Conclusion Non-violation de l'art. 5-1 ; Violation de l'art. 5-4 ; Violation de l'art. 8 ; Violation de l'art. 13 ; Partiellement irrecevable ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation
DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE MARTURANA c. ITALIE
(Requête no 63154/00)
ARRÊT
STRASBOURG
4 mars 2008
DÉFINITIF
04/06/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Marturana c. Italie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Antonella Mularoni,
Ireneu Cabral Barreto,
Rıza Türmen,
Vladimiro Zagrebelsky,
András Sajó,
Dragoljub Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 février 2008,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 63154/00) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. G. M (« le requérant »), a saisi la Cour le 12 novembre 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me G. S., avocat à Canicattì. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I.M. Braguglia, et par son co-agent, M. F. Crisafulli.
3. Le requérant se plaignait, entre autres, de la légalité de sa privation de liberté, d’une atteinte aux principes du procès équitable, d’une entrave à son droit au respect de sa correspondance et d’avoir été soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention.
4. Le 18 février 2005, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, il a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1965 et réside à Agrigente.
A. Les poursuites pénales
1. L’arrestation du requérant et ses recours contre son placement en détention provisoire
6. Le 4 septembre 1998, le requérant fut arrêté en Allemagne par la police de ce pays dans le cadre d’une enquête concernant le trafic international de voitures volées. Le 10 septembre 1998, le juge des investigations préliminaires (« le G.I.P. ») d’Agrigente ordonna l’arrestation et le placement en détention du requérant. Ce dernier était accusé, entre autres, de faire partie d’une association de malfaiteurs visant l’usure et l’extorsion, de tentative de meurtre et de port d’arme prohibé (procédure no 800/98 R.G.N.D.R., ci-après, « la procédure pénale A »).
7. Le requérant fut extradé en Italie le 8 avril 1999 ; le 12 avril, assisté par un avocat de son choix, il fut interrogé par le G.I.P. de Rome agissant sur commission rogatoire du G.I.P. d’Agrigente. Le requérant décida de se prévaloir de son droit de garder le silence. Il fut enfin transféré au pénitencier de Palerme. Le 27 mai 1999, il fut interrogé par un représentant du parquet de Rome. Il ressort des procès-verbaux de ces interrogatoires qu’au début de ceux-ci, le requérant fut informé des chefs d’accusation à sa charge.
8. Le 24 septembre 1999, le requérant demanda au G.I.P. d’Agrigente d’être libéré. Il allégua que les délais maximaux de sa détention provisoire avaient expiré. A titre subordonné, il demanda d’être placé en détention domiciliaire. Il indiquait au passage qu’il ignorait « les chefs d’accusation pesant sur lui, ayant simplement introduit une opposition devant la chambre du tribunal de Palerme chargée de réexaminer les mesures de précaution (« la chambre spécialisée ») lors de son extradition en Italie ».
9. Par une ordonnance du 2 octobre 1999, le G.I.P. d’Agrigente rejeta cette demande, relevant, d’une part, que les délais maximaux de détention n’avaient pas encore expiré et, d’autre part, qu’il y avait un risque de récidive et de contamination des preuves. Le G.I.P. observa à cet égard que le requérant occupait une « position sommitale au sein de l’organisation criminelle armée ».
10. Le 20 octobre 1999, le requérant interjeta appel devant la chambre spécialisée de Palerme. Il contesta les motifs avancés par le G.I.P. et invita le juge d’appel à prendre en considération le temps s’étant écoulé depuis son arrestation, le fait que ses coinculpés avaient été libérés et que l’ordonnance de placement en détention du 10 septembre 1998 ne lui avait jamais été notifiée.
11. Par une décision du 19 novembre 1999, la chambre spécialisée confirma la décision attaquée. Pour ce qui était de l’ordonnance du 10 septembre 1998, elle observa que « l’opposition du requérant avait été rejetée par l’ordonnance no 586/99 [du 26 avril 1999] » et que « la Cour de cassation avait été saisie d’un pourvoi » ; de plus, le 12 avril 1999, le requérant avait été interrogé (paragraphe 7 ci-dessus), comme prévu à l’article 294 du code de procédure pénale (« le C.P.P. »), ce qui « suppos[ait] la communication des chefs d’accusation mentionnés dans l’ordonnance de placement en détention ».
12. Le 24 décembre 1999, le requérant se pourvut en cassation. Il allégua que son interrogatoire ne pouvait remplacer la notification de l’ordonnance du 10 septembre 1998.
13. Par une décision du 23 mai 2000, la Cour de cassation, estimant que la chambre spécialisée avait motivé de façon logique et correcte tous les points controversés, rejeta ce pourvoi. Elle nota qu’au cours de son interrogatoire, le requérant avait eu la possibilité de se défendre de façon effective. En effet, à cette occasion, les chefs d’accusations, tels que décrits dans l’ordonnance de placement en détention provisoire, lui avaient été communiqués ; dès lors, l’intéressé ne pouvait pas affirmer qu’il en ignorait le contenu.
14. Entre-temps, le requérant s’était pourvu en cassation également contre l’ordonnance de la chambre spécialisée de Palerme du 26 avril 1999 (paragraphe 11 ci-dessus). Le 26 novembre 1999, la Cour de cassation avait rejeté ce pourvoi. Elle partagea l’approche de la chambre spécialisée, selon laquelle les recours faits par un certain Me B. au nom du requérant étaient irrecevables, faute d’une procuration valable en faveur dudit avocat.
15. Auparavant, à une date non précisée, le tribunal d’Agrigente avait séparé, parmi les accusations contre le requérant et deux de ses coïnculpés, celles de tentative de meurtre et port d’arme prohibé. Dès lors, il avait ouvert des nouvelles poursuites contre l’intéressé (procédure no 875/1999 R.G.N.D.R., ci-après, « la procédure pénale B »).
16. Dans le cadre de cette procédure, le 21 février 2000, le parquet demanda le renvoi en jugement du requérant.
17. L’audience préliminaire se tint le 6 avril 2000. A cette occasion, les avocats du requérant excipèrent de la nullité de l’ordonnance du 10 septembre 1998 et demandèrent la libération de leur client. Le représentant du parquet soutint que lors de l’interrogatoire devant le G.I.P. de Rome (paragraphe 7 ci-dessus), l’ordonnance litigieuse avait bel et bien été signifiée au requérant. Le juge de l’audience préliminaire (« le G.U.P. ») d’Agrigente réserva sa décision sur l’exception soulevée par la défense et renvoya le requérant en jugement.
18. Par une décision du 10 avril 2000, le G.U.P. d’Agrigente déclara l’ordonnance de placement en détention provisoire du 10 septembre 1998 nulle et non avenue. Il observa que rien dans le dossier ne permettait de penser que l’accusé avait reçu une copie de l’ordonnance litigieuse lors de son placement sous écrou extraditionnel ou de son extradition vers l’Italie.
19. Toutefois, par une décision du même jour, le G.U.P. ordonna le maintien en détention du requérant pour les chefs d’accusation qui faisaient l’objet de la procédure pénale B. Cette décision fut notifiée à l’intéressé le jour même.
20. Le 13 avril 2000, le requérant présenta une nouvelle demande de remise en liberté au G.I.P. de Palerme, qui l’avait interrogé sur commission rogatoire du G.U.P. d’Agrigente. Il allégua que les délais maximaux de détention provisoire avaient expiré et rappela que l’ordonnance du 10 septembre 1998 avait été déclarée nulle et non avenue.
21. Par une décision du 17 avril 2000, le G.I.P. de Palerme rejeta la demande du requérant. Il observa que l’ordonnance du 10 septembre 1998 avait déjà été annulée ; par ailleurs, dans la mesure où les allégations de l’intéressé visaient la nouvelle ordonnance de placement en détention provisoire adoptée le 10 avril 2000, les délais maximaux de détention expireraient le 10 avril 2001.
22. Le requérant saisit alors la chambre spécialisée de Palerme d’une demande en annulation de l’ordonnance du G.U.P. d’Agrigente du 10 avril 2000 (paragraphe 18 ci-dessus). Il allégua que cette décision ne mentionnait pas les articles de loi qui avaient été violés et qu’elle avait été prise avant même que le parquet ne demandât son placement en détention (le 11 avril 2000). Compte tenu, entre autres, du temps s’étant écoulé depuis son arrestation, le requérant estima que son maintient en détention n’était plus justifié.
23. Par une décision du 6 mai 2000, la chambre spécialisée de Palerme rejeta l’appel du requérant. Elle observa que le G.U.P. d’Agrigente avait indiqué les dispositions législatives violées. Pour ce qui était de la circonstance que la demande de placement en détention provisoire du parquet était datée du 11 avril 2000, c’est-à -dire le jour après l’adoption de l’ordonnance du G.U.P., la chambre spécialisée estima qu’il s’agissait, de toute évidence, d’une erreur de frappe. En conclure autrement aurait équivaudrait à estimer que le G.U.P. possédait des « capacités divinatoires ». De plus, le requérant demeurait une personne dangereuse pouvant récidiver si elle était libérée. Enfin, des graves indices de culpabilité pesaient à sa charge. En particulier, il ressortait de certaines écoutes des conversations avec ses coïnculpés que le requérant avait l’intention de commettre le meurtre dont on l’accusait.
24. Le 9 juin 2000, le requérant se pourvut en cassation. Il fit valoir que, dans son ordonnance du 10 avril 2000, le G.U.P. d’Agrigente se référait à deux types de pistolet différents, qu’on ne pouvait pas raisonnablement l’accuser de tentative de meurtre mais seulement de menaces et que sa prétendue dangerosité n’était nullement prouvée.
25. Le 18 janvier 2001, la Cour de cassation débouta le requérant de son pourvoi.
2. La procédure pénale A
26. Le 15 mars 2003, le parquet d’Agrigente informa le requérant que l’instruction de la procédure pénale A était close et qu’il avait le droit de demander une copie des documents versés au dossier.
27. Le 14 mai 2004, le parquet demanda le renvoi en jugement du requérant et de 52 coïnculpés.
28. Le 20 mai 2004, le G.U.P. d’Agrigente fixa la date de l’audience préliminaire au 10 octobre 2004. Le 30 mars 2007, il renvoya le requérant et ses coïnculpés en jugement devant le tribunal d’Agrigente. La date de la première audience fut fixée au 1er octobre 2007. La suite de cette procédure judiciaire n’est pas connue.
3. La procédure pénale B
29. Dans le cadre de la procédure pénale B, trois audiences furent renvoyées en raison de problèmes liés à la composition de la chambre du tribunal d’Agrigente. A une date non précisée, le requérant demanda à être jugé selon la procédure abrégée, une démarche simplifiée entraînant, en cas de condamnation, une réduction de peine (voir ci-après, sous « Le droit interne pertinent »). Le parquet exprima un avis favorable. Le 22 novembre 2000, le tribunal d’Agrigente adopta la procédure abrégée.
