TROISIÈME SECTION
AFFAIRE MIHAI ET RADU RÄ‚DULESCU c. ROUMANIE
(Requête no 14884/03)
ARRÊT
STRASBOURG
20 octobre 2009
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Mihai et Radu Rădulescu c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Elisabet Fura,
Corneliu Bîrsan,
Boštjan M. Zupan�i�,
Alvina Gyulumyan,
Luis López Guerra,
Ann Power, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 septembre 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 14884/03) dirigée contre la Roumanie et dont deux ressortissants de cet Etat, MM. M. S. R. et R. F. R. (« les requérants »), ont saisi la Cour le 25 mars 2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants, qui ont été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, sont représentés par Me C. I. C., avocat à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Răzvan-Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le 12 décembre 2006, le président de la troisième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4. Les requérants sont nés respectivement en 1946 et 1948 et résident à Bucarest.
5. En 1950, en vertu du décret de nationalisation nº 92/1950, l'Etat roumain prit possession d'un immeuble sis à Bucarest au no 52, boulevard Carol, qui appartenait au père des requérants.
6. Le 13 décembre 1990 et le 25 avril 1996, le premier requérant invita la société F. chargée de gérer le fonds immobilier de la mairie de Bucarest respectivement de ne pas vendre l'immeuble précité et de lui fournir des documents qu'il souhaitait utiliser dans une action en revendication du bien.
7. Par deux contrats de vente du 22 janvier 1997, conclus en vertu de la loi no 112/1995 précisant la situation juridique de certains biens immeubles à usage d'habitation (« la loi no 112/1995 »), la société F. vendit l'appartement no 4 et une partie de l'appartement no 5 de l'immeuble précité respectivement aux époux P. et aux époux M., qui en étaient les locataires. A une date non précisée, elle vendit aussi l'appartement no 3 dudit immeuble.
8. Après qu'un arrêt de principe de 1998 de la Cour suprême de justice ait jugé que les tribunaux étaient compétents pour examiner des actions en revendication des immeubles nationalisés, les requérants saisirent en 1999 les juridictions internes d'une demande en revendication de l'immeuble précité dirigée contre le conseil local de Bucarest (« le conseil local ») et la société F. Par un arrêt du 13 mars 2001, la cour d'appel de Bucarest accueillit partiellement l'action des requérants, jugeant que l'Etat « ne pouvait pas justifier un titre valable à l'égard de l'immeuble litigieux » dès lors que le père des requérants faisait partie d'une catégorie sociale que le décret no 92/1950 exemptait de la nationalisation. S'appuyant sur des renseignements fournis par la société F. quant aux appartements déjà vendus par les autorités, la cour d'appel ordonna aux parties défenderesses de restituer l'immeuble aux requérants, à l'exception d'un appartement vendu par leur père en 1948 et sis au rez-de-chaussée de m'immeuble et des appartements nos 4 et 5 vendus par l'Etat aux anciens locataires. Pour rejeter la demande en restitution des deux derniers appartements, la cour d'appel jugea que le conseil local n'avait pas qualité pour ester en justice en tant que défendeur, dès lors que celui-ci n'était plus propriétaire des appartements litigieux. Cet arrêt devint définitif le 7 juin 2002, à la suite du rejet du recours formé par les requérants.
9. Par un arrêt définitif du 19 mars 2003, rendu dans une procédure distincte, la cour d'appel de Bucarest rejeta l'action des requérants en revendication des appartements nos 4 et 5 et en annulation des contrats de vente conclus à leur égard, action dirigée contre les autorités locales et les tiers acquéreurs. La cour d'appel jugea qu'au moment de la vente les parties défenderesses avaient été de bonne foi, dès lors qu'elles ne pouvaient pas prévoir que les requérants allaient introduire une action en revendication de l'immeuble et que la notion de nationalisation « sans titre » avait été précisée par une ordonnance du Gouvernement de février 1997. Le titre de propriété des tiers acquéreurs était à préférer à celui des requérants, vu les termes de l'article 46 (2) de la loi no 10/2001.
