CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE MOON c. FRANCE
(Requête no 39973/03)
ARRÊT
STRASBOURG
9 juillet 2009
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Moon c. France,
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Peer Lorenzen, président,
Rait Maruste,
Jean-Paul Costa,
Karel Jungwiert,
Renate Jaeger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Zdravka Kalaydjieva, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 juin 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 39973/03) dirigée contre la République française et dont un ressortissant britannique, M. T. M (« le requérant »), a saisi la Cour le 14 décembre 2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par la société civile professionnelle M P. B. et L., société d'avocats au barreau de Thonon-les-Bains. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant allègue en particulier la violation de l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention, au motif que la sanction dont il a fait l'objet pour non déclaration d'une somme au passage de la douane, à savoir la confiscation de la totalité de la somme non déclarée cumulée avec une amende, est disproportionnée par rapport au fait reproché.
4. Le 12 mai 2006, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l'affaire.
5. Le Gouvernement britannique ne s'est pas prévalu de son droit d'intervenir dans la procédure, dont il a été informé par lettre du 22 mai 2006.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
6. Le requérant est un ressortissant britannique né en 1965 et résidant à Otford (Royaume-Uni).
7. Le 9 novembre 2000, alors qu'il franchissait la frontière franco-suisse en direction de la France, le requérant fit l'objet d'un contrôle de la brigade de contrôle des douanes de Saint-Julien-en-Genevois.
8. Les agents des douanes lui ayant demandé en anglais s'il avait à déclarer des sommes d'un montant supérieur à 50 000 francs français (FRF), soit 7 622 euros (EUR), il répondit par la négative. Toutefois, il fut trouvé porteur d'une somme de 28 240 livres sterling (GBP), représentant la contre valeur de 315 413 FRF ou 48 084 EUR et un procès-verbal d'infraction fut dressé à son encontre. Une mainlevée partielle fut accordée à hauteur de 4 500 GBP (50 260 FRF, soit 7 662 EUR). La somme restante, à savoir 23 740 GBP (40 422 EUR) fut saisie.
9. Le requérant précise que cette somme provenait d'un prêt qui lui a été consenti par une société sise à Genève. Selon ses déclarations aux douaniers, elle était destinée à l'achat d'une maison en France, ou, s'il n'en trouvait pas, à l'achat d'une voiture de sport en Angleterre.
10. Il fut cité à comparaître devant le tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains pour défaut de déclaration de la somme en cause. L'audience eut lieu le 5 septembre 2001.
11. Par jugement du 3 octobre 2001, le tribunal rejeta tout d'abord l'exception de nullité soulevée par le requérant, tenant à ce que la question relative à la détention d'espèces lui aurait été posée en français, après avoir entendu l'un des agents des douanes, qui confirma que cette question avait été posée en anglais.
12. Sur le fond, le tribunal reconnut le requérant coupable de l'infraction reprochée, mais releva qu'il avait rapporté la preuve qu'il n'agissait pas en l'espèce pour le compte d'une organisation occulte ou mafieuse, dans la mesure où il démontrait que ses revenus et son patrimoine personnel lui permettaient de détenir une telle somme. Dès lors, le tribunal, tenant compte, d'une part, de ce que la déclaration qu'il avait omise n'entraînait pour l'Etat français la perception d'aucun droit et, d'autre part, de l'avis motivé de la Commission européenne quant au caractère disproportionné des sanctions prévues (paragraphe 22 ci-dessous), condamna le requérant à une amende de 40 000 FRF (6 098 EUR) à prélever sur les sommes saisies, le reste devant lui être restitué.
13. L'administration des douanes et le requérant firent appel. Le requérant invoquait notamment le principe communautaire de proportionnalité, ainsi que les articles 6 § 2 de la Convention et 1 du Protocole no 1 à la Convention. Par arrêt du 18 juin 2003, la cour d'appel de Chambéry confirma le jugement sur la culpabilité, mais le réforma sur les sanctions infligées. Elle considéra que le régime de déclaration et pénalités instauré par les articles 464 et 465 du code des douanes était compatible avec le droit communautaire et avec le principe de proportionnalité, dans la mesure où il avait été institué en vue de la lutte contre le blanchiment de capitaux, qui constituait l'un des objectifs de la Communauté européenne.