30. Le 10 janvier 2001, le tribunal rejeta une demande d’expertise. Il ordonna l’audition de la victime de la tentative de meurtre et recueillit les déclarations spontanées du requérant et de l’un de ses deux coïnculpés. Les parties présentèrent leurs plaidoiries.
31. Par un jugement du 24 janvier 2001, dont le texte fut déposé au greffe le 8 mars, le tribunal d’Agrigente requalifia la tentative de meurtre en menaces graves. Il condamna le requérant à quatre ans d’emprisonnement et à 1 000 000 lires (environ 516 euros – EUR) d’amende.
32. Le requérant interjeta appel.
33. Le 13 mars 2001, le requérant demanda encore une fois sa remise en liberté.
34. Par une décision du 16 mars 2001, la chambre spécialisée rejeta cette demande.
35. A une date non précisée, le requérant demanda à nouveau la révocation de l’ordonnance du 10 avril 2000 (paragraphe 19 ci-dessus) et sa remise en liberté.
36. Le 13 avril 2001, la chambre spécialisée accueillit la demande au motif que la loi ne prévoyait pas le placement en détention provisoire pour l’infraction de menaces graves. Le requérant fut libéré le même jour.
37. Après une série de renvois d’audience, le 26 novembre 2003, la cour d’appel de Palerme rouvrit l’instruction, conformément à la demande du requérant, afin d’acquérir les documents concernant l’arrestation et le placement de celui-ci sous écrou extraditionnel, l’arrêté d’extradition, la décision de révoquer l’ordonnance de placement en détention provisoire du 10 septembre 1998 et un extrait de cette ordonnance.
38. Par un arrêt du 26 novembre 2003, dont le texte fut déposé au greffe le 11 décembre 2003, la cour d’appel de Palerme, constatant que le requérant avait obtenu les pièces relatives à son extradition à l’issue de l’instruction de la procédure principale, prononça un non-lieu pour le délit de menaces graves. Elle observa que le requérant avait été extradé pour des faits différents de ceux pour lesquels il avait été condamné en première instance. Par le même arrêt, la cour d’appel condamna le requérant pour port d’arme prohibé à un an et quatre mois d’emprisonnement et à 400 EUR d’amende.
39. Le 8 janvier 2004, le requérant se pourvut en cassation. L’issue de ce pourvoi n’est pas connue.
B. La surveillance spéciale par la police et l’assignation à résidence
40. Entre-temps, le 20 novembre 1998, le préfet d’Agrigente avait proposé au tribunal de la même ville de soumettre le requérant à la surveillance spéciale par la police (sorveglianza speciale di pubblica sicurezza) avec assignation à résidence. Il avait noté que des graves indices démontraient que le requérant faisait partie d’une organisation criminelle et qu’il se trouvait en Allemagne sous écrou extraditionnel pour une série d’infractions commises en Italie, mentionnées dans l’ordonnance du G.I.P. d’Agrigente du 10 septembre 1998.
41. Dans un mémoire du 13 octobre 1999, le requérant s’était opposé à la proposition du préfet. Il alléguait que celui-ci se limitait à énumérer les infractions mentionnées dans l’ordonnance litigieuse, omettait de noter qu’il n’avait jamais fait l’objet de poursuites et ne démontrait pas la nécessité de le soumettre à la surveillance spéciale.
42. Par une décision du 13 octobre 1999, notifiée le 29 novembre, le tribunal d’Agrigente avait appliqué la surveillance spéciale pour une durée de trois ans. Il avait rejeté les arguments du requérant en estimant que les conditions requises par la loi pour l’application de la mesure étaient bien remplies. La dangerosité du requérant ne faisait pas de doute et cela ressortait clairement des investigations menées par la police, lesquelles avaient abouti à l’adoption de l’ordonnance du 10 septembre 1998. Le tribunal avait mentionné dans sa décision les infractions indiquées dans cette ordonnance, pièce à laquelle il s’était constamment référé.
43. Le 16 décembre 1999, la préfecture d’Agrigente avait révoqué le permis de conduire du requérant.
44. Le 7 avril 2000, la cour d’appel de Palerme avait confirmé cette décision. Le requérant s’était pourvu en cassation par l’intermédiaire de ses deux avocats. Par une décision du 9 janvier 2001, la Cour de cassation avait rejeté ces deux pourvois car ils ne portaient pas sur des points de droit.
45. Le 28 mai 2001, le requérant avait demandé au tribunal d’Agrigente de l’autoriser à se rendre au greffe le 4 juin 2001 afin d’obtenir une copie « de tout document utile à sa procédure pénale », y compris l’ordonnance du 10 septembre 1998.
46. Le 1er juin 2001, le tribunal d’Agrigente avait rejeté cette demande au motif que le défenseur du requérant aurait pu obtenir copie des « documents nécessaires ».
C. Les entraves à la correspondance
47. Dans un courrier adressé à la Cour du 5 juin 2001, le requérant a déclaré avoir rencontré pendant sa détention « de nombreuses difficultés relatives à sa correspondance ». Entre le 3 juillet 1999 et le 14 juillet 2000, il aurait reçu des enveloppes ouvertes et très souvent sans contenu ; son avocat n’aurait pas reçu des lettres qu’il lui aurait envoyées pour la préparation des audiences du 13 octobre 1999 (devant le tribunal d’Agrigente) et du 7 avril 2000 (devant la cour d’appel de Palerme) ; le 6 octobre 1999 et le 31 mars 2000, l’administration pénitentiaire n’aurait pas envoyé deux de ses lettres, avec accusé de réception, respectivement au tribunal d’Agrigente et à la cour d’appel de Palerme. Le 14 juillet 2000, une fouille eut lieu dans sa cellule. Le requérant affirme que les gardiens de prison saisirent la correspondance avec la Cour. Le procès-verbal rédigé le jour même indique toutefois la saisie de quatre-vingt enveloppes, vingt cartes postales, six télégrammes, cinq pages écrites et trois petites feuilles contenant des adresses.
48. Lors d’une deuxième fouille, le 23 décembre 2000, les gardiens auraient saisi des lettres personnelles, des livres de droit et une revue internationale sur les droits de l’homme. Tout ceci aurait été rendu au requérant lors de sa remise en liberté.
49. Deux lettres recommandées de sa mère des 15 et 29 janvier 2001 ne lui seraient jamais parvenues.
50. Le 10 mars 2001, lors d’une autre fouille, les gardiens auraient saisi tous les documents reçus de la Cour. Le 12 mars 2001, le requérant aurait adressé, sans résultat, une demande au parquet près le tribunal d’Agrigente afin d’obtenir la restitution de sa correspondance.
51. Le 19 mars 2001, le requérant adressa à la direction de la prison trois réclamations, afin d’obtenir la restitution de la correspondance saisie le 10 mars.
52. Le requérant allègue aussi qu’entre le 15 janvier et le 9 avril 2001, sa mère lui aurait envoyé plusieurs lettres recommandées avec accusé de réception. Ces missives auraient dû contenir des lettres envoyées par la Cour et des lettres de change. Selon le requérant, cette correspondance serait arrivée à la prison mais il ne l’aurait jamais reçue. Le requérant affirme avoir présenté avec sa mère plusieurs réclamations adressées à la direction de la prison en demandant le paiement du montant des lettres de change et des courriers assurés.
53. Dans une lettre envoyée le 5 février 2001, la directrice de la prison informa la mère du requérant de ce que « les problèmes signalés avaient été réglés et qu’elle avait donné les instructions nécessaires afin que les inconvénients dont il avait été question ne se reproduisent plus ».
54. Dans une lettre du 25 mai 2001, la même directrice indiqua à la mère du requérant que toute la correspondance qu’elle avait envoyée à son fils était parvenue à la prison et que la direction n’avait pas de raison de douter qu’elle avait été remise à l’intéressé. La directrice releva ensuite qu’étrangement la mère du requérant demandait seulement le 16 mai 2001 des nouvelles d’une lettre recommandée avec accusé de réception envoyée le 19 février 2001 et déclarait qu’elle contenait des lettres de change pour un montant très élevé, alors que toujours le 16 mai, elle demandait simplement des nouvelles de la même lettre recommandée. La mère du requérant agit de la même sorte au sujet d’une autre lettre recommandée avec accusé de réception du 8 février 2001. La directrice relevait enfin ce qui suit : « Et encore toute une série de recommandés avec accusé de réception contenant, selon la mère du requérant, un total assuré de 100 000 000 lires [environ 51 645 EUR] (...). De toute évidence, on ne comprend pas les raisons de cet étrange jeu des parties et il y a lieu d’espérer que le présent courrier pourra y mettre fin sans obliger cette direction à prendre les initiatives les plus opportunes afin de sauvegarder la réputation de l’établissement ».
55. Le requérant affirme ne pas avoir reçu par la suite deux lettres avec accusé de réception, vingt-cinq lettres recommandées avec accusé de réception contenant des lettres de change et un télégramme postal.
56. Le requérant a déclare en outre qu’à cause de ses réclamations, les gardiens de prison l’auraient menacé en proférant les phrases suivantes : « C’est le ministère public qui te donnera la Cour européenne ! », « La Cour est ici à la prison Pagliarelli et pas ailleurs ! ».
57. Enfin, le 28 mai 2001, après sa remise en liberté, le requérant adressa à la direction de la prison une dernière réclamation en demandant encore une fois la restitution de la correspondance saisie.
58. Il ressort d’une note du département pour l’administration pénitentiaire du 29 septembre 2005 que la correspondance du requérant n’avait pas été soumise à un visa de censure. Cependant, certains courriers furent « retenus » à titre de mesure de précaution étant donné que le requérant avait été trouvé en possession de lettres qui ne lui appartenaient pas et qui avaient été envoyées à un homonyme détenu dans un autre secteur de la prison. L’administration avait donc pris des mesures visant à éviter l’échange de destinataires des courriers en question. En particulier, le 3 février 2001, le requérant avait déclaré avoir reçu des courriers adressés à son homonyme. Par une note du même jour, le commandant du secteur de la prison où il était détenu observa que l’expéditeur des courriers était la même personne. Bien que le secteur du pénitencier dans lequel l’homonyme du requérant se trouvait était bien indiqué sur les enveloppes, celles-ci parvenaient au requérant. De ce fait, le commandant du secteur craignait que les deux détenus aient inventé une combine pour recevoir des informations de l’extérieur. Le dirigeant du secteur nota cependant que ni le requérant ni son homonyme n’étaient soumis à la mesure du contrôle de leur correspondance, ce qui expliquait mal pourquoi ils auraient essayé de soustraire certains courriers au contrôle des autorités. Des mesures furent prises pour assurer la remise de toute lettre adressée au requérant ou à son homonyme uniquement à son réel destinataire.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
59. La procédure abrégée est régie par les articles 438 et 441 à 443 du CPP. Elle se fonde sur l’hypothèse que l’affaire peut être tranchée en l’état (allo stato degli atti) lors de l’audience préliminaire. La demande peut être faite, oralement ou par écrit, tant que les conclusions n’ont pas été présentées à l’audience préliminaire. En cas d’adoption de la procédure abrégée, l’audience a lieu en chambre du conseil et est consacrée aux plaidoiries des parties. En principe, les parties doivent se baser sur les pièces figurant dans le dossier du parquet. Si le juge décide de condamner l’accusé, la peine infligée est réduite d’un tiers. Les dispositions internes pertinentes sont décrites dans Hermi c. Italie ([GC], no 18114/02, §§ 27-28, 18 octobre 2006).
