Conclusion Non-violation de l'art. 8
DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE KOONS c. ITALIE
(Requête no 68183/01)
ARRÊT
STRASBOURG
30 septembre 2008
DÉFINITIF
30/12/2008
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Koons c. Italie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Antonella Mularoni,
Ireneu Cabral Barreto,
Vladimiro Zagrebelsky,
Danutė Jo�ienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó, juges,
et de Sally Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 septembre 2008 ,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 68183/01) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant des États-Unis d’Amérique, M. J. L. K. (« le requérant »), a saisi la Cour le 23 mars 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me M. G., avocat à Rome. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. R. Adam, par son coagent, M. F. Crisafulli, et par son coagent adjoint, M. N. Lettieri.
3. Le requérant alléguait en particulier que les décisions des autorités judiciaires italiennes concernant la garde de son fils ont entraîné la violation de son droit au respect de sa vie familiale garanti par l’article 8 de la Convention.
4. Par une décision du 7 juin 2005, la chambre (quatrième section) a déclaré la requête partiellement recevable.
5. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.
6. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement). Des observations ont également été reçues d’une organisation non gouvernementale américaine, le National Center for Missing & Exploited Children (N.C.M.E.C.) à Alexandria (Virginie), que le président de la quatrième section avait autorisée à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 2 du règlement).
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
7. Le requérant est né en 1955 et réside à New York.
1. Le mariage et la procédure de divorce
8. Le 1er juin 1991, le requérant épousa A.E.S. (ci-après « Mme S. »), ressortissante hongroise naturalisée italienne, avec laquelle il eut un fils, L.M. Né le 29 octobre 1992 à New York, celui-ci acquit les nationalités américaine et italienne.
Ainsi qu’il ressort du jugement du tribunal de Rome du 26 septembre 1997, l’union fut très vite marquée par des tensions et des incompréhensions de sorte que le 27 décembre 1993, alors qu’il se trouvait à Rome avec sa mère, l’enfant fut emmené par son père aux États-Unis. Le même jour, le requérant entama devant la Cour suprême de l’État de New York une procédure de divorce et demanda la garde de son fils.
La mère se rendit alors aux États-Unis, où elle put en présence d’un gardien privé voir son enfant, qui résidait chez son père.
9. Par une décision provisoire du 17 janvier 1994, la Cour suprême de l’État de New York décida que l’autorité parentale serait confiée aux deux parents et que la résidence de l’enfant serait établie à New York.
10. Le 9 juin 1994, la mère rentra en Italie avec son fils.
11. Par un arrêt du 9 décembre 1994, la Cour suprême de l’État de New York prononça le divorce, confia l’autorité parentale au requérant et confirma le choix de New York comme lieu de résidence de l’enfant.
2. La procédure de séparation judiciaire en Italie
12. Entre-temps, le 15 juin 1994, Mme S. avait formé une demande de séparation judiciaire auprès du tribunal de Rome, en sollicitant l’autorité parentale exclusive.
13. Le 21 février 1995, une audience eut lieu devant le président du tribunal de Rome. Au cours de celle-ci, le requérant invoqua le défaut de compétence du juge italien et l’irrecevabilité de l’action, arguant que les parties étaient déjà divorcées selon le droit américain.
En outre, il demanda l’application à l’espèce de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Il soutint avoir emmené son enfant parce que la mère l’avait laissé à Rome pour aller participer à un spectacle de caractère érotique. Celle-ci était ensuite intervenue dans la procédure de divorce à New York en acceptant le partage de la garde, mais avait subitement quitté le territoire américain avec l’enfant.
14. Le président du tribunal de Rome, par une décision provisoire du 6 avril 1995, déclara que la Convention de La Haye n’entrait pas en ligne de compte, car elle n’était pas encore en vigueur en Italie. Sur la question de la garde, il releva l’absence de preuve quant à l’incompatibilité entre l’activité de la mère et sa capacité parentale. En outre, le tribunal estima, d’une part, qu’à l’âge de deux ans et demi le contact d’un enfant avec sa mère est essentiel pour son développement équilibré et, d’autre part, que le requérant n’avait pas démontré posséder des qualités éducatives supérieures à Mme S. Il souligna également que l’enfant vivait en Italie depuis juin 1994 avec sa mère et que le requérant s’était rendu dans ce pays seulement trois semaines avant l’audience du 21 février 1995. Au vu de ces éléments, le président du tribunal confia l’autorité parentale à la mère et décida que le droit de visite du requérant devait s’exercer exclusivement en Italie, chez la mère de l’enfant.
