PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE KONSTANTINOS PETROPOULOS c. GRÈCE
(Requête no 55484/07)
ARRÊT
STRASBOURG
15 octobre 2009
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Konstantinos Petropoulos c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l'homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Nina Vajić, présidente,
Christos Rozakis,
Khanlar Hajiyev,
Dean Spielmann,
Sverre Erik Jebens,
Giorgio Malinverni,
George Nicolaou, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 septembre 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 55484/07) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. K. P. (« le requérant »), a saisi la Cour le 8 décembre 2007 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. G. Kanellopoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l'Etat, et Mme Z. Hatzipavlou, auditrice auprès du Conseil juridique de l'Etat.
3. Le 11 septembre 2008, la présidente de la première section a décidé de communiquer les griefs tirés de l'équité et de la durée de la procédure au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1955 et réside à Patras. Il est avocat au barreau de Patras.
5. Le 10 décembre 1999, le requérant saisit le tribunal de première instance de Patras d'une action en dommages-intérêts contre quatre personnes physiques, réclamant 16 425 000 drachmes (48 202 euros) au titre des honoraires. L'audience fut fixée au 13 avril 2000, date à laquelle elle fut ajournée en raison de la tenue des élections législatives. Le 2 mai 2000, le requérant demanda la fixation d'une nouvelle date d'audience. Celle-ci fut fixée au 23 novembre 2000, date à laquelle elle fut à nouveau ajournée à la demande de la partie adverse. Le 17 mai 2001, l'audience fut à nouveau ajournée en raison de la grève des avocats du barreau. Le 20 mai 2001, les parties demandèrent la fixation d'une nouvelle date d'audience. Celle-ci eut lieu le 17 janvier 2002.
6. Le 29 mars 2002, le tribunal déclara le recours irrecevable au motif que les quatre défendeurs n'avaient pas la qualité d'ester passivement en justice (Îλλειψη παθητικής νομιμοποίησης), puisqu'ils n'agissaient pas en leur propre nom, mais en tant que membres du conseil d'administration de l'Association coopérative de construction des employés de banque du département d'Achaïa (ci-après « l'association »). Le tribunal considéra que le requérant était au courant de cette situation et le condamna aux dépens (décision no 322/2003).
7. Le 25 août 2002, le requérant interjeta appel, en soulevant onze moyens, longuement développés dans ses écritures. L'audience devant la cour d'appel de Patras eut lieu le 17 avril 2003. Le requérant était présent et plaida sa cause en sa qualité d'avocat. Les défendeurs n'étaient pas présents, mais représentés par leurs conseils, qui plaidèrent l'affaire. Les délibérations eurent lieu le 26 juin 2003.
8. Le 29 août 2003, par une décision avant dire droit, la cour d'appel de Patras, invoquant les articles 254 et 245 du code de procédure civile (voir ci-dessous), ordonna « la répétition de l'audience devant cette cour (την επανάληψη της συζητήσεως στο ακ�οατή�ιο του δικαστη�ίου το�του) pour que les parties se présentent en personne et donnent les clarifications nécessaires [sur le litige] » (décision no 896/2003). Le 17 septembre 2003, le requérant demanda la fixation d'une nouvelle date d'audience.
9. Le 19 septembre 2004, la cour d'appel de Patras, composée différemment, déclara fondée l'exception des défendeurs tirée de l'absence de leur qualité d'ester passivement en justice. En effet, se référant à des dépositions de témoins et à d'autres documents du dossier, la cour d'appel considéra comme établi que le requérant avait accompli des actes en qualité de mandataire de l'association et non pas comme représentant des quatre personnes physiques visées dans son action ; ces dernières agissaient en tant que représentants légaux de l'association et n'étaient donc pas personnellement responsables pour régler les honoraires dus par celle-ci. La cour d'appel considéra que les allégations contraires, soulevées par le requérant dans son appel, était infondées et devaient être rejetées, sans autre précision. Dès lors, tout en notant que la motivation du tribunal de première instance était « quelque peu différente et insuffisante », elle confirma la décision attaquée, rejeta l'appel et condamna le requérant aux dépens (décision no 893/2004).