10. Selon les requérants, malgré la mention « prononcé en public » figurant dans le texte de l'arrêt précité, en réalité les juges n'avaient pas donné lecture en public du dispositif de l'arrêt rendu le 19 mars 2003. En réponse à la demande des requérants tendant à savoir comment ils pouvaient connaître l'issue de la procédure le jour du prononcé de l'arrêt de la cour d'appel, par une lettre du 17 juillet 2003, la présidente de cette juridiction leur fit savoir que les parties à un procès pouvaient consulter le registre des séances, déposé aux archives de l'instance.
11. Par une décision du 14 juillet 2003, rendue en exécution de l'arrêt précité du 13 mars 2001 et suivie d'un procès-verbal de mise en possession du 23 septembre 2003, la mairie de Bucarest restitua aux requérants l'immeuble sis à Bucarest au no 52, boulevard Carol, en excluant les parties de l'immeuble que l'arrêt susmentionné ne restitua pas et aussi l'appartement no 3. A la différence des autres appartements de l'immeuble vendus par l'Etat, les autorités ne fournirent aucun renseignement quant à la date de la vente et à l'identité de l'acquéreur.
12. A une date non précisée en 2001, les requérants adressèrent une notification aux autorités compétentes en vertu de la loi no 10/2001 pour se voir indemniser pour l'immeuble nationalisé. En 2004, les intéressés complétèrent le dossier selon les instructions des autorités. Ces dernières les informèrent dans un premier temps que l'examen de leur demande serait ajourné jusqu'à l'issue de la procédure à la Cour, puis transmirent le dossier à la mairie, compétente après l'entrée en vigueur de la loi no 247/2005. A ce jour, aucune décision n'a été adoptée par les autorités dans la procédure d'indemnisation en question.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
13. Les dispositions légales (y compris celles de la loi no 10/2001 sur le régime juridique des biens immeubles pris abusivement par l'Etat entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989, et de ses modifications subséquentes) et la jurisprudence interne pertinentes sont décrites dans les arrêts Brumărescu c. Roumanie ([GC], no 28342/95, §§ 31-33, CEDH 1999-VII), Străin et autres c. Roumanie (no 57001/00, §§ 19-26, CEDH 2005-VII), Păduraru c. Roumanie (no 63252/00, §§ 38-53, 1er décembre 2005) ; et Tudor c. Roumanie (no 29035/05, §§ 15–20, 11 décembre 2007).
14. Il ressort des observations du Gouvernement roumain que des mesures visant l'accélération de la procédure d'octroi des dédommagements à travers le fonds d'investissement « Proprietatea » ont été prises récemment par les autorités nationales en vertu notamment de l'ordonnance d'urgence du Gouvernement no 81/2007.
EN DROIT
I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION ET DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
15. Les requérants allèguent que le refus des autorités de leur restituer l'appartement no 3 en exécution de l'arrêt définitif du 13 mars 2001 ainsi que l'impossibilité de recouvrer la propriété des appartements nos 3, 4 et 5, tous vendus par l'Etat malgré leur nationalisation abusive, a porté atteinte à leur droit d'accès à un tribunal, s'agissant du premier appartement précité, et au droit au respect de leurs biens, s'agissant de tous les appartements précités. Ils invoquent les articles 6 § 1 de la Convention et l'article 1 du Protocole no 1, libellés comme suit dans leurs parties pertinentes :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Article 1 du Protocole no 1
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
16. Le Gouvernement soutient que les requérants n'ont pas fait des démarches pour identifier les tiers acquéreurs de l'appartement no 3 afin de saisir ensuite les tribunaux internes d'une action en annulation du contrat de vente portant sur cet appartement.