15. Le requérant saisit la Cour de cassation d’une demande de décision préjudicielle (regolamento preventivo di giurisdizione) sur la compétence des juridictions italiennes.
Par un arrêt du 8 février 1996, dont le texte fut déposé au greffe le 18 juin 1996, la Cour de cassation déclara que le juge italien était compétent pour connaître du litige.
16. Ayant, par la suite, repris l’examen du bien-fondé de cette affaire, le tribunal de Rome, par un jugement du 26 septembre 1997, déposé au greffe le 3 octobre 1997, décida que l’action litigieuse était irrecevable au motif que les parties étaient déjà divorcées selon l’arrêt de la Cour suprême de l’État de New York. La décision provisoire du 6 avril 1995 perdit donc tout effet.
3. La procédure d’exequatur du jugement américain
17. Le 10 février 1995, au cours de la procédure de séparation judiciaire initiée par Mme S., le requérant forma devant la cour d’appel de Rome une demande d’exequatur (delibazione) du jugement américain.
18. Par un arrêt du 17 juillet 1995, déposé au greffe le 1er août 1995, ladite juridiction rejeta la demande du requérant au motif que le jugement américain était contraire à l’ordre public italien pour non-respect du principe du contradictoire. De plus, le jugement litigieux limitait les droits parentaux de Mme S, leur définition étant renvoyée à un accord entre les parties difficile à envisager et, en cas d’impossibilité de trouver un accord, à un futur jugement qui aurait pu, lui aussi, être contraire à l’ordre public italien. Enfin, le jugement américain était encore contraire à l’ordre public italien dans la mesure où il reconnaissait la validité d’accords patrimoniaux conclus avant le mariage et destinés à prendre effet en cas de dissolution du mariage. A cela devait s’ajouter le droit de l’enfant, protégé par les conventions internationales, à rester avec sa mère.
4. La procédure de divorce en Italie
19. Le 28 octobre 1995, Mme S. introduisit devant le tribunal de Rome une nouvelle demande de divorce.
20. Dans cette affaire, le requérant saisit le tribunal en référé d’une demande visant notamment à l’obtention de la garde de l’enfant, sur la base de l’arrêt rendu par la Cour suprême de l’État de New York et des expertises déjà effectuées dans le cadre de la procédure américaine. Il l’invitait en tout état de cause à réviser les modalités de son droit de visite, car les rencontres avaient lieu chez la mère et celle-ci entravait selon lui les rapports père-fils.
21. Par deux ordonnances de référé du 8 mars et du 4 juin 1996, le juge de la mise en état modifia partiellement les modalités du droit de visite du requérant. Il ordonna aussi la réalisation d’expertises destinées à évaluer, d’une part, l’état psychologique du mineur et les relations de celui-ci avec ses parents et, d’autre part, les modalités de placement préférables pour l’enfant.
Des rapports d’expertises furent déposés et le procureur de la République recommanda l’octroi de la garde au requérant.
22. Par un jugement du 13 février 1998, déposé au greffe le 28 février, le tribunal de Rome prononça le divorce entre Mme S. et le requérant et confia à ce dernier la garde de l’enfant au motif qu’il était le parent le plus apte à éduquer le mineur, étant donné que la mère ne semblait exercer aucune fonction éducative. Le tribunal de Rome décida en outre que les deux ordonnances de référé du juge de la mise en état seraient applicables jusqu’au 31 juillet 1998.
