Conclusion Violation de l'art. 6-1 ; Dommage matériel - réparation ; Préjudice moral - réparation
TROISIÈME SECTION
AFFAIRE NIÅ¢ESCU c. ROUMANIE
(Requête no 26004/03)
ARRÊT
STRASBOURG
24 mars 2009
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Niţescu c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Corneliu Bîrsan,
Boštjan M. Zupan�i�,
Egbert Myjer,
Ineta Ziemele,
Luis López Guerra,
Ann Power, juges,
et de Stanley Naismith, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 mars 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 26004/03) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. G. C. N. (« le requérant »), a saisi la Cour le 18 juillet 2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me A. T., avocate à Piteşti. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Răzvan-Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le 28 septembre 2007, le président de la troisième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l'affaire.
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1924 et réside à Piteşti.
5. Par une décision du 12 mai 1999 le conseil municipal de Piteşti autorisa la société N., société privée, (« la société ») à procéder à la reconversion en local commercial de deux pièces d'un appartement du bâtiment à destination d'habitation où habitait le requérant. Cette décision fut confirmée par un arrêté du 12 juillet 1999 du maire de Piteşti. Par la suite, le 16 août 1999, la société obtint une autorisation de construction pour opérer des changements dans la structure de l'appartement.
A. Demande en référé visant la cessation des travaux
6. Le 1er septembre 1999, l'Association des locataires no 420 dont le requérant faisait partie saisit le tribunal de première instance de Piteşti d'une demande en référé tendant à obliger D.I., l'associé unique de la société, à cesser les travaux et à reconstruire la structure de résistance du bâtiment. La demande fut accueillie par un jugement du 1er septembre 1999. La solution fut confirmée par un arrêt définitif du 7 février 2000 de la cour d'appel de Piteşti. Les tribunaux constatèrent en outre que la société n'avait pas présenté une liste des locataires ayant donné leur accord pour la reconversion et que pour cette raison précise elle n'avait pas encore soumis au conseil local la demande tendant à la reconversion.
7. L'Association mandata l'huissier de justice I.C. pour faire exécuter le jugement du 1er septembre 1999. Le 3 septembre 1999 l'huissier se rendit sur les lieux, constata qu'il n'y avait pas de modification de l'immeuble et dressa un procès-verbal consignant que l'exécution se poursuivrait sur demande de la partie demanderesse.
Le requérant n'informa pas la Cour de l'issue de cette procédure en exécution.
B. Action en annulation de la décision du conseil municipal, de l'arrêté du maire et du permis de construire
8. Le 28 juin 2000, le requérant introduisit devant le tribunal de première instance de Piteşti, en tant que mandataire des 11 membres de l'Association une action en contentieux administratif en annulation de la décision du conseil municipal du 12 mai 1999 et de l'arrêté du maire du 12 juillet 1999, ainsi que du permis de construire délivré le 16 août 1999 au profit de la société.
9. Par un jugement du 25 mai 2001, du tribunal départemental d'Argeş l'action fut déclarée irrecevable, faute pour le requérant d'avoir été légalement investi mandataire de l'association. Par un arrêt du 7 novembre 2001 la cour d'appel de Piteşti cassa le jugement et renvoya l'affaire devant le tribunal départemental d'Argeş. En effet, la cour constata que le requérant avait introduit l'action également en son propre nom et pas uniquement en tant que mandataire des autres membres de l'Association. De ce fait la cour chargea le tribunal départemental d'analyser la partie de l'action concernant le requérant.
10. Le 16 janvier 2002, l'affaire fut enregistrée au rôle du tribunal départemental d'Argeş. Le requérant faisait valoir qu'en application des dispositions de la loi nº 114/1996, sur l'habitation, pour pouvoir procéder à un changement de la destination d'un appartement, l'accord du propriétaire de l'appartement situé au dessus était indispensable, or cet accord faisait défaut en l'espèce : l'appartement au dessus étant le sien et il n'avait jamais donné son consentement.
11. Par un jugement du 12 avril 2002, le tribunal rejeta l'action du requérant. Il constata que le requérant ne figurait pas sur la liste des personnes ayant donné leur accord en vue de la reconversion de l'appartement, alors que s'agissant d'un appartement sis en étage cet accord était indispensable, mais jugea que les dispositions de la loi no 114/1996 n'étaient pas applicables en l'espèce. En effet, le tribunal conclut qu'au moment où la reconversion fut autorisée par le biais des décisions attaquées, l'Association no 420 dont le requérant était membre n'était pas une association de propriétaires au sens de la loi précitée.