10. Le 19 avril 2005, le requérant se pourvut en cassation. Dans son pourvoi de 111 pages, il présenta d'abord un résumé du litige et l'évolution de la procédure devant les juridictions de fond, puis un tableau avec un résumé de ses moyens en cassation, avec référence aux articles du droit interne invoqués à leur appui, ainsi qu'aux paragraphes de son mémoire où chaque moyen était exposé. Le requérant développa ensuite ses neuf moyens de cassation. Dans son premier moyen, exposé sur 41 pages, il commença par citer un extrait de l'arrêt attaqué, en mentionnant la page, le paragraphe et l'alinéa pertinents, puis il présenta ses propres arguments pour réfuter les thèses de la cour d'appel. Il invoqua aussi en détail plusieurs preuves, en se plaignant que la cour d'appel les avait ignorées. Dans ses deuxième à huitième moyens, exposés sur 60 pages, le requérant se plaignait que la cour d'appel l'avait à tort débouté et qu'elle avait omis de se prononcer sur certaines de ses demandes, qu'il détaillait sur plusieurs pages. Il se plaignait en outre que la cour d'appel aurait dû déclarer irrecevable l'exception des défendeurs tirée de l'absence de leur qualité d'ester passivement en justice, puisque cette exception était vague et avait été déposée tardivement ; le requérant précisait à cet égard qu'il avait soulevé ce grief dans son appel, mais que la cour d'appel l'avait « ignoré ». Il soutenait que cette juridiction avait mal interprété et appliqué le droit interne pertinent, en se fondant sur une mauvaise appréciation des dépositions des témoins et de plusieurs documents du dossier, preuves que le requérant analysait une par une. Dans son neuvième moyen, le requérant contestait enfin la composition de la cour d'appel, en soutenant que, conformément au code de procédure civile, la cour d'appel aurait dû avoir la même composition que celle qui avait ordonné la répétition de l'audience. Le texte de l'arrêt attaqué, ainsi que celui de la décision avant dire droit de la cour d'appel, étaient joints au pourvoi.
11. L'audience devant la Cour de cassation eut lieu le 21 novembre 2006. Le requérant affirme que l'un des magistrats qui faisait partie de la composition de la haute juridiction décéda le 18 janvier 2007, sans pour autant être remplacé lors des délibérations qui s'ensuivirent, le 24 avril 2007. Selon le Gouvernement, ce magistrat avait été dûment remplacé et, par omission manifeste, le nom du juge remplaçant ne figure pas dans le texte de l'arrêt rendu par la haute juridiction.
12. Le 31 mai 2007, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Se référant notamment à l'article 559 § 1 du code de procédure civile (voir paragraphe 13 ci-dessous), elle déclara irrecevables les griefs soulevés dans les huit premiers moyens en cassation, en considérant, entre autres, que le requérant n'avait pas précisé dans son pourvoi les circonstances de fait sur lesquelles s'était fondée la cour d'appel pour le débouter. S'agissant en particulier du grief du requérant, selon lequel la cour d'appel aurait dû déclarer irrecevable l'exception des défendeurs tirée de l'absence de leur qualité d'ester passivement en justice, la Cour de cassation le déclara irrecevable, au motif que le requérant avait omis de mentionner dans son pourvoi qu'il avait soulevé ce grief lors de la procédure en appel. La haute juridiction considéra en outre que la cour d'appel avait dûment motivé son arrêt et qu'elle avait correctement apprécié les preuves produites devant elle. S'agissant en particulier du grief du requérant que la cour d'appel n'avait pas répondu à ses diverses demandes, la Cour de cassation le déclara irrecevable, au motif que le requérant avait omis de mentionner dans son pourvoi quelles étaient ces demandes. Elle rejeta enfin le neuvième moyen soulevé par le requérant, au motif qu'il était dénué de fondement : de l'avis la Cour de cassation, « la cour d'appel n'avait pas ordonné la répétition de l'audience, selon l'article 254 du code de procédure civile, mais la présentation en personne des parties à l'audience, selon l'article 245 du même code ; dès lors, il n'était pas nécessaire que la composition de la cour d'appel soit la même » (arrêt no 1159/2007). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 13 juin 2007.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
