TROISIÈME SECTION
AFFAIRE LÄ‚ZÄ‚RESCU c. ROUMANIE
(Requête no 3912/03)
ARRÊT
STRASBOURG
22 septembre 2009
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Lăzărescu c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Elisabet Fura,
Corneliu Bîrsan,
Boštjan M. Zupan�i�,
Alvina Gyulumyan,
Ineta Ziemele,
Ann Power, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er septembre 2009,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 3912/03) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. M L. (« le requérant »), a saisi la Cour le 26 novembre 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Răzvan-Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le 17 juin 2008, le président de la troisième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l’affaire.
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1959 et réside à Bucureşti.
A. Genèse de l’affaire
5. En 1979 et 1991 respectivement, V.I. acheta aux héritiers des grands-parents du requérant, une surface de terrain sis 46, rue Altasului y compris une maison qui y était bâtie. Le requérant s’opposa à cette dernière vente.
B. La procédure en partage successoral
6. Le 21 novembre 1994, M.E une des héritières introduisit devant le tribunal de première instance du Ier arrondissement de Bucarest une action en partage de la succession de la grand-mère du requérant. Elle dirigea son action contre le requérant et six autres héritiers. Le 26 janvier 1995, V.I. l’acheteur, fit une demande d’intervention dans la procédure et demanda que l’immeuble soit attribué à M.E. Par ailleurs, V.I demanda au tribunal de constater la validité des ventes intervenues en 1979 et 1991, ainsi que sa qualité de constructeur de bonne foi de l’atelier et de la maison édifiés sur le terrain en question. Le tribunal reporta au 16 mars 1995 l’audience au motif que trois héritiers n’avaient pas été cités à comparaître, mais également sur demande du requérant, pour qu’il puisse contracter un avocat au vue de sa défense.
7. Le 16 mars 1995, par voie reconventionnelle le requérant demanda l’annulation des ventes successives conclues entre les autres héritiers de ses grands-parents et V.I., ainsi que l’attribution de l’immeuble au motif qu’il y avait habité depuis toujours. Le tribunal accueillit les demandes de preuves des parties, notamment une expertise technique de constructions et l’audition des témoins.
8. Six audiences furent ajournées entre le 22 juin 1995 et le 4 avril 1996 à cause des irrégularités de la procédure de citation des parties et témoins et au motif que le rapport d’expertise n’était pas encore prêt.
9. Il ressort du dossier que le 5 octobre 1995, le rapport d’expertise fut achevé. A une date non précisée, il fut remis aux parties.
10. Entre le 4 avril 1996 et le 11 avril 1996 les audiences furent ajournées pour permettre à M.E. de formuler par écrit sa demande de renonciation à l’action.
11. Entre le 30 mai 1996 et le 24 octobre 1996 le tribunal entendit le requérant, V.I. et M.E. et, délibérant sur les objections formées par le requérant les rejeta, mais demanda à l’expert une réévaluation de l’immeuble compte tenu de ce que le rapport d’expertise avait été fait en octobre 1995.
12. Entre le 24 octobre 1996 et le 9 janvier 1997, après que les objections du requérant sur le rapport d’expertise eurent été rejetées, les audiences furent ajournées pour permettre à l’expert d’actualiser la valeur de l’immeuble.
13. Le 9 janvier 1997 le tribunal reporta les audiences au 27 février 1997 au motif que le rapport d’expertise n’avait pas été déposé.
14. Entre le 27 février 1997 et le 10 avril 1997 le tribunal ajourna l’affaire pour manque de temps et pour permettre aux parties de présenter des conclusions écrites.
15. Le requérant demanda l’ajournement à deux reprises, une première fois le 22 juin 1995 pour préparer sa défense et la seconde fois le 1er février 1996 au motif que son représentant ne pouvait être présent. Le tribunal fit droit à chaque fois aux demandes du requérant et reporta les débats de quatre et trois jours respectivement.
