TROISIÈME SECTION
AFFAIRE PAULA CONSTANTINESCU c. ROUMANIE
(Requête no 28976/03)
ARRÊT
(fond)
STRASBOURG
23 juin 2009
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Paula Constantinescu c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Elisabet Fura-Sandström,
Corneliu Bîrsan,
Boštjan M. Zupan�i�,
Ineta Ziemele,
Luis López Guerra,
Ann Power, juges,
et de Stanley Naismith, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 juin 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 28976/03) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet Etat, Mme P. C. (« la requérante »), a saisi la Cour le 25 août 2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M Răzvan-Horaţiu Radu, du Ministère des Affaires Etrangères.
3. Le 5 mars 2008, le président de la troisième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la Chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4. La requérante est née en 1921 et réside à Bucarest.
5. Par un contrat du 6 décembre 1949, la requérante acheta un bien immobilier formé d'une construction et d'un terrain. Selon le contrat, la construction avait la structure suivante : sous-sol, rez-de-chaussée et deux étages.
6. En 1950, le bien susmentionné fut nationalisé.
7. Au cours de l'année 1999, la requérante entama une action en revendication contre le conseil général de Bucarest (« le conseil général »). Une expertise fut effectuée dans la procédure en question. L'expert se rendit sur les lieux en présence des représentants de la requérante et du conseil général. Dans le rapport d'expertise dressé, il nota que le bâtiment avait trois niveaux, soit rez-de-chaussée, étage et mansarde et que ses dimensions extérieures correspondaient à celles qui ressortaient des plans afférents au contrat de vente de 1949.
8. Par un arrêt du 16 janvier 2001, la cour d'appel de Bucarest fit droit à l'action et condamna le conseil général à restituer à l'intéressée le bien immobilier (« le bien ») situé à Bucarest, au numéro 65 (ancien numéro 67), rue Lipscani, au coin de la rue Hanul cu Tei, composé d'un bâtiment à trois niveaux, soit rez-de-chaussée, étage et mansarde, bâtiment identifié par l'expertise, ainsi que le terrain situé au-dessous de la construction. Dans son arrêt, la cour d'appel retint que la nationalisation du bien avait été illégale.
9. Entre-temps, par un contrat authentique du 21 mars 2001, la mairie de Bucarest vendit à une société commerciale à responsabilité limitée l'étage et la mansarde du bien. Le contrat était fondé sur la décision du Gouvernement no 505/1998 (paragraphe 31 ci-dessous). La requérante n'a pas eu connaissance de la conclusion dudit contrat.
10. L'arrêt du 16 janvier 2001 fut confirmé par un arrêt définitif du 12 décembre 2001 de la Cour suprême de justice, qui rejeta le pourvoi en recours du conseil général, lequel estimait que la nationalisation du bien avait été légale.
11. La requérante s'adressa à la municipalité de Bucarest à maintes reprises en vue de l'exécution de l'arrêt en question.
12. Par une lettre du 5 juin 2003, l'administration du fond immobilier (AFI), entité subordonnée au conseil général, informa la requérante que, d'après ses archives, l'adresse postale du bien était 63-65 rue Lipscani. Elle lui indiqua également que la zone où le bien était situé a fait l'objet d'amples travaux de consolidation et de construction de nouveaux étages à partir de 1970, de sorte que les surfaces et les compartiments initiaux des biens concernés avaient connu des changements. Concernant la situation juridique du bien, l'AFI précisa que le sous-sol et le rez-de-chaussée du bien étaient occupés par une tierce personne en vertu d'un contrat de bail et qu'une société commerciale détenait son étage en vertu d'un contrat de vente du 25 février 2000.
13. Le 7 août 2003, la requérante demanda à la mairie d'exécuter l'arrêt du 16 janvier 2001.
14. Le 26 août 2003, la mairie l'informa qu'elle venait de demander des renseignements auprès de l'AFI pour la clarification de la situation juridique du bien.
15. Le 10 septembre 2003, l'AFI communiqua à la mairie qu'elle n'était pas en mesure d'identifier le bien, puisque les surfaces retenues dans l'expertise étaient différentes de celles existantes dans les archives de l'entité en question. L'AFI signala également à la mairie que c'était l'État qui avait supporté les coûts des travaux réalisés dans la zone en cause.
