TROISIÈME SECTION
AFFAIRE PRIOTESE c. ROUMANIE
(Requête no 2916/04)
ARRÊT
STRASBOURG
30 juin 2009
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Priotese c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Elisabet Fura-Sandström,
Corneliu Bîrsan,
Boštjan M. Zupan�i�,
Ineta Ziemele,
Luis López Guerra,
Ann Power, juges,
et de Stanley Naismith, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 juin 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 2916/04) dirigée contre la Roumanie et dont deux ressortissants de cet Etat, MM. C. P. et E. P. (« les requérants »), ont saisi la Cour le 20 novembre 2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Răzvan-Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le 23 avril 2008, le président de la troisième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4. Les requérants sont nés respectivement en 1938 et 1931 et résident dans le village d'Arbore.
A. Procédures relatives aux terrains de 1,41 ha et 0,36 ha
5. En vertu d'une décision du 26 septembre 1991 émise par la commission départementale de Suceava chargée de l'application de la loi no 18/1991 sur le fonds foncier (« commission départementale » et « la loi no 18/1991 »), les requérants se virent délivrer une attestation provisoire de propriété relative à un terrain de 1,41 ha sis dans le périmètre du village d'Arbore (dont 1,17 ha au lieu-dit « Gradina »). Estimant qu'ils avaient droit aussi à une parcelle supplémentaire de 0,36 ha au lieu-dit « Gradina » (« Livada »), parcelle qui avait été attribuée en 1993 à leur frère P.I., les requérants saisirent les tribunaux internes d'une action en annulation partielle du titre de propriété de P.I. Par un arrêt définitif du 12 janvier 2001, la cour d'appel de Suceava rejeta l'action des requérants comme mal fondée, jugeant qu'ils n'avaient pas prouvé leur droit de propriété sur la parcelle litigieuse.
6. Le 10 juin 1995, la commission départementale délivra aux requérants un titre de propriété pour le terrain de 1,41 ha précité. Les requérants signèrent l'annexe qui détaillait les parcelles composant ce terrain (dont 1,17 ha au lieu-dit « Gradina »).
7. Sur demande des requérants, par une décision du 4 mars 1997, la commission départementale annula le titre qu'elle avait émis le 10 juin 1995 et qui aurait contenu des erreurs. Saisi par la commission locale d'Arbore d'application de la loi no 18/1991 d'une action dirigée contre les requérants et contre la commission départementale, par un arrêt définitif du 17 juillet 2003, la cour d'appel de Suceava annula la décision du 4 mars 1997 susmentionnée, au motif que seuls les tribunaux étaient compétents pour annuler un titre de propriété.
8. Le 30 mai 2002, les requérants saisirent le tribunal de première instance de Rădăuţi d'une action tendant à leur mise en possession des terrains de 1,41 ha et de 0,36 ha susmentionnés, ainsi que d'une parcelle de 5 058 m2 au lieu-dit « Poiana Secu ». Par un jugement du 9 octobre 2002, le tribunal de première instance accueillit partiellement leur action s'agissant du terrain de 1,41 ha. Il jugea que les requérants avaient été mis en possession en 1995, mais que la décision du 4 mars 1997 précitée avait eu pour effet d'annuler cette mise en possession. Par un arrêt définitif du 11 juillet 2003, la cour d'appel de Suceava fit droit au recours formé par la commission locale et rejeta l'action des requérants, y compris pour ce qui était de la mise en possession du terrain de 1,41 ha. Elle observa que la décision du 4 mars 1997 de la commission départementale avait été illégale et n'avait produit aucun effet juridique (paragraphe 5 ci-dessus).
9. Dans une procédure distincte, la commission locale saisit les tribunaux internes d'une action en annulation partielle du titre de propriété délivré à P.I. en 1993, au sujet d'une parcelle de 0,26 ha revendiquée
aussi par les requérants. Cette action fut rejetée par un arrêt définitif du
8 janvier 2008 du tribunal départemental de Suceava. Un recours extraordinaire (contestation en annulation) contre cet arrêt est pendant à ce jour.