12. Par arrêt du 17 juin 2002, la cour d'appel de Piteşti accueillit partiellement le recours du requérant, cassa le jugement du tribunal départemental et annula la décision du conseil local et l'arrêté du maire. Elle jugea qu'en vertu de l'article 64 de la loi nº 7/1996, l'accord du requérant était une condition indispensable pour la reconversion de l'appartement, la loi exigeant expressément l'accord du propriétaire de l'appartement au dessus, en l'espèce du requérant. La cour constata que le fonctionnement du local commercial affectait la jouissance du domicile du requérant.
Quant à l'autorisation de construction, la cour considéra qu'une telle autorisation n'affectait pas le requérant, vu qu'il s'agissait seulement des quelques changements de construction et ne concernait pas la reconversion en soi. Le tribunal obligea la société à payer les frais de justice engagés par le requérant dans la procédure.
13. Le 28 juin 2002, sur demande du requérant, la cour rectifia l'erreur matérielle dans l'arrêt concernant le montant des frais à payer par la société.
14. La contestation en annulation du requérant contre l'arrêt précité fut rejetée le 21 octobre 2002 par un arrêt de la cour d'appel de Piteşti en l'absence de motifs autorisant la réouverture de la procédure.
Par une lettre du 9 juillet 2003 le procureur près la Cour suprême de Justice informa le requérant de son refus d'introduire un recours en annulation contre l'arrêt du 17 juin 2002.
15. A une date non précisée l'arrêt fut revêtu de la formule exécutoire.
C. Démarches pour faire exécuter l'arrêt du 17 juin 2002
16. Le 25 juin 2003, le requérant s'adressa à B.A, huissier de justice auprès de la cour d'appel de Piteşti pour l'exécution de l'arrêt du 17 juin 2002. Ce dernier s'adressa le 4 juillet 2003 au tribunal de première instance de Piteşti afin d'obtenir l'autorisation d'exécution et demanda la fermeture du local commercial. Par un jugement avant dire droit du 4 juillet 2003, le tribunal rejeta la demande au motif que l'arrêt valant titre exécutoire ne contenait dans son dispositif aucune indication sur la fermeture du local commercial. Le recours du requérant contre ce jugement fut rejeté par une décision du 27 octobre 2003 du tribunal départemental d'Argeş pour défaut de paiement du droit de timbre.
D. Action tendant à la cessation des activités du local commercial
17. Le 26 juin 2002, le requérant saisit le tribunal départemental d'Argeş d'une action dirigée contre la société et ayant comme objet la radiation du local commercial du Registre du Commerce. Le requérant se plaignait notamment du bruit et du chauffage impropre de son appartement dû au fonctionnement des machines à usage industriel. Il invoquait à l'appui de son action l'arrêt du 17 juin 2002 de la cour d'appel de Piteşti.
Par un arrêt définitif du 15 janvier 2003, la cour d'appel de Piteşti rejeta son action. En effet, la cour constata qu'en application des dispositions de la loi no 26/1990 modifiée par la loi no 348/2001, le requérant n'avait pas d'intérêt à demander la radiation. Elle jugea que les moyens du requérant portant sur le niveau sonore et sur les nécessités de chauffage dans son appartement, dûs au fonctionnement du local, ne pouvaient pas justifier un intérêt suffisant au sens de la loi précitée, les problèmes dont se plaignait le requérant ne pouvant pas être corrigés par le biais de cette action.
E. Autres démarches du requérant pour faire cesser les activités du local
18. Le 11 août 1999, le requérant s'adressa à la mairie en exprimant son désaccord quant à la reconversion de l'appartement en local commercial. La Direction de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire lui répondit le 21 septembre 1999, l'informant qu'elle n'avait pas approuvé la proposition de reconversion présentée par le conseil local, compte tenu également du fait que la plupart des locataires n'étaient pas d'accord pour cette reconversion.
19. Entre 1999 et 2002, le requérant forma plusieurs plaintes pénales à l'encontre des dirigeants de la société pour chef de faux en écriture et dénonciation calomnieuse. Par des décisions des 6 juin 2000 et 6 juin 2001, le procureur du parquet près le tribunal de première instance de Piteşti rendit des non-lieux.
20. Entre 2002 et 2003, le requérant adressa plusieurs mémoires au ministère de la Justice, à la Direction générale des finances d'Argeş, au Service de contrôle (« Garda Financiară ») et à la mairie, en se plaignant de la non exécution de l'arrêt et de la dégradation des conditions de vie à son domicile.