16. Le 1er octobre 2003, la mairie transmit à la requérante la réponse de l'AFI et lui recommanda de s'adresser à un huissier de justice en vue de l'exécution de l'arrêt.
17. La requérante adressa ensuite des mémoires au Parlement de la Roumanie, à l'Avocat du peuple et au procureur général de la Roumanie, demandant leur assistance. Ces mémoires furent transmis à la mairie de Bucarest.
18. En 2004, la requérante demanda à un huissier de justice d'engager l'exécution forcée de l'arrêt en question.
19. Le 26 avril 2004, l'huissier dressa un procès-verbal où il constata la mise en possession de la requérante. Cette mise en possession fut purement formelle, puisque le représentant de la partie défenderesse fut absent, les clés du bien pas remises à l'intéressée et son accès dans l'immeuble pas assuré.
20. La requérante réitéra ses demandes auprès de la mairie pour l'exécution de l'arrêt.
21. Le 16 juin 2004, la mairie lui rappela que l'identification du bien n'était pas possible. De plus, compte tenu du procès-verbal du 26 avril 2004, elle estima que la requérante était en possession du bien.
22. Il ressort d'une lettre du 30 août 2005 de la direction des impôts, fournie tant par la requérante que par le Gouvernement, qu'en vertu du procès-verbal susmentionné la requérante acquitte des impôts pour le bien.
23. Au cours de l'année 2005, la requérante saisit le tribunal de première instance de Bucarest d'une action en revendication contre trois sociétés commerciales qui occupaient le bien à l'époque. Elle faisait valoir que soit les parties défenderesses avaient conclu d'une manière illégale des contrats de bail avec la mairie, soit elles s'étaient installées dans le bien en l'absence de toute autorisation à cet égard.
24. Entre-temps, la mairie de Bucarest informa la requérante que l'adresse postale actuelle du bien était 63-65 rue Lipscani.
25. Par ailleurs, le 21 mars 2007 l'intéressée demanda à l'AFI de lui présenter les projets concernant la consolidation des biens de la zone à partir de 1970. Le 27 mars 2007, l'AFI l'informa qu'elle ne disposait pas de tels projets et qu'elle n'était pas en mesure de préciser si le bien de la requérante avait été réévalué en conséquence de la réalisation desdits projets.
26. Par un jugement définitif du 28 mai 2007, le tribunal de première instance fit droit à l'action introduite en 2005 et ordonna aux trois sociétés en question de restituer le bien à la requérante. Le tribunal constata que, même si un procès-verbal de mise en possession a été dressé le 26 avril 2004, la requérante n'avait toujours pas la possession de son bien, lequel était occupé par les parties défenderesses.
27. A la demande de la requérante, le jugement fut revêtu de la formule exécutoire. En 2008, l'intéressée s'adressa à l'huissier de justice en vue de l'exécution dudit jugement.
28. Le 11 mars 2008, l'huissier mit effectivement la requérante en possession du rez-de-chaussée du bien.
29. Par une lettre du 7 juin 2008, l'AFI informa le Gouvernement, en réponse à sa demande de renseignements, que, selon ses archives, l'adresse du bien était 63-65 rue Lipscani. Elle indiqua également que, les coûts de consolidation du bien et de construction de nouveaux étages ayant été supportés par l'État, l'étage du bien et la mansarde ont été vendus en vertu de la décision du Gouvernement no 505/1998. Par la même lettre, l'AFI se considéra exonérée de toute responsabilité à l'égard de la requérante, vu le procès-verbal du 26 avril 2004, lequel visait à son avis justement l'exécution de l'arrêt du 16 janvier 2001.
30. Le 13 juin 2008, la mairie de Bucarest transmit au Gouvernement, toujours en réponse à une demande de renseignements, une lettre où elle énonçait que l'exécution de l'arrêt en question s'est heurtée à l'impossibilité de l'identification du bien. A l'instar de l'AFI, la mairie estima que la requérante a été mise en possession du bien le 26 avril 2004.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
31. La décision du Gouvernement no 505 du 20 août 1998 (« la décision no 505/1998 »), en vigueur à l'époque des faits, régissait la procédure de vente des espaces commerciaux édifiés à partir de fonds publiques.
32. Les dispositions de la loi no 10/2001 sur le régime juridique des biens immeubles pris abusivement par l'Etat entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989 (« la loi no 10/2001 ») sont décrites, parmi beaucoup d'autres, dans les affaires Străin et autres c. Roumanie (no 57001/00, § 23, CEDH 2005-VII) et Tudor c. Roumanie (no 29035/05, §§ 15–20, 17 janvier 2008).