23. Mme S. interjeta appel le 3 avril 1998.
Par un arrêt du 9 juillet 1998, dont le texte fut déposé au greffe le 23 septembre 1998, la cour d’appel de Rome estima que même si les deux experts commis d’office laissaient entendre que le requérant était le « plus apte à fournir à l’enfant un cadre relationnel dans lequel il puisse vivre et grandir », il ressortait du rapport d’expertise qu’aucun des parents n’avait un caractère ni une personnalité irréprochables. Compte tenu de cette incertitude, la cour d’appel considérait qu’il fallait se pencher avant tout sur la situation de l’enfant. Celui-ci avait « un rapport affectif très fort avec sa mère et, depuis qu’il avait renoué avec son père, fréquentait l’école américaine et suivait avec sa mère une psychothérapie, il avait atteint un équilibre et une sérénité personnelle et dans ses relations avec les autres ». La cour d’appel jugeait donc « moins traumatisant » pour l’enfant que la garde soit confiée à sa mère, au motif principal qu’il vivait avec elle depuis plusieurs années. En conséquence, elle accueillit l’appel de Mme S., interdit au mineur de rendre visite à son père aux États-Unis sans l’autorisation de la mère et imposa à celle-ci de continuer à suivre une psychothérapie. Par ailleurs, elle accorda au requérant un droit de visite, à raison de sept jours consécutifs par mois – les obligations scolaires de l’enfant devant être respectées – et d’un mois et demi durant les périodes estivales.
24. Le 3 novembre 1998, le requérant se pourvut en cassation.
Par un arrêt du 4 juin 1999, dont le texte fut déposé au greffe le 22 juin 1999, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle confirma l’arrêt de la cour d’appel de Rome au motif que le critère retenu – selon lequel l’intérêt de l’enfant avait un caractère général et absolu – devait primer.
5. La procédure pénale dirigée contre Mme S. pour violation du devoir d’assistance familiale et pour enlèvement d’enfant
25. En 1993 et en 1994, le requérant avait présenté au tribunal pénal de Rome deux plaintes contre Mme S., la première pour violation du devoir d’assistance familiale et la deuxième pour enlèvement d’enfant.
Par un jugement du 28 octobre 2000, le tribunal pénal de Rome relaxa Mme S. des deux chefs.
26. Le procureur de la République et le requérant interjetèrent appel contre cette décision et, par un arrêt du 29 mai 2001, la cour d’appel de Rome condamna Mme S. du seul chef d’enlèvement d’enfant.
27. Mme S. se pourvut en cassation.
Par un arrêt du 4 mars 2002, déposé au greffe le 20 mars, la Cour de cassation rejeta le pourvoi de Mme S. et confirma la décision de la cour d’appel de Rome.
6. La procédure pénale contre Mme S. pour non-respect de la décision du 9 juillet 1998
28. Suivant les dispositions de l’arrêt de la cour d’appel de Rome du 9 juillet 1998, le requérant se rendit en Italie pendant les vacances de Noël 2001 pour voir son fils. Cependant, Mme S. l’empêcha de le rencontrer en déclarant que l’enfant ne voulait pas le voir.
Le 15 janvier 2002, le requérant saisit alors le tribunal pénal de Rome d’une plainte contre Mme S. pour inexécution délibérée d’une mesure prise par le juge.
Le 25 mars 2003, le procureur de la République du tribunal de Rome demanda pour ces faits le renvoi en jugement de Mme S. L’issue de cette procédure n’est pas connue.
7. La procédure engagée devant le tribunal pour enfants de Rome en vue de la déchéance de l’autorité parentale de la mère
29. Le 23 janvier 2002, le requérant avait saisi le tribunal pour enfants de Rome en demandant la déchéance de l’autorité parentale de la mère en raison des obstacles qu’elle plaçait dans le rapport père-fils.
Le procureur de la République formula un avis favorable à cette déchéance.
30. Après avoir entendu les parties et le mineur, le tribunal pour enfants, par une décision du 23 mai 2002, rejeta la demande au motif que le garçon ne manifestait pas un refus de voir son père, mais avait au contraire un rapport positif avec lui.
31. Le requérant forma une réclamation (reclamo) devant la cour d’appel de Rome, expliquant que ses difficultés relationnelles avec son fils avaient pour unique origine le comportement de la mère, qui empêchait selon lui les rencontres entre lui-même et l’enfant. L’audience fut fixée au 10 janvier 2003. Lors de cette audience, l’affaire fut reportée au 21 mars 2003. A cette date, les parties furent entendues et le ministère public se prononça en faveur du requérant. Par une décision du même jour, déposée au greffe le 10 avril 2003, la cour d’appel rejeta la réclamation au motif qu’il n’était pas prouvé que le comportement de la mère fût préjudiciable à l’enfant au point de justifier la déchéance de l’autorité parentale de Mme S.