21. Le ministère envoya ces mémoires au procureur général au vue d'un recours en annulation ainsi qu'à la mairie de Piteşti.
22. Par deux courriers des 31 juillet et 18 novembre 2002 respectivement, la Direction générale des finances d'Argeş lui indiqua suite au contrôle qu'elle avait opéré, que le local fonctionnait légalement, lui conseillant de saisir un huissier de justice, elle-même n'étant pas compétente pour l'exécution.
23. Le 31 juillet et le 24 septembre 2002, le requérant s'adressa à la mairie en demandant la cessation des activités du local en application de l'arrêt du 17 juin 2002. La mairie lui répondit qu'elle n'était pas compétente et lui conseilla de saisir un huissier de justice.
24. Par des courriers des 29 juillet et 9 octobre 2002, la police municipale répondit aux mémoires adressés par le requérant, l'informant qu'elle n'était pas compétente pour intervenir afin de faire cesser l'activité du local, cette mesure ne figurant pas au dispositif de l'arrêt du 17 juin 2002, invoqué par le requérant.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
25. La législation interne pertinente, à savoir des extraits de la loi no 29/1990 sur le contentieux administratif, est décrite dans l'affaire Sabin Popescu c. Roumanie (nº 48102/99, §§ 42-46, 2 mars 2004).
Les extraits de la loi no 69/1991 régissant l'administration publique locale figurent dans l'affaire S.C. Ruxandra Trading S.r.l. c. Roumanie (no 28333/02, § 41, 12 juillet 2007). Cette loi a été remplacée par la loi no 215/2001 publiée au Journal Officiel le 23 avril 2001 et entrée en vigueur le 23 mai 2001.
26. L'article 64 de la loi no114/1996 sur le logement est libellé comme suit :
« La reconversion de la destination d'un logement ainsi que des locaux pour une autre destination dans le cadre des bâtiments collectifs, peut se faire seulement avec l'accord du propriétaire ou de l'association des propriétaires. En vue de la reconversion, l'avis favorable des propriétaires (...) des logements situés sur le plan vertical, ainsi que sur le plan horizontal est nécessaire. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
27. Le requérant allègue que l'inexécution de l'arrêt du 17 juin 2002 de la cour d'appel de Piteşti a enfreint son droit d'accès à un tribunal, tel que prévu par l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Sur la recevabilité
28. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
29. Le Gouvernement soutient que l'arrêt en question ne mettait à la charge des autorités aucune obligation précise, la fermeture du local commercial ne figurant pas dans le dispositif de l'arrêt du 17 juin 2002. A cet égard le Gouvernement fait valoir que l'État n'a pas une obligation positive de procéder ex officio à l'exécution et estime que l'arrêt en question n'imposait aux autorités aucune obligation précise et n'était pas de ce fait susceptible d'être mis à exécution. De plus, il estime qu'aucune passivité des autorités ne peut être retenue dans les circonstances particulières d'espèce.
30. Le requérant s'oppose à cette thèse. Selon lui, l'arrêt en question imposait la fermeture du local commercial même si cela n'était pas mentionné expressément au dispositif. A son avis, le local ne pouvait pas légalement fonctionner après l'annulation de la décision du conseil et de l'arrêté du maire, car la base légale manquait. Il estime que la mairie retarde de mauvaise foi l'exécution de l'arrêt précité.
31. La Cour rappelle qu'elle a déjà conclu dans plusieurs affaires que les actes ou omissions de l'administration à la suite d'une décision de justice ne peuvent avoir comme conséquence ni d'empêcher ni, encore moins, de remettre en question le fond de cette décision (voir parmi beaucoup d'autres Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 74, CEDH 1999-V).
32. De surcroît, la Cour souligne l'importance particulière que revêt l'exécution des arrêts de justice dans le contexte du contentieux administratif (voir Iera Moni Profitou Iliou Thiras c. Grèce, no 32259/02, § 34, 22 décembre 2005).
33. Se tournant vers les circonstances de la présente affaire, la Cour note que, bien que le requérant ait obtenu le 17 juin 2002 un arrêt définitif ordonnant l'annulation de la décision du conseil municipal et de l'arrêté du maire au motif que ceux-ci méconnaissaient le droit du requérant prévu à l'article 64 de la loi no 114/1996 de s'opposer à la reconversion, cet arrêt n'a été ni exécuté, ni annulé ou modifié à la suite de l'exercice d'une voie de recours prévue par loi.