B. Procédure relative au terrain de 5 058 m2 (lieu-dit« Poiana Secu »)
10. A l'issue d'une nouvelle procédure entamée par les requérants en février 2005, par un jugement du 13 juin 2005 du tribunal de première instance de Rădăuţi confirmé en dernier ressort par un arrêt du 21 septembre 2006 de la cour d'appel de Suceava, les tribunaux internes firent droit à leur action et condamnèrent les commissions locale et départementale à reconstituer leur droit de propriété sur une superficie de 5 058 m2 de terrain agricole au lieu-dit « Poiana Secu » (Arbore). La commission locale devait les mettre en possession de ce terrain et la commission départementale leur délivrer le titre de propriété.
11. Les requérants demandèrent l'exécution du jugement du 13 juin 2005 précité par plusieurs lettres adressées à la commission locale, dont celles des 8 et 17 août 2005 et 21 février 2007.
12. Le 31 mai 2007, les requérants furent mis en possession d'un terrain agricole de 5 058 m2 sis au lieu-dit « Poiana Secu ». Un procès-verbal fut dressé par les autorités et signé par les intéressés. Le titre de propriété y relatif fut émis par la commission départementale le 25 juillet 2007. Selon une lettre du 20 mai 2008 envoyée par les requérants au greffe, ils ne se virent remettre ce titre que le 13 mai 2008.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
13. Il ressort des dispositions de la loi no 18/1991 que la procédure de reconstitution du droit de propriété sur les terrains faisant l'objet de cette loi aboutit par la délivrance de titres administratifs de propriété, remis aux titulaires par les autorités compétentes. Les dispositions pertinentes du règlement d'application de la loi no 18/1991, tel qu'il était en vigueur à l'époque des faits, sont résumées dans l'arrêt Constantin Popescu c. Roumanie (no 5571/04, §§ 20-21, 30 septembre 2008). Selon
l'article 36 (2) et (3) du règlement précité, le titre de propriété relatif à un terrain est transmis par la commission départementale à la commission locale. Cette dernière est chargée de le transcrire dans un registre agricole et de le remettre au titulaire du droit de propriété, qui doit signer le registre pour en accuser réception.
14. Le titre de propriété est nécessaire, entre autres, pour remplir les formalités de publicité immobilière, pour disposer du terrain en cause par un acte authentique (ex. vente) et, a priori, pour défendre devant les tribunaux internes le droit de propriété du titulaire dans une action en revendication (voir la jurisprudence interne résumée dans l'arrêt Valentin Dumitrescu c. Roumanie, no 36820/02, § 36 in fine, 1er avril 2008, en particulier l'arrêt des chambres réunies de la Cour suprême de justice du 30 juin 1997).
EN DROIT
I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION ET DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 DU FAIT DE LA NON-EXÉCUTION DES DÉCISIONS DÉFINITIVES FAVORABLES AUX REQUÉRANTS
15. Invoquant en substance les articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1, les requérants se plaignent de la non-exécution de l'arrêt définitif du 21 septembre 2006 de la cour d'appel de Suceava. Sur la base de ce dernier article, ils allèguent aussi n'avoir pas été mis en possession du terrain de 1,41 ha au lieu-dit « Gradina » (« Livada »). Ils y voient une violation du droit d'accès à un tribunal et du droit au respect des biens prévus par les articles précités, qui sont ainsi libellés :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Article 1 du Protocole no 1
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
16. Le Gouvernement combat cette thèse.
A. Sur la recevabilité
17. Le Gouvernement soutient d'emblée que les requérants ne peuvent pas se prétendre victimes d'une violation de la Convention, dans la mesure où l'arrêt définitif du 21 septembre 2006 a été exécuté le 31 mai 2007 par leur mise en possession du terrain de 5 058 m2 et, depuis 1995, les intéressés sont les seuls propriétaires du terrain de 1,41 ha, tel qu'il ressort du titre du 10 juin 1995 et d'une lettre de la commission locale du 18 juin 2008 (voir, mutatis mutandis, Marinescu c. Roumanie (déc.), no21122/02, 10 avril 2007).