8. La procédure de modification des modalités de garde de l’enfant
32. Le 20 janvier 2002, le requérant présenta au tribunal civil de Rome une demande de modification des modalités de garde de l’enfant.
L’expertise accomplie sur ordre du juge de la mise en état conclut en faveur du placement de l’enfant à l’assistance publique, avec maintien au domicile de la mère.
Des débats eurent lieu lors de l’audience du 25 février 2003.
33. Dans son jugement du 11 avril 2003, déposé au greffe le 28 avril, le tribunal s’exprima ainsi :
« (...) considérant que les conclusions de l’expert (...) sont pleinement convaincantes ; considérant que cette solution s’impose dès lors que l’enfant a grandi en Italie, habite chez sa mère et n’a pas de contacts quotidiens avec son père ; qu’un changement radical de la situation de fait entraînerait un traumatisme grave qui ne ferait qu’amplifier les problèmes existants ; qu’il apparaît par ailleurs indispensable, pour un bon développement psychomoteur de l’enfant, que celui-ci soit en mesure de maintenir le lien avec son père pour pouvoir à l’avenir choisir librement de vivre avec l’un ou l’autre de ses parents, choix qu’empêche actuellement le comportement de ces derniers, qui semblent se proposer de manière exclusive, montrant ainsi qu’ils ignorent ou sous-estiment la nécessité pour l’enfant d’avoir une relation véritable avec ses deux parents ; que le placement à l’assistance publique permettrait aux services sociaux d’intervenir par des mesures immédiates, évitant ainsi le risque, mis en évidence par l’expert nommé d’office, que le mineur soit en contact, à cause du travail de la mère, avec un milieu et des situations non favorables à un bon développement de la personnalité ; que le placement apparaît nécessaire aussi pour rétablir une bonne relation père-fils (...) ; qu’il faut également, d’un autre côté, que le droit de visite du père soit exercé (...) en Italie, compte tenu du risque que (...) l’enfant puisse être retenu aux États-Unis au-delà des périodes fixées ; (...)
– [le tribunal] ordonne le placement de [l’enfant] à l’assistance publique, avec maintien de sa résidence au domicile de la mère ;
– ordonne que le père puisse garder l’enfant, après avis, pendant les vacances de Pâques ; pendant dix jours à Noël (...) ; pendant la moitié des vacances scolaires d’été (...). Au cas où le père séjournerait en Italie en dehors des fêtes, le droit de visite sera étendu à un week-end sur deux et à deux après-midi par semaine (de la sortie de l’école (...) jusqu’au lendemain matin (...)). »
34. Le 4 juin 2003, le requérant releva appel de cette décision. A titre principal, il demandait la garde de l’enfant et l’autorisation d’emmener celui-ci aux États-Unis après fixation préalable des modalités du droit de visite de la mère. A titre subsidiaire, il sollicitait la réalisation d’une nouvelle expertise.
35. Le 10 juillet, se plaignant que son ex-épouse continuait à entraver l’exercice de son droit de visite, le requérant demanda que l’audience fixée au 19 février 2004 soit avancée au mois de septembre 2003.
36. Par une ordonnance du 24 novembre 2003, la cour d’appel de Rome déclara que la municipalité de Rome devait obtenir des informations sur la mise en œuvre du placement du mineur à l’assistance publique, et renvoya l’audience au 18 février 2004.
Mme S. se constitua partie à la procédure le 12 octobre 2005.
Après une série de reports d’audience en raison des tentatives de règlement amiable de l’affaire, les parties présentèrent des documents et la juridiction d’appel requit le dépôt au greffe de rapports de suivi par les services sociaux, tout en ordonnant une nouvelle expertise sur la situation litigieuse. Le mineur fut entendu à l’audience du 12 décembre 2005.
37. Dans son arrêt du 30 octobre 2006, la cour d’appel releva que, loin d’avoir atteint les objectifs préconisés par le tribunal pour enfants dans la décision entreprise, la garde de l’enfant confiée aux services sociaux avait failli tant sur le plan du suivi du développement de l’enfant que sur le plan de la perspective d’une fréquentation plus intense avec le requérant. L’intervention des services sociaux avait exacerbé l’hostilité de l’enfant envers son père et créé une situation conflictuelle entre le mineur et sa mère d’une part, et l’assistante sociale de l’autre. Les rapports de suivi même, déposés au cours de la procédure, décrivaient la situation en des termes contradictoires : celui du 22 mars 2004 proposait le maintien du régime de garde aux services sociaux ; le 30 novembre 2005, confier la garde de l’enfant au père devenait une priorité absolue compte tenu de la « gravité de la situation » ; le 7 mars 2006, les services sociaux indiquaient que l’enfant était dépeint par les enseignants comme « loyal, généreux et mature ».