17. Les requérants mettent en avant que les autorités ont refusé de leur préciser des renseignements à ce titre, tels que l'identité des tiers acquéreurs de l'appartement précité et la date du contrat de vente.
18. La Cour estime qu'il convient d'interpréter l'argument du Gouvernement comme une exception de non-épuisement des voies de recours par les requérants au sujet des griefs portant sur l'appartement no 3. Elle rappelle avoir déjà jugé dans des situations similaires que l'action en en annulation du titre de propriété délivré à un particulier à la suite de la vente du bien litigieux par l'Etat ne constitue pas une voie de recours à épuiser. En imposant aux requérants d'engager des procédures contre un particulier alors que son propre comportement est à la base de la situation litigieuse créée, l'Etat se soustrairait à son obligation d'assurer l'exécution des arrêts rendus à son encontre ainsi que le respect du droit de propriété (voir, mutatis mutandis, Ioan c. Roumanie, no 31005/03, §§ 32-35, 1er juillet 2008). Partant la Cour ne saurait retenir l'exception du Gouvernement, qui n'a présenté aucune circonstance qui devrait mener la Cour vers une conclusion différente en l'espèce.
19. Par ailleurs, la Cour constate que cette partie de la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
20. S'agissant de la restitution par les autorités de l'appartement no 3 en exécution de l'arrêt définitif du 13 mars 2001, le Gouvernement estime que les requérants ont été informés de l'impossibilité d'exécution de cet arrêt lors de la procédure de mise en possession partielle (paragraphe 11
ci-dessus), eu égard au contrat de vente en faveur des tiers acquéreurs. Seule une annulation de ce contrat aurait pu mener à une restitution. Quant à tous les appartements litigieux, le Gouvernement réitère ses arguments présentés dans des affaires similaires. Présentant le système d'indemnisation prévu par les lois nos 10/2001 et 247/2005, il estime qu'au vu des circonstances exceptionnelles entourant le régime des biens nationalisés, un certain retard dans l'octroi aux requérants des dédommagements conformément à la valeur marchande des biens ne rompt pas le juste équilibre en l'espèce.
21. Citant la jurisprudence de la Cour, les requérants estiment que le système d'indemnisation précité ne fonctionne pas à ce jour.
22. S'agissant du grief relatif au droit au respect des biens, la Cour a traité à maintes reprises d'affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d'espèce et a constaté la violation de l'article 1er du Protocole no 1 (voir les affaires citées au paragraphe 15 ci-dessus et Porteanu c. Roumanie, no 4596/03, §§ 32-35, 16 février 2006).
23. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n'a exposé aucun fait ni argument pouvant mener dans le cas présent à une conclusion différente de celle à laquelle elle a abouti dans les affaires précitées. La Cour réaffirme notamment que, dans le contexte législatif roumain régissant les actions en revendication immobilières et la restitution des biens nationalisés par le régime communiste, la vente par l'État du bien d'autrui à des tiers de bonne foi, même lorsqu'elle est antérieure à la confirmation définitive en justice de l'existence du « bien » de l'autre, s'analyse en une privation de bien. La Cour réitère qu'une telle privation, combinée avec l'absence totale d'indemnisation, est contraire à l'article 1 du Protocole no 1 (Străin, précité, §§ 39, 43 et 59). Partant, rien ne saurait distinguer sur ce point le cas de l'appartement no 3 des deux autres appartements vendus et l'Etat ne saurait se soustraire aux obligations lui incombant quant au droit au respect des biens des requérants, d'autant plus que la cour d'appel a ordonné la restitution de l'appartement précité sur la base des renseignements fournis par les autorités elles-mêmes (paragraphe 8 précité).
24. La Cour observe qu'à ce jour, le Gouvernement n'a pas démontré que le système d'indemnisation mis en place par la loi no 247/2005 permettrait aux bénéficiaires de cette loi, et en particulier aux requérants, de toucher, selon une procédure et un calendrier prévisible, une indemnité en rapport avec la valeur vénale des biens dont ils ont été privés.