16. Le jugement au fond fut prononcé le 8 mai 1997. Le tribunal accueillit l’action de M.E. ainsi que la demande d’intervention de V.I. et partagea la succession de la grand-mère du requérant. Il constata que la succession de cette dernière était composée de l’immeuble sis 46, rue Altasului et du terrain afférent d’une surface de 250 m², qui devaient être partagés entre 8 héritiers, dont le requérant. L’immeuble fut attribué à M.E. avec l’accord des autres héritiers. Par ailleurs, le tribunal estima que les ventes de 1979 et 1991 respectivement étaient valides et, s’appuyant sur les dépositions des témoins attestant que V.I. avait habité l’immeuble, reconnut à ce dernier sa qualité de constructeur de bonne foi. Le tribunal prit également note du fait que le requérant n’avait pas donné son accord à la vente opérée en 1991 et, obligea M.E. à lui payer 2 387 400 lei roumains pour sa quote-part de l’immeuble évaluée conformément à l’expertise.
Le requérant interjeta appel de ce jugement. Il fit valoir que le tribunal de première instance n’avait pas rempli un rôle actif et n’avait pas cherché à établir l’identité de tous les héritiers de sa grand-mère et leurs quotes-parts respectives. L’appel fut enregistré au rôle du tribunal départemental de Bucarest.
17. Le 28 octobre 1997, le requérant demanda l’ajournement des audiences au motif qu’il était dans l’impossibilité de se présenter. Le tribunal fit droit à sa demande et reporta les audiences au 4 décembre 1997.
18. Le 4 décembre 1997 le tribunal reporta l’affaire au 11 décembre 1997 pour permettre aux parties de présenter des conclusions écrites.
19. Entre le 11 décembre 1997 et le 12 février 1998 les audiences furent ajournées pour permettre aux parties de déposer le titre de propriété de l’immeuble.
20. Le 12 février 1998, le tribunal reporta l’audience au 12 mars 1998 en raison de l’irrégularité de la procédure de citation du requérant.
21. Par un arrêt du 12 mars 1998, le tribunal départemental de Bucarest fit droit à l’appel interjeté par le requérant et cassa le jugement du 8 mai 1997 avec renvoi devant le tribunal de première instance. Il constata que ce dernier ne s’était pas prononcé sur une demande que M.E. avait faite pendant les débats au fond de l’affaire et tendant à constater que ses parents (les grands-parents du requérant) avaient acquis par l’effet de la prescription acquisitive de 30 ans le droit de propriété sur le terrain sis 46 rue Atlasului et de la maison qui y était bâtie (voir § 5, ci-dessus).
22. Après cassation, un des héritiers, D.A., décéda. Le 10 décembre 1998 le requérant demanda un ajournement afin de contacter un avocat au motif qu’il avait été cité à comparaître seulement trois jours avant les débats. Le tribunal fit droit à sa demande et reporta l’affaire au 1er avril 1999.
23. Le 5 mars 1999, le requérant déposa une demande de dépaysement du procès que la Cour suprême accueillit par une décision du 30 avril 1999.
24. Le 3 juin 1999 le tribunal de première instance du 1er arrondissement raya l’affaire de son rôle.
25. Le 17 août 1999 l’affaire fut enregistrée au rôle du tribunal de première instance du 6ème arrondissement de Bucarest.
26. Lors de la première audience, le 1er octobre 1999, le tribunal reporta les audiences au 29 octobre en raison des irrégularités de la procédure de citation des parties.
27. Entre le 29 octobre et le 1er novembre 1999 les débats furent ajournés pour que les parties puissent prendre connaissance du mémoire complémentaire soumis par le requérant, pour que ce dernier puisse préciser l’objet de son action et ses prétentions et pour que V.I. puisse donner l’identité des héritiers de D.A.
28. Le 26 novembre 1999 le tribunal reporta les débats au 14 janvier 2000 à cause des irrégularités de la procédure de citation des parties.
29. Entre le 14 janvier 2000 et le 10 mars 2000, les audiences furent ajournées pour que le requérant précise l’objet de ses prétentions, élément nécessaire afin d’établir l’objet du procès.
30. Le 10 mars 2000, le tribunal décida de surseoir à l’examen de l’affaire en raison de l’absence des parties. Il ressort du dossier que le 31 juillet 2000, le requérant demanda que l’affaire soit inscrite au rôle.
31. Le 22 septembre 2000 le tribunal reporta les audiences au 27 octobre 2000 au motif que le représentant du requérant ne pouvait être présent mais également à cause de l’irrégularité de la procédure de citation des parties.