EN DROIT
I. SUR L'OBJET DU LITIGE
33. Dans son formulaire de requête envoyé à la Cour le 25 août 2003, la requérante a exposé qu'en 1950, l'Etat a nationalisé « [son] bien immobilier situé à Bucarest, au numéro 65 (ancien numéro 67), rue Lipscani, au coin de la rue Hanul cu Tei, composé du rez-de-chaussée, de l'étage et de la mansarde ».
34. Par une lettre du 16 octobre 2003, la requérante a porté à la connaissance de la Cour la réponse du 5 juin 2003 de l'AFI à sa demande de renseignements (paragraphe 12 ci-dessus).
35. Par une lettre du 17 décembre 2003, l'intéressée a rappelé que la cour d'appel de Bucarest avait condamné le conseil général à lui restituer le bien composé de « rez-de-chaussée, étage et mansarde, ainsi que le terrain sis au-dessous de la construction ».
36. Le 19 octobre 2005, la requérante a présenté ses démarches auprès de la mairie en vue de la restitution du bien « composé du rez-de-chaussée, étage et mansarde ».
37. Par une lettre du 18 avril 2008, la requérante a informé la Cour de ce qu'elle venait d'être mise en possession du rez-de-chaussée du bâtiment le 11 mars 2008. Par la même lettre, elle a énoncé :
« La restitution du [sous-sol] et de la mansarde n'a pas été solutionnée ni par les instances roumaines, ni par la mairie de Bucarest. [Cette dernière] a été notifiée dans le délai prévu par la loi. Le dossier fondé sur la loi no 10/2001 a été enregistré (...) le 18 juillet 2001 à la mairie de Bucarest. »
38. Dans ses observations présentées le 19 août 2008 en réponse à celles du Gouvernement, la requérante a réitéré qu'elle n'a pas été mise en possession « du sous-sol, de l'étage et de la mansarde ». Elle a présenté en annexe aux observations une lettre du 24 février 2006 par laquelle la mairie répondait à sa demande de renseignements du 2 février 2006 concernant le sous-sol du bien. Selon la lettre en question, cet espace avait été loué en 1977 à une association et était occupé actuellement par une société commerciale en l'absence d'un contrat. Par la même lettre, la mairie informait la requérante de ce qu'une procédure judiciaire portant sur la résiliation du contrat de bail de l'association et de l'expulsion des occupants était pendante.
39. La Cour relève que par l'arrêt du 16 janvier 2001, la cour d'appel de Bucarest a condamné le conseil général à restituer à la requérante le bâtiment à trois niveaux, soit rez-de-chaussée, étage et mansarde, bâtiment identifié par l'expertise, ainsi que le terrain situé au-dessous de la construction. Elle note également que l'expertise effectuée dans la procédure et sur laquelle la cour d'appel s'était fondée a précisé que le bâtiment avait la structure susmentionnée. Qui plus est, l'expertise d'août 2008 transmise par la requérante en annexe à sa demande de satisfaction équitable a retenu la même structure (paragraphe 58 ci-dessous).
40. En tout état de cause, ce n'est que le 18 avril 2008, soit après la communication de la requête au Gouvernement, que la requérante s'est plainte pour la première fois de la non restitution du sous-sol.
41. La Cour rappelle avoir déjà jugé qu'il n'y a pas lieu de statuer sur des griefs qui n'ont été soulevés qu'après la communication de l'affaire au gouvernement défendeur (Vigovskyy c. Ukraine, no 42318/02, § 14, 20 décembre 2005 ; Dreptu c. Roumanie, no 19835/03, §§ 28-29, 13 novembre 2008). Par ailleurs, elle ne saurait spéculer sur l'issue de la procédure judiciaire concernant le sous-sol du bâtiment (paragraphe 38 ci-dessus).
42. Au vu de ce qui précède, l'examen de la Cour sera donc limité aux violations alléguées pour ce qui est du bien décrit dans l'arrêt du 16 janvier 2001 de la cour d'appel de Bucarest (paragraphe 8 ci-dessus).
