de l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement, la Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. En l’occurrence, le Gouvernement semble tirer argument et demander l’irrecevabilité du grief pour la même raison que celle qui, aux yeux de la Cour, a justifié la communication du grief en question, à savoir le motif pour lequel la haute juridiction hellénique déclara le pourvoi en cassation irrecevable. La Cour estime, dès lors, que cette exception est étroitement liée à la substance du grief énoncé par les requérants sur le terrain de l’article 6 de la Convention et décide de la joindre au fond.
31. Par ailleurs, la Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
2. Sur le fond
32. Le Gouvernement affirme que les requérants, représentés par un avocat devant la Cour de cassation, étaient tenus de connaître leurs obligations en matière d’introduction d’un pourvoi. La règle appliquée par la haute juridiction exigeait que le pourvoi en cassation comporte l’exposé des faits sur lesquels la cour d’appel s’était fondée pour rejeter le recours. Cette règle est une construction jurisprudentielle appliquée par la Cour de cassation de façon constante. Il s’ensuit qu’en l’occurrence les modalités d’exercice du pourvoi en cassation pouvaient passer pour prévisibles aux yeux des requérants. En particulier, le Gouvernement note que la juridiction suprême exige que l’intéressé relate dans son pourvoi les faits de la cause tels qu’ils avaient été accueillis par la juridiction inférieure. Pour le Gouvernement, cet exposé est indispensable afin que la Cour de cassation puisse, par la suite, exercer son contrôle sur l’interprétation d’une règle de droit par la juridiction inférieure. Le Gouvernement estime raisonnable que le demandeur en cassation soit tenu de présenter les faits de la cause tels qu’ils ont été établis par la cour d’appel après l’administration des preuves. Dans le cas contraire, il incomberait à la Cour de cassation de rechercher elle-même les faits de la cause qui ont conduit la cour d’appel à une interprétation erronée du droit interne.
33. Les requérants rétorquent que la cour d’appel avait rejeté le moyen de cassation en cause, non pas comme infondé mais comme irrecevable, au motif que l’indemnité spéciale ne correspondait qu’au préjudice allégué dû à l’expropriation et non à la nature de l’ouvrage. Ils notent, ainsi, que la cour d’appel ne développa aucun raisonnement sur le fond de leur grief pour pouvoir, par la suite, reprendre celui-ci dans leur pourvoi en cassation. En outre, les requérants allèguent que leur moyen de cassation consistait en un moyen de droit rendant le rétablissement des faits de la cause superflu. En tout état de cause, ils arguent que tous les documents nécessaires, à savoir leur demande de fixation du montant unitaire définitif de l’indemnisation ainsi que l’arrêt no 1924/2002 de la cour d’appel de Thessalonique, étaient joints au dossier de l’affaire devant la Cour de cassation.
34. La Cour se penchera, en l’espèce, sur la proportionnalité de la limitation imposée par rapport aux exigences de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice.
35. Aux yeux de la Cour, la haute juridiction grecque a fixé de manière prétorienne une condition de recevabilité portant sur le caractère vague ou non des moyens de cassation. Cette règle obéit, en général, aux exigences de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice. Quand le demandeur en cassation reproche à la cour d’appel une appréciation erronée des faits de la cause par rapport à la règle juridique appliquée, il paraît raisonnable d’exiger qu’il relate dans son pourvoi les faits pertinents qui constituent l’objet de son action. Dans le cas contraire, la haute juridiction ne serait pas en mesure d’exercer son contrôle d’annulation à l’égard de l’arrêt attaqué. En effet, elle serait tenue de rétablir les faits pertinents de la cause et de les interpréter elle-même par rapport à la règle de droit appliquée par la cour d’appel. Cette hypothèse ne peut être envisagée car elle équivaudrait à exiger de la haute juridiction qu’elle formule elle-même les moyens de cassation, moyens qu’elle devrait, par la suite, examiner. En somme, la règle appliquée dans le cas d’espèce se concilie avec la spécificité du rôle joué par la Cour de cassation, dont le contrôle est limité au respect du droit (voir, en ce sens, Brechos c. Grèce (déc.), no 7632/04, 11 avril 2006).