60. Dans son arrêt Ospina Vargas, la Cour a résumé le droit et la pratique internes pertinents quant au contrôle de la correspondance (Ospina Vargas c. Italie, no 40750/98, §§ 31-32, 14 octobre 2004). Elle a aussi fait état des modifications introduites par la loi no 279 du 23 décembre 2002 et par la loi no 95 du 8 avril 2004 (ibidem).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION
61. Le requérant estime que sa détention a été illégale au motif que l’ordonnance de placement en détention provisoire du 10 septembre 1998 ne lui a jamais été signifiée.
Il invoque l’article 5, qui, en ses parties pertinentes, est ainsi libellé :
Article 5 § 1
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
(...)
c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;
(...)
f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »
62. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
63. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
a) Le requérant
64. Le requérant soutient avoir toujours ignoré l’existence de l’ordonnance de placement en détention provisoire du 10 septembre 1998. Les autorités allemandes auraient toujours soutenu qu’il incombait aux autorités italiennes de l’informer des chefs d’accusation portés à son encontre ainsi que des motifs de son arrestation, compte tenu, notamment, du fait que toute documentation relative à l’extradition était rédigée en allemand, une langue que le requérant ne comprend pas. Les autorités italiennes, quant à elles, n’auraient jamais vérifié si l’ordonnance litigieuse lui avait été signifiée, omettant d’examiner de manière sérieuse les nombreux recours qu’il avait présentés sur ce point. Lors de l’interrogatoire du 12 avril 1999 (paragraphe 7 ci-dessus), le requérant aurait déclaré au G.I.P. de Rome qu’il ignorait les accusations portées contre lui et les motifs de son arrestation. Rien ne prouve qu’à cette occasion, le G.I.P. de Rome était en possession d’une copie de l’ordonnance du 10 septembre 1998. L’interrogatoire en question n’a de toute manière durée que quinze minutes, un temps tout-à -fait insuffisant pour lire une ordonnance de 337 pages.
65. Par ailleurs, il n’appartiendrait pas au Gouvernement de critiquer la décision du G.I.P. d’Agrigente du 10 avril 2000, par laquelle l’ordonnance du 10 septembre 1998 a été déclarée nulle et non avenue pour violation des droits de la défense (paragraphe 18 ci-dessus). Il s’agit, en effet, d’une décision définitive en droit italien. Par ailleurs, la jurisprudence de la Cour de cassation citée par le Gouvernement (paragraphe 69 ci-après) ne serait pas pertinente, car relative aux personnes s’étant « constituées en prison ».
66. De l’avis du requérant, le G.I.P. d’Agrigente a eu recours à une combine pour le maintenir en détention. Il a en effet annulé l’ordonnance du 10 septembre 1998 et utilisé l’accusation de tentative de meurtre comme prétexte pour adopter une nouvelle ordonnance privative de liberté. De plus, même à cette occasion les accusations n’ont pas été portées à la connaissance du requérant, ce qui l’a empêché de mettre en place une stratégie de défense adéquate et efficace.
b) Le Gouvernement
67. Le Gouvernement précise à titre préliminaire que, contrairement aux affirmations du requérant, celui-ci n’a pas été arrêté en Allemagne à la demande des autorités italiennes, mais dans le cadre d’une enquête allemande tout à fait distincte de celle menée en Italie. C’est seulement pendant sa détention provisoire en Allemagne que le requérant a été placé sous écrou extraditionnel. La demande d’extradition était accompagnée – selon la pratique en la matière – d’une copie de l’ordonnance de placement en détention provisoire du G.I.P. d’Agrigente du 10 septembre 1998. Celle-ci indiquait les chefs d’accusation, décrivant les faits et citant les articles du code pénal violés.
68. De l’avis du Gouvernement, il appartenait aux autorités allemandes de notifier, dès le début de la procédure d’extradition, l’ordonnance litigieuse. A supposer que ces dernières ne se soient pas acquittées de la tâche qui leur incombait, une telle défaillance ne pourrait être mise à la charge des autorités italiennes, qui pouvaient à bon droit supposer que le requérant avait reçu un exemplaire de cette ordonnance.
69. Lors de son interrogatoire devant le G.I.P. de Rome du 12 avril 1999 (paragraphe 7 ci-dessus), le requérant, assisté par un avocat de son choix, a omis de soulever une exception tirée d’un défaut de notification de l’ordonnance de placement en détention provisoire. Par ailleurs, le G.I.P. de Rome disposait d’une copie de ce document et, si son attention avait été attirée sur le fait que la notification n’avait pas eu lieu, aurait pu la donner à l’accusé. Telle exception n’a pas non plus été soulevée dans la demande de libération du 24 septembre 1999 (paragraphe 8 ci-dessus). Par ailleurs, en droit italien, l’omission de remettre une copie de l’ordonnance de placement en détention provisoire au moment de l’arrestation n’a pas nécessairement pour conséquence de rendre la mesure privative de liberté nulle ou inefficace. En effet, selon la jurisprudence de la Cour de cassation (voir arrêt no 353 de 1993), une telle défaillance peut être remédiée par tout acte successif susceptible de réaliser un résultat équivalant. Dans les circonstances de la présente espèce, cet acte était l’interrogatoire devant le G.I.P. de Rome.
70. Le Gouvernement rappelle en outre que la loi italienne prescrit aussi le dépôt au greffe de l’ordonnance, avec les documents et les actes pertinents, afin de permettre à l’accusé de contester la légalité ou la nécessité de l’arrestation. En outre, l’avocat du prévenu a la faculté d’obtenir une copie de tous les actes relatifs à la détention provisoire, parmi lesquels figure l’ordonnance de placement en détention. En l’espèce, le requérant était représenté par un avocat de son choix. Enfin, il a introduit plusieurs recours pour contester sa privation de liberté, ce qui démontre qu’il avait connaissance des éléments sur lesquels se fondait la mesure litigieuse.
71. A la lumière de ce qui précède, le Gouvernement estime ne pas pouvoir partager la décision du G.I.P. d’Agrigente du 10 avril 2000 (paragraphe 18 ci-dessus).
72. Par ailleurs, la détention du requérant devrait être divisée en deux périodes. Pendant la première, allant de son extradition (8 avril 1999 – paragraphe 7 ci-dessus) jusqu’à sa condamnation en première instance (24 janvier 2001 – paragraphe 31 ci-dessus), la privation de liberté se justifiait aux termes de l’alinéa c) du premier paragraphe de l’article 5 de la Convention. La période de détention soufferte en Allemagne et celle que le requérant a subie après sa condamnation en premier instance (du 24 janvier au 13 avril 2001, date de sa remise en liberté) tombent, respectivement, sous le coup des alinéas f) et a) de la même disposition.
2. Appréciation de la Cour
73. La Cour estime qu’afin d’examiner la compatibilité de la détention du requérant avec l’article 5 § 1 de la Convention, il est opportun de distinguer trois périodes : du 8 avril 1999 (date de l’extradition de l’intéressé) au 10 avril 2000 (date de l’annulation de la première ordonnance de placement en détention), du 10 avril 2000 au 24 janvier 2001 (date de la condamnation du requérant en première instance) et du 24 janvier 2001 jusqu’au 13 avril 2001, date de sa libération.
a) La privation de liberté du requérant du 8 avril 1999 au 10 avril 2000
74. La Cour observe tout d’abord que le requérant a été arrêté par les autorités italiennes le 8 avril 1999, jour de son extradition. Il a été placé en détention provisoire sur la base de l’ordonnance du G.I.P. d’Agrigente du 10 septembre 1998 (paragraphes 6 et 7 ci-dessus). Cette privation de liberté s’analyse en la détention d’une personne en vue d’être conduite devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis une infraction, aux termes de l’alinéa c) du premier paragraphe de l’article 5 de la Convention. Cependant, le 10 avril 2000, cette ordonnance a été déclarée nulle et non avenue par le G.U.P. d’Agrigente, au motif qu’elle n’avait jamais été officiellement notifiée à l’accusé (paragraphe 18 ci-dessus).
75. La Cour rappelle qu’en exigeant qu’une détention soit conforme aux « voies légales » et ait un caractère régulier, l’article 5 § 1 de la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale, et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure. Il exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire (Amuur c. France, arrêt du 25 juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, § 50 ; Scott c. Espagne, arrêt du 18 décembre 1996, Recueil 1996-VI, § 56).
76. Dès lors, toute décision prise par les juridictions internes dans la sphère d’application de l’article 5 doit être conforme aux exigences procédurales et de fond fixées par une loi préexistante. S’il incombe au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne au regard de l’article 5 § 1, l’inobservation du droit interne entraîne un manquement à la Convention et la Cour peut et doit vérifier si ce droit a été respecté (Benham c. Royaume-Uni, arrêt du 10 juin 1996, Recueil 1996-III, § 41 ; Giulia Manzoni c. Italie, arrêt du 1er juillet 1997, Recueil 1997-IV, § 21 ; Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, § 171, CEDH 2004-II).
77. Une période de détention est en principe régulière si elle a lieu en exécution d’une décision judiciaire. La constatation ultérieure d’un manquement par le juge peut ne pas rejaillir, en droit interne, sur la validité de la détention subie dans l’intervalle. C’est pourquoi les organes de la Convention se refusent toujours à accueillir des requêtes émanant de personnes reconnues coupables d’infractions pénales et qui tirent argument de ce que les juridictions d’appel ont constaté que le verdict de culpabilité ou la peine reposait sur des erreurs de fait ou de droit (Benham c. Royaume-Uni, arrêt du 10 juin 1996, Recueil 1996-III, § 42).
78. En la présente affaire, la Cour doit se pencher sur la question de savoir si l’ordonnance de placement en détention provisoire du 10 septembre 1998 constituait une base légale pour la privation de liberté du requérant jusqu’à sa révocation, survenue le 10 avril 2000. La seule circonstance que cette ordonnance ait été ultérieurement annulée n’affecte pas, en tant que telle, la légalité de la détention pour la période précédente. Pour déterminer si l’article 5 § 1 de la Convention a été respecté, il est opportun de faire une distinction fondamentale entre les titres de détention manifestement invalides – par exemple, ceux qui sont émis par un tribunal en dehors de sa compétence – et les titres de détention qui sont prima facie valides et efficaces jusqu’au moment où ils sont annulés par une autre juridiction interne (Benham précité, §§ 43 et 46 ; Lloyd et autres c. Royaume-Uni, nos 29798/96 et suivants, §§ 83, 108, 113 et 116, 1er mars 2005 ; Khudoyorov c. Russie, no 6847/02, §§ 128-129, 8 novembre 2005).