38. En outre, le climat conflictuel permanent entre les deux parents, l’absence de toute volonté de partager les choix relatifs à l’enfant et même de communiquer et de collaborer au niveau des exigences de ce dernier, tout comme la distance entre les domiciles des parents, portaient à exclure, selon la juridiction, la possibilité de la garde partagée. Les parents n’étaient pas conscients des préjudices que leur comportement, fortement influencé par des questions patrimoniales, causait à leur enfant.
39. Eu égard à l’âge du mineur et à sa volonté de rester auprès de sa mère, la cour d’appel jugeait, partant, logique d’exclure le placement de l’enfant dans le foyer de son père, solution à laquelle le premier était farouchement opposé.
40. La cour estima que toute nouvelle tentative de médiation destinée à faciliter les rencontres avec le père serait pour l’enfant une source supplémentaire de stress. L’enfant avait fortement pâti des conflits perpétuels (de nature également économique) opposant ses parents depuis sa naissance et l’impliquant directement dans une série ininterrompue de procédures judiciaires, avec leurs corollaires d’expertises, auditions, évaluations de toutes sortes, tentatives d’interventions thérapeutiques, etc.
41. Afin de rassurer le mineur quant à la prise en considération de ses souhaits et dans l’espoir qu’une fois libre de toute contrainte, il pourrait élaborer en des termes positifs le rapport avec son père, la cour d’appel confia la garde du mineur à la mère, accorda au requérant la faculté de le rencontrer et de le garder auprès de lui, même en dehors du territoire italien, selon des modalités à convenir à chaque fois avec la mère et l’enfant et dans le respect des exigences de celui-ci.
9. Les derniers développements connus
42. Invité par le greffe à indiquer les derniers développements de la situation litigieuse, le conseil du requérant s’est borné à affirmer que les relations père-fils avaient empiré et à déposer les motifs d’une décision du 26 mai 2008 par laquelle le tribunal de Rome a condamné Mme S. à six mois de réclusion et aux frais et dépens, ainsi qu’à la réparation des dommages subis par les parties civiles (le requérant à titre personnel et en tant que parent de L.M.). Il n’est pas précisé de quel chef Mme S. a été accusée et condamnée.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
43. Le requérant se plaint de la violation de son droit au respect de sa vie familiale dans la mesure où les autorités italiennes ont, d’une part, empêché son fils de se rendre chez lui aux États-Unis et, d’autre part, confié la garde du mineur in primis à la mère, in secundis aux services sociaux de Rome, puis à nouveau à la mère. Il invoque l’article 8 de la Convention aux termes duquel,
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie (...) familiale (...).
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) protection des droits et libertés d’autrui. »
A. Arguments des parties
44. Le requérant relève que son fils a été maintenu en Italie à la suite de son enlèvement par sa mère et que cet acte a été sanctionné pénalement. Selon lui, le placement de son enfant à l’assistance publique et le maintien de la résidence chez sa mère fut la conséquence non de l’évaluation de l’intérêt du mineur à rester à Rome avec sa mère, mais plutôt d’une situation de fait illicite et arbitraire qui perdure. De plus, selon le requérant, la décision de la cour d’appel de Rome d’octobre 2006, qui déléguerait au bon vouloir de la mère la possibilité du maintien des contacts père-fils, serait le dernier en date des nombreux exemples de l’ingérence des autorités italiennes dans son droit à des rapports significatifs avec son enfant. Cette décision ne serait pas motivée et aurait ignoré les évaluations formulées par l’expert commis d’office et les autres experts intervenus dans les différentes phases de la procédure, évaluations toutes concordantes dans le sens de juger préférable de lui confier la garde de son fils en raison du caractère adéquat de ses capacités parentales.