32. Entre le 27 octobre 2000 et le 24 novembre 2000, les débats furent à nouveau ajournés pour que le requérant précise l’objet de ses prétentions, produise le justificatif du payement des frais requis pour inscrire l’affaire au rôle ainsi que le certificat d’hérédité de D.A., décédé au cours de la procédure.
33. Le 16 février 2001 le tribunal reporta les débats au 23 mars 2001 à cause de l’irrégularité de la procédure de citation des parties.
34. Le 23 mars 2001 l’avocat du requérant demanda un ajournement afin de présenter des conclusions écrites. Le tribunal fit droit à sa demanda et reporta les débats au 4 mai 2001.
35. Le 4 mai 2001 le tribunal reporta les débats à 8 juin 2001 cause au cause de l’irrégularité de la procédure de citation des parties.
36. Le 8 juin 2001, le tribunal reporta d’une semaine le prononcé du jugement pour manque de temps pour délibérer.
37. Par un jugement du 15 juin 2001, le tribunal de première instance du 6ème arrondissement de Bucarest prit note du fait que M.E. avait renoncé à l’action. Pour ce qui est de la demande reconventionnelle déposée par le requérant, le tribunal estima qu’elle était prescrite, n’ayant pas été introduite dans le délai général de prescription de trois ans. En effet, tenant compte du fait que le requérant s’était opposé à la vente de 1991 que les autres héritiers avaient conclue avec V.INote., le tribunal estima que cette dernière était annulable dans le délai général de trois ans.
38. Le requérant interjeta appel de ce jugement. L’affaire fut envoyée devant le tribunal départemental de Bucarest.
Trois audiences furent tenues devant ce tribunal.
39. Le 19 novembre 2001, le tribunal décida de surseoir à l’examen de l’affaire en raison de l’absence des parties. Le 10 janvier 2001, le requérant demanda que l’affaire soit inscrite au rôle invoquant qu’il n’avait pas pu se présenter pour des raisons médicales. Le tribunal reprit les débats.
40. Le 8 février 2002, constatant l’incompatibilité d’une juge, le tribunal reporta les audiences au 20 février 2002.
41. Par un arrêt du 20 février 2002 le tribunal départemental de Bucarest reforma le jugement du 15 juin 2001, rejeta la demande reconventionnelle du requérant ainsi que la demande d’intervention de V.I. et maintint la partie concernant la renonciation de M.E. à l’action. Pour en décider ainsi le tribunal constata d’abord qu’aucune preuve quant au droit de propriété des héritiers des grands-parents du requérant sur l’immeuble et le terrain sis 46 rue Atlasului n’avait été apportée de sorte que les demandes subséquentes portant sur ces biens étaient sans objet.
42. Le requérant se pourvut en recours contre ce jugement. Par un arrêt du 12 juin 2002, la cour d’appel de Bucarest, constatant que le requérant n’avait pas déposé les motifs de son recours dans le délai imparti par le code de procédure civile, le rejeta comme non-motivé.
Par une lettre du 2 juin 2003 le procureur près la Cour suprême de Justice informa le requérant de son refus d’introduire un recours en annulation contre l’arrêt du 12 juin 2002.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
43. Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
44. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse, soutenant que l’affaire est très compliquée compte tenu de la complexité des preuves et de la nécessité de permettre aux parties de présenter des conclusions et des objections à l’expertise. En outre, il fait valoir que le comportement du requérant à contribué dans une certaine mesure à l’allongement de la procédure.
45. La période à considérer a débuté le 21 novembre 1994 avec la saisine du tribunal de première instance du 1er arrondissement de Bucarest et s’est terminée le 12 juin 2002 avec l’arrêt de la cour d’appel de Bucarest. Elle a donc duré sept ans, six mois et 19 jours, pour trois degrés de juridiction.
A. Sur la recevabilité
46. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
B. Sur le fond
47. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII). Elle rappelle que, même lorsqu’une procédure est régie par le principe dispositif, tel le cas d’espèce qui consiste à donner aux parties des pouvoirs d’initiative et d’impulsion, il incombe aux États contractants d’organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d’obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable (Nicolai de Gorhez c. Belgique, no 11013/05, § 35, 16 octobre 2007).