36. Toutefois, la Cour considère que l’on saurait difficilement soutenir en l’espèce que le moyen de cassation en cause faisait peser sur la Cour de cassation la charge de rétablir les faits. Aux yeux de la Cour, trois éléments doivent être pris en compte. En premier lieu, ledit moyen de cassation visait exclusivement l’interprétation faite par la cour d’appel des dispositions appliquées en l’espèce, à savoir si l’indemnité pour la partie non expropriée de la propriété devait refléter sa dépréciation liée uniquement à l’expropriation et ne saurait prendre en considération la nature de l’ouvrage à réaliser sur la partie expropriée. Par conséquent, la présentation simultanée des faits de la cause, tels qu’ils avaient été établis par la cour d’appel, n’était pas indispensable pour que la haute juridiction puisse exercer son contrôle judiciaire (voir Efstathiou et autres c. Grèce, no 36998/02, § 31, 27 juillet 2006).
37. En deuxième lieu, la cour d’appel avait rejeté la demande des requérants à se voir verser une indemnité spéciale comme dépourvue de base légale. Elle ne l’avait donc pas examinée sur le fond et, par conséquent, l’exposé des faits pertinents à ce moyen de cassation faisait défaut. Partant, les requérants se trouvaient objectivement dans l’impossibilité de relater en l’espèce les faits sur lesquels la cour d’appel s’était fondée pour rejeter le moyen en cause.
38. En dernier lieu, tous les documents nécessaires, à savoir la demande de fixation du montant unitaire définitif de l’indemnisation ainsi que l’arrêt no 1924/2002 de la cour d’appel de Thessalonique étaient joints au pourvoi en cassation. Le juge suprême était ainsi en mesure de les consulter aisément et de vérifier éventuellement la pertinence des faits dans le cas d’espèce (voir Efstathiou et autres c. Grèce, précité, § 31).
39. A la lumière des considérations qui précèdent, la Cour estime que le rejet du moyen de cassation litigieux relève d’une approche par trop formaliste des conditions de recevabilité du recours exercé. Par conséquent, la limitation imposée au droit d’accès des requérants à un tribunal n’a pas été proportionnée au but de garantir la sécurité juridique et la bonne administration de la justice.
40. Partant, l’exception du Gouvernement ne saurait être retenue et il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention au regard du droit des requérants d’avoir accès à un tribunal.
41. Enfin, eu égard au constat figurant au paragraphe 40 ci-dessus, la Cour n’estime pas nécessaire de se placer de surcroît sur le terrain de l’article 13. Les exigences de ce dernier sont en effet moins strictes que celles de l’article 6 § 1 et absorbées par elles en l’espèce (voir, entre autres Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, p. 32, § 88).
B. Sur le principe de l’égalité des armes
Sur la recevabilité
42. La Cour rappelle qu’une des exigences d’un procès équitable est l’égalité des armes, laquelle implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage face à son adversaire (voir, parmi d’autres, Kress c. France [GC], no 39594/98, § 72, CEDH 2001-VI). La Cour rappelle par ailleurs qu’il ne lui appartient pas d’apprécier elle-même les éléments de fait ayant conduit une juridiction nationale à adopter telle décision plutôt que telle autre, sous réserve de l’examen de compatibilité avec les dispositions de la Convention. Sinon, elle s’érigerait en une cour de troisième ou quatrième instance et elle méconnaîtrait les limites de sa mission (voir, parmi beaucoup d’autres, De Liedekerke c. Belgique (déc.), no 45168/99, 3 mai 2005). La Cour a pour seule fonction, au regard de l’article 6 de la Convention, d’examiner les requêtes alléguant que les juridictions nationales ont méconnu des garanties procédurales spécifiques énoncées par cette disposition ou que la conduite de la procédure dans son ensemble n’a pas garanti un procès équitable au requérant.