79. En l’espèce, il n’a pas été allégué que le G.I.P. d’Agrigente ait agi en dehors de ses attributions. Aux termes du droit interne, il avait le pouvoir de placer le requérant en détention provisoire. Son ordonnance a été annulée uniquement car le G.U.P. d’Agrigente a estimé que l’omission de la notifier officiellement à l’accusé s’analysait en une irrégularité procédurale de nature à rendre, en droit italien, le titre de détention nul et non avenu. La Cour considère que cette défaillance ne s’analyse pas en une irrégularité grave et manifeste aux termes de sa jurisprudence (voir, mutatis mutandis, Liu et Liu c. Russie, no 42086/05, § 81, 6 décembre 2007).
80. La Cour n’estime pas que le G.I.P. d’Agrigente a agi de mauvaise fois ou qu’il ne s’est pas employé à appliquer correctement la législation pertinente (Benham précité, § 47). De toute évidence, un malentendu a amené les autorités internes à croire que les chefs d’inculpation avaient, en réalité, bel et bien été notifiés au requérant. Cette défaillance procédurale ne signifie pas, cependant, que la détention était illégale ou que le titre ordonnant la privation de liberté était prima facie invalide (voir, mutatis mutandis, Gaidjurgis c. Lituanie (déc.), no 49098/99, 16 janvier 2001 ; Khudoyorov précité, § 132 ; Liu et Liu précité, § 82).
81. Dans ces circonstances, la Cour ne saurait conclure que la détention du requérant du 8 avril 1999 au 10 avril 2000 n’était pas conforme aux voies légales ou qu’elle ait été arbitraire ou autrement contraire à l’article 5 § 1 de la Convention.
82. Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu violation de cette disposition en ce qui concerne la période en question.
b) La privation de liberté du requérant du 10 avril 2000 au 24 janvier 2001
83. Le 10 avril 2000, une nouvelle ordonnance de placement en détention provisoire a été adoptée à l’encontre du requérant par le G.U.P. d’Agrigente (paragraphe 19 ci-dessus). Celle-ci était fondée sur des raisons plausibles de soupçonner que le requérant avait commis les infractions de tentative de meurtre et de port d’arme prohibé. La Cour ne voit aucun élément susceptible de l’amener à croire que cette détention était illégale ou arbitraire.
84. Certes, le tribunal d’Agrigente a ensuite estimé que les faits reprochés au requérant devaient être qualifiés de menaces, et non de tentative de meurtre (paragraphe 31 ci-dessus) et la cour d’appel de Palerme a prononcé un non-lieu pour le délit de menaces (paragraphe 38 ci-dessus). Cependant, les raisons plausibles de soupçonner évoquées à l’article 5 § 1 c) de la Convention ne signifient pas que doit être établie au stade de l’instruction la culpabilité du suspect. C’est précisément le but de l’instruction que d’établir définitivement la réalité et la nature des infractions dont l’intéressé est accusé. L’alinéa c) de l’article 5 § 1 ne présuppose même pas que la police ait rassemblé des preuves suffisantes pour porter des accusations (Erdagöz c. Turquie, arrêt du 22 octobre 1997, Recueil 1997-VI, § 51). Dès lors, la circonstance qu’à l’issue des débats un non-lieu ait été prononcé en faveur du requérant pour l’un des chefs d’accusation ne signifie pas que sa détention provisoire était contraire à l’article 5.
85. Dans ces circonstances, la Cour estime que la privation de liberté du requérant du 10 avril 2000 au 24 janvier 2001 n’a pas enfreint l’article 5 § 1 de la Convention.
c) La privation de liberté du requérant du 24 janvier 2001 au 13 avril 2001
86. Le 24 janvier 2001, le requérant a été condamné à quatre ans d’emprisonnement (paragraphe 31 ci-dessus). A partir de cette date et jusqu’à sa libération, survenue le 13 avril 2001 (paragraphe 36 ci-dessus), soit deux mois et vingt jours plus tard, sa privation de liberté s’analyse en la détention régulière d’une personne « après condamnation par un tribunal compétent » aux termes de l’alinéa a) du premier paragraphe de l’article 5. En effet, aux termes de la jurisprudence de la Cour, une personne condamnée en première instance, qu’elle ait ou non été détenue jusqu’à ce moment, se trouve dans le cas prévu par cette disposition (B. c. Autriche, arrêt du 28 mars 1990, série A no 175, § 36).
87. Rien ne prouve que la détention en question était arbitraire ou autrement contraire à la Convention. Il s’ensuit qu’elle n’a pas enfreint l’article 5 § 1 de celle-ci.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 2 DE LA CONVENTION
88. Le requérant considère que l’omission de lui notifier l’ordonnance de placement en détention provisoire du 10 septembre 1998 a également violé le paragraphe 2 de l’article 5 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle. »
89. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Arguments des parties
1. Le requérant
90. Le requérant réitère son allégation selon laquelle, lors de l’interrogatoire du 12 avril 1999, le G.I.P. de Rome a omis de l’informer des accusations portées à son encontre. Le procès-verbal de cet interrogatoire ne fait aucune référence aux sources de preuve à charge et aux accusations retenues contre lui. Il en va de même pour l’interrogatoire du 27 mai 1999 devant un représentant du parquet de Rome (paragraphe 7 in fine ci-dessus), qui n’a duré que vingt-quatre minutes, dont quinze ont été consacrés aux formalités relatives à l’identification de l’accusé.
2. Le Gouvernement
91. Le Gouvernement observe que, lors de l’interrogatoire du 12 avril 1999, le requérant a été informé des accusations portées contre lui et des éléments de preuve à charge. Cette information orale satisfait aux exigences du paragraphe 2 de l’article 5, y comprise celle du « court délai ».
B. Appréciation de la Cour
92. La Cour rappelle que le paragraphe 2 de l’article 5 énonce une garantie élémentaire : toute personne arrêtée doit savoir pourquoi elle est détenue. Intégré au système de protection qu’offre l’article 5, il oblige à signaler à une telle personne, dans un langage simple et compréhensible pour elle, les raisons juridiques et factuelles de sa privation de liberté, afin qu’elle puisse en discuter la légalité devant un tribunal en vertu du paragraphe 4. Elle doit bénéficier de ces renseignements « dans le plus court délai », mais le policier qui l’arrête peut ne pas les lui fournir en entier sur-le-champ. Pour déterminer si elle en a reçu assez et suffisamment tôt, il faut avoir égard aux particularités de l’espèce (Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, arrêt du 30 août 1990, série A no 182, § 40).
93. Quant à la manière de communiquer à une personne les raisons de son arrestation, la Convention n’exige pas que ces raisons soient indiquées dans le texte de la décision autorisant la détention. L’article 5 § 2 n’exige même pas que les raisons soient fournies par écrit à la personne détenue, ni sous quelque autre forme spéciale (X c. Allemagne, no 8098/77, décision de la Commission du 13 décembre 1978, Décisions et rapports (DR) 16, pp. 111 et 117).
94. En l’espèce, le requérant a été interrogé par le G.I.P. d’Agrigente le 12 avril 1999, soit quatre jours après son extradition. A cette occasion, l’accusé était représenté par l’avocat de son choix (paragraphe 7 ci-dessus). La Cour considère peu vraisemblable que, tout en ignorant les raisons de son arrestation, le requérant n’ait pas demandé au G.I.P., directement ou par l’intermédiaire de son avocat, des éclaircissements quant aux chefs d’accusation à son encontre. Par ailleurs, l’intéressé a introduit plusieurs recours pour contester la légalité de sa détention, ce qui serait difficile de concevoir en l’absence de toute connaissance quant aux faits reprochés.
95. Dans ces circonstances, la Cour estime que, à supposer même qu’il ignorait le contenu de l’ordonnance de placement en détention provisoire jusqu’à la date de son extradition, le requérant a eu l’opportunité d’être informé des raisons de son arrestation lors de l’interrogatoire devant le G.I.P. d’Agrigente du 12 avril 1999. L’éventuelle omission de se prévaloir d’une telle possibilité s’analyse en une renonciation, implicite mais non équivoque, aux droits garantis par l’article 5 § 2 de la Convention.
96. En tout état de cause, le procès-verbal de l’interrogatoire en question indique qu’avant de lui poser des questions, le G.I.P. a informé le requérant des accusations pesant à son encontre (paragraphe 7 in fine ci-dessus). Rien ne permet de penser que cette indication était fausse.
97. Dès lors, aucune apparence de violation de l’article 5 § 2 de la Convention ne saurait être décelée en l’espèce.
98. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION
99. Le requérant considère de ne pas avoir disposé d’un recours efficace pour contester la légalité de sa détention et que l’exigence du « bref délai » prévue à l’article 5 § 4 de la Convention a été méconnue.
Cette disposition se lit ainsi :
« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
100. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
101. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
a) Le requérant
102. De l’avis du requérant, la longueur de la procédure concernant les contestations de la légalité de sa détention est incompatible avec le « bref délai » visé à l’article 5 § 4 de la Convention. En particulier, la Cour de cassation a rejeté son pourvoi le 24 mai 2000, alors que le 10 avril 2000 le GIP d’Agrigente avait annulé ex officio l’ordonnance contestée. De plus, l’intéressé a introduit trois demandes de libération, respectivement, les 24 janvier 2000, 13 mars et 13 avril 2001. La première n’a même pas été prise en considération par les juges nationaux ; la deuxième a été rejetée de façon arbitraire ; seule la troisième a été accueillie.
b) Le Gouvernement
103. Le Gouvernement note que le requérant a contesté la légalité de sa détention par plusieurs procédures distinctes. Chacune d’entre elles a été introduite par un recours ad hoc et a suivi sa propre évolution.
104. En effet, la détention du requérant n’a pas toujours été justifiée par un seul et même titre, mais elle s’est fondée sur deux différentes ordonnances de placement en détention provisoire (celle du 10 septembre 1998 et celle du 10 avril 2000). Ces deux décisions, amplement motivées, n’avaient pas le même fondement car les chefs d’accusation étaient différents.
105. Or, la première demande de libération date du 24 septembre 1999 (paragraphe 8 ci-dessus) ; elle fut rejetée par le G.I.P. une semaine plus tard, le 2 octobre 1999 (paragraphe 9 ci-dessus). L’appel contre cette décision, introduit le 20 octobre 1999 (paragraphe 10 ci-dessus), fut rejeté le 19 novembre 1999, soit trente jours plus tard (paragraphe 11 ci-dessus). Le pourvoi en cassation, formé le 24 décembre 1999 (paragraphe 12 ci-dessus) et déposé après cette date, fut rejeté à son tour par un arrêt du 23 mai 2000 (paragraphe 13 ci-dessus).