18. Les requérants soutiennent n'avoir pas été mis en possession du terrain de 1,41 ha au lieu-dit « Gradina », parce qu'une partie de ce terrain est occupée par les héritiers de P.I. Ils considèrent qu'à la suite de la décision administrative du 4 mars 1997 annulant leur titre de propriété du 10 juin 1995, les autorités devraient leur délivrer un nouveau titre relatif au terrain de 1,41 ha et les mettre en possession, y compris sur la parcelle de 0,36 ha sise au lieu-dit « Gradina ».
19. S'agissant du refus des autorités de reconstituer l'intégralité du terrain de 1,41 ha sur l'ancien emplacement, au lieu-dit « Gradina », la Cour observe qu'aucune décision définitive ne leur a reconnu, à ce jour, un tel droit. L'arrêt définitif du 12 janvier 2001 de la cour d'appel de Suceava les a même déboutés de leur action en annulation partielle du titre de P.I sur la parcelle de 0,36 ha qu'ils revendiquaient. Pour autant qu'il incombait aux autorités de leur reconstituer le droit de propriété sur 1,41 ha, la Cour observe qu'un titre de propriété a été délivré aux requérants le 10 juin 1995, ces derniers signant de plein gré l'annexe confirmant leur accord pour que seulement 1,17 ha soient attribués au lieu-dit « Gradina ». Il ressort des éléments dont la Cour dispose que les requérants sont depuis 1995 en possession du terrain de 1,41 ha attribué par le titre du 10 juin 1995 et que la décision du 4 mars 1997 de la commission départementale annulant ledit titre, d'ailleurs adoptée à leur demande, n'a produit aucun effet juridique, étant jugée comme frappée de nullité (paragraphes 7 et 8 ci-dessus).
20. Il s'ensuit qu'il convient d'accueillir l'exception du Gouvernement pour autant qu'elle concerne le grief portant sur le terrain de 1,41 ha, de conclure que les requérants ne peuvent se prétendre victimes d'une violation de l'article 1 du Protocole no 1 à cet égard (mutatis mutandis, Marinescu (déc.), précitée), et de le rejeter en application des articles 34 et 35 §§ 3 et 4 de la Convention. En outre, il convient de conclure que le grief tiré du même article et relatif à la parcelle de 0,36 ha susmentionnée est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, et doit être rejeté en vertu de l'article 35 §§ 3 et 4 de celle-ci.
21. S'agissant en revanche de la partie de la requête relative à la non-exécution alléguée de l'arrêt définitif du 21 septembre 2006, la Cour estime que l'exception du Gouvernement est étroitement liée à la substance des griefs en question, de sorte qu'il y a lieu de la joindre au fond (voir, mutatis mutandis, De Sciscio c. Italie, no 176/04, § 53, 20 avril 2006). Par ailleurs, la Cour constate que cette partie de la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
22. Le Gouvernement soutient que le jugement du 13 juin 2005 du tribunal de première instance de Rădăuţi, confirmé en dernier ressort par l'arrêt du 21 septembre 2006 de la cour d'appel de Suceava, a été exécuté dans une période raisonnable, vu la mise en possession des requérants du terrain de 5 058 m2 à « Poiana Secu » le 31 mai 2007. En outre, le titre de propriété relatif à ce terrain a été émis par les autorités compétentes le 25 juillet 2007.
23. Les requérants réitèrent brièvement leurs arguments.
24. La Cour renvoie à sa jurisprudence relative à la non-exécution ou à l'exécution tardive des décisions internes définitives (voir, entre autres, Samoila et autres c. Roumanie, no 14073/03, §§ 48 et 54,
23 septembre 2008, Metaxas c. Grèce, no 8415/02, § 26, 27 mai 2004, et Prodan c. Moldavie, no 49806/99, §§ 54-55, 18 mai 2004).