34. La Cour rappelle que selon sa jurisprudence en la matière, l'obligation d'exécuter un arrêt de justice ne se limite pas au dispositif de celui-ci ; en effet, c'est simultanément le fond de l'arrêt qui doit être respecté et appliqué (Zazanis et autres c. Grèce, no 68138/01, § 36, 18 novembre 2004). En l'espèce, lorsqu'elle a cassé le jugement du tribunal départemental, la cour d'appel a indiqué sans équivoque le motif de l'annulation, à savoir l'absence de l'accord du requérant à la reconversion, condition indispensable à la validité des actes en question. La cour d'appel a également constaté dans son arrêt que la situation ainsi créée empêchait le requérant de jouir de son domicile.
Néanmoins, en dépit de ces constats, par un jugement avant dire droit du 4 juillet 2003, devenu définitif, le tribunal de première instance de Piteşti n'autorisa pas l'exécution de l'arrêt au motif que le dispositif n'indiquait aucune obligation de fermeture du local commercial telle que l'avait demandée le requérant dans sa demande d'autorisation d'exécution.
35. Bien que la Cour admette qu'il existe des circonstances qui justifient l'échec de l'exécution en nature d'une obligation imposée par une décision judiciaire définitive (voir, Costin c. Roumanie, no 57810/00, § 57, 26 mai 2005), elle note que le jugement du 4 juillet 2003 précité, n'a relevé ni des circonstances de fait rendant impossible l'exécution, ni des obstacles juridiques à l'exécution de l'arrêt du 17 juin 2002 (mutatis mutandis Costin , précité, § 28, SC Ruxandra Trading SRL, précité, § 57, Ştefanescu c. Roumanie, no 9555/03, §§ 25, 26, 11 octobre 2007).
36. La Cour rappelle enfin qu'accepter l'argument du Gouvernement selon lequel en vertu de l'arrêt précité aucune obligation n'incombait au conseil municipal et à la mairie, équivaudrait à priver de tout effet utile la décision de la cour d'appel qui avait constaté l'illégalité des décisions délivrées en méconnaissance de dispositions de la loi no 114/1996 et permettrait à l'administration d'en apprécier la pertinence et de remettre ainsi en question le fond de l'affaire (voir mutatis mutandis, Ioannidou-Mouzaka c. Grèce, no 75898/01, § 33, 29 septembre 2005).
37. Tout en acceptant qu'il ne lui appartient pas de confirmer ou d'infirmer le contenu d'une décision de justice interne, la Cour ne peut cependant se dispenser de constater la situation juridique établie entre les parties (S.C. Ruxandra Trading, précité, § 56). En l'espèce, il est vrai que le dispositif de l'arrêt du 17 juin 2002 n'ordonnait pas expressis verbis à l'administration de procéder à la fermeture du local commercial, mais il indiquait clairement le motif de l'annulation, de sorte que l'administration devait considérer sa position par rapport au constat d'illégalité dressé par la cour d'appel (voir mutatis mutandis Zazanis, précité, § 38).
38. Bien qu'il n'appartienne pas à la Cour d'indiquer à l'État les moyens à l'exécution, elle ne peut que constater que l'annulation des actes en question n'a eu aucun impact sur le fonctionnement du local en dépit de l'obligation des autorités de se conformer à l'arrêt comme l'exige le principe de la prééminence du droit (voir mutatis mutandis Pântea c. Roumanie, no 5050/02, § 35, 15 juin 2006). La Cour note que l'annulation des actes en question constituait le préalable nécessaire à la cessation des activités du local commercial et relevait de la seule compétence des autorités locales (voir le droit interne pertinent § 26, ci-dessus). En outre, bien que la cour d'appel eût constaté la nullité des actes administratifs en faveur du requérant, et contre la société propriétaire du local, toute démarche ultérieure du requérant (voir également §§ 18-24 ci-dessus) contre la société fut mise en échec en raison du refus de l'administration de se conformer à l'arrêt.
La Cour note à cet égard que par l'arrêt définitif du 15 janvier 2003, la cour d'appel de Piteşti rejeta l'action du requérant tendant à la radiation du local du Registre du Commerce, faute pour ce dernier d'avoir prouvé un intérêt à la radiation, les désagréments liés au fonctionnement du local (bruit et chauffage) ne pouvant pas être supprimés dans le cadre de l'action entamée.
De plus, ainsi qu'il ressort de la réponse de la mairie de Piteşti fournie par le Gouvernement, rien ne prouve son intention de procéder à l'exécution. Selon la mairie, aucune obligation n'incombe aux autorités locales en vertu de l'arrêt du 17 juin 2002.