106. Si l’on additionne les temps nécessaires aux juridictions internes pour trancher les recours du requérant, on constate que la procédure a duré en tout six mois et sept jours, ce qui ne saurait passer pour excessif.
107. Il résulte également qu’une autre procédure avait été introduite antérieurement. La date de ce recours n’est pas connue, mais la décision de la chambre spécialisée est intervenue le 26 avril 1999 (paragraphe 11 ci-dessus). On ignore également la date à laquelle le requérant s’est pourvu en cassation contre cette décision. La Cour de cassation s’est prononcée le 26 novembre 1999 (paragraphe 14 ci-dessus). Compte tenu du caractère incomplet de la documentation, le Gouvernement estime que cette procédure ne devrait pas être prise en considération. D’ailleurs, elle a été introduite par un avocat non muni d’une procuration valable, ce qui empêche de l’attribuer au requérant. En tout état de cause, le temps nécessaire à la Cour de cassation pour statuer sur le pourvoi (vraisemblablement introduit, au plus tôt, aux alentours du 10 mai 1999) ne se révèle pas excessif.
108. Le 10 avril 2000, le G.U.P. d’Agrigente a prononcé une deuxième ordonnance de placement en détention provisoire (paragraphe 19 ci-dessus), contre laquelle le requérant a introduit de nouveaux recours. Le premier, du 13 avril 2000, a été rejeté par le G.I.P. 4 jours plus tard (paragraphes 20 et 21 ci-dessus). Ensuite, la chambre spécialisée s’est prononcée le 6 mai 2000, soit moins de 20 jours après l’introduction de l’appel du requérant (paragraphes 22 et 23 ci-dessus). Le pourvoi en cassation a été introduit le 9 juin 2000 et rejeté le 18 janvier 2001 (paragraphes 24 et 25 ci-dessus). La durée totale de la procédure a été d’environ huit mois.
109. Le Gouvernement note enfin que le requérant a introduit deux autres demandes de remise en liberté : la première, du 13 mars 2001, a été rejetée le 16 (paragraphes 33 et 34 ci-dessus) ; la deuxième, dont la date n’est pas connue, a été en revanche accueillie, et le requérant a été libéré le 13 avril 2001 (paragraphes 35 et 36 ci-dessus). Ces deux demandes sont cependant successives à la condamnation du requérant en première instance. Dès lors, même si admissibles en droit italien (car la détention est considérée comme provisoire jusqu’à ce que la condamnation devienne irrévocable), ces procédures ne sauraient entrer en ligne de compte sur le terrain du paragraphe 4 de l’article 5 de la Convention, car à cette époque le requérant était détenu « après condamnation par un tribunal compétent », aux termes de l’alinéa a) du premier paragraphe de cette disposition.
2. Appréciation de la Cour
110. La Cour rappelle qu’en garantissant aux personnes arrêtées ou détenues un recours pour contester la régularité de leur privation de liberté, l’article 5 § 4 de la Convention consacre aussi le droit pour elles, à la suite de l’institution d’une telle procédure, d’obtenir à bref délai une décision judiciaire concernant la régularité de leur détention et mettant fin à leur privation de liberté si elle se révèle illégale (voir, par exemple, Musiał c. Pologne [GC], no 24557/94, § 43, CEDH 1999-II ; Baranowski c. Pologne, no 28358/95, § 68, 28 mars 2000, CEDH 2000-III). Il est vrai que la disposition en question n’astreint pas les Etats contractants à instaurer un double degré de juridiction pour l’examen de la légalité de la détention et celui des demandes d’élargissement. Néanmoins, un Etat qui se dote d’un tel système doit en principe accorder aux détenus les mêmes garanties aussi bien en appel qu’en première instance, l’exigence du respect du « bref délai » constituant sans nul doute l’une d’entre elles (Navarra c. France, arrêt du 23 novembre 1993, série A no 273-B, § 28 ; Singh c. République Tchèque, no 60538/00, § 74, 25 janvier 2005).
111. La Cour rappelle également que le respect du droit de toute personne, au regard de l’article 5 § 4 de la Convention, d’obtenir à bref délai une décision d’un tribunal sur la légalité de sa détention doit être apprécié à la lumière des circonstances de chaque affaire (Sanchez-Reisse c. Suisse, arrêt du 21 octobre 1986, série A no 107, § 55 ; R.M.D. c. Suisse, arrêt du 26 septembre 1997, Recueil 1997-VI, p. 2013, § 42). En particulier, il faut tenir compte du déroulement général de la procédure et vérifier s’il y a des retards imputables à la conduite du requérant ou de ses conseils. En principe cependant, puisque la liberté de l’individu est en jeu, l’Etat doit faire en sorte que la procédure se déroule dans le minimum de temps (Mayzit c. Russie, no 63378/00, § 49, 20 janvier 2005).
112. En l’espèce, la Cour relève des retards importants dans l’examen des recours du requérant sur la légalité de sa détention. En particulier, le pourvoi en cassation du requérant du 24 décembre 1999, tendant à obtenir l’annulation de l’ordonnance de la chambre spécialisée de Palerme du 19 novembre 1999, n’a été décidé que le 23 mai 2000, soit cinq mois plus tard (paragraphes 12 et 13 ci-dessus). Il en va de même pour le pourvoi en cassation du 9 juin 2000, tendant à obtenir l’annulation de l’ordonnance de la chambre spécialisée de Palerme du 6 mai 2000, qui n’a été rejeté que le 18 janvier 2001, soit plus de huit mois plus tard (paragraphes 24 et 25 ci-dessus).
113. Comparant le cas de l’espèce avec d’autres affaires où elle a conclu au non-respect de l’exigence de « bref délai » au sens de l’article 5 § 4 (voir, par exemple, Rehbock c. Slovénie, no 29462/95, §§ 84-88, CEDH 2000-XII, et Sulaoja c. Estonie, no 55939/00, § 74, 15 février 2005, où il s’agissait, respectivement, de délais de vingt-trois jours et de deux mois et vingt-quatre jours), la Cour estime que les retards énoncés ci-dessus sont excessifs. Elle considère également que la complexité indéniable de l’affaire ne saurait expliquer la durée globale des procédures incriminées (voir, mutatis mutandis, Baranowski précité, § 73). En outre, tous les délais litigieux doivent être imputés aux autorités, étant donné que rien ne permet de penser que, après avoir introduit ses recours, le requérant ait, d’une manière quelconque, retardé leur examen (Mayzit précité, § 52 ; Rapacciuolo c. Italie, no 76024/01, § 35, 19 mai 2005).
114. Ceci suffit pour conclure à la violation de l’article 5 § 4 de la Convention en l’espèce. Dans ces circonstances, la Cour n’estime pas nécessaire de se pencher sur la question de savoir si les autres recours introduits par le requérant ont été traités en conformité avec l’exigence du « bref délai ».
IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
115. Le requérant estime que l’omission de lui notifier l’ordonnance de placement en détention provisoire du 10 septembre 1998 a également violé son droit à un procès équitable, tel que garanti par l’article 6 de la Convention.
Dans ses parties pertinentes, cette disposition se lit comme suit :
Article 6
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)
3. Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense (...). »
116. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Arguments des parties
1. Le requérant
117. Le requérant réitère les observations formulées au sujet de l’obligation d’information prévue à l’article 5 § 2 de la Convention et considère que le défaut de notification de l’ordonnance du 10 septembre 1998 a eu une « énorme influence sur la totalité de la procédure pénale menée à son encontre ». Il précise avoir été interrogé à trois reprises : lors son arrivée en Italie, puis le 27 mai 1999 et enfin le 13 avril 2000. Il ressortirait de la durée de ces interrogatoires que les juges italiens ne l’ont jamais informé du contenu de l’ordonnance du 10 septembre 1998.
118. Quant à la procédure ultérieure, le requérant se plaint avoir été soumis à certaines restrictions quant à l’accès aux actes du procès. Il observe n’avoir pu accéder à la documentation relative à la procédure d’extradition que le 15 mars 2003 (paragraphe 26 ci-dessus), date à laquelle il a été informé de la conclusion des investigations préliminaires, alors que le procès de première instance s’était terminé en 2001. S’il avait eu la possibilité de consulter les documents en question en temps utile, le requérant n’aurait pas opté pour la procédure abrégée. Il estime que les documents concernant son extradition ont été couverts par le secret afin de le priver de sa liberté aussi longtemps que possible et de le pousser à adopter une stratégie de défense erronée.
119. Par ailleurs, la procédure n’a pas été contradictoire. Les autorités n’ont donné aucune suite à ses demandes d’être entendu personnellement, de contester les preuves à charge, d’être confronté avec ses coïnculpés et de proposer de nouvelles investigations. Le requérant n’aurait pu ni téléphoner à son avocat ni se rendre au greffe du tribunal d’Agrigente afin d’obtenir une copie des preuves à charge contenues dans son dossier.
2. Le Gouvernement
120. Le Gouvernement considère que ce grief se prête à être analysé sous l’angle de l’alinéa a) du troisième paragraphe de l’article 6. Tout en se référant aux observations qu’il a développées sous l’angle de l’article 5 de la Convention, il note que le requérant a été interrogé d’abord par le G.I.P. de Rome peu après son arrivée en Italie, puis par un représentant du parquet le 27 mai 1999 (paragraphe 7 ci-dessus) et enfin par le G.I.P. de Palerme le 13 avril 2000 (paragraphe 20 ci-dessus). A ces occasions le requérant a été informé des accusations portées contre lui et des éléments de preuve à charge. Les autorités se sont donc acquittées de l’obligation d’information qui leur incombait.
121. Par ailleurs, la procédure s’est déroulée de façon régulière et le conseil du requérant eut accès au dossier sans entraves et en temps voulu. Le dossier, d’autre part, contenait tous les éléments habituels, et notamment les chefs d’accusation ainsi que les preuves à charge que la défense pouvait contester. Il contenait également l’ordonnance du 10 septembre 1998. Dès lors, l’omission de notifier cette dernière n’a pu avoir la moindre influence sur l’équité de la procédure.
B. Appréciation de la Cour
122. La Cour réitère tout d’abord les observations qu’elle a développées sous l’angle de l’article 5 § 2 de la Convention (paragraphes 94-96 ci-dessus). Elle rappelle que le requérant a eu une opportunité réelle de demander tout éclaircissement à l’égard des accusations portées contre lui lors de l’interrogatoire du 12 avril 1999. Il en va de même pour les interrogatoires ayant eu lieu les 27 mai 1999 et 13 avril 2000. Dans ces circonstances, la Cour ne saurait estimer que le droit du requérant à être informé de la nature et de la cause de l’accusation ait été enfreint en l’espèce.