14. Elle estima, en citant un arrêt de la Cour de cassation du 30 janvier 2002, qu'il n'y avait pas atteinte à l'article 1 du Protocole no 1 et souligna que l'avis motivé de la Commission européenne n'avait pas été suivi d'une plainte contre la France. Elle jugea en conséquence que le délit de manquement à l'obligation déclarative était établi à l'encontre du requérant et confirma sa culpabilité. Elle modifia en revanche les sanctions infligées, avec la motivation suivante :
« Attendu que la confiscation du corps du délit, à savoir la somme de 23 740 livres sterling soit 40 422 euros saisie lors du contrôle en date du 9 novembre 2000 doit être prononcée conformément à l'article 465 du Code des douanes, les premiers juges ayant bien prononcé la confiscation mais pour une somme de 6 098 euros ;
Attendu qu'en application du même article 465 une amende est prononcée au minimum du quart et au maximum du montant de la somme sur laquelle porte l'infraction, que ces dispositions, dont il a été rappelé qu'elles ne contrevenaient pas au principe communautaire de proportionnalité, laissent à la juridiction le pouvoir d'apprécier la sanction à prononcer ; qu'au vu des éléments de la cause, il convient de prononcer une amende du quart de la somme sur laquelle a porté l'infraction soit 12 021 euros. »
15. Le requérant forma un pourvoi en cassation, que la Cour de cassation déclara non admis par arrêt du 21 janvier 2004.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS
A. Le droit interne
16. Un exposé complet du droit interne pertinent figure dans l'arrêt Grifhorst c. France (no 28336/02, §§ 21 à 26, 26 février 2009).
17. L'article 369 du code des douanes, relatif aux circonstances atténuantes, se lit ainsi :
« 1. S'il retient les circonstances atténuantes, le tribunal peut :
(...)
c) réduire le montant des sommes tenant lieu de confiscation des marchandises de fraude jusqu'au tiers de la valeur de ces marchandises ;
d) réduire le montant des amendes fiscales jusqu'au tiers de leur montant minimal, sous réserve des dispositions de l'article 437 ci-après ;
(...)
S'il retient les circonstances atténuantes à l'égard d'un prévenu, le tribunal peut : dispenser le prévenu des sanctions pénales prévues par le présent code, ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de celles-ci, décider que la condamnation ne soit pas mentionnée au bulletin no 2 du casier judiciaire (...) »
18. Par un arrêt du 30 janvier 2002 (Bulletin criminel 2002 no 16, p. 50) rendu dans l'affaire Grifhorst précitée (§ 20), la Cour de cassation a considéré ce qui suit :
« Dès lors que les sanctions prévues à l'article 465 du code des douanes, qui ont été instituées notamment en vue de la lutte contre le blanchiment de capitaux, laquelle figure parmi les objectifs de la Communauté européenne, sont conformes au principe communautaire de proportionnalité et non contraires aux dispositions conventionnelles invoquées, la juridiction du second degré a justifié sa décision »
B. Le droit communautaire
19. Un exposé complet du droit communautaire pertinent figure dans l'arrêt Grifhorst précité (§§ 27 à 32).
1. Avis motivé rendu par la Commission européenne
20. La Commission européenne a rendu en juillet 2001 l'avis motivé suivant :
« L'article 58 du traité CE stipule que l'article 56, qui instaure la libre circulation des capitaux, ne porte pas atteinte au droit qu'ont les États membres de prévoir des procédures de déclaration des mouvements de capitaux à des fins d'information administrative ou statistique ou de prendre des mesures liées à l'ordre public ou à la sécurité publique. Néanmoins, le même article 58 du traité CE précise que ces procédures de déclaration ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l'article 56.