25. En l'espèce, la Cour observe que l'arrêt définitif du 21 septembre 2006 de la cour d'appel de Suceava a confirmé le droit des requérants de se voir reconstituer par les autorités compétentes le droit de propriété sur un terrain de 5 058 m2 sis au lieu-dit « Poiana Secu ». Certes, la mise en possession des intéressés de ce terrain a été faite le 31 mai 2007 et le titre de propriété a été émis par la commission départementale le 25 juillet 2007. Néanmoins, les requérants ont soutenu dès le mois de mai 2008 que les autorités ne leur ont remis ledit titre que le 13 mai 2008.
26. Rappelant que la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, § 24, série A no 32) et renvoyant aux dispositions internes pertinentes, la Cour observe que le processus de reconstitution du droit de propriété aboutit par la délivrance du titre administratif de propriété remis aux titulaires par les autorités compétentes, titre qui permet à son titulaire de jouir pleinement de son droit de propriété (paragraphes 13 et 14 ci-dessus). C'est donc le moment où le titre est remis à l'ayant droit, ou celui des démarches des autorités dans ce sens, qu'il convient de prendre en compte pour décharger les autorités de leurs obligations positives en matière d'exécution d'une décision définitive ordonnant la reconstitution du droit de propriété (voir, mutatis mutandis, Samoila et autres, précité, §§ 15 et 53). En l'espèce, le droit interne prévoyait une procédure pour remettre le titre de propriété aux requérants et le Gouvernement n'a pas contredit la thèse des intéressés, en s'appuyant, par exemple, sur le registre agricole signé par ces derniers à la date où le titre leur a été remis (paragraphe 13 ci-dessus). Partant, il y a lieu de conclure qu'un délai d'un an et huit mois s'est écoulé avant que les requérants ne se voient remettre le titre de propriété leur permettant de jouir du droit de propriété reconnu par le jugement du 13 juin 2005 du tribunal de première instance de Rădăuţi.
27. La Cour rappelle qu'elle a déjà conclu, dans plusieurs affaires portant sur des délais d'exécution similaires, que l'omission des autorités, sans justification valable, d'exécuter dans un délai raisonnable une décision définitive rendue à leur encontre s'analyse en une violation du droit d'accès à un tribunal ainsi que du droit au respect des biens (voir, entre autres, Samoila et autres, précité, §§ 53-54, et Agaponova et autres c. Russie, no 34439/04, §§ 23-25, 7 février 2008).
28. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n'a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent.
29. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière et des éléments du dossier, la Cour estime qu'en l'espèce l'Etat n'a pas exécuté avec célérité le jugement du 13 juin 2005 du tribunal de première instance de Rădăuţi.
30. Partant, la Cour rejette l'exception du Gouvernement relative au défaut de qualité de victime des requérants et conclut qu'il y a eu violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1.
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
31. Sur la base de l'article 6 § 1 précité, les requérants se plaignent de l'issue de la procédure tranchée par l'arrêt définitif du 17 juillet 2003 rendu par la cour d'appel de Suceava.
32. Compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n'a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par les articles de la Convention.
Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
33. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
34. Les requérants demandent, pour préjudice matériel, qu'ils soient mis en possession du terrain de 1,41 ha sur l'ancien emplacement (« Livada ») et réclament 100 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral subi du fait de l'inexécution des décisions définitives en cause.
35. Le Gouvernement estime qu'il convient de rejeter la demande des requérants et, à titre subsidiaire, considère que la somme exigée pour dommage moral est excessive par rapport à la jurisprudence de la Cour.
36. La Cour rappelle avoir conclu à la violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 en raison du délai déraisonnable d'exécution du jugement définitif du 13 juin 2005 du tribunal de première instance de Rădăuţi. Partant, elle n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu'il y a lieu d'octroyer à chacun des deux requérants 600 EUR au titre du préjudice moral subi.
B. Frais et dépens
37. Sans fournir des détails ni des justificatifs, les requérants renvoient au même montant de 100 000 EUR exigé au titre du dommage moral pour se voir rembourser les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour.