43. Pour autant que la requérante entend se plaindre devant elle de la non-restitution du sous-sol du bien, la Cour estime que l'intéressée a la possibilité de la saisir, le cas échéant, d'une nouvelle requête.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION ET L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
44. La requérante allègue que l'inexécution de l'arrêt du 16 janvier 2001 a enfreint son droit d'accès à un tribunal, tel que prévu par l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi que son droit au respect de ses biens, tel qu'il est garanti par l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Les articles invoqués sont ainsi libellés :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Article 1 du Protocole no 1
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
45. La Cour estime que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève qu'ils ne se heurtent à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.
B. Sur le fond
46. Le Gouvernement estime que les autorités ont fait des efforts en vue de l'exécution de l'arrêt du 16 janvier 2001, mais qu'elles ont eu des difficultés à identifier le bien. Il note également que la requérante a été mise en possession du rez-de-chaussée du bien le 11 mars 2008.
47. La requérante réitère qu'elle a récupéré la possession du rez-de-chaussée du bien le 11 mars 2008. Elle fait valoir ne pas avoir toutefois reçu le sous-sol, le premier étage et la mansarde. A propos du sous-sol, elle présente la lettre de la mairie du 24 février 2006 (paragraphe 38 ci-dessus). Pour ce qui est de l'étage et de la mansarde, l'intéressée fait observer que la mairie a vendu ces espaces le 21 mars 2001 à une société commerciale. Elle fournit la copie du contrat de vente en question et précise que la mairie lui a communiqué cette copie le 20 janvier 2006, après de nombreuses démarches de l'intéressée auprès de cette institution. L'intéressée expose également que le bien a été toujours pourvu d'un sous-sol, dont elle est la propriétaire.
48. La Cour rappelle que l'exécution d'un jugement ou d'un arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l'article 6 de la Convention (Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997, § 40, Recueil des arrêts et décisions 1997-II ; Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 63, CEDH 1999-V). Lorsque les autorités sont tenues d'agir en exécution d'une décision judiciaire et omettent de le faire, cette inertie engage la responsabilité de l'Etat sur le terrain de l'article 6 § 1 de la Convention (Scollo c. Italie, arrêt du 28 septembre 1995, § 44, Série A no 315-C).
49. En l'espèce, la Cour observe que par un arrêt du 16 janvier 2001 de la cour d'appel de Bucarest, le conseil général a été condamné à restituer à la requérante un bien immobilier. L'intéressée avait dès lors un « bien » au sens de l'article 1 du Protocole no 1.
50. Or, à ce jour, la requérante n'a récupéré que la possession d'une partie dudit bien (paragraphe 28 ci-dessus).
51. Pour autant que le Gouvernement estime que les autorités ont eu des difficultés à identifier le bien, la Cour rappelle qu'une expertise avait été effectuée dans la procédure tranchée par l'arrêt en question. A cette fin, l'expert s'est rendu sur les lieux en présence des représentants des parties (paragraphe 7 ci-dessus). En tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que le conseil général aurait formé des objections contre le rapport d'expertise ainsi dressé, ni qu'il aurait soulevé devant les juridictions nationales l'argument portant sur son impossibilité d'identifier le bien. Ce n'est que dans la phase d'exécution que ce motif a été invoqué par les autorités administratives (paragraphes 15 – 16 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour estime qu'accepter un tel argument équivaudrait à admettre que, dans le cas d'espèce, l'administration aurait pu se soustraire à l'exécution d'un arrêt de justice en invoquant simplement son impossibilité d'identifier le bien (Ioannidou-Mouzaka c. Grèce, no 75898/01, § 33, 29 septembre 2005 ; Tăculescu et autres c. Roumanie, no 16947/03, § 36, 1er avril 2008).
52. Par ailleurs, la Cour ne saurait non plus souscrire aux affirmations des autorités administratives selon lesquelles la requérante avait été mise en possession du bien le 26 avril 2004 (paragraphes 29-30 ci-dessus). A cet égard, elle relève la contradiction entre, d'une part, l'impossibilité d'identifier le bien et, d'autre part, la mise en possession de l'intéressée (paragraphe 19-21 ci-dessus).