C'est ainsi que la Commission considère que les effets d'une telle obligation administrative, en l'occurrence les sanctions douanières, doivent s'apprécier en appliquant le critère de proportionnalité. En effet, selon la jurisprudence de la Cour (arrêts du 16.12.1992 "Commission contre République hellénique", C-210/91, et du 26.10.1995 "Siesse", C-36/94), les mesures administratives ou répressives ne doivent pas dépasser le cadre de ce qui est strictement nécessaire aux objectifs poursuivis et il ne faut pas rattacher aux modalités de contrôle une sanction si disproportionnée à la gravité de l'infraction qu'elle deviendrait une entrave aux libertés consacrées par le traité.
Or, la Commission a constaté que, dans le cas d'espèce, la sanction normalement prévue et appliquée, à savoir la confiscation des fonds, conduit à la négation même de la liberté fondamentale du mouvement des capitaux, de sorte qu'il s'agisse d'une mesure manifestement disproportionnée.
Les autorités françaises défendent le caractère dissuasif que devraient revêtir ces sanctions au vu de l'importance des objectifs visés selon elles par l'introduction de ces obligations déclaratives, à savoir la lutte contre le blanchiment d'argent et la lutte contre la fraude fiscale. De son côté, la Commission considère que la sanction devrait correspondre à la gravité du manquement constaté, à savoir du manquement à l'obligation de déclaration et non pas à la gravité du manquement éventuel non constaté, à ce stade, d'un délit tel que le blanchiment d'argent ou la fraude fiscale. »
2. La lutte contre le blanchiment de capitaux
21. L'Union européenne a adopté plusieurs instruments pour lutter contre le blanchiment de capitaux, en partant du principe que l'introduction, dans le système financier, du produit d'activités illicites était de nature à nuire à un développement économique sain et durable.
22. Une première étape a consisté en l'adoption de la directive 91/308/CEE du Conseil du 10 juin 1991, relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment. Cette directive a instauré un mécanisme communautaire de contrôle des transactions effectuées par le biais des établissements de crédits, des institutions financières et de certaines professions, afin de prévenir le blanchiment d'argent.
23. Dans la mesure où, par sa mise en œuvre, ce mécanisme était susceptible d'entraîner un accroissement des mouvements d'argent liquide à des fins illicites, il a été complété par le règlement no 1889/2005 du 26 octobre 2005 relatif aux contrôles de l'argent liquide entrant ou sortant de l'Union européenne. Ce règlement est entré en vigueur le 15 juin 2007. Il ne concerne pas les mouvements d'argent entre Etats de l'Union européenne.
S'appuyant notamment sur les recommandations du Groupe d'Action Financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI) et tirant les conséquences des disparités entre Etats membres, dont tous ne connaissaient pas de procédures de contrôle, ce règlement vise à mettre en place, à l'échelle de l'Union, des mesures de contrôle des mouvements de capitaux aux frontières extérieures de l'Union, à l'entrée comme à la sortie.
Il est fondé sur le principe de la déclaration obligatoire, pour toute personne entrant dans l'Union ou en sortant, de l'argent liquide transporté (qu'elle en soit ou non propriétaire), à partir d'un seuil de 10 000 EUR, permettant ainsi aux autorités douanières de collecter des informations, mais également de les transmettre aux autorités des autres Etats lorsqu'il y a des indices que les sommes en question sont liées à une activité illégale.
24. L'article 9 du règlement prévoit que chaque Etat membre doit introduire des sanctions applicables en cas de non-exécution de l'obligation de déclaration. Selon cet article, ces sanctions doivent être « effectives, proportionnées et dissuasives ». Les Etats membres sont tenus de les notifier à la Commission européenne au plus tard le 15 juin 2007.
C. Le droit international et le droit comparé
25. Un exposé complet des instruments internationaux pertinents, ainsi qu'un panorama de droit comparé figurent aux paragraphes 37 à 56 de l'arrêt Grifhorst précité.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 A LA CONVENTION
26. Le requérant se plaint du caractère disproportionné de la confiscation et de l'amende dont il a fait l'objet par rapport au manquement reproché. Il allègue la violation de l'article 1 du Protocole no 1, qui est ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
27. Dans ses observations, le Gouvernement indique que l'administration des douanes a renoncé au recouvrement de l'amende à laquelle le requérant a été condamné, en vertu d'une décision d'admission en non-valeur, dont la copie est produite. Ce document, intitulé « admission en non-valeur d'une créance irrécouvrable », contient un rappel de la procédure, la proposition du comptable compétent d'admettre en non-valeur l'amende infligée au requérant au motif qu'il s'agit d'un débiteur étranger, et la décision du directeur régional des douanes du Léman, en date du 27 décembre 2004, d'autoriser l'admission en non-valeur de l'amende.