43. Examinant le cas d’espèce à la lumière de ces principes, la Cour estime que les requérants contestent en réalité la manière dont les juridictions internes ont fixé l’indemnité au mètre carré pour l’expropriation de leur terrain. Or, le simple désaccord des requérants avec le montant de l’indemnité qui leur a été versée, ne saurait suffire à conclure que la procédure n’a pas été équitable. De surcroît, la Cour observe que les requérants ont pu développer leurs arguments tout au long de la procédure litigieuse, qui a respecté sans faille le principe du contradictoire. Il s’ensuit que ledit grief est manifestement mal fondé sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
44. Par ailleurs, selon la jurisprudence constante de la Cour, l’article 13 exige un recours interne pour les seules plaintes que l’on peut estimer « défendables » au regard de la Convention (voir, entres autres, Powell et Rayner c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1990, série A no 172, p. 14, § 31 ; Keleş c. Turquie (déc.), no 36682/97, 29 janvier 2002). Or en l’espèce, la Cour vient de constater que le présent grief des requérants tiré de l’article 6 § 1 est manifestement mal fondé.
Il s’ensuit que ledit grief est manifestement mal fondé sous l’angle de l’article 13 de la Convention et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
II. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
45. Les requérants se plaignent que les tribunaux internes ont fixé un prix d’indemnité qui correspond au 1/6e de la valeur actuelle des terrains expropriés. D’autre part, ils se plaignent que les juridictions internes ont refusé de leur allouer une indemnité spéciale pour les parties non expropriées de leurs terrains en prenant en compte leur dépréciation en raison de la nature de l’ouvrage public. Ils invoquent l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A. En ce qui concerne l’indemnité d’expropriation
Sur la recevabilité
46. La Cour rappelle qu’une mesure d’ingérence dans le droit au respect des biens doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (voir, entre autres, Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, p. 26, § 69). Afin d’apprécier si la mesure litigieuse respecte le juste équilibre voulu et, notamment, si elle ne fait pas peser sur le requérant une charge disproportionnée, il y a lieu de prendre en considération les modalités d’indemnisation prévues par la législation interne. A cet égard, sans le versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constitue normalement une atteinte excessive qui ne saurait se justifier sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1. Ce dernier ne garantit pourtant pas dans tous les cas le droit à une compensation intégrale, car des objectifs légitimes « d’utilité publique » peuvent militer pour un remboursement inférieur à la pleine valeur marchande (voir Les saints monastères c. Grèce, arrêt du 9 décembre 1994, série A no 301-A, pp. 34-35, §§ 70-71).
47. En l’espèce, la Cour ne s’estime pas appelée à se prononcer sur la question de savoir sur quelle base les autorités nationales auraient dû fixer le prix d’indemnisation. En effet, la Cour ne saurait se substituer aux tribunaux grecs pour déterminer la base qui devrait être prise en considération pour l’estimation de la valeur du terrain exproprié et la fixation des sommes dues qui en découlerait (Malama c. Grèce, no 43622/98, § 51, CEDH 2001–II). En tout état de cause, il n’y a aucun indice dans le dossier donnant à penser que les juridictions saisies ont fait preuve d’arbitraire dans la fixation de l’indemnité d’expropriation. Eu égard à la marge d’appréciation que l’article 1 du Protocole no 1 laisse aux autorités nationales (Papachelas c. Grèce [GC], no 31423/96, § 49, CEDH–II), la Cour considère le prix fixé comme étant raisonnablement en rapport avec la valeur de la propriété expropriée.
Il s’ensuit que cette partie du grief est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
B. En ce qui concerne l’indemnité spéciale
1. Sur la recevabilité
48. Le Gouvernement allègue que les requérants n’étaient pas titulaires d’un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1. Il argue que les requérants se plaignent en substance du manque à gagner en raison du fait que les terrains expropriés seraient dépourvus dorénavant d’un accès direct à la nouvelle route nationale. Or, le Gouvernement soutient que les requérants n’ont jamais eu l’espérance légitime que l’accès à la route nationale et les avantages dont ils bénéficiaient se prolongeraient à l’infini. La perte de ces avantages a résulté d’un acte administratif légal prévoyant la construction d’une nouvelle route nationale. Pour le Gouvernement, les conséquences de l’élargissement de la route nationale en cause pour les entreprises des requérants seraient identiques dans le cas où l’Etat eût décidé de condamner l’usage de cette autoroute et d’en faire construire une autre dans un autre site.