53. Pour ce qui est de la vente par les autorités de l'étage et de la mansarde du bâtiment à une société commerciale, la Cour note que le contrat de vente entre la mairie de Bucarest et ladite société est intervenu deux mois après l'arrêt du 16 janvier 2001 ordonnant au conseil général de restituer le bien à la requérante et en tout cas, alors que la procédure judiciaire en question était pendante (paragraphes 8-10 ci-dessus). La Cour rappelle à cet égard qu'en sa qualité de gardien de l'ordre public, l'Etat avait une obligation morale d'exemple, qu'il devait faire respecter par ses organes investis de la mission de protection de l'ordre public. Or, vendre le bien litigieux après avoir été condamné à le remettre à la requérante revient à nier l'activité des juridictions (voir, mutatis mutandis, Păduraru c. Roumanie, no 63252/00, § 68, CEDH 2005-XII (extraits)).
54. La Cour a traité à maintes reprises d'affaires portant sur l'inexécution des décisions judiciaires et a constaté la violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 (voir, parmi beaucoup d'autres, Sabin Popescu c. Roumanie, no 48102/99, §§ 76 et 85, 2 mars 2004 ; Dragne et autres c. Roumanie, no 78047/01, §§ 29-30 et 41-43, 7 avril 2005 ; Dragalina c. Roumanie, no 17268/03, §§ 35-36, 14 octobre 2008).
55. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n'a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu'en l'espèce l'Etat, par le biais de ses organes spécialisés, n'a pas déployé tous les efforts nécessaires afin de faire exécuter la décision judiciaire favorable à la requérante.
56. Partant, il y a eu violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1.
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
57. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
58. La requérante réclame la restitution en nature de l'ensemble du bien. Elle présente une expertise du 6 août 2008 selon laquelle la valeur marchande de la partie du bien sur laquelle l'intéressée n'a pas été mise en possession est de 1 502 761 euros (EUR). L'expertise a retenu que le bien immobilier est formé d'un bâtiment à trois niveaux – rez-de-chaussée, étage et mansarde – et du terrain sis au-dessous de la construction. L'expert a également pris en compte les surfaces ressortant de l'expertise effectuée dans la procédure tranchée par l'arrêt du 16 janvier 2001, d'où il a enlevé la surface qui était déjà en possession de la requérante.
59. La requérante réclame également 6 000 EUR pour dommage moral.
60. Le Gouvernement observe tout d'abord que ni l'arrêt du 16 janvier 2001, ni l'expertise présentée par la requérante en annexe à sa demande au titre de la satisfaction équitable n'ont fait aucune mention sur l'existence d'un sous-sol du bâtiment. Le Gouvernement conteste également les surfaces retenues dans l'expertise de la requérante. Il verse au dossier une expertise de juillet 2008 selon laquelle la valeur du bien est de 727 101 EUR. L'expertise présentée par le Gouvernement tient compte des surfaces ressortant de l'expertise judiciaire effectuée en l'espèce et du fait que la requérante a récupéré la possession d'une partie du bien. Elle s'appuie de surcroît sur la lettre du 30 août 2005 de la direction des finances publiques pour déterminer la surface à évaluer.
61. Le Gouvernement estime ensuite qu'un éventuel arrêt de condamnation pourrait constituer une réparation satisfaisante du préjudice moral prétendument subi par la requérante. De plus, la somme réclamée à ce titre est à son avis excessive.
62. Dans les circonstances de la cause, la Cour considère que la question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouve pas en état. Par conséquent, il y a lieu de la réserver en tenant compte de l'éventualité d'un accord entre l'Etat défendeur et la requérante (article 75 § 1 du règlement).
B. Frais et dépens
63. La requérante demande le remboursement des frais, sans les chiffrer et sans préciser s'il s'agit de frais exposés devant les juridictions internes ou pour la présentation de la requête devant la Cour.
64. Le Gouvernement invite la Cour de rejeter cette demande.
65. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, compte tenu que la requérante n'a ni quantifié ni justifié les frais et dépens dont elle demande le remboursement, la Cour décide de ne lui allouer aucune somme à ce titre (Cumpănă et Mazăre c. Roumanie [GC], no 33348/96, §§ 133-134, CEDH 2004-XI).
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 ;
3. Dit que la question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ; en conséquence :
a) la réserve en ce qui concerne le préjudice matériel et moral ;
b) invite le Gouvernement et la requérante à lui adresser par écrit, dans le délai de trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, leurs observations sur cette question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;
c) réserve la procédure ultérieure et délègue au président de la chambre le soin de la fixer au besoin.
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 juin 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley Naismith Josep Casadevall
Greffier adjoint Président