28. Le Gouvernement allègue implicitement la perte de qualité de victime du requérant, en faisant valoir que l'article 1 précité ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce, puisque seul est en cause le prononcé de l'amende, et non son paiement.
29. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit à retirer à celui-ci la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation alléguée de la Convention (Eckle c. Allemagne, arrêt du 15 juillet 1982, § 66, série A no 51 ; voir également Amuur c. France, arrêt du 25 juin 1996, § 36, Recueil 1996-III et Senator Lines GmbH c. l'Autriche, la Belgique, le Danemark, la Finlande, la France, l'Allemagne, la Grèce, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal, l'Espagne, la Suède et le Royaume-Uni (déc.), no 56672/00, CEDH 2004-IV).
30. Dans l'affaire Senator Lines précitée, qui portait sur une amende infligée par la Commission européenne à la requérante, la Cour a considéré que cette dernière ne pouvait pas se prétendre victime, au sens de l'article 34, dans la mesure où elle n'avait pas acquitté l'amende et où non seulement le recours formé par elle contre la décision de la Commission avait été examiné, mais il avait donné lieu à l'annulation définitive de l'amende.
31. La Cour observe que tel n'est pas le cas dans la présente affaire, où l'amende demandée par les douanes et infligée par le tribunal correctionnel a été aggravée par la cour d'appel et le pourvoi du requérant déclaré non admis par la Cour de cassation. S'il semble résulter de la décision produite par le Gouvernement que l'amende ne sera pas recouvrée, il s'agit en l'espèce d'une décision purement comptable, qui ne saurait valoir reconnaissance ni a fortiori réparation de la violation alléguée.
32. Dès lors, la Cour considère que le requérant peut toujours se prétendre victime, au sens de l'article 34 précité (Grifhorst précité, § 62).
33. La Cour constate par ailleurs que ce grief n'est pas manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
A. Arguments des parties
1. Le requérant
34. Le requérant souligne qu'une partie non négligeable de la sanction prévue à l'article 465 du code des douanes – la confiscation – était automatique. Pareillement, l'amende ne pouvait être inférieure au quart des sommes confisquées, sans qu'aucune autorité judiciaire ne puisse exercer un pouvoir d'appréciation sur ces deux aspects.
35. Il fait valoir qu'en l'espèce, les juridictions françaises n'ont pas tenu compte de sa nationalité étrangère, ni de ce que les procès-verbaux avaient été rédigés en français et qu'aucun interprète n'était présent lors de son interrogatoire, ni encore du fait qu'il s'était renseigné, auprès de sa banque suisse, sur une obligation de déclaration mais avait obtenu des informations erronées à la suite d'un malentendu.
36. Le requérant considère, contrairement au Gouvernement, que le juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et la sauvegarde de ses droits fondamentaux n'a pas été respecté. Il souligne qu'à l'époque des faits, la preuve de l'absence de blanchiment d'argent ou de trafic de stupéfiants à l'origine du transfert non déclaré - preuve qu'il a rapportée en l'espèce - n'avait aucune incidence sur le prononcé de la peine.
37. Il conclut que les articles 464 et 465 anciens du code des douanes revenaient à établir une présomption irréfragable de commission de l'infraction de blanchiment d'argent ou de trafic de stupéfiants pour toute personne n'ayant pas déclaré un transfert d'argent supérieur à 50 000 FRF. Il considère que c'est à juste titre que la Commission européenne, dans son avis motivé, a souligné que la France sanctionnait un délit éventuel non constaté. Les autorités françaises l'ont implicitement admis, en modifiant l'article 465 précité.