49. Les requérants contestent cette thèse.
50. La Cour note que l’objet du présent grief ne porte pas sur le manque à gagner consécutif à la cessation des activités commerciales sur certains des terrains en cause. Par le biais de leur demande devant les juridictions helléniques à se voir verser une « indemnité spéciale », les requérants ont sollicité leur indemnisation pour la dévalorisation du restant de leurs terrains en raison de l’élargissement de la route nationale et de l’absence d’accès direct à celle-ci. En d’autres termes, les requérants ne se plaignent pas en l’espèce du refus de l’Etat de leur verser une « créance », intérêt patrimonial qui, selon l’article 1 du Protocole no 1, doit être suffisamment établi pour être exigible (voir notamment Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, arrêt du 9 décembre 1994, série A no 301-B, p. 84, § 59). Leur grief a trait aux limitations prétendument apportées à la jouissance d’un « bien existant », à savoir l’exploitation du restant des terrains expropriés, ce qui aurait affecté la valeur vénale de ceux-ci. Sur ce point, la Cour note que les parties conviennent que les requérants restent toujours propriétaires de la partie non expropriée de leurs terrains. En conséquence, leur grief se rapporte à un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1. Il convient donc de rejeter l’exception d’irrecevabilité pour incompatibilité ratione materiae soulevée par le Gouvernement.
51. La Cour constate par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
2. Sur le fond
52. Le Gouvernement affirme que l’absence d’accès direct à l’autoroute n’est pas une conséquence de l’expropriation mais de la modification légale de la part de l’Etat du réseau routier, dicté par des raisons objectives et par la nécessité de servir l’intérêt général. De surcroît, le Gouvernement note que les requérants ont toujours accès à la route secondaire et, par conséquent, le restant de leurs propriétés n’est pas coupé de l’autoroute. En outre, le Gouvernement relève que la cour d’appel de Thessalonique a versé une indemnisation à certains des requérants pour les parties non expropriés de leurs terrains. En particulier, la juridiction compétente a pris en compte divers éléments hormis la nature de l’ouvrage public. S’agissant des terrains sur lesquels des bâtiments n’avaient pas été construits, le Gouvernement affirme que la juridiction interne a tenu compte de la superficie qui restait non expropriée, l’emplacement du terrain et la possibilité de son exploitation future aux fins d’agriculture ou de construction. S’agissant des terrains comportant des bâtiments, le Gouvernement note que la cour d’appel a pris en compte la nature de l’activité commerciale y exercée et la manière dont l’expropriation éventuellement l’affectait.
53. Les requérants rétorquent que la nature de l’ouvrage à construire doit être prise en compte dans le calcul de l’indemnité globale en raison de l’expropriation. Ils estiment que tant l’acte d’expropriation que sa finalité, à savoir la construction d’un ouvrage d’utilité publique, sont toujours étroitement liés. De surcroît, les requérants allèguent que même la route secondaire sur laquelle donne dorénavant le restant de leurs terrains n’est pas utilisable en raison du fait que tous les tronçons à construire ne sont pas encore achevés. Pour les requérants, il va de soi qu’aucune personne ne peut pour le moment emprunter la route secondaire, puisqu’après avoir parcouru une certaine distance, le véhicule tomberait sur une impasse.
54. La Cour relève qu’en l’espèce, il n’y pas eu expropriation des parties des terrains dont les requérants allèguent la dépréciation. Il est cependant clair que l’élargissement d’une autoroute entraînant l’absence d’accès direct à celle-ci des parties non expropriées des terrains en cause, apporte une limitation à la libre disposition de leur droit d’usage, limitation qui constitue une ingérence dans la jouissance des droits que les requérants tirent de leur qualité de propriétaires. Dès lors, suivant sa jurisprudence en la matière (voir, notamment, James et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1986, série A no 98-B, pp. 29-30, § 37), la Cour estime que le second alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 joue en l’espèce. Elle examinera donc le grief sous cet angle.
55. Selon une jurisprudence bien établie, le second alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 doit se lire à la lumière du principe consacré par la première phrase de l’article. En conséquence, une ingérence doit ménager un « juste équilibre » entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu. La recherche de pareil équilibre se reflète dans la structure de l’article 1 du Protocole no 1 tout entier et, par conséquent, dans celui du second alinéa ; il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. En contrôlant le respect de cette exigence, la Cour reconnaît à l’Etat une grande marge d’appréciation tant pour choisir les modalités de mise en œuvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l’intérêt général, par le souci d’atteindre l’objectif de la loi en cause (Chassagnou et autres c. France [GC], nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, § 75, CEDH 1999–III). De plus, en ce qui concerne des domaines tels que l’aménagement du territoire, la Cour respecte l’appréciation portée à cet égard par le législateur, sauf si elle est manifestement dépourvue de base raisonnable (voir, mutatis mutandis, Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 49, CEDH 1999–V).