123. Quant aux autres allégations du requérant, relatives à des prétendues difficultés dans l’accès aux actes du dossier et à l’impossibilité de contester les preuves à sa charge ou d’être confronté avec ses coïnculpés, la Cour note qu’elles ne se fondent sur aucun élément objectif autre que les affirmations de l’intéressé. Elles ne sont donc pas étayées. Au demeurant, elle relève que le requérant ne semble pas avoir soulevé les griefs qu’il porte à Strasbourg devant les juridictions internes compétentes et que l’accusé a de son plein gré demandé l’adoption de la procédure abrégée, une démarche simplifiée selon laquelle, en principe, les plaidoiries des parties se fondent sur les éléments recueillis par le parquet au cours des investigations préliminaires (paragraphe 59 ci-dessus).
124. Dans ces circonstances, aucune apparence de violation de l’article 6 de la Convention ne saurait être décelée en l’espèce.
125. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
V. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
126. Le requérant considère avoir été soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
127. Le Gouvernement conteste cette thèse.
A. Arguments des parties
1. Le requérant
128. Le requérant allègue tout d’abord qu’à partir du 10 avril 2000 il a été privé de sa liberté pour menaces, une infraction non passible de placement en détention provisoire. Deuxièmement, les entraves à sa liberté de correspondre l’auraient isolé « du monde extérieur ». En outre, son permis de conduire a été révoqué, ce qui l’a empêché d’exercer son activité professionnelle d’agent commercial.
129. Par ailleurs, à partir du 24 novembre 1999 et jusqu’à sa libération, le requérant a été soumis aux traitements suivants : a) absence « pendant la majeure partie des heures de la journée » d’eau potable ou pour se laver et laver le linge et la cellule ; b) obligation de se laver en hiver avec de l’eau froide, ce qui aurait provoqué une arthrose cervicale ; c) omission de l’opérer d’une hernie inguinale ; d) impossibilité d’obtenir son dossier médical et de consulter un médecin à l’extérieur de la prison. A chaque fois que le requérant a présenté des réclamations à ces sujets, les autorités pénitentiaires ont répondu oralement par la négative, et cela dans le but de le punir pour ses protestations.
130. Le requérant affirme que les conditions de sa détention ont été tout à fait anormales. Il allègue avoir été exclu de la plupart des opportunités offertes par le traitement pénitentiaire ordinaire, exception faite pour la possibilité de participer aux réunions de l’après midi avec les autres détenus et de déambuler dans une petite cour pendant les « heures d’air » de la journée. Il allègue également que, malgré ses nombreuses demandes, il n’a jamais été admis aux activités de travail en prison, au motif qu’il était encore en attente d’un procès.
131. Quant à l’absence d’eau potable, le requérant estime que l’administration pénitentiaire locale n’a pas obtempéré à son obligation de prendre les mesures nécessaires, telles que l’usage de fontaines et citernes ad hoc. Ceci a violé l’article 9 de la loi no 354 de 1975, aux termes duquel « les détenus et les internés doivent toujours disposer d’eau potable ».
132. L’intéressé allègue également avoir été tardivement autorisé à se soumettre à une visite ophtalmologique, ce qui a conduit à une diminution de sa vue. Le 2 février 2001, le médecin de la prison avait par ailleurs sollicité une intervention chirurgicale pour l’hernie inguinale du requérant. Cependant, faute de lits hospitaliers disponibles, l’intervention en question n’a pas eu lieu avant sa libération. Enfin, le long délai entre le diagnostic d’une carie dentaire et l’administration des soins y relatifs a causé la perte définitive de la dent malade.
2. Le Gouvernement
133. Le Gouvernement estime tout d’abord que ce grief n’est nullement étayé. Il affirme que les conditions de détention du requérant ont été parfaitement normales. Compte tenu des restrictions inhérentes à la condition de détenu (qui sont inévitables et légitimes au regard de la Convention), elles n’ont pas excédé les limites de ce qui est normalement acceptable dans pareilles situations et n’ont certainement pas atteint le niveau de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention.
134. En particulier, le Gouvernement soutient que le requérant n’a jamais été privé des opportunités offertes par le régime pénitentiaire ordinaire, comprenant notamment des activités de rééducation, récréation ou de travail.
135. Selon les informations fournies par le Département de l’administration pénitentiaire, les affirmations du requérant quant au manque d’eau potable, chaude ou froide, sont dénuées de fondement. Certes, la Sicile toute entière connait, on le sait bien, des problèmes de sécheresse et d’approvisionnement d’eau. Cela constitue un problème d’ordre général qui affecte les détenus aussi bien que l’ensemble de la population libre de l’île et qui dépend de causes naturelles liées à la position géographique, aux conditions climatiques et à la conformation territoriale de la région. Ce problème ne saurait être mis à la charge des autorités, qui prennent les mesures nécessaires pour lui faire face aussi bien en milieu carcéral que dans l’intérêt de l’ensemble des habitants. Le requérant a eu la possibilité de se doucher trois fois par semaine.
136. Quant au volet sanitaire, le Gouvernement note qu’il ressort du dossier que le requérant a toujours pu accéder aux soins et aux contrôles médicaux nécessaires et que l’administration pénitentiaire lui a accordé l’autorisation de se faire opérer dans un centre de détention équipé de manière adéquate. De surcroit, en considération des difficultés éventuelles liées à la liste d’attente prévisible, l’administration avait prévu la possibilité de procéder à l’opération en milieu hospitalier, si cela s’avérait nécessaire. Par ailleurs, il ressort d’une note du département pour l’administration pénitentiaire du 17 octobre 2005 que le requérant a reçu une copie de son dossier médical.
B. Appréciation de la Cour
1. Principes généraux
137. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, entre autres, Price c. Royaume-Uni, no 33394/96, § 24, CEDH 2001-VII ; Mouisel c. France, no 67263/01, § 37, CEDH 2002-IX ; Gennadi Naoumenko c. Ukraine, no 42023/98, § 108, 10 février 2004). Les allégations de mauvais traitements doivent être étayées par des éléments de preuve appropriés (voir, mutatis mutandis, Klaas c. Allemagne, arrêt du 22 septembre 1993, série A no 269, § 30). Pour l’appréciation de ces éléments, la Cour se rallie au principe de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable », mais ajoute qu’une telle preuve peut résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (Irlande c. Royaume-Uni, arrêt du 18 janvier 1978, série A no 25, § 161 in fine ; Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 121, CEDH 2000-IV).
138. Pour qu’une peine et le traitement dont elle s’accompagne puissent être qualifiés d’« inhumains » ou de « dégradants », la souffrance ou l’humiliation doivent en tout cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peines légitimes (Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 68, 11 juillet 2006).
139. S’agissant en particulier de personnes privées de liberté, l’article 3 impose à l’Etat l’obligation positive de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000-XI ; Riviere c. France, no 33834/03, § 62, 11 juillet 2006). Ainsi, le manque de soins médicaux appropriés, et, plus généralement, la détention d’une personne malade dans des conditions inadéquates, peut en principe constituer un traitement contraire à l’article 3 (voir, par exemple, İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 87, CEDH 2000-VII ; Gennadi Naumenko précité, § 112). Qui plus est, outre la santé du prisonnier, c’est son bien-être qui doit être assuré d’une manière adéquate (Mouisel précité, § 40).
140. Les conditions de détention d’une personne malade doivent garantir la protection de sa santé, eu égard aux contingences ordinaires et raisonnables de l’emprisonnement. Si l’on ne peut en déduire une obligation générale de remettre en liberté ou bien de transférer dans un hôpital civil un détenu, même si ce dernier souffre d’une maladie particulièrement difficile à soigner (Mouisel précité, § 40), l’article 3 de la Convention impose en tout cas à l’Etat de protéger l’intégrité physique des personnes privées de liberté. La Cour ne saurait exclure que, dans des conditions particulièrement graves, l’on puisse se trouver en présence de situations où une bonne administration de la justice pénale exige que des mesures de nature humanitaire soient prises pour y parer (Matencio c. France, no 58749/00, § 76, 15 janvier 2004 ; Sakkopoulos c. Grèce, no 61828/00, § 38, 15 janvier 2004).
141. En appliquant les principes susmentionnés, la Cour a déjà conclu que le maintien en détention pour une période prolongée d’une personne d’un âge avancé, et de surcroît malade, peut entrer dans le champ de protection de l’article 3 (Papon c. France (no 1) (déc.), no 64666/01, CEDH 2001-VI ; Sawoniuk c. Royaume-Uni (déc.), no 63716/00, CEDH 2001-VI ; Priebke c. Italie (déc.), no 48799/99, 5 avril 2001). De plus, la Cour a jugé que maintenir en détention une personne tétraplégique, dans des conditions inadaptées à son état de santé, était constitutif d’un traitement dégradant (Price précité, § 30). Elle a aussi considéré que certains traitements peuvent enfreindre l’article 3 du fait qu’ils sont infligés à une personne souffrant de troubles mentaux (Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, §§ 111-115, CEDH 2001-III). Cela étant, la Cour doit tenir compte, notamment, de trois éléments afin d’examiner la compatibilité d’un état de santé préoccupant avec le maintien en détention du requérant, à savoir : a) la condition du détenu, b) la qualité des soins dispensés et c) l’opportunité de maintenir la détention au vu de l’état de santé du requérant (Sakkopoulos précité, § 39).
2. Application des ces principes au cas d’espèce
142. Dans la présente affaire, se posent tout d’abord la question de la compatibilité de l’état de santé du requérant avec son maintien en détention et celle de savoir si cette situation atteint un niveau suffisant de gravité pour entrer dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention.
143. A cet égard, le requérant se plaint du retard dans une visite ophtalmologique, dans l’administration de soins pour une carie dentaire et dans l’accomplissement d’une intervention chirurgicale pour une hernie inguinale. Quant à ce dernier point, la Cour observe que le Gouvernement a précisé que l’administration avait prévu la possibilité de procéder à l’intervention en milieu hospitalier (paragraphe 136 ci-dessus). Cette affirmation n’a pas été démentie par le requérant. Quant aux retards avec lesquels il a été procédé à l’examen ophtalmologique et aux soins dentaires, le requérant n’a pas fourni de précisions ni produit des éléments pouvant étayer son affirmation selon laquelle le retard dénoncé a porté atteinte à sa santé.
144. Dans ces conditions, la Cour ne saurait conclure que l’état de santé du requérant était incompatible avec la détention ni que les autorités ont manqué à l’obligation qui est la leur de lui fournir de soins adéquats.
145. Quant aux autres allégations du requérant, telles que l’absence prolongée d’eau potable, l’impossibilité de travailler en prison ou de participer à toutes les activités carcérales, la Cour estime que les désagréments qui ont pu en découler n’ont pas atteint le niveau minimum de gravité pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention. Il en va de même pour la révocation du permis de conduire de l’intéressé.