38. Enfin, le requérant estime que les affaires AGOSI c. Royaume-Uni, (24 octobre 1986, série A no 108) et Butler c. Royaume-Uni (déc.), no 41661/98, CEDH 2002-VI), citées par le Gouvernement, doivent être distinguées de la présente affaire.
2. Le Gouvernement
39. Le Gouvernement ne conteste pas que la saisie et la confiscation d'une partie des sommes transportées par le requérant constituent une ingérence dans son droit au respect de ses biens, au sens de l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention et reconnaît que le paiement d'une amende relève du second paragraphe de cet article. Il rappelle la large marge de manœuvre reconnue par la Cour aux Etats dans leur politique de répression fiscale et cite notamment les affaires AGOSI et Butler précitées.
40. S'agissant du « juste équilibre » à respecter entre les exigences de l'intérêt général et la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu, le Gouvernement fait valoir qu'en l'espèce, les dispositions du droit français ont pour objet la lutte contre le blanchiment de capitaux provenant du trafic de stupéfiants, objectif également poursuivi par l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne.
41. Le Gouvernement réitère l'argumentation exposée dans l'affaire Grifhorst (§§ 76-78) et rappelle qu'à la suite de l'avis motivé de la Commission européenne du 27 juillet 2001, par lequel elle a demandé à la France de revoir le dispositif de sanctions pour non-respect de l'obligation déclarative, les autorités internes ont modifié ce dispositif.
42. Le Gouvernement soutient qu'en tout état de cause, les sanctions prévues à l'époque des faits n'apparaissent pas disproportionnées au regard de la jurisprudence de la Cour, compte tenu de l'objectif poursuivi : elles n'ont pas de caractère « spécial » ni exorbitant, dans la mesure où elles sont décidées par l'autorité judiciaire, qui dispose d'une marge d'appréciation. Le tribunal correctionnel en a fait usage, puisqu'il n'a condamné le requérant qu'à une amende de 40 000 FRF. La cour d'appel, pour sa part, a apprécié de façon différente son comportement et a relevé sa mauvaise foi, résultant de sa réponse négative aux questions posées en anglais par les douaniers, ainsi que de l'ambiguïté de ses réponses quant à la destination de la somme transportée. Elle a estimé qu'il ne pouvait bénéficier des circonstances atténuantes et l'a condamné à la confiscation de la somme saisie et à une amende de 12 021 EUR, se conformant en cela à la jurisprudence de la Cour.
43. Le Gouvernement en conclut que les sanctions prononcées en vertu du droit applicable à l'époque des faits étaient proportionnées à l'objectif recherché, à savoir la lutte contre le blanchiment d'argent.
B. Appréciation de la Cour
1. Sur la norme applicable
44. La Cour considère que l'amende infligée au requérant s'inscrit dans le deuxième alinéa de l'article 1 précité (cf. Phillips c. Royaume-Uni, no 41087/98, § 51, CEDH 2001-VII et Grifhorst précité, § 84).
45. S'agissant de la confiscation de la somme transportée par le requérant, la Cour a considéré dans plusieurs affaires, et notamment dans l'affaire Grifhorst, qui concernait des faits similaires, que même si une telle mesure entraîne une privation de propriété, elle relève néanmoins d'une réglementation de l'usage des biens (§§ 85-86 et la jurisprudence citée).
2. Sur le respect des exigences de l'article 1 du Protocole no 1
46. La Cour réitère les conclusions auxquelles elle est parvenue dans l'arrêt Grifhorst précité (§§ 91-92), selon lesquelles l'ingérence en cause était prévue par la loi, au sens de sa jurisprudence, et qu'elle visait un but d'intérêt général, à savoir la lutte contre le blanchiment de capitaux provenant du trafic des stupéfiants.
47. Il incombe donc à la Cour d'établir si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l'intérêt général et la protection des droits fondamentaux de l'individu, compte tenu de la marge d'appréciation reconnue à l'Etat en pareille matière.