38. Le Gouvernement considère que la demande des requérants est à rejeter comme non étayée.
39. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour rejette la demande des requérants à ce titre.
C. Intérêts moratoires
40. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Joint au fond, à l'unanimité, l'exception préliminaire du Gouvernement relative au défaut de qualité de victime des requérants pour autant qu'elle concerne les griefs portant sur la non-exécution du jugement du 13 juin 2005 et la rejette ;
2. Déclare, à l'unanimité, la requête recevable quant aux griefs tirés de l'article 6 § 1 de la Convention et de l'article 1 du Protocole no 1 relatifs à la non-exécution du jugement précité, et irrecevable pour le surplus ;
3. Dit, par quatre voix contre trois, qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention et de l'article 1 du Protocole no 1 ;
4. Dit, par quatre voix contre trois,
a) que l'Etat défendeur doit verser à chacun des requérants, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 600 EUR (six cents euros), à convertir dans la monnaie de l'Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement, pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 juin 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley Naismith Josep Casadevall
Greffier adjoint Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion séparée des juges Ziemele, López Guerra et Power.
J.C.M.
S.H.N.
OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES ZIEMELE, LÓPEZ GUERRA ET POWER
(Traduction)
1. Nous ne souscrivons pas à la conclusion de la majorité selon laquelle il y a eu en l'espèce violation de l'article 6 § 1 de la Convention à raison du prétendu retard avec lequel les autorités de l'Etat ont exécuté un jugement définitif (paragraphe 29 de l'arrêt).
2. Le jugement du 13 juin 2005 a été confirmé en appel le 21 septembre 2006. Les requérants ont été mis en possession de leur terrain le 31 mai 2007, soit environ huit mois après que le jugement fut devenu définitif. Le Gouvernement soutient que le titre de propriété a été signé par les autorités compétentes le 25 juillet 2007 tandis que les requérants allèguent que ce document ne leur a été remis que le 13 mai 2008. Bien que ce désaccord entre les parties n'ait pas été résolu, il n'en demeure pas moins que les requérants se sont trouvés en possession de leur terrain dans un laps de temps assez court à compter de la date à laquelle le jugement définitif est entré en vigueur et qu'ils ont reçu le titre de propriété au cours de l'année suivante.
3. Les actions en justice sont chose complexe et la mise en œuvre d'accords ou l'exécution de jugements réglant de manière définitive des litiges en matière de propriété prennent du temps. Interviennent généralement des considérations d'ordre pratique, comme les échanges de courrier entre les parties après la résolution du litige, la réception et la lecture des titres de propriété, la rédaction d'actes de transfert, l'exécution de tels actes, la libération des locaux par les anciens occupants et la prise de possession par la partie qui a obtenu gain de cause.
4. Le principe du délai « raisonnable » énoncé à l'article 6 § 1 implique que les autorités nationales se voient accorder suffisamment de temps pour exécuter des jugements définitifs de manière satisfaisante. Nous admettons que des délais excessifs mettent en péril le respect de l'état de droit et nous réaffirmons qu'il importe d'administrer la justice de manière à ne pas en compromettre l'efficacité et la crédibilité (Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, CEDH 1999-V). Cependant, nous pensons que la majorité n'a cité aucun fait de nature à montrer que les délais que cette affaire a connus étaient soit excessifs au point d'en devenir déraisonnables soit directement attribuables à l'Etat, soit les deux.
5. Conclure dans ces conditions à la violation de l'article 6 § 1 crée le risque que la Cour n'exige des autorités nationales des normes trop élevées en matière d'exécution de décisions de justice. Si, en fixant des délais aussi restrictifs, la Cour met les Etats dans l'impossibilité d'organiser leur système de manière efficace et réaliste, elle court le risque de perdre le contact avec les réalités concrètes que connaissent les systèmes nationaux. A notre avis, le délai intervenu en l'espèce n'était pas déraisonnable au point d'emporter violation de l'article 6 § 1.