146. Enfin, la Cour considère que les allégations portant sur la légalité de la détention et sur les entraves à la correspondance (paragraphe 128 ci-dessus) se prêtent à être examinées sous l’angle des articles 5 et 8 de la Convention.
147. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
VI. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 8, 10 ET 34 DE LA CONVENTION
148. Le requérant allègue que la police pénitentiaire ne lui a pas permis de correspondre librement avec ses proches, son avocat et la Cour. Il invoque à cet égard les articles 8 et 34 de la Convention. Par ailleurs, le 23 décembre 2000, la police pénitentiaire aurait saisi « cinq volumes contenants des arguments juridiques utiles à sa défense », ce qui s’analyserait en une violation de l’article 10 de la Convention.
Les dispositions invoquées par le requérant se lisent ainsi :
Article 8
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Article 10
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
Article 34
« La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit. »
149. Le Gouvernement s’oppose à ces thèses.
A. Sur la recevabilité
150. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
a) Le requérant
151. Le requérant allègue que l’administration pénitentiaire ne lui a remis qu’une très petite partie de sa correspondance. En particulier, il soutient que ses lettres de change (25 lettres, pour une valeur de 4 000 000 lires – environ 2 065 EUR – chacune) ne lui ont jamais été délivrées.
152. En outre, les autorités pénitentiaires ont saisi certaines de ses lettres de nature privée ainsi que d’autres courriers relatifs à sa correspondance avec les organes de la Convention. Ainsi, l’administration pénitentiaire l’aurait empêché de présenter son cas de façon optimale.
153. Le requérant estime que la saisie de sa correspondance a été illégitime car il était exempté de toute censure postale.
b) Le Gouvernement
154. Le Gouvernement observe tout d’abord que, selon les informations fournies par le département pour l’administration pénitentiaire – qui se réserve de produire une documentation volumineuse acquise auprès de la prison, si nécessaire – seules deux lettres furent saisies au requérant. Dès lors, l’ampleur réelle de l’ingérence dans le droit garanti par l’article 8 est sans commune mesure avec les affirmations du requérant.
155. Le Gouvernement observe ensuite que, dans la mesure où il y a eu ingérence, celle-ci est conforme à la loi. Elle poursuivait en outre un but légitime, à savoir la prévention d’autres infractions (qui auraient pu être commises par d’autres membres de l’organisation criminelle dont le requérant était l’organisateur) et la sauvegarde des exigences des investigations en cours.
156. Par ailleurs, en considération du nombre de lettres saisies, l’ingérence en question ne saurait être considérée comme disproportionnée.
157. Pour ce qui est de l’article 34 de la Convention, le Gouvernement observe tout d’abord que, d’après les informations du département pour l’administration pénitentiaire, aucun courrier du détenu adressé à la Cour ou reçu de celle-ci n’a été soumis à censure, confisqué par les autorités ou autrement empêché d’atteindre son destinataire. A ce dernier propos, le Gouvernement souligne que le nombre considérable de requêtes contre l’Italie devrait constituer à lui tout seul une preuve suffisante que les autorités nationales n’ont pas pour pratique d’entraver la correspondance avec la Cour.
158. Par ailleurs, le requérant a littéralement inondé la Cour d’une quantité impressionnante de lettres et mémoires (au moins une dizaine entre juillet 2000 et mars 2004, reçus par le greffe à des intervalles qui vont d’un maximum de 5-6 mois à un minimum de 7-10 jours), ainsi que de notes et documents d’un volume considérable. Le Gouvernement observe en outre que le requérant a reçu l’invitation de la Cour à intégrer la documentation par la transmission d’une copie de l’ordonnance de renvoi en jugement (voir lettre du greffe du 28 mai 2004) et y a répondu en temps voulu.
159. Le Gouvernement note également que les mémoires du requérant, quoique ce dernier ne soit pas juriste, sont relativement bien rédigés sur le plan technique et invoquent des dispositions conventionnelles souvent pertinentes à ses griefs, ce qui démontrerait qu’il n’a pas été empêché de se documenter.
2. Appréciation de la Cour
160. La Cour note tout d’abord que le requérant n’a pas produit des éléments à l’appui de ses affirmations selon lesquelles sa correspondance avec la Cour aurait été soumise à la censure et de nombreuses lettres contenant des sommes d’argent ou relatives à ses échanges de vues avec ses avocats et les membres de sa famille auraient été interceptées. Dès lors, ses allégations à cet égard ne sauraient, en tant que telles, être prises en considération.
161. En revanche, il ressort de la note du département pour l’administration pénitentiaire du 29 septembre 2005, que certains courriers avaient été « retenus » car l’intéressé avait été trouvé en possession de lettres adressées à un autre détenu (paragraphe 58 ci-dessus).
162. La Cour rappelle que toute « ingérence d’une autorité publique » dans l’exercice du droit d’un requérant au respect de sa correspondance méconnaît l’article 8 de la Convention sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes et, de plus, est « nécessaire, dans une société démocratique » pour les atteindre (voir, parmi beaucoup d’autres, Calogero Diana c. Italie, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, § 28 ; Domenichini c. Italie, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, § 28).
163. Or, en l’espèce, la correspondance du requérant n’était pas soumise à la censure et la « rétention » de ses courriers a été effectuée sans base légale. De plus, dans les circonstances particulières de la présente espèce, compte tenu du fait que l’homonyme du requérant ne souffrait, lui non plus, d’aucune restriction concernant sa correspondance, l’initiative prise par les autorités pénitentiaires ne saurait se justifier pour des raisons d’urgence et de sécurité concernant une tierce personne.
164. Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.
165. Cette conclusion dispense la Cour d’examiner si ces mêmes faits ont également violé les articles 10 et 34 de la Convention.
VII. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
166. Le requérant allègue de ne disposer, en droit italien, d’aucun recours effectif pour redresser son grief tiré des articles 8 et 34 de la Convention.
Il invoque l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
167. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
168. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
a) Le requérant
169. Le requérant allègue avoir ponctuellement dénoncé, par écrit et moyennant les voies appropriées, la censure de sa correspondance faite par les autorités carcérales. Il n’a cependant reçu aucune réponse. Il soutient également que, à l’époque des faits litigieux, il ne disposait d’aucun recours administratif pour redresser le grief tiré de la méconnaissance de l’article 8 de la Convention. A ce propos, il invoque la circonstance selon laquelle, à la date des dernières informations, il n’y avait aucune décision adoptée par un juge administratif portant sur le contrôle de la correspondance des détenus.
b) Le Gouvernement
170. Le Gouvernement rappelle que les mesures visant le contrôle de la correspondance des détenus sont désormais soumises au contrôle de l’autorité judiciaire en application de la loi no 95 de 2004 (qui a notamment introduit un article 18 ter dans la loi no 354 de 1975). Cette législation n’était pas applicable à l’époque des faits litigieux. Néanmoins, le requérant disposait d’un recours administratif pour contester les mesures en question.
2. Appréciation de la Cour
171. La Cour vient de conclure que la « rétention » des courriers du requérant a violé l’article 8 de la Convention. L’intéressé avait donc un « grief défendable » à l’égard de cette disposition et avait droit à un « recours effectif » devant une autorité nationale pour essayer de le redresser.
172. A cet égard, le Gouvernement s’est borné à affirmer que l’intéressé disposait d’un « recours administratif ». Il n’a cependant pas indiqué en quoi ce recours aurait consisté ni fourni des exemples où un tel recours aurait été utilisé avec succès par des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du requérant.
173. Dans ces circonstances, la Cour ne saurait conclure que le requérant avait à sa disposition, à un degré raisonnable de certitude, un recours satisfaisant aux exigences de l’article 13 de la Convention.
174. Il s’ensuit qu’il y a eu violation de cette disposition.
VIII. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DU PROTOCOLE No 4
175. Le requérant se plaint d’avoir été illégalement soumis à une mesure de la surveillance spéciale par la police avec assignation à résidence dans sa ville, à l’issue d’une procédure en chambre du conseil qui n’aurait pas respecté le principe du contradictoire.
Il invoque l’article 2 du Protocole no 4, combiné avec les articles 5, 6 et 8 de la Convention.
176. L’article 2 du Protocole no 4 se lit comme suit :
« 1. Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d’un Etat a le droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence.
2. Toute personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le sien.
3. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l’ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
4. Les droits reconnus au paragraphe 1 peuvent également, dans certaines zones déterminées, faire l’objet de restrictions qui, prévues par la loi, sont justifiées par l’intérêt public dans une société démocratique. »
177. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Arguments des parties
1. Le requérant
178. Le requérant affirme que l’omission de lui notifier l’ordonnance du 10 septembre 1998 a eu une lourde influence sur la procédure d’application de la mesure de surveillance spéciale. En effet, la proposition du Préfet se fondait, de manière exclusive, sur les sources de preuves à charge et les chefs d’accusation tels que décrits dans l’ordonnance susmentionnée. Il en va de même pour les décisions du tribunal d’Agrigente et de la cour d’appel de Palerme des 13 octobre 1999 et 7 avril 2000. Il est vrai que le Gouvernement affirme le contraire ; cependant, il n’indique pas les autres éléments factuels qui auraient été pris en compte par les juridictions internes.
179. Le requérant se plaint également de ce que deux lettres recommandées adressées au tribunal d’Agrigente et à la cour d’appel de Palerme auraient été retenues à la prison de cette dernière ville. Ces lettres visaient à contester le défaut de notification de l’ordonnance du 10 septembre 1998, citée per relationem par l’autorité de police d’Agrigente lorsqu’elle a proposé la mesure litigieuse. N’étant soumis à aucune censure de sa correspondance, le requérant estime que cette saisie a été arbitraire et s’analyse en une violation de son droit de se défendre personnellement.
180. Le requérant allègue que dans son pourvoi en cassation il a clairement indiqué que l’ordonnance du 10 septembre 1998 avait été déclaré nulle et non avenue. Déclarant irrecevable son pourvoi, la Cour de cassation a traité son affaire de façon négligente et superficielle (paragraphe 44 ci-dessus).
181. Par ailleurs, la mesure de surveillance spéciale a été appliquée à l’issue d’une procédure en chambre du conseil qui n’a pas respecté le principe du contradictoire. Le requérant aurait été empêché de voir son avocat car le cabinet de ce dernier se trouve en dehors de la province d’Agrigente.
2. Le Gouvernement
182. Le Gouvernement observe que s’il est vrai que la demande d’application de la surveillance spéciale du Préfet faisait référence à l’ordonnance du 10 septembre 1998, il n’en demeure pas moins que la décision du tribunal d’Agrigente ne s’est fondée ni de manière exclusive ni de manière déterminante sur cet acte. De nombreux autres éléments factuels, parmi lesquels de lourdes preuves qui pesaient sur le prévenu, ont été pris en compte, examinés et appréciés par les juges.