48. La Cour renvoie à son analyse dans l'arrêt Grifhorst précité (§§ 95-105), au terme de laquelle elle a conclu que la sanction imposée au requérant, cumulant la confiscation et l'amende, était disproportionnée au regard du manquement commis et que le juste équilibre n'avait pas été respecté.
49. La Cour ne voit aucune raison de s'écarter de cette approche dans la présente affaire. Elle relève que, si le requérant s'est abstenu, malgré les demandes faites par les douaniers, de déclarer les sommes importantes qu'il transportait, il ne ressort pas du dossier qu'il ait fait l'objet, au Royaume-Uni ou en France, de poursuites de ce chef ou du chef d'infractions liées, ni que des condamnations aient été prononcées contre lui. Le seul comportement délictueux qui puisse donc être retenu à son encontre consiste à n'avoir pas déclaré au passage de la frontière franco-suisse les espèces qu'il transportait.
50. La Cour a également eu égard à l'importance de la sanction qui a été infligée au requérant pour ce défaut de déclaration, à savoir le cumul de la confiscation de 40 422 EUR, représentant l'intégralité de la somme dépassant le seuil de déclaration (confiscation automatique au moment des faits), avec une amende égale au quart de ce montant (12 021 EUR), soit au total 52 443 EUR. Elle observe d'ailleurs que le jugement du tribunal correctionnel, qui avait limité à une amende de 40 000 FRF (6 098 EUR) la sanction infligée au requérant, a été réformé sur ce point par la cour d'appel.
51. Au vu de ces éléments et dans les circonstances particulières de la présente affaire, la Cour arrive à la conclusion que la sanction imposée au requérant, cumulant la confiscation et l'amende, était disproportionnée au regard du manquement commis et que le juste équilibre n'a pas été respecté (cf. également Ismayilov c. Russie, no 30352/03, § 38, 6 novembre 2008).
52. Il y a donc eu en l'espèce violation de l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
53. Le requérant considère que la pénalité automatique prévue par le code des douanes est contraire à l'article 6 § 1 de la Convention. Il estime contraire à l'article 6 § 2 de la Convention la présomption résultant selon lui de l'article 465 du code des douanes, selon laquelle toute personne non résidente en France et manquant à l'obligation de déclaration de capitaux serait présumée coupable de blanchiment d'argent.
54. La Cour observe que, pour ce qui concerne l'amende, les juridictions internes ont la faculté, dont a fait usage le tribunal correctionnel, de la moduler selon la gravité des faits. Par ailleurs, la Cour constate que la non-déclaration, qui n'est pas contestée par le requérant, constitue en soi un délit dont il a été reconnu coupable.
55. Il s'ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
56. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
57. Le requérant réclame la somme de 48 212,39 EUR au titre du préjudice matériel qu'il aurait subi. Ce montant correspond à l'amende douanière et à la somme confisquée par les douanes, assortie des intérêts légaux à compter du jour de la saisie. Il sollicite également la somme de 6 000 EUR au titre des frais exposés devant les juridictions internes et devant la Cour.
58. Le Gouvernement fait valoir que l'administration des douanes a renoncé au recouvrement de l'amende et considère qu'un constat de violation vaudrait réparation du préjudice éventuellement subi. Il propose une somme de 1 500 EUR au titre des frais.
59. La Cour considère que, dans les circonstances de l'espèce, la question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouve pas en état. Partant, il y a lieu de réserver la question en tenant compte de l'éventualité d'un accord entre l'Etat défendeur et le requérant (article 75 § 1 du règlement).
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Rejette l'exception préliminaire du Gouvernement relative à la qualité de victime du requérant en ce qui concerne l'amende ;
2. Déclare recevable le grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1 et irrecevable le surplus de la requête ;
3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 Ã la Convention ;
4. Dit que la question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ; en conséquence,
a) la réserve en entier ;
b) invite le Gouvernement et le requérant à lui adresser par écrit, dans le délai de trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, leurs observations sur cette question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;
c) réserve la procédure ultérieure et délègue au président de la chambre le soin de la fixer au besoin.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 juillet 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia Westerdiek Peer Lorenzen
Greffière Président