45. Selon le Gouvernement, dans son arrêt de 1999, la Cour de cassation a voulu valoriser le critère de la stabilité du rapport de l’enfant avec le lieu où se déploient quotidiennement ses liens affectifs et ses intérêts principaux, qui constituent « le milieu » du mineur, entendu comme contexte matériel et psychologique où sa personnalité se développe. Dans son évaluation de la situation, la Cour de cassation a également tenu compte de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 qui a prévu comme fait empêchant la restitution de mineurs déplacés illicitement l’écoulement d’une certaine période de temps en tant que facteur d’intégration de ces enfants dans leur nouveau milieu. Compte tenu de ces éléments, le Gouvernement estime que c’est à juste titre que les autorités nationales ont placé le mineur chez sa mère, afin de lui permettre de continuer à vivre dans le milieu dans lequel il avait vécu la plus grande partie de son existence.
46. Le N.C.M.E.C., tiers intervenant, soutient que les autorités italiennes ont violé l’article 8 de la Convention, en raison de la décision par laquelle la cour d’appel de Rome a refusé le retour du mineur aux États-Unis, en prenant en compte pour cela les années passées dans sa résidence illégitime auprès de sa mère afin, selon l’arrêt, de lui éviter un traumatisme et dans son propre intérêt, malgré l’avis contraire des experts et du ministère public.
B. Appréciation de la Cour
47. La Cour constate d’emblée que pour le requérant, continuer à avoir des relations stables avec son fils est un élément fondamental qui relève à l’évidence de sa vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention, lequel est donc applicable en l’espèce (voir parmi beaucoup d’autres Maire c. Portugal, précité, § 68). Le maintien de l’enfant sur le territoire italien décidé par les juridictions nationales constitue à n’en pas douter dans le chef du requérant une « ingérence », au sens du paragraphe 2 de cette même disposition.
48. L’article 8 tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics ; il engendre de surcroît des obligations positives inhérentes à un respect « effectif » de la vie familiale. Dans un cas comme dans l’autre, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble ; de même, dans les deux hypothèses, l’État jouit d’une certaine marge d’appréciation (arrêt Keegan c. Irlande du 26 mai 1994, série A no 290, p. 19, § 49).
S’agissant de l’obligation pour l’État d’arrêter des mesures positives, la Cour n’a cessé de dire que l’article 8 implique le droit d’un parent à des mesures propres à le réunir avec son enfant et l’obligation pour les autorités nationales de les prendre (voir, par exemple, les arrêts Eriksson c. Suède du 22 juin 1989, série A no 156, pp. 26-27, § 71, Margareta et Roger Andersson c. Suède du 25 février 1992, série A no 226-A, p. 30, § 91, Olsson c. Suède (no 2) du 27 novembre 1992, série A no 250, pp. 35-36, § 90, et Hokkanen c. Finlande du 23 septembre 1994, série A no 299-A, p. 20, § 55).
Toutefois, l’obligation pour les autorités nationales de prendre des mesures à cet effet n’est pas absolue. Si les autorités doivent s’efforcer de faciliter la collaboration de l’ensemble des personnes concernées, l’obligation éventuelle pour elles de recourir à la coercition en la matière ne saurait être que limitée : il leur faut tenir compte des intérêts et des droits et libertés de ces mêmes personnes, et notamment des intérêts supérieurs de l’enfant et des droits que lui reconnaît l’article 8 de la Convention. Dans l’hypothèse où des contacts avec les parents risquent de menacer ces intérêts ou de porter atteinte à ces droits, il revient aux autorités nationales de veiller à un juste équilibre entre eux (arrêts Hokkanen précité, p. 22, § 58 et Ignacolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, § 94, CEDH 2000-I).
49. En ce qui concerne la réunion d’un parent et de son enfant, les obligations que l’article 8 fait peser sur l’État membre doivent s’interpréter à la lumière des exigences imposées par la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (Iglesias Gil et A.U.I. c. Espagne, no 56673/00, § 51, CEDH 2003-V, et Ignaccolo-Zenide précité, § 95), ainsi qu’à celles de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 (Maire précité, § 72).