56. La Cour note qu’il est incontestable, dans la présente affaire, que la nature de l’ouvrage a directement contribué à une dépréciation des parties non expropriées. En effet, la réalisation de l’ouvrage public a entraîné la perte pour les parties en cause de l’avantage d’un accès direct à la route nationale. De ce fait, les terrains sur lesquels les requérants avaient fait construire des immeubles utilisés à des fins commerciales ont subi une baisse de leur valeur en raison de la perte de clientèle des entreprises et de la chute consécutive des profits. La Cour ne perd pas de vue sur ce point que bien que la cour d’appel de Thessalonique eût alloué une indemnité pour les parties non expropriées des terrains en raison de leur scission, ladite juridiction a explicitement refusé d’indemniser les requérants pour la perte de clientèle et la baisse de leurs revenus. En outre, s’agissant des terrains qui ne comportaient pas d’immeubles, la Cour considère que la nature de l’ouvrage a aussi contribué à leur dépréciation. Certes, cette perte de valeur n’était pas égale à celle des terrains occupés par des entreprises. Il n’en reste pas moins que la valeur commerciale d’un terrain ayant un accès direct à la route nationale ne peut être identique à celle du même terrain bordant la route secondaire. Par conséquent, il est indéniable que pour certains des requérants l’exploitation de cette partie des parcelles, déjà inconstructible en raison de l’expropriation, s’est trouvée sérieusement compromise en raison de l’élargissement de la route nationale (voir Ouzounoglou c. Grèce, no 32730/03, § 30, 24 novembre 2005 ; Athanasiou et autres c. Grèce, no 2531/02, § 25, 9 février 2006).
57. Au vu de ce qui précède, la Cour considère qu’en refusant d’indemniser les requérants pour la dépréciation de la partie non expropriée de leurs terrains en raison de la nature de l’ouvrage, les juridictions internes ont rompu le juste équilibre devant régner entre la sauvegarde des droits individuels et les exigences de l’intérêt général. A cet égard, la Cour prend note du récent revirement de la jurisprudence en la matière de la Cour de cassation dans une affaire similaire (voir paragraphe 20 ci-dessus).
Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
58. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
59. Les requérants réclament au titre du dommage matériel une somme correspondant à 50 % de la valeur des parties non expropriées des terrains en cause. Ils ajoutent que la Cour devrait prendre comme base pour le calcul de cette somme, les montants unitaires définitifs du mètre carré pour les indemnités d’expropriation fixés pour chaque terrain par l’arrêt no 1924/2002 de la cour d’appel de Thessalonique. Lesdits montants sont repris dans leurs observations devant la Cour.
60. Le Gouvernement soutient que les requérants n’ont pas présenté leur demande de satisfaction équitable selon les conditions fixées par l’article 60 § 2 du règlement de la Cour. De ce fait, le Gouvernement estime qu’il n’y a pas lieu de leur octroyer un montant au titre de l’article 41 de la Convention. A titre alternatif, le Gouvernement affirme que le constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante.
61. La Cour estime que la question de l’application de l’article 41 ne se trouve pas en état, de sorte qu’il échet de la réserver en tenant compte de l’éventualité d’un accord entre l’Etat défendeur et les intéressés (article 75 § 1 du règlement).
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés du droit d’accès à un tribunal et du refus des juridictions internes d’allouer aux requérants une indemnité spéciale pour les parties non expropriées des terrains en cause et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention ;
4. Dit que la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ; en conséquence,
a) la réserve en entier ;
b) invite le Gouvernement et les requérants à lui soumettre par écrit, dans les six mois, leurs observations sur la question et, en particulier, à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;
c) réserve la procédure ultérieure et délègue au président de la chambre le soin de la fixer au besoin.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 décembre 2007 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Loukis Loucaides
Greffier Président
Liste des requérants
OMISSIS