48. Bien que l’affaire présentât une certaine complexité du fait de la participation de plusieurs parties, la Cour observe que plusieurs périodes d’inactivité ont résulté des irrégularités répétées de la procédure de citation des parties. Ces omissions sont comparables aux renvois successifs pour défaut de compétence (voir, mutatis mutandis, Ispan c. Roumanie, no 67710/01, § 44, 31 mai 2007), les tribunaux n’étant pas légalement investis pour connaître de l’affaire jusqu’à ce que les parties soient légalement citées à comparaître. Qui plus est, comme le cas des renvois successifs, les irrégularités dans la procédure de citation pouvaient continuer à l’infini, les parties ne pouvant y mettre un terme.
49. Les retards résultant de ces ajournements, tout comme la cassation avec renvoi du jugement du 8 mai 1997 (§ 21) sont imputables aux autorités. La cassation est due à l’omission du tribunal de première instance du Ier arrondissement de Bucarest de se prononcer sur une demande de M.E.. Elle rappelle à cet égard qu’une erreur imputable à un tribunal et entraînant un retard en raison de la nécessite� pour la redresser peut, combinée avec d’autres facteurs, entrer en ligne de compte pour l’appréciation du caractère raisonnable du délai vise� à l’article 6 § 1 (voir, mutatis mutandis Bock c. Allemagne, arrêt du 29 mars 1989, série A no 150, § 49). Bien qu’elle ne soit pas compétente pour analyser la manière dont les juridictions nationales ont interprété et appliqué le droit interne, elle constate, que nonobstant le nombre important d’audiences tenues, les tribunaux n’ont pas remarqué que le moyen de preuve attestant de la propriété de l’immeuble manquait, ce qui aurait évité le reste de la procédure dont le résultat a été de rejeter au fond les prétentions d’héritiers (voir § 41).
50. Par ailleurs, la Cour observe qu’il y a eu des retards en raison de l’expertise (§§ 8 et 13). Elle rappelle qu’un expert, indépendant dans l’établissement de son rapport, reste néanmoins soumis au contrôle des autorités judiciaires, tenues d’assurer le bon déroulement de l’expertise (arrêt Capuano c. Italie du 25 juin 1987, série A no 119-1, § 25). Dès lors, ces retards sont imputables aux autorités.
51. Concernant le comportement des parties et du requérant, la Cour observe d’abord que l’affaire fut suspendue à deux reprises en raison de l’absence des parties (§§ 30 et 39). Certes, la Cour note que le requérant fit preuve de diligence et d’initiative à chaque fois et réinscrivit l’affaire au rôle, mais elle note également que les progrès de la procédure dépendent en l’espèce entièrement de la diligence des parties et que les tribunaux ne pouvaient pas de leur propre initiative leur imposer la reprise de la procédure, (voir, mutais mutandis Liadis c. Grèce, no 16412/02, § 21, 27 mai 2004). Dès lors, les délais compris entre le 10 mars 2000 et 31 juillet 2000, date à laquelle le requérant demanda que l’affaire soit réinscrite au rôle, ainsi que le délai compris entre le 19 novembre 2001 et 10 janvier 2002, ne sauraient être imputés aux autorités, sinon aux parties (voir §§ 30 et 39).
52. La Cour note que le requérant sollicita quelques renvois à une nouvelle audience notamment pour préparer sa défense ou parce qu’il ne pouvait être présent. A cet égard elle ne peut toutefois que constater qu’une de ces demandes de renvois à été sollicitée à cause du bref délai entre la citation et le jour des débats (§ 22) et que certaines de ces demandes coïncident avec les ajournements engendrés par les irrégularités de la procédure de citation et ne sauraient lui être imputés.
Concernant la demande de dépaysement du procès, la Cour considère que la période comprise entre le 5 mars 1999, date à laquelle le requérant demanda le dépaysement du procès et le 30 avril 1999, jour où la Cour Suprême statua sur cette demande ne saurait être imputable au requérant. Elle rappelle que l’on ne saurait reprocher à un requérant d’avoir tiré pleinement parti des possibilités de recours, même si certains retards dans la procédure ont pu en résulter (Leclercq c. France, no 38398/97, § 26, 28 novembre 2000). Pour ce qui est de la période ultérieure, jusqu’à ce que l’affaire soit inscrite au rôle du tribunal de première instance du 6ème arrondissement de Bucarest la Cour estime que cette période d’environ trois mois était nécessaire à la transmission administrative du dossier.