25. Cette conclusion ne préjuge pas toute évolution positive que pourraient connaître à l'avenir les mécanismes de financement prévus par cette loi spéciale en vue d'indemniser les personnes qui, comme les requérants, se sont vu privées d'un « bien », au sens de l'article 1 du Protocole no 1. A cet égard, la Cour prend note avec satisfaction de l'évolution récente qui semble s'amorcer en pratique et qui va dans le bon sens en la matière (paragraphe 14 ci-dessus).
26. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu'en l'espèce, la mise en échec du droit de propriété des requérants sur les appartements nos 3, 4 et 5 (partie vendue) de l'immeuble précité, vendus par les autorités, combinée avec l'absence totale d'indemnisation, leur ont fait subir une charge disproportionnée et excessive, incompatible avec le droit au respect de leurs biens garanti par l'article 1 du Protocole no 1.
27. Partant, la Cour conclut qu'il y a eu violation de l'article susmentionné.
28. Eu égard à ses conclusions figurant aux paragraphes 22-27 ci-dessus qui portent aussi sur l'appartement no 3, la Cour considère qu'il n'y a pas lieu d'examiner de surcroit au fond s'il y a eu aussi violation du droit des requérants d'accès à un tribunal et de leur droit au respect de leurs biens en raison de la non-exécution de la partie de l'arrêt définitif du 13 mars 2001 ordonnant la restitution par les autorités de l'appartement no 3 (Enciu et Lega c. Roumanie, no 9292/05, § 36, 8 février 2007, et Voda et Bob c. Roumanie, no 7976/02, § 28, 7 février 2008).
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
29. Les requérants se plaignent enfin du défaut d'équité de la procédure achevée par l'arrêt du 19 mars 2003 de la cour d'appel de Bucarest, qui viderait de sens l'arrêt du 13 mars 2001 précité, du fait que la cour d'appel n'a pas donné lecture en public du dispositif de son arrêt du 19 mars 2003, et de la discrimination qu'ils auraient subie en raison du refus de cette juridiction de procéder à la comparaison de leur titre de propriété avec ceux dont se prévalaient les tiers acquéreurs des appartements nos 4 et 5. Ils invoquent les articles 6 § 1 et 14 de la Convention, le dernier combiné avec l'article 1 du Protocole no 1. Le Gouvernement conteste leur thèse.
30. S'agissant du défaut de prononcé en public du dispositif de l'arrêt précité rendu en dernier ressort, la Cour rappelle avoir déjà rejeté comme manifestement mal fondé un tel grief dans une affaire similaire (Bacanu et S.C. « R » SA c. Roumanie, no 4411/04, § 102, 3 mars 2009). Quant aux autres griefs, compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n'a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par les articles de la Convention invoqués par les requérants.
Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
31. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
32. S'appuyant sur une expertise immobilière d'avril 2007, les requérants demandent, au titre du dommage matériel qu'ils auraient subi, la contrevaleur marchande des appartements nos 3, 4 et 5 et du terrain afférent (seulement de la partie vendue pour ce dernier appartement), valeur estimée à 1 191 739 lei roumains (RON), à savoir 352 407 euros (EUR) selon le taux d'échange pratiqué à l'époque par la banque nationale de Roumanie (BNR). Par ailleurs, s'appuyant sur le revenu locatif obtenu en 2005 par la location de l'appartement no 2 du même immeuble, ils sollicitent aussi, au titre du défaut de jouissance des appartements précités depuis octobre 1999, 54 000 EUR. Enfin, les requérants demandent 7 000 EUR au titre du préjudice moral qu'ils auraient subi.