13. Les dispositions pertinentes du code de procédure civile sont ainsi libellées :
Article 245 § 1
« Le tribunal peut, d'office ou sur demande des parties, ordonner tout ce qui peut faciliter l'examen du litige et notamment la présence en personne des parties ou de leurs représentants à l'audience pour répondre à des questions et donner les clarifications nécessaires au sujet de l'affaire. »
Article 254
« Le tribunal peut ordonner la répétition de l'audience qui est terminée si, lors de l'examen de l'affaire ou des délibérations, apparaissent des lacunes ou des points douteux qui nécessitent d'être complétés ou clarifiés. L'audience qui est ainsi répétée est considérée comme la suite de la précédente. »
Article 559 § 1
« Le pourvoi en cassation est autorisé seulement si une règle de fond a été violée (...) indépendamment de la question de savoir s'il s'agit d'une loi ou d'une coutume, grecque ou étrangère, du droit interne ou international (...) »
Article 566 §1
« Le pourvoi en cassation doit comprendre les éléments exigés par les articles 118 à 120, citer l'arrêt attaqué, les moyens de cassation en entier ou en partie de l'arrêt attaqué ainsi qu'une demande quant au fond de l'affaire. »
Article 577 § 3
« La Cour de cassation examine la recevabilité et le fond des motifs de cassation si elle juge le pourvoi en cassation légal et recevable. »
Article 578
« La Cour de cassation rejette le pourvoi en cassation si elle estime que les motifs de l'arrêt attaqué sont erronés et que son dispositif est juste (...). »
Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, le pourvoi en cassation doit préciser quelle est la règle de fond qui a été violée, en quoi consiste l'erreur juridique, autrement dit où se trouve la violation dans l'interprétation ou l'application de la règle en cause, et doit aussi comporter l'exposé des faits sur lesquels s'est fondée la cour d'appel pour rejeter le recours (Cour de cassation, nos 1507/1997, 290/2003, 237/2004).
EN DROIT
I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION AU REGARD DE L'EQUITÉ DE LA PROCÉDURE
14. Le requérant se plaint d'une violation de son droit à un procès équitable, tel que prévu par l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Sur la recevabilité
15. La Cour constate que cette partie de la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
16. Selon le requérant, les juridictions internes auraient commis plusieurs erreurs dans l'examen de son affaire et auraient ignoré certains de ses griefs. Il reproche plus particulièrement à la Cour de cassation d'avoir fait preuve de formalisme excessif en déclarant irrecevables ses moyens, soit au motif qu'il n'avait pas mentionné les circonstances de fait sur lesquelles s'était fondée la juridiction d'appel pour le débouter, soit au motif que son pourvoi ne comportait pas les éléments nécessaires pour leur examen. Il y voit une violation de son droit d'accès à un tribunal et considère que la Cour de cassation a fait preuve de formalisme excessif et n'a pas lu son pourvoi. Le requérant se plaint aussi du rejet de son neuvième moyen en cassation, tiré de la composition de la cour d'appel après la répétition de l'audience, en considérant que le raisonnement de la Cour de cassation va à l'encontre du texte même de la décision no 896/2003 de la cour d'appel. Enfin, le requérant affirme que la composition de la haute juridiction n'était pas légale, puisqu'un magistrat qui avait participé à l'audience et qui serait décédé quelques mois plus tard, n'aurait pas été remplacé lors des délibérations sur l'affaire qui s'ensuivirent. Le requérant conclut à une violation de son droit à un tribunal indépendant et impartial, tant devant la cour d'appel que devant la Cour de cassation.
17. Le Gouvernement s'oppose à ces thèses. Pour ce qui est plus particulièrement du grief tiré du droit d'accès à un tribunal, le Gouvernement estime raisonnable que le demandeur en cassation soit tenu de présenter les faits de la cause tels qu'ils ont été établis par la cour d'appel après l'administration des preuves. Dans le cas contraire, il incomberait à la Cour de cassation de rechercher elle-même les faits de la cause ayant conduit la cour d'appel à l'interprétation litigieuse du droit interne. Le Gouvernement affirme que la façon dont le requérant avait rédigé son pourvoi en cassation en l'espèce était particulièrement confuse, dans la mesure où il présenta un texte qui était disproportionnellement long avec l'objet, plutôt simple, du litige, texte qui manquait aussi de structure claire et dans lequel s'entremêlaient moyens en cassation, griefs et arguments juridiques. Le Gouvernement estime, toutefois, que même si l'examen du pourvoi s'avéra particulièrement compliqué et laborieux, la Cour de cassation traita méticuleusement un par un les moyens soulevés par le requérant, en motivant pleinement son arrêt. Le Gouvernement conclut que le manque de clarté et de précision dans la présentation des moyens du requérant est à l'origine de leur rejet par la haute juridiction. Le Gouvernement affirme en outre que nulle autre violation du droit du requérant à un procès équitable ne se trouve établie en l'espèce.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
18. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle elle n'a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C'est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu'il incombe d'interpréter la législation interne (voir, parmi beaucoup d'autres, GarcÃa Manibardo c. Espagne, no 38695/97, § 36, CEDH 2000-II). Par ailleurs, le « droit à un tribunal », dont le droit d'accès constitue un aspect particulier, n'est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d'un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l'Etat, lequel jouit à cet égard d'une certaine marge d'appréciation. Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l'accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s'en trouve atteint dans sa substance même ; enfin, elles ne se concilient avec l'article 6 § 1 que si elles tendent à un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir, parmi beaucoup d'autres, Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, 19 février 1998, § 34, Recueil des arrêts et décisions 1998–I). En effet, le droit d'accès à un tribunal se trouve atteint lorsque sa réglementation cesse de servir les buts de sécurité juridique et de bonne administration de la justice et constitue une sorte de barrière qui empêche le justiciable de voir son litige tranché au fond par la juridiction compétente.
19. La Cour rappelle en outre que l'article 6 de la Convention n'astreint pas les Etats contractants à créer des cours d'appel ou de cassation (voir, notamment, Delcourt c. Belgique, 17 janvier 1970, §§ 25-26, série A no 11). Cependant, si de telles juridictions existent, les garanties de l'article 6 doivent être respectées, notamment en ce qu'il assure aux plaideurs un droit effectif d'accès aux tribunaux pour faire statuer sur les contestations relatives à leurs « droits et obligations de caractère civil » (voir, parmi d'autres, Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, 19 décembre 1997, § 37, Recueil 1997-VIII). En outre, la compatibilité des limitations prévues par le droit interne avec le droit d'accès à un tribunal reconnu par l'article 6 § 1 de la Convention dépend des particularités de la procédure en cause et il faut prendre en compte l'ensemble du procès mené dans l'ordre juridique interne et le rôle qu'y a joué la Cour suprême, les conditions de recevabilité d'un pourvoi en cassation pouvant être plus rigoureuses que pour un appel (Khalfaoui c. France, no 34791/97, CEDH 1999-IX).
20. La Cour rappelle enfin que la réglementation relative aux formalités pour former un recours vise à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. Les intéressés doivent s'attendre à ce que les règles soient appliquées (Miragall Escolano et autres c. Espagne, nos 38366/97, 38688/97, 40777/98, 40843/98, 41015/98, 41400/98, 41446/98, 41484/98, 41487/98 et 41509/98, § 33, CEDH 2000-I).
21. Cela étant, la Cour a conclu à plusieurs reprises que l'application par les juridictions internes de formalités à respecter pour former un recours est susceptible de violer le droit d'accès à un tribunal. Il en est ainsi quand l'interprétation par trop formaliste de la légalité ordinaire faite par une juridiction empêche, de fait, l'examen au fond du recours exercé par l'intéressé (Běleš et autres c. République tchèque, no 47273/99, § 69, CEDH 2002-IX ; Zvolský et Zvolská c. République tchèque, no 46129/99, § 55, CEDH 2002-IX).
b) Application en l'espèce des principes susmentionnés
22. Dans le cas d'espèce, la Cour relève tout d'abord que la Cour de cassation déclara irrecevables les griefs soulevés dans les huit premiers moyens en cassation soulevés par le requérant, en considérant, entre autres, que celui-ci n'avait pas mentionné dans son pourvoi les circonstances de fait sur lesquelles s'était fondée la juridiction d'appel pour le débouter (voir paragraphe 12 ci-dessus). Elle constate que la règle appliquée par la haute juridiction pour se prononcer sur la recevabilité des moyens en cause est une construction jurisprudentielle : elle ne découle pas d'une disposition procédurale spécifique, mais bien de la combinaison de quatre articles du code de procédure civile. Bref, la haute juridiction fixe en la matière une condition de recevabilité portant sur la clarté des moyens en cassation.
23. Il n'en reste pas moins que cette règle jurisprudentielle obéit, d'une manière générale, aux exigences de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice ; quand le demandeur en cassation reproche à la cour d'appel une appréciation erronée des faits de la cause par rapport à la règle juridique appliquée, il paraît raisonnable d'exiger qu'il relate dans son pourvoi les faits pertinents tels qu'ils ont été admis par la cour d'appel. A défaut, la haute juridiction ne serait pas en mesure d'exercer son contrôle d'annulation à l'égard de l'arrêt attaqué ; elle serait tenue de procéder à un nouvel établissement des faits pertinents de la cause et de les apprécier elle-même par rapport à la règle de droit appliquée par la cour d'appel. Cette hypothèse ne peut donc être envisagée, car elle équivaudrait à exiger de la haute juridiction qu'elle formule elle-même les moyens de cassation censés être soumis à son examen. En somme, la règle jurisprudentielle appliquée en l'espèce se concilie avec la spécificité du rôle joué par la Cour de cassation, dont le contrôle est limité au respect du droit (voir, en ce sens, Brechos c. Grèce (déc.), no 7632/04, 11 avril 2006).
24. On ne peut toutefois soutenir en l'occurrence que le pourvoi en cassation faisait peser sur la Cour de cassation la charge de procéder à un nouvel établissement des faits de l'espèce, lesquels, de surcroît, étaient relativement simples. La Cour note en effet que dans son premier moyen, exposé sur 41 pages, le requérant commença par citer un extrait de l'arrêt attaqué, en mentionnant la page, le paragraphe et l'alinéa pertinents, puis présenta ses propres arguments pour réfuter les thèses de la cour d'appel. La Cour note, en outre, que le texte de l'arrêt attaqué, ainsi que celui de la décision avant dire droit de la cour d'appel, étaient joints au pourvoi. Même s'il est vrai que le requérant compliqua excessivement la présentation de ses moyens, la Cour estime que le fait de lui opposer de ne pas avoir relaté dans son pourvoi les circonstances factuelles que la cour d'appel avait retenues pour le débouter, relève d'une approche par trop formaliste qui, en l'espèce, a empêché l'intéressé d'obtenir un examen au fond de ses allégations par la Cour de cassation (voir, en ce sens, Liakopoulou, no 20627/04, 24 mai 2006 ; Efstathiou et autres, no 36998/02, 27 juillet 2006 ; Zouboulidis, no 77574/01, 14 décembre 2006 ; Vasilakis, no 25145/05, 17 janvier 2008 ; Koskina et autres, no 2602/06, 21 février 2008).
25. A la lumière des considérations qui précèdent, la Cour estime qu'en l'espèce, la limitation au droit d'accès à un tribunal imposée par la Cour de cassation n'était pas proportionnée au but de garantir la sécurité juridique et la bonne administration de la justice.
26. Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention au regard du droit du requérant d'avoir accès à un tribunal. Pareille conclusion dispense la Cour d'examiner les autres doléances soulevées par le requérant au titre de l'équité de la procédure litigieuse.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION AU REGARD DE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE
27. Le requérant se plaint que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l'article 6 § 1 de la Convention.
28. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.
29. La période à considérer a débuté le 10 décembre 1999, avec la saisine du tribunal de première instance de Patras, et s'est terminée le 31 mai 2007, avec l'arrêt no 1159/2007 de la Cour de cassation. Elle a donc duré sept ans et plus de cinq mois pour trois instances.
A. Sur la recevabilité
30. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
31. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l'enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
32. La Cour a traité à maintes reprises d'affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d'espèce et a constaté la violation de l'article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender précité).
33. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n'a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu'en l'espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l'exigence du « délai raisonnable ».
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
34. Invoquant l'article 1 du Protocole no 1, le requérant se plaint enfin d'une atteinte à son droit au respect de ses biens. Selon lui, les erreurs commises par les juridictions internes lors de l'examen de son affaire l'ont empêché de toucher les sommes réclamées dans son action.
Sur la recevabilité
35. La Cour estime que la prétendue créance du requérant ne peut passer pour un « bien » au sens de l'article 1 du Protocole no 1, puisque elle n'a pas été constatée par une décision judiciaire ayant force de chose jugée. Telle est pourtant la condition pour qu'une créance soit certaine et exigible et, partant, protégée par l'article 1 du Protocole no 1 (voir, parmi d'autres, Raffineries Grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, 9 décembre 1994, § 59, série A, no 301-B).
36. En particulier, la Cour note que, tant que son affaire était pendante devant les juridictions internes, son action n'a fait naître, dans le chef du requérant, aucun droit de créance, mais uniquement l'éventualité d'obtenir pareille créance. Or, elle rappelle que le requérant fut débouté à l'issue de la procédure litigieuse et estime que même si le caractère équitable de cette procédure fut sujet à critique, elle ne saurait toutefois spéculer sur l'existence d'un droit dans le chef du requérant de toucher les sommes réclamées dans son action. Dès lors, les arrêts ayant rejeté sa demande n'ont pas fait naître en son chef une créance protégée par l'article 1 du Protocole no 1.
37. Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
38. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
39. Le requérant réclame 48 202 euros (EUR) au titre du préjudice matériel. Cette somme correspond au montant qui faisait l'objet du litige devant les juridictions nationales. Le requérant réclame en outre 20 000 EUR au titre du préjudice moral qu'il aurait subi.
40. Le Gouvernement invite la Cour à écarter la demande au titre du dommage matériel. Il affirme en outre qu'un constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante au titre du dommage moral ou, accessoirement, que la somme allouée à ce titre ne saurait dépasser 3 000 EUR.
41. La Cour n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et un quelconque dommage matériel dont le requérant aurait eu à souffrir ; il y a donc lieu de rejeter cet aspect de ses prétentions. En revanche, la Cour estime que le requérant peut réclamer la réparation du tort moral subi en raison de la violation de son droit d'accès à un tribunal, ainsi que de son droit de voir sa cause jugée dans un délai raisonnable. Statuant en équité, elle lui accorde la somme de 6 500 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt.
B. Frais et dépens
42. Le requérant demande également, factures à l'appui, 3 015,93 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 595 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Il réclame en outre, sans produire de facture ou note d'honoraires, 2 000 EUR pour d'autres frais et dépens engagés dans le cadre de la procédure litigieuse, et s'en remet à la sagesse de la Cour pour en déterminer le montant alloué à ce titre.
43. Le Gouvernement affirme que la somme allouée à ce titre ne saurait dépasser 500 EUR.
44. La Cour rappelle que l'allocation de frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).
45. En l'espèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d'allouer au requérant 500 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû par lui à titre d'impôt.
C. Intérêts moratoires
46. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l'équité et de la durée de la procédure et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention au regard du droit d'accès à un tribunal ;
3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention au regard de la durée de la procédure ;
4. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner les autres griefs tirés de l'article 6 § 1 de la Convention ;
5. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 6 500 EUR (six mille cinq cents euros) pour dommage moral et 500 EUR (cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 octobre 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
André Wampach Nina Vajić
Greffier adjoint Présidente