53. Le comportement du requérant est donc à l’origine d’un retard global d’un an et deux mois environ de la durée totale de sept ans et six mois.
54. Par ailleurs, la Cour relève que ce n’est qu’après un examen de l’affaire au fond que le tribunal de première instance du 6ème arrondissement demanda au requérant de préciser ses arguments (§§ 28 et 30), ce qui retarda la procédure d’environ trois mois. La Cour considère que, s’il est vrai que ce manque d’informations essentielles n’a été constaté que tardivement, il revenait toutefois au requérant de détailler suffisamment son action au départ. La Cour considère dès lors que la responsabilité de ce retard de trois mois est à partager entre les deux parties (voir mutatis mutandis Zagorchinova c. Bulgarie (déc.), no 7619/04, 21 octobre 2008).
55. La Cour estime que le comportement des autorités est à l’origine d’un retard global d’environ deux ans et deux mois de la durée totale de sept ans et six mois. Elle estime enfin que, ni la complexité de l’affaire, ni le comportement du requérant n’expliquent la durée de la procédure, prise dans son ensemble.
56. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
57. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION
58. Le requérant se plaint enfin de ce que la longueur de la procédure litigieuse a porté atteinte au droit au respect de ses biens tel que garanti par l’article 1 du Protocole no 1.
59. La Cour relève que le recours du requérant fut rejeté pour défaut de motivation dans le délai imparti par le code de procédure civile (voir § 42). Or, la Cour rappelle que le grief dont un requérant entend saisir la Cour doit d’abord être soulevé, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant les juridictions nationales appropriées (arrêt Cardot c.France du 19 mars 1991, Série A no 200, § 34).
60. Des lors, ce grief doit être rejetée pour non épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
61. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
62. Le requérant demande 50 000 euros (EUR) au titre du dommage matériel qu’il aurait subi en raison de l’impossibilité d’hériter des biens ayant appartenu à ses grands-parents. Il estime que la valeur actuelle de l’immeuble sis 46 rue Atlasului est de 400 000 EUR. Il réclame en outre 5 000 EUR au titre du dommage moral.
63. Le Gouvernement s’oppose aux prétentions du requérant.
64. La Cour rappelle avoir conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée de la procédure. Dès lors, elle n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle estime que le requérant a subi un tort moral du fait de la durée excessive de la procédure. Statuant en équité, elle lui accorde 1 500 EUR à ce titre.
B. Frais et dépens
65. Le requérant envoya par une lettre du 2 septembre 2008, après communication de l’affaire au Gouvernement défendeur des justificatifs pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes, pour un montant de 152 EUR.
66. A l’occasion de la présentation de ses observations au titre de l’article 41 de la Convention, sans fournir d’autre justificatif des frais et dépens il s’en est remis à la lettre susmentionnée.
67. Le Gouvernement note que le requérant n’a pas chiffré ses prétentions à ce titre. Il fait valoir d’ailleurs que les justificatifs présentés ne sont pas justifiés par rapport aux faits de l’espèce.
68. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. La Cour estime que le requérant n’a pas démontré que les des frais et dépens qu’il a engagés devant les juridictions nationales ont été engagés pour prévenir ou faire corriger par celles-ci la violation de l’article 6 § 1 (voir, l’arrêt Zimmermann et Steiner c. Suisse du 13 juillet 1983, série A no 66, § 36, et Craiu c. Roumanie, no 26662/02, § 38, 7 octobre 2008). En conséquence la Cour rejette la demande du requérant pour frais et dépens.
C. Intérêts moratoires
69. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable pour ce qui est du grief fondé sur la durée de la procédure (article 6 § 1 de la Convention) et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention 1 500 EUR (mille cinq cents euros), à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement, pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme ;
b) qu’à compter de l’expiration du délai sus-indiqué et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 septembre 2009, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Josep Casadevall
Greffier Président