50. En l’espèce, la Cour relève que les décisions contestées par le requérant visaient à protéger les droits et libertés d’autrui, en l’occurrence son enfant, but reconnu comme étant légitime, au sens du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention. Elle s’efforcera donc de déterminer si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique », au sens du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention interprété à la lumière des instruments internationaux précités, le point décisif consistant à savoir si le juste équilibre devant exister entre les intérêts concurrents présents – ceux de l’enfant, des deux parents entre eux et de l’ordre public – a été ménagé dans les limites de la marge d’appréciation dont les États jouissent en la matière. En outre, si l’article 8 ne renferme aucune condition expresse de procédure, il faut que le processus décisionnel débouchant sur des mesures d’ingérence soit équitable et respecte comme il se doit les intérêts protégés par cette disposition (voir Eskinazi et Chelouche c. Turquie (déc.), no 14600/05, CEDH 2005-..., § 62).
51. La Cour rappelle d’abord que, tandis qu’il se trouvait à Rome avec sa mère, l’enfant fut emmené par son père aux États-Unis. Ensuite elle observe qu’alors que le 17 janvier 1994, dans le cadre de la procédure de divorce entamée par le requérant, la Cour suprême de l’État de New York avait confié provisoirement l’autorité parentale aux deux parents et fixé la résidence de l’enfant à New York (paragraphe 9 ci-dessus), l’enfant fut ramené en Italie par sa mère. En dépit de l’arrêt de la Cour suprême de l’État de New-York du 9 décembre 1994, qui lui en avait attribué la garde exclusive, le requérant ne put reprendre L.M. avec lui en raison de la décision provisoire du président du tribunal de Rome, qui avait confié l’autorité parentale à la mère et avait décidé que le requérant exercerait le droit de visite en Italie chez Mme S. Le magistrat avait considéré inopportun de confier la garde au père à cause du risque d’un nouveau traumatisme en cas de retour du mineur aux États-Unis. Parallèlement, la cour d’appel de Rome avait rejeté la demande d’exequatur du jugement américain comme contraire à l’ordre public italien (paragraphe 17 ci-dessus).
A l’issue de la procédure de divorce entamée par Mme S., le requérant obtint en première instance la garde de l’enfant au motif qu’il était le plus apte à éduquer le mineur et que la mère n’exerçait aucune fonction éducative. Toutefois, sur appel de Mme S., cette décision fut annulée le 9 juillet 1998 et la garde de l’enfant fut confiée à la mère. La Cour de cassation confirma cet arrêt le 4 juin 1999.
52. Le 11 avril 2003, le tribunal civil de Rome plaça l’enfant à l’assistance publique avec maintien de la résidence chez la mère et modifia favorablement les modalités de visite du père, tout en interdisant toute sortie du mineur du territoire italien. La juridiction s’appuya sur le rapport de l’expert nommé d’office, selon lequel il fallait éviter un changement radical pour l’enfant qui vivait depuis longtemps en Italie et n’avait pas de contacts quotidiens avec le requérant. Le maintien de rapports avec les deux parents était indispensable au bon développement du mineur et les services sociaux auraient pu adopter toute mesure apte à éviter les contacts de ce dernier avec le milieu de travail de sa mère.
53. Les autorités italiennes se livrèrent à un examen approfondi de l’ensemble de la situation familiale et à l’appréciation des intérêts de toutes les parties en cause, et surtout de l’enfant, afin de parvenir à la solution la plus à même de fournir à ce dernier un cadre de vie stable, condition nécessaire pour son développement sain et équilibré. Plusieurs expertises furent ordonnées par les juges, lesquels ont agi avec la diligence et la promptitude nécessaires dans ce type d’affaires délicates.
54. Force est de constater que l’intérêt supérieur de l’enfant fut toujours au centre de l’action des autorités saisies. Et cela même lorsque la cour d’appel en 2006 dut se résigner à reconnaître que le projet de rapprochement père-fils avait échoué. Au centre d’un conflit permanent et incapables de partager les choix relatifs à leur fils, le requérant et Mme S. ont été jugés comme non conscients du grave préjudice que leurs querelles personnelles et économiques causaient au mineur.
55. L’importance que les juges italiens ont attachée au bien-être physique et psychologique de L.M. apparaît comme une évidence tout au long de l’interminable bataille judiciaire qui oppose encore ses parents. Par ailleurs, L.M., qui a été l’objet de nombreuses expertises et qui a été entendu également par les autorités judiciaires, s’est toujours fortement opposé à l’idée de partir aux Etats-Unis pour rejoindre le requérant.
56. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que les autorités judiciaires italiennes ont déployé tous les efforts nécessaires pour protéger l’intérêt primordial du mineur, tout en reconnaissant toujours le droit de visite du requérant, dans une situation difficile caractérisée par des querelles perpétuelles entre les parties et leur incapacité à mettre le bien-être de L.M. au cœur de leurs préoccupations.
La Cour ajoute que pour autant que le grief du requérant pourrait être interprété comme se référant à une prétendue impossibilité d’exercer son droit de visite, le requérant ne lui a pas fourni suffisamment d’éléments pour parvenir à une conclusion sur ce point.
Dans ces circonstances, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
Dit, par cinq voix contre deux, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 septembre 2008 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Sally Dollé Françoise Tulkens
Greffière Présidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion dissidente des juges Popović et Sajó.
F.T.
S.D.
OPINION DISSIDENTE DES JUGES POPOVIĆ ET SAJÓ
A notre grand regret, nous ne pouvons souscrire au raisonnement de la majorité.
1. Mme S. a systématiquement empêché M. K. d’exercer son droit de visite. A cause de ce comportement, le 26 mai 2008 le tribunal de Rome a condamné Mme S. à six mois d’emprisonnement et au versement des frais et dépens, ainsi qu’à la réparation des dommages subis par les parties civiles. Pendant des années, les autorités italiennes n’ont pas été capables de faire respecter le droit de visite de M. K.. De temps en temps, elles ont pris des décisions, déclarées plus tard erronées et futiles, qui ont même privé M. K. de l’exercice effectif du droit de visite. Ce dernier n’ayant pas eu la possibilité d’exercer son droit de visite de manière effective, nous devons constater qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.
2. La Cour estime que « pour autant que le grief du requérant pourrait être interprété comme se référant à une prétendue impossibilité d’exercer son droit de visite, le requérant ne lui a pas fourni suffisamment d’éléments pour parvenir à une conclusion sur ce point » (paragraphe 56 alinéa 2 de l’arrêt). Il convient toutefois de souligner que le requérant a constamment fait référence à son droit de visite, bien sûr toujours à titre subsidiaire par rapport à la garde de l’enfant. Ce fait a été reconnu par la Cour en 2004 : « Le 10 juillet [2003], se plaignant que son ex-épouse continuât à entraver l’exercice de son droit de visite, le requérant demanda que l’audience fixée au 19 février 2004 fût avancée au mois de septembre 2003 » (décision partielle sur la recevabilité de la requête no 68183/01, rendue le 17 février 2004).
3. Notre désaccord avec la majorité ne repose pas uniquement sur une différence d’appréciation des faits, mais aussi sur une divergence quant à l’interprétation du droit.
A nos yeux, les droits du requérant garantis par l’article 8 de la Convention – notamment celui de continuer à avoir des relations stables avec son fils – constituent un élément fondamental qui relève à l’évidence de sa vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention, lequel est selon nous applicable en l’espèce (voir, parmi beaucoup d’autres, Maire c. Portugal, no 48206/99, § 68, CEDH 2003-VII).
La Cour même considère le droit garanti par l’article 8 de la Convention sous l’angle de la réunion d’un parent et de son enfant (paragraphe 50 de l’arrêt).
Le requérant a essayé d’invoquer ce droit en premier lieu comme un droit de garde de l’enfant. Selon la jurisprudence de la Cour, « [en] matière de garde d’enfant, par exemple, « l’intérêt supérieur de l’enfant » peut avoir un double objet : d’une part, lui garantir une évolution dans un environnement sain, et un parent ne saurait être autorisé à prendre des mesures préjudiciables à sa santé et à son développement ; d’autre part, maintenir ses liens avec sa famille, sauf dans les cas où celle-ci s’est montrée particulièrement indigne, car briser ce lien revient à couper l’enfant de ses racines (voir Gnahoré c. France, no 40031/98, CEDH 2000-IX) » (Maumousseau et Washington c. France, no 39388/05, § 67, CEDH 2007-...). La garde de l’enfant englobe les liens avec la famille, et le droit de visite et le droit d’exercer l’autorité parentale sont des instruments de ces liens avec la famille, lesquels constituent un droit réciproque.