39. Eu égard à ce qui précède et rappelant que la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs, la Cour estime qu'en s'abstenant depuis six ans maintenant d'annuler les actes en question, les autorités ont ôté tout effet utile au droit d'accès du requérant à un tribunal.
40. Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION ET DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
41. Le requérant estime que l'impossibilité d'obtenir l'exécution de l'arrêt du 17 juin 2002 de la cour d'appel de Piteşti emporte violation de son droit au respect de ses biens. Il dénonce également une violation de son droit au respect de son domicile qui résulterait des nuisances provoquées par l'installation de réfrigérateurs et d'autres machines à usage industriel dans le local sis au dessous de son appartement ce qui a entraîné une dégradation des conditions de vie à son domicile notamment par le froid et le bruit constant qu'elle engendrait. Il invoque l'article 8 de la Convention et l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
42. Eu égard à ses conclusions figurant au paragraphe ci-dessus, la Cour conclut que ces griefs doivent être déclarés recevables, mais qu'il n'y a pas lieu à statuer sur le fond (voir, mutatis mutandis entre autres, Laino c. Italie [GC], no 33158/96, § 25, CEDH 1999-I, Zanghì c. Italie du 19 février 1991, série A no 194-C, p. 47, § 23, Église catholique de la Cannée c. Grèce, du 16 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, § 50, Ruianu c. Roumanie, no 34647/97, § 74, 17 juin 2003).
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
43. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
44. Le requérant réclame un préjudice matériel dont il laisse le montant à l'appréciation de la Cour.
Quant au préjudice moral, le requérant allègue que le stress qu'il a vécu à partir du moment où les démarches pour la reconversion ont commencé, le froid dans son appartement ainsi que les bruits provoqués par le fonctionnement du local commercial, ont entretenu chez lui des souffrances morales dont il estime le montant à 12 000 EUR.
45. Le Gouvernement estime que les demandes du requérant sont excessives, qu'aucun lien de causalité entre lesdites prétentions et les prétendues violations ne peut être établi. Il rappelle qu'à son avis des circonstances objectives ont rendu impossible l'exécution de l'arrêt du 17 juin 2002. Il fait valoir qu'en tout état de cause un constat de violation sera suffisant pour réparer un tel préjudice.
46. La Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation juridique de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Metaxas c. Grèce, no 8415/02, § 35, 27 mai 2004 et Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).
47. En l'espèce, la Cour a conclu à la violation de l'article 6 § 1 de la Convention en raison de l'inexécution de l'arrêt du 17 juin 2002 et a retenu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le fond des griefs tirés de l'article 8 de la Convention et de l'article1 du Protocole no 1 (paragraphe 42 ci-dessus).
48. Ainsi, elle estime, dans les circonstances de l'espèce, que l'exécution intégrale de l'arrêt du 17 juin 2002 tel que rectifié le 28 juin 2002, placerait ce dernier autant que possible dans une situation équivalant à celle où le requérant se trouverait si les exigences de l'article 6 § 1 de la Convention n'avaient pas été méconnues.
49. La Cour relève que le dommage matériel allégué n'est pas étayé. Il n'y a donc pas lieu d'accorder une indemnité à ce titre. En revanche, elle estime que le requérant a subi un tort moral certain en raison du fait notamment de la frustration provoquée par le refus des autorités d'exécuter l'arrêt et que ce préjudice n'est pas suffisamment compensé par un constat de violation.
50. Dans ces circonstances, eu égard à l'ensemble des éléments se trouvant en sa possession et statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, la Cour alloue au requérant 5 000 EUR pour le préjudice moral.
B. Frais et dépens
51. Le requérant demande également 545 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour. Il verse tous les justificatifs au dossier.
52. Le Gouvernement invite la Cour à allouer au requérant seulement les frais effectivement nécessaires au déroulement de la procédure devant les juridictions internes et devant la Cour, dont le montant devra être justifié par les documents présentés par le requérant.
53. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce et compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 545 EUR tous frais confondus et l'accorde au requérant.
C. Intérêts moratoires
54. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner les griefs tirés de l'article 8 de la Convention et de l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;
4. Dit
a) que l'Etat défendeur, dans les six mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, doit garantir, par des mesures appropriées, l'exécution de l'arrêt du 17 juin 2002 de la cour d'appel de Piteşti ;
b) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes à convertir dans la monnaie de l'Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement :
i. 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral ;
ii. 545 EUR (cinq cent quarante cinq euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par le requérant, pour frais et dépens ;
c) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 mars 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley Naismith Josep Casadevall
Greffier adjoint Président