33. Le Gouvernement conteste ces demandes. Selon l'expertise fournie en mai 2007, la valeur marchande des trois appartements vendus (y compris du terrain afférent) serait de 304 364 EUR, selon le taux d'échange RON/EUR pratiqué à l'époque. Par ailleurs, s'appuyant sur la jurisprudence de la Cour, le Gouvernement considère qu'il n'y a pas lieu de réparer le préjudice allégué découlant des loyers non perçus. Quant au préjudice moral allégué, le Gouvernement renvoie aux montants octroyés par la Cour dans des affaires similaires.
34. Eu égard à la violation constatée, à la demande des requérants et au fait que des particuliers sont à ce jour propriétaires des appartements litigieux, la Cour décide qu'au titre du dommage matériel, l'Etat devra verser aux requérants une somme correspondant à la valeur actuelle des biens en question. S'agissant du calcul de ce montant, la Cour note l'écart qui sépare l'expertise soumise par les requérants et celle produite par le Gouvernement quant à la valeur des appartements, valeurs fondées d'ailleurs sur le taux d'échange pratiqué à l'époque par la BNR. Compte tenu des informations fournies par les parties, elle estime la valeur des biens en question à 305 000 EUR.
35. Concernant les sommes demandées pour le défaut de jouissance de ces biens, la Cour rappelle qu'elle ne saurait spéculer sur la possibilité d'une location et sur le rendement de celle-ci (Buzatu c. Roumanie (satisfaction équitable), no 34642/97, § 18, 27 janvier 2005) et qu'elle a ordonné le paiement de la contrevaleur des biens en cause, en tant que réparation au titre de l'article 41 de la Convention. Dès lors, elle rejette cette demande.
36. Concernant la demande des requérants au titre du dommage moral, la Cour considère que les événements en cause ont entraîné pour eux des désagréments et des incertitudes, et qu'il convient de leur allouer conjointement une somme de 3 000 EUR, qui représente une réparation équitable du préjudice moral subi.
B. Frais et dépens
37. Fournissant des justificatifs pour l'essentiel de la somme sollicitée, les requérants demandent également 1 858 EUR pour frais et dépens, dont environ 1 200 EUR d'honoraires d'avocat et d'expert dans les procédures internes, le restant de la somme représentant des frais liées à la procédure devant la Cour.
38. Le Gouvernement ne s'oppose pas au remboursement des frais réels, nécessaires et raisonnables, liés à la procédure devant la Cour. S'agissant des dépenses engagées dans les procédures internes, il rappelle que seules les sommes engagées pour corriger une violation de la Convention pourraient être remboursées. Il note en outre que les requérants ont eu gain de cause dans la première action en revendication achevée par l'arrêt du 7 juin 2002 et que certains justificatifs manquent de précision, comme ceux relatifs aux honoraires d'avocat au niveau interne et aux frais de traduction.
39. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, compte tenu des critères susmentionnés, des documents en sa possession et des 850 EUR reçus à titre l'aide judiciaire de la part du Conseil de l'Europe, la Cour considère qu'il convient de rejeter la demande des requérants à cet égard.
C. Intérêts moratoires
40. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l'article 6 § 1 de la Convention et de l'article 1 du Protocole no 1 relatifs à la non-exécution de l'arrêt du 13 mars 2001 (appartement no 3) et à l'impossibilité de recouvrer la propriété des appartements nos 3, 4 et 5 vendus par les autorités, et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 en raison de la mise en échec du droit de propriété des requérants sur les appartements nos 3, 4 et 5, à défaut d'indemnisation ;
3. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner au fond les griefs tirés de l'article 6 § 1 de la Convention et de l'article 1 du Protocole no 1 relatifs à la non-exécution de l'arrêt du 13 mars 2001 précité ;
4. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser, conjointement aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 305 000 EUR (trois cent cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour préjudice matériel ;
ii. 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour préjudice moral ;
b) que les sommes susmentionnées seront à convertir dans la monnaie de l'Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
c) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 octobre 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Josep Casadevall
Greffier Président