183. Au cours de la procédure, le requérant a été représenté et défendu par ses avocats, qui ont eu accès au dossier, ont déposé un mémoire et ont pris part à l’audience. Ils n’ont cependant soulevé aucune objection quant au fait que la demande de mesure de surveillance faisait référence à l’ordonnance du 10 septembre 1998. Les juges ne se sont donc pas penchés sur ce point, ce qui pose un problème quant à l’épuisement des voies de recours internes.
184. En tout état de cause, le Gouvernement ne voit pas comment l’omission de notifier l’ordonnance en question aurait pu violer l’article 2 du Protocole no 4, pris isolément ou combiné avec l’article 8 de la Convention.
185. De l’avis du Gouvernement, il convient de partir de l’idée que les mesures de prévention ne sont pas en tant que telles incompatibles avec la Convention car elles poursuivent les buts légitimes de sauvegarder la sécurité publique et d’empêcher la commission d’infractions graves par des personnes dont le style de vie ne s’accorde pas avec leurs revenus légaux, ou qui démontrent une potentialité criminelle. Ce principe n’est pas affecté par le fait que les mesures de prévention peuvent être appliquées indépendamment de l’existence de preuves suffisantes pour condamner l’intéressé pour une infraction spécifique.
186. A supposer même que la procédure d’application des mesures de prévention ait été inéquitable, ceci ne priverait pas les mesures prises à l’égard du requérant de leur base légale et de leur justification. En effet, en matière de détention, la Cour a constamment estimé qu’une personne est légitimement détenue « après condamnation » même si la procédure ayant conduit au constat de culpabilité était entachée d’un manque d’équité, à moins que les défaillances relevées ne soient d’une gravité telle qu’on puisse conclure à un véritable déni de justice (voir, par exemple, Stoichkov c. Bulgarie, no 9808/02, 24 mars 2005). Or, ce même raisonnement doit être appliqué par analogie à la présente affaire, où la procédure d’application de la surveillance spéciale n’a pas été inéquitable ou, de toute manière, ne saurait s’analyser en un véritable déni de justice.
187. Pour ce qui concerne enfin les allégations du requérant concernant le détournement de ses courriers, le Gouvernement réitère les observations formulées sous l’angle de l’article 8 de la Convention.
B. Appréciation de la Cour
188. La Cour réitère tout d’abord les observations qu’elle a développées sous l’angle des articles 5 § 2 et 6 de la Convention (paragraphes 94-96 et 122 ci-dessus). Elle rappelle que le requérant a eu une opportunité réelle de demander tout éclaircissement à l’égard des accusations portées contre lui lors des interrogatoires des 12 avril et 27 mai 1999 et 13 avril 2000. Dans ces circonstances, le fait que l’ordonnance de placement en détention provisoire du 10 septembre 1998 n’a pas été officiellement notifiée au requérant ne saurait porter atteinte à l’équité d’une procédure distincte de la procédure pénale principale, telle que la procédure pour l’application de la mesure de la surveillance spéciale de police.
189. Par ailleurs, la proposition du préfet d’Agrigente a été portée à la connaissance du requérant, qui a pu s’y opposer présentant les observations qu’il a estimées nécessaires pour sa défense (paragraphes 40 et 41 ci-dessus). En outre, rien ne prouve que le requérant ait été empêché de contacter son avocat ou que la procédure n’ait pas été contradictoire. Les affirmations de l’intéressé, selon lesquelles deux lettres qu’il a adressées au tribunal d’Agrigente et à la cour d’appel de Palerme ont été interceptées (paragraphe 179 ci-dessus), ne reposent sur aucun élément objectif.
190. Il n’est pas contesté que les limitations imposées à la liberté de circulation du requérant étaient prévues par la loi. Aux yeux de la Cour, compte tenu des lourdes accusations pesant sur l’intéressé, elles poursuivaient les buts légitimes du maintien de l’ordre public et de la prévention des infractions pénales. Rien ne permet de penser qu’en l’espèce elles n’étaient pas proportionnées à ces buts.
191. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
IX. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION
192. Le requérant considère avoir été victime d’un harcèlement de la part des autorités judiciaires et de la police. Il allègue en outre avoir subi une discrimination par rapport à ses coïnculpés, qui ont tous reçu la notification de l’ordonnance du 10 septembre 1998. Il invoque l’article 14 de la Convention, ainsi libellé :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
193. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Arguments des parties
194. Le requérant affirme avoir fait l’objet de harcèlement de la part du personnel du commissariat de police de Canicattì. Il affirme qu’à chaque fois qu’il a sollicité l’autorisation de quitter sa ville, on lui a répondu qu’il fallait d’abord retirer ou modifier sa requête à la Cour. Malgré ses protestations, les autorités compétentes n’auraient jamais engagé de poursuites contre ses harceleurs.
195. Le Gouvernement réitère les observations qu’il a formulées au sujet des prétendues entraves à la correspondance du requérant avec la Cour.
B. Appréciation de la Cour
196. La Cour estime que le requérant n’a pas prouvé d’avoir été traité différemment par rapport à des personnes se trouvant dans une situation comparable à la sienne. Les allégations de l’intéressé concernant le prétendu harcèlement dont il aurait été victime ne se fondent sur aucun élément objectif.
197. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
X. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
198. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
199. Le requérant allègue qu’avant son arrestation il était un agent commercial très connu et que ses vicissitudes judiciaires l’ont empêché, et l’empêchent encore, d’exercer son activité professionnelle. Il réclame 361 519 EUR et 180 000 EUR à titre, respectivement, de perte de revenus et de clientèle. Il demande ensuite 91 928 EUR, le valeur des lettres de change qui auraient été illégitimement saisies par les autorités pénitentiaires.
200. Le requérant considère avoir été injustement privé de sa liberté pendant deux ans et sept mois. Il estime que le dommage moral pour cette violation peut être calculé sur la base de 35 EUR par jour, soit un montant total de 35 720 EUR. Il demande en outre 50 000 EUR pour les entraves à son droit au respect de sa correspondance et 40 000 EUR pour les souffrances liées à ses problèmes sanitaires (notamment, hernie inguinale, carie dentaire, réduction de vue et arthrose cervicale).
201. Le Gouvernement observe tout d’abord que le préjudice matériel allégué par le requérant n’est pas étayé dans son montant et n’est nullement une conséquence des violations dont ce dernier s’estime victime. Les inconvénients qu’il a pu subir dans son activité professionnelle, en effet, seraient la conséquence des accusations légitimement portées contre lui et de l’issue des procédures diligentées à son encontre.
202. Quant au préjudice moral, le Gouvernement estime que la somme demandée par le requérant est manifestement exorbitante et prie la Cour de dire que le constat de la violation constitue une satisfaction équitable suffisante. A titre subsidiaire, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.
203. La Cour rappelle qu’elle est en mesure d’octroyer des sommes au titre de la satisfaction équitable prévue par l’article 41 lorsque la perte ou les dommages réclamés ont été causés par la violation constatée, l’Etat n’étant par contre pas censé verser des sommes pour les dommages qui ne lui sont pas imputables (Perote Pellon c. Espagne, no 45238/99, § 57, 25 juillet 2002).
204. En l’espèce, la Cour vient de conclure que la privation de liberté du requérant n’a pas été contraire à la Convention et que les traitements dont il a fait l’objet en prison n’ont pas atteint le minimum de gravité pour tomber sous le coup de l’article 3. Elle a en outre conclu que le requérant n’avait pas fourni des éléments objectifs pour étayer son affirmation selon laquelle de lettres de change avaient été saisies par les autorités italiennes. En tout état de cause, la Cour relève que le requérant n’a pas fourni des preuves relatives à la perte de revenus qu’il allègue. Il y a donc lieu de rejeter la demande de réparation pour dommage matériel.
205. En revanche, la Cour estime que le requérant a subi un tort moral certain. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle décide de lui octroyer 4 000 EUR à ce titre.
B. Frais et dépens
206. Le requérant demande également 50 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et 19 425 EUR pour ceux encourus devant la Cour, pour lesquels il a produit une note d’honoraires de son avocat.
207. Le Gouvernement note tout d’abord que le requérant ne demande pas le remboursement des coûts de la procédure devant la Cour, mais le remboursement forfaitaire des frais relatifs aux procédures internes. Il estime que le requérant n’a pas étayé ses prétentions et que les frais en question ne sont pas liés aux violations alléguées mais au déroulement des procédures qui auraient de toute manière été poursuivies. Dès lors, il s’impose de rejeter les demandes de l’intéressé.
208. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation des frais et dépens exposés par le requérant ne peut intervenir que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, parmi beaucoup d’autres, Belziuk c. Pologne, arrêt du 25 mars 1998, Recueil 1998-II, p. 573, § 49 ; Sardinas Albo c. Italie, no 56271/00, § 110, 17 février 2005).
209. La Cour observe que le requérant a demandé le remboursement de tous les frais concernant la rédaction et l’introduction de ses recours internes. Cependant, ces coûts semblent se référer à la procédure pénale sur le fond et à la procédure pour l’examen de la légalité du maintien en détention. Elles ne semblent donc avoir trait ni à la question du respect du « bref délai » voulu par l’article 5 § 4 de la Convention ni à celle des interférences avec son droit au respect de sa correspondance. A cet égard, la Cour rappelle que, pour les autres griefs de l’intéressé, elle a conclu soit au défaut manifeste de fondement, soit à la non-violation des dispositions invoquées par l’intéressé. Les sommes réclamées n’ont donc pas été nécessairement exposées pour faire redresser les violations de la Convention constatés par la Cour dans la présente espèce (voir, mutatis mutandis, Nikolova c. Bulgarie, no 31195/96, § 79, CEDH 1999-II ; Rapacciuolo précité, § 45). Il s’ensuit qu’aucun remboursement n’est dû au requérant pour les frais et dépens encourus au niveau interne.
210. Pour ce qui concerne les coûts exposés au niveau européen, la Cour les trouve excessifs. Par ailleurs, elle a rejeté la plupart des griefs du requérant. Elle considère dès lors qu’il n’y a lieu de ne rembourser qu’en partie les frais exposés par le requérant devant elle (voir, mutatis mutandis, Sakkopoulos précité, § 59 ; Cianetti c. Italie, no 55634/00, § 56, 22 avril 2004). Compte tenu des éléments en sa possession et de sa pratique en la matière, elle considère raisonnable de lui accorder 4 000 EUR de ce chef (voir, mutatis mutandis, Santoro c. Italie, no 36681/97, § 68, 1er juillet 2004).
C. Intérêts moratoires
211. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 5 §§ 1 et 4, 8, 10, 13 et 34 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;
5. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu violation des articles 10 et 34 de la Convention ;
6. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;
7. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 4 000 EUR (quatre mille euros) pour dommage moral, et 4 000 EUR (quatre mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
8. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 mars 2008 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Sally Dollé Françoise Tulkens
Greffière Présidente