Conclusion Partiellement irrecevable ; Violation de P1-1 ; Préjudice moral - constat de violation suffisant
CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE JOUBERT c. FRANCE
(Requête no 30345/05)
ARRÊT
STRASBOURG
23 juillet 2009
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Joubert c. France,
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Peer Lorenzen, président,
Rait Maruste,
Jean-Paul Costa,
Karel Jungwiert,
Renate Jaeger,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 juin 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 30345/05) dirigée contre la République française et dont deux ressortissants de cet Etat, M. F. J. et Mme M J., son épouse, (« les requérants »), ont saisi la Cour le 18 août 2005 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants sont représentés par Me P. M , avocat à Gradignan. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. Les requérants alléguaient notamment une violation de l'article 1 du Protocole no 1, en raison de l'intervention d'une loi rétroactive en cours de procédure administrative.
4. Le 3 décembre 2007, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, elle a en outre décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5. Les requérants sont nés respectivement en 1944 et 1949 et résident à Saint-Romain-la-Virvée.
6. Ils détenaient 99 % du capital de la société M. En 1990, ils cédèrent l'ensemble de ces parts à la société B. pour un montant de 7,5 millions de francs français (FRF). Dans leur déclaration fiscale personnelle, ils déclarèrent, au titre de la plus-value réalisée pour l'année 1990, la somme de 3 252 000 FRF.
7. A la suite de la vérification par l'administration fiscale de la comptabilité de la société B. qui avait acquis les titres, la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI) de la direction générale des impôts notifia aux requérants, le 13 septembre 1993, un redressement au titre de la plus-value réalisée lors de cette cession, estimant que ladite plus-value était supérieure de 4 millions de francs à la somme qu'ils avaient déclarée. Des pénalités de mauvaise foi, d'un taux de 40 %, leur furent imputées à cette occasion.
8. Dans un courrier du 23 septembre 1993 adressé à l'administration fiscale, les requérants reconnurent qu'ils auraient dû déclarer la totalité du prix de vente dans leur déclaration. Ils demandèrent cependant la levée des pénalités fiscales qui leur avaient été appliquées. La DVNI refusa de faire droit à cette demande par courrier du 10 novembre 1993.
9. L'imposition supplémentaire, d'un montant total de 1 058 947 FRF, fut mise en recouvrement le 30 novembre 1994.
10. Le 12 janvier 1995, en vertu de l'article L. 76 A du livre des procédures fiscales (paragraphe 27 ci-dessous), les requérants saisirent l'administration fiscale d'une réclamation tendant à obtenir la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt auxquelles ils avaient été assujettis au titre de l'année 1990 ainsi que des pénalités y afférentes. L'administration ne répondit pas à cette demande.
11. Son silence équivalant à un refus, les requérants saisirent, le 18 septembre 1995, le tribunal administratif de Bordeaux. A l'appui de leur demande, ils firent notamment valoir que le service fiscal leur ayant notifié le redressement litigieux, et dont la compétence était expressément déterminée par les dispositions d'un arrêté du 24 mai 1982, n'était pas habilité à procéder à ce contrôle et au redressement qui s'en est suivi.
12. Le 31 décembre 1996, alors que la procédure était pendante devant le tribunal administratif, fut publiée au Journal Officiel de la République française la loi no 96-1181 portant loi de finances pour l'année 1997. L'article 122 de cette loi disposait que, sous réserve des seules décisions passées en force de chose jugée, les contrôles effectués par l'administration fiscale et contestés en raison d'une prétendue incompétence territoriale ou matérielle du service qui avait procédé à ce contrôle, étaient réputés réguliers, à condition toutefois que ces contrôles aient été effectués conformément aux nouvelles règles de compétences posées par l'arrêté du 12 septembre 1996 (paragraphe 25 ci-dessous).
13. Le 10 octobre 1997, l'administration fiscale déposa son mémoire en réponse au recours introduit par les requérants devant le tribunal administratif. Elle fit valoir que, sur le fondement de l'article 122 de la loi susvisée, le moyen soulevé par les requérants, tiré de l'incompétence du service leur ayant notifié le redressement litigieux, devait être écarté.
14. Dans un mémoire en réponse déposé devant le tribunal administratif de Bordeaux le 21 avril 1998, les requérants firent valoir que l'article 122 de la loi de finances ne pouvait s'appliquer aux instances en cours, arguant d'une violation de l'article 6 de la Convention.
15. Par un jugement prononcé le 8 juin 1999, le tribunal administratif de Bordeaux accueillit la demande des requérants. Il estima notamment que l'Etat ne pouvait, sans méconnaître les dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention, prendre des mesures législatives à portée rétroactive, dont la conséquence était une modification des règles que le juge devait appliquer pour statuer sur des litiges dans lesquels l'Etat était partie, sauf lorsque l'intervention de ces mesures se justifiait par des motifs d'intérêt général. En l'espèce, le tribunal jugea que l'article 122 de la loi de finances pour 1997 régularisant les contrôles réalisés par des agents de l'administration fiscale territorialement ou matériellement incompétents ne présentait qu'un intérêt financier pour le budget de l'Etat et, qu'en conséquence, ce texte ne remplissait pas la condition d'intérêt général requise par l'article 6 § 1 de la Convention. Il en écarta donc l'application.
16. Sur le fond, le tribunal constata que la DVNI n'était pas compétente pour connaître de la situation fiscale des requérants car, en vertu de l'arrêté du 24 mai 1982, elle ne pouvait vérifier la situation fiscale que des personnes susceptibles d'avoir entretenu des « relations d'intérêt, directes ou indirectes », avec des entreprises que la DVNI avait déjà précédemment contrôlées. Or, le tribunal remarqua en l'espèce que les requérants n'avaient entretenu aucune relation d'intérêt avec la société B. précédemment contrôlée par la DVNI. Il ordonna la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et des pénalités afférentes auxquelles les requérants avaient été assujettis au titre de l'année 1990.
17. Le 21 octobre 1999, le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie interjeta appel de ce jugement. Il soutenait que l'article 122 de la loi de finances pour 1997 était applicable à l'instance en cours.
18. De leur côté, les requérants contestèrent l'article R.200-18 du livre des procédures fiscales donnant à l'administration un délai supérieur à celui des requérants pour saisir la cour administrative d'appel. Ils invoquaient pour cela les articles 6 § 1 et 14 de la Convention. Sur le fond, ils firent valoir que l'article 122 de la loi de finances pour 1997 était contraire aux articles 6, 13 et14 de la Convention ainsi qu'à l'article 1 du Protocole no 1.
19. Par un arrêt rendu le 10 février 2004, la cour administrative d'appel de Bordeaux réforma le jugement attaqué. Sur les délais de recours accordés à l'administration, la cour considéra que l'article 6 de la Convention n'était pas applicable à la procédure en cause dans la mesure où celle-ci ne visait ni des droits et obligations de caractère civil, ni une accusation en matière pénale. Sur la régularité de la procédure d'imposition, la cour estima également que l'article 6 de la Convention ne pouvait être invoqué par les requérants car la procédure fiscale en cause n'entrait pas dans son champ d'application.
20. Quant aux dispositions de l'article 122 de la loi de finances pour 1997, la cour administrative d'appel estima qu'elles poursuivaient un motif d'intérêt général de nature à justifier la validation qu'elles prononçaient et qu'en conséquence, ce texte n'était pas contraire à l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Infirmant sur ce point le jugement du tribunal administratif, elle fit donc application de cette disposition au présent cas d'espèce.
21. Sur le fond, la cour administrative d'appel jugea que les agents de la DVNI étaient compétents pour vérifier la situation fiscale des requérants et leur notifier un redressement dans la mesure où, comme l'imposait l'article 122 de la loi de finances, le contrôle avait respecté les nouvelles règles de compétence posées par le décret du 12 septembre 1996 (paragraphe 26 ci-dessous). Elle estima cependant que les pénalités de 40 % infligées aux requérants en raison de leur prétendue mauvaise foi dans leur déclaration de revenus au titre de l'année 1990 n'étaient pas justifiées et en prononça la décharge intégrale. A la suite de cet arrêt, les requérants firent donc l'objet d'un redressement fiscal, mais furent exonérés des pénalités pour mauvaise foi.
22. Le 9 juillet 2004, les requérants s'acquittèrent de la somme de 121 140 EUR qui leur était réclamée par l'administration fiscale.
23. Ils saisirent le Conseil d'Etat d'un pourvoi en cassation. Par une décision du 23 février 2005, le Conseil d'Etat considéra qu'aucun des moyens de cassation soulevés par les requérants n'était de nature à permettre l'admission du pourvoi.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
1. L'arrêté du 24 mai 1982 portant délimitation des compétences de la direction des vérifications nationales et internationales et modification des attributions de certains directeurs régionaux des impôts
24. L'article 2 de cet arrêté se lit comme suit :
« La direction des vérifications nationales et internationales assure conformément aux directives fixées par le directeur général des impôts et concurremment avec les autres services des impôts habilités à effectuer ces catégories d'opérations :
(...)
c) La vérification, en tant que de besoin, et quel que soit le lieu de leur domicile, de la situation fiscale des dirigeants des entreprises vérifiées et de toutes personnes subordonnées ou interposées ; sont considérés comme tels :
(...)
- toute personne susceptible d'avoir des relations d'intérêt, directes ou indirectes, avec l'une des entreprises vérifiées (...) »
2. La loi de finances pour 1997 (loi no 96-1181 du 30 décembre 1996, parue au Journal Officiel du 31 décembre 1996)
25. L'article 122 de cette loi dispose :
« Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, les contrôles engagés par les services déconcentrés de la direction générale des impôts avant l'entrée en vigueur du décret no 96-804 du 12 septembre 1996 et des arrêtés du 12 septembre 1996 régissant leur compétence ainsi que les titres exécutoires émis à la suite de ces contrôles pour établir les impositions sont réputés réguliers en tant qu'ils seraient contestés par le moyen tiré de l'incompétence territoriale ou matérielle des agents qui ont effectué ces contrôles ou délivré ces titres à la condition que ces contrôles aient été effectués conformément aux règles de compétence fixées par les textes précités. »
Cette disposition exclut la possibilité de se prévaloir de l'incompétence de la DVNI en invoquant l'arrêté du 24 mai 1982. Désormais, tous les contrôles réalisés par ce service sont réputés réguliers s'ils ont été effectués conformément aux règles de compétences fixées par l'arrêté du 12 septembre 1996 ci dessous (qui élargit la compétence de la DVNI).
3. L'arrêté du 12 septembre 1996 précisant les attributions de la direction des vérifications nationales et internationales et les compétences des agents qui y sont affectés (pris en application du décret no 96-804 du 12 septembre 1996)
26. L'article 1er de cet arrêté se lit comme suit :
« (...) La direction des vérifications nationales et internationales assure sur l'ensemble du territoire national (...), concurremment avec les autres services des impôts compétents, les opérations suivantes :
a) Le contrôle de tous impôts, droits et taxes dus par toutes personnes physiques ou morales, tous groupements de personnes de fait ou de droit, ou par toutes entités quelle que soit leur forme juridique, quel que soit le lieu du domicile, établissement ou siège social de ces personnes, groupements ou entités (...) »
4. Le livre des procédures fiscales
27. L'article L 76 A se lit comme suit :
« Le contribuable qui a fait l'objet d'une imposition d'office conserve le droit de présenter une réclamation conformément à l'article L. 190. »
L'article L. 190 se lit comme suit :
« Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir soit la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire. »
L'article R. 200-18 se lit comme suit :
« A compter de la notification du jugement du tribunal administratif qui a été faite au directeur du service de l'administration des impôts ou de l'administration des douanes et droits indirects qui a suivi l'affaire, celui-ci dispose d'un délai de deux mois pour transmettre, s'il y a lieu, le jugement et le dossier au ministre chargé du budget.
Le délai imparti pour saisir la cour administrative d'appel court, pour le ministre, de la date à laquelle expire le délai de transmission prévu à l'alinéa précédent ou de la date de la signification faite au ministre. »
5. La jurisprudence pertinente
28. Au moment où les requérants ont saisi le tribunal administratif, la notion de « relations d'intérêt, directes ou indirectes » telle que définie par la jurisprudence administrative s'entendait « de la participation directe ou indirecte à la direction ou au contrôle d'une entreprise, de la participation à son capital ou à son financement, enfin de la participation aux résultats et aux distributions de toute nature qu'elle peut effectuer sous forme de salaires, honoraires, redevances ; que toutefois ces distributions doivent avoir une relation avec l'activité de l'entreprise au cours de la procédure soumise à vérification » (cour administrative d'appel de Paris, 28 mars 1991, arrêt no 90PA00161).
Ainsi, le Conseil d'Etat a caractérisé une relation d'intérêt, directe ou indirecte, lorsqu'un particulier était associé majoritaire d'une société et également rémunéré par celle-ci (arrêt du 1er juin 1983, no 37748), lorsqu'il était le directeur de l'entreprise (arrêt du 23 novembre 1983, no 36361) ou le président-directeur général de la société (arrêts du 10 mai 1989, no 69129 et du 12 février 1990, no 55760), lorsqu'il était intéressé au développement de l'entreprise en raison d'une rémunération proportionnelle au nombre de ventes (arrêt du 3 mars 1993, no 83462) ou du versement d'une redevance dont il contrôlait l'assiette (arrêt du 21 mars 1984) ou lorsqu'il existait des « liens d'intérêt étroits » entre deux sociétés (arrêt du 15 juin 1987, no 44905).
En revanche, la circonstance qu'un particulier ait perçu une rémunération pour les fonctions qu'il exerçait au sein d'une filiale de la société vérifiée par l'administration fiscale est insuffisante pour caractériser une relation d'intérêt entre eux (cour administrative d'appel de Bordeaux, 1er août 1995, no 94BX01607).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6, 13 ET 14 DE LA CONVENTION
29. Les requérants estiment que l'article R. 200-18 du livre des procédures fiscales qui octroie à l'administration un délai supérieur à celui des contribuables pour interjeter appel de la décision du tribunal administratif est contraire à l'équité de la procédure. Ils invoquent les articles 6 et 14 combinés. Ils estiment également que l'intervention, en cours d'instance, d'une loi de validation réglant définitivement le litige au profit de leur adversaire, a violé les articles 6 et 13 combinés dont les passages pertinents se lisent comme suit :
Article 6
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
Article 14
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
30. La Cour rappelle qu'en principe la Convention n'est pas applicable aux procédures fiscales, celles-ci ne concernant généralement ni des droits et obligations de caractère civil, ni des accusations en matière pénale au sens de l'article 6 (Ferrazzini c. Italie [GC], no 44759/98, § 23, CEDH 2001-VII). Il peut toutefois en être autrement si la Cour distingue dans le litige en cause une « coloration pénale », notamment lorsque des pénalités fiscales ont été appliquées (Bendenoun c. France, 24 février 1994, § 47, série A no 284).
31. En l'espèce, la Cour note que des pénalités fiscales de 40 % ont bien été appliquées aux requérants pour mauvaise foi. Cependant, elle constate que la cour administrative d'appel de Bordeaux en a prononcé la décharge intégrale dans son arrêt du 10 février 2004. En définitive, les requérants ont fait l'objet d'un redressement fiscal, mais sans pénalités.
32. Dans ces conditions, la Cour considère que le litige les opposant à l'administration a perdu sa « coloration pénale » et que l'article 6 de la Convention ne saurait trouver à s'appliquer. Il s'ensuit que les griefs tirés de cette disposition sont incompatibles ratione materiae avec la Convention et doivent être rejetés en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de ce texte.
33. Concernant les griefs tirés des articles 13 et 14, la Cour rappelle que la première de ces dispositions n'est applicable que si le requérant peut prétendre « de manière défendable » avoir été victime d'une violation d'un autre droit prévu par la Convention (Boyle et Rice c. Royaume-Uni, 27 avril 1988, § 52, série A no 131) et que la seconde ne saurait trouver à s'appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l'empire de l'une au moins des clauses normatives de la Convention et de ses protocoles (Van Raalte c. Pays-Bas, 21 février 1997, § 33, Recueil des arrêts et décisions 1997-I).
34. En l'espèce, la Cour constate que les griefs des requérants fondés sur les articles 13 et 14 sont combinés à l'article 6 de la Convention. Or, la Cour a conclu à l'inapplicabilité de cette disposition à la procédure fiscale des requérants (paragraphe 33 ci-dessus). Partant, ces dispositions ne trouvent pas à s'appliquer en l'espèce.
35. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit également être déclarée incompatible ratione materiae avec la Convention et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de ce texte.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
36. Les requérants estiment que le caractère rétroactif de l'article 122 de la loi de finances pour 1997 les a privés de leurs biens dans la mesure où cette disposition a mis fin de manière définitive au litige les opposant à l'administration. Ils invoquent l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention qui se lit comme suit :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
37. La Cour constate que cette partie de la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
a) Les requérants
38. Les requérants insistent sur la passivité de l'administration dans leur dossier. Ils expliquent que leur requête a été déposée le 18 septembre 1995 devant le tribunal administratif de Bordeaux et que l'administration fiscale, sachant qu'une loi à portée rétroactive était en préparation, a attendu l'entrée en vigueur de celle-ci pour déposer son mémoire en réponse et invoquer devant le tribunal l'irrecevabilité de leur grief tiré de l'incompétence de la DVNI. Ils estiment que l'intervention de l'article 122 de la loi de finances pour 1997 ne visait qu'à faire échec à leur recours en justice.
39. Les requérants font valoir qu'ils disposaient au moment de l'introduction de leur recours d'une espérance légitime de le voir couronné de succès en raison d'une jurisprudence administrative constante et qui leur était favorable. Ils se réfèrent pour cela à deux arrêts de cours administratives d'appel (paragraphe 28 ci-dessus) ainsi qu'à l'arrêt Lecarpentier et autre c. France (no 67847/01, 14 février 2006). Ils précisent également que le fait que le tribunal ne se soit pas encore prononcé sur le bien-fondé de leurs demandes au moment où la loi litigieuse est entrée en vigueur est inopérant. Au demeurant, selon eux, les interrogations du Gouvernement quant à la notion de « relations d'intérêt, directes ou indirectes » sont superfétatoires puisqu'il est évident que les requérants n'ont entretenu aucune relation d'intérêt avec la société B. contrôlée par la DVNI dans la mesure où ils se sont bornés à lui vendre les parts qu'ils détenaient dans la société M.
40. Les requérants s'opposent également aux affirmations du Gouvernement sur le contentieux évité par l'application rétroactive de l'article de loi en cause. Ils contestent le chiffre, fourni par le Gouvernement, de 31 440 contrôles qui auraient pu être remis en cause et font valoir que le montant des redressements issus de ces contrôles et validés a posteriori par la disposition litigieuse (environ 1,1 milliard de FRF) est dérisoire dans le budget global de l'Etat pour l'année 1997.
41. Les requérants précisent que l'administration a bénéficié en l'espèce d'un effet d'aubaine puisqu'elle a fait valider par le législateur ses fautes passées, faisant ainsi peser sur les requérants une charge anormale et exorbitante. Ils concluent au caractère disproportionné de la mesure litigieuse et à la violation de l'article 1 du Protocole no 1.
b) Le Gouvernement
42. Le Gouvernement entend faire valoir que, lors de l'adoption de la loi de finances pour 1997, les requérants n'étaient pas titulaires d'une créance certaine et exigible sur l'Etat puisqu'aucun jugement n'avait encore été rendu dans leur procédure. Il fait référence pour cela aux affaires Fernandez-Molina Gonzalez et autres c. Espagne ((déc.), no 64359/01, CEDH 2002-IX) et Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce (9 décembre 1994, série A no 301-B) et en conclut que les requérants n'étaient pas titulaires d'un « bien » au sens de l'article 1 du Protocole no 1.
43. Par ailleurs, le Gouvernement estime, contrairement aux requérants, que le succès de leur recours en justice n'était pas certain. En effet, il précise que la notion de « relations d'intérêt, directes ou indirectes » telle que prévue par l'arrêté du 24 mai 1982 n'était pas clairement déterminée. Il souligne qu'aucune décision de justice citée par les requérants sur ce point ne peut être transposée à la présente espèce. Il en conclut qu'en l'état de la jurisprudence, les requérants ne pouvaient prétendre à une « espérance légitime » de voir leurs revendications satisfaites.
44. Sur la justification de l'ingérence, le Gouvernement rappelle que la Cour accorde aux Etats parties une certaine marge d'appréciation pour choisir les modalités de mise en œuvre de la mesure contestée (Jahn et autres c. Allemagne [GC], nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, CEDH 2005-VI). En matière fiscale, cette marge d'appréciation est importante (National & Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et Yorkshire Building Society c. Royaume-Uni, 23 octobre 1997, Recueil 1997-VII).
45. Le Gouvernement fait valoir que l'article 122 de la loi de finances pour 1997 avait pour but d'éviter un contentieux prévisible et abondant né de la clarification des compétences territoriales et matérielles des agents de la DVNI. En particulier, l'absence d'effet rétroactif aurait pu nuire aux contrôles fiscaux en cours au moment de l'adoption de la loi de finances car les contribuables contrôlés auraient pu faire valoir que les agents des impôts étaient incompétents. Le Gouvernement estime à 31 440 le nombre de contrôles en cours qui auraient pu donner lieu à une telle réclamation si la loi n'avait pas été d'application immédiate et souligne qu'avant même l'entrée en vigueur du décret du 12 septembre 1996, de nombreux recours portant sur l'incompétence territoriale ou matérielle des agents des impôts avaient déjà été introduits. Il reconnaît cependant qu'une évaluation précise du contentieux est difficile à établir.
46. Le Gouvernement insiste également sur les garanties introduites par le législateur dans le libellé de l'article 122, à savoir que cette disposition s'applique sous réserve des décisions passées en force de chose jugée, qu'elle est cantonnée aux griefs tirés de l'incompétence matérielle ou territoriale de l'autorité ayant procédé au contrôle et à condition que lesdits contrôles aient été effectués conformément aux règles édictées par le décret du 12 septembre 1996. Il s'agit donc de purger un vice purement formel (Forrer-Niedenthal c. Allemagne, no 47316/99, § 40, 20 février 2003) et de garantir le recouvrement d'une imposition légalement due. En d'autres termes, la rétroactivité de l'article 122 de la loi de finances pour 1997 ne vise qu'à priver les contribuables d'un « effet d'aubaine » et non d'un droit garanti par la Convention. Le Gouvernement invoque à cet égard les arrêts OGIS-Institut Stanislas, OGEC Saint-Pie X et Blanche de Castille et autres c. France (nos 42219/98 et 54563/00, 27 mai 2004) dans lequel la Cour avait admis que l'intervention législative, destinée à combler un vide juridique, relevait d'un intérêt général évident et impérieux.
47. Le Gouvernement estime donc que les buts poursuivis par le législateur dépassaient le simple intérêt financier tiré de la régularisation des contrôles fiscaux. Il fait valoir qu'à travers la disposition litigieuse, le législateur a en réalité cherché à préserver l'égalité des contribuables devant les charges publiques en évitant que ceux qui n'ont pas respecté leurs obligations déclaratives soient déchargés de leurs impôts.
48. Par ailleurs, le Gouvernement estime que la mesure prise n'apparaît pas comme disproportionnée au but poursuivi dans la mesure où il ne s'agit que d'une régularisation a posteriori de certains contrôles et non d'une modification de l'assiette de l'impôt.
49. En conséquence, il estime que l'article 122 de la loi de finances pour 1997 se justifiait par d'impérieux motifs d'intérêt général et que son application rétroactive a ménagé un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et la protection des droits fondamentaux.
2. Appréciation de la Cour
a) Sur l'existence d'un bien au sens de l'article 1 du Protocole no 1
50. La Cour observe que les parties ont des points de vue divergents quant à la question de savoir si les requérants disposaient d'un bien susceptible d'être protégé par l'article 1 du Protocole no 1. Elle rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut alléguer une violation de l'article 1 du Protocole no 1 que dans la mesure où les décisions qu'il incrimine se rapportent à ses « biens » au sens de cette disposition. La notion de « biens » peut recouvrir tant des « biens actuels » que des valeurs patrimoniales, y compris, dans certaines situations bien définies, des créances. Pour qu'une créance puisse être considérée comme une « valeur patrimoniale » tombant sous le coup de l'article 1 du Protocole no 1, il faut que le titulaire de la créance démontre que celle-ci a une base suffisante en droit interne, par exemple qu'elle est confirmée par une jurisprudence bien établie des tribunaux. Dès lors que cela est acquis, peut entrer en jeu la notion d'« espérance légitime » (Maurice c. France [GC], no 11810/03, § 63, CEDH 2005-IX).
51. La Cour constate que le tribunal administratif de Bordeaux, se fondant sur l'arrêté du 24 mai 1982, disposition légale applicable au moment où les requérants ont introduit leur recours, a, par son jugement du 8 juin 1999, décidé que la DVNI n'était pas compétente pour connaître de la situation fiscale des requérants, ceux-ci n'ayant selon lui aucune relation d'intérêt avec la société B. précédemment contrôlée par la DVNI. Par le même jugement, le tribunal a écarté comme incompatible avec la Convention l'application de l'article 122 de la loi de finances pour 1997, invoquée en défense par l'administration.
52. Par ailleurs, la cour administrative d'appel, infirmant par son arrêt du 10 février 2004 ce jugement du tribunal administratif a considéré que l'application de l'article 122 était compatible avec la Convention, dès lors que l'article 6 § 1 de la Convention était inapplicable ratione materiae et que, pour des motifs d'intérêt général, cette application ne contrevenait pas à l'article 1 du Protocole 1. En outre, c'est pour ce seul motif que la cour administrative d'appel a renversé la solution à laquelle avait abouti le tribunal administratif. Appliquant la loi nouvelle, la cour administrative d'appel n'a pas eu à se prononcer sur l'existence de relations d'intérêt entre les requérants et la société B., au sens de l'arrêté du 24 mai 1982.
53. Compte tenu de ces décisions juridictionnelles, et de la jurisprudence des juridictions administratives (§ 28 ci-dessus), la Cour considère, contrairement à ce que soutient le Gouvernement (§ 43 ci-dessus), que les requérants bénéficiaient, avant l'intervention de la loi de finances pour 1997, d'un intérêt patrimonial qui constituait, sinon une créance à l'égard de leur adversaire, du moins une « espérance légitime », de pouvoir obtenir le remboursement de la somme litigieuse et qui avait le caractère d'un « bien » au sens de la première phrase de l'article 1 du Protocole no 1 (voir notamment Lecarpentier et autre, précité, § 38, et S.A. Dangeville c. France, no 36677/97, § 48, CEDH 2002-III). L'article 1 du Protocole no 1 est donc applicable au cas d'espèce.
b) Sur l'existence d'une ingérence
54. La Cour estime que la loi litigieuse, en réglant définitivement le fond du litige, a entraîné une ingérence dans l'exercice des droits que les requérants pouvaient faire valoir en vertu de la loi et de la jurisprudence en vigueur et, partant, de leur droit au respect de leurs biens.
55. Elle relève que, dans les circonstances de l'espèce, cette ingérence s'analyse en une privation de propriété au sens de la seconde phrase du premier alinéa de l'article 1 du Protocole no 1 (voir notamment, mutatis mutandis, Maurice et Draon c. France [GC], nos 28719/95 et 1513/03, CEDH 2005-IX, respectivement §§ 80 et 72, et Lecarpentier et autre, précité, § 40). Il lui faut donc rechercher si l'ingérence dénoncée se justifie sous l'angle de cette disposition.
c) Sur la justification de l'ingérence
i. Prévue par la loi
56. Il n'est pas contesté que l'ingérence litigieuse ait été « prévue par la loi », comme le veut l'article 1 du Protocole no 1.
ii. « Pour cause d'utilité publique »
57. En revanche, les avis des parties divergent quant à la légitimité d'une telle ingérence. Dès lors, la Cour doit rechercher si celle-ci poursuivait un but légitime, à savoir s'il existait une « cause d'utilité publique », au sens de la seconde phrase du premier alinéa de l'article 1 du Protocole no 1.
58. La Cour estime que, grâce à une connaissance directe de leur société et de ses besoins, les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour déterminer ce qui est « d'utilité publique ». Dans le mécanisme de protection créé par la Convention, il leur appartient par conséquent de se prononcer les premières sur l'existence d'un problème d'intérêt général justifiant des privations de propriété. Dès lors, elles jouissent ici d'une certaine marge d'appréciation.
59. De plus, la notion d'« utilité publique » est ample par nature. En particulier, la décision d'adopter des lois portant privation de propriété implique d'ordinaire l'examen de questions politiques, économiques et sociales. Estimant normal que le législateur dispose d'une grande latitude pour mener une politique économique et sociale, la Cour respecte la manière dont il conçoit les impératifs de l'« utilité publique », sauf si son jugement se révèle manifestement dépourvu de base raisonnable (Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique, 20 novembre 1995, § 37, série A no 332, et Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 149, CEDH 2004-V).
60. En l'espèce, la Cour est appelée à se prononcer sur le point de savoir si le but poursuivi par l'article 122 de la loi de finances pour 1997 dépassait le simple intérêt financier de l'Etat. Elle rappelle qu'en principe ce seul intérêt financier ne permet pas de justifier l'intervention rétroactive d'une loi de validation (voir, mutatis mutandis, Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres c. France [GC], nos 24846/94 et 34165/96 à 34173/96, § 59, CEDH 1999-VII).
61. Le Gouvernement entend faire valoir que cette disposition visait à éviter un contentieux prévisible et abondant, mais reconnaît également la difficulté d'évaluer de manière précise l'étendue du risque potentiel. La Cour n'est pas convaincue par cet argument car elle doute de la prévisibilité et de l'ampleur du contentieux invoqué par le Gouvernement. En effet, l'augmentation du nombre de recours formés par les contribuables invoquée par le Gouvernement pour justifier du caractère rétroactif de la loi de finances pour 1997, restait purement hypothétique au moment de l'adoption de cette disposition.
62. Au demeurant, la Cour ne voit pas en quoi cette potentielle augmentation du nombre de recours se départirait de l'intérêt financier de l'Etat. Elle estime en effet que le but invoqué par le Gouvernement, à savoir la réduction des contentieux devant les juridictions administratives, visait en réalité à préserver le seul intérêt financier de l'Etat en diminuant le nombre de procédures fiscales annulées par les juridictions administratives.
63. La Cour constate également que le Gouvernement ne prétend pas que le montant des recettes dont l'Etat aurait pu être privé en raison du constat d'incompétence de ses agents par les juridictions administratives, à savoir environ 1,1 milliard de FRF, aurait une telle importance sur son budget que l'intérêt général s'en trouverait affecté.
64. Compte tenu de ce qui précède, l'intervention de l'article 122 de la loi de finances pour 1997, qui réglait de manière rétroactive et définitive le litige opposant les requérants à l'administration fiscale, n'était pas justifiée par l'intérêt général.
65. Dans ces conditions, la Cour émet des doutes sur le point de savoir si l'ingérence dans le respect des biens des requérants servait une « cause d'utilité publique ».
66. En tout état de cause, elle rappelle qu'une mesure d'ingérence dans le droit au respect des biens doit ménager un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu (voir, parmi d'autres, Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, § 69, série A no 52) et qu'un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure privant une personne de sa propriété doit exister (Pressos Compania Naviera S.A. et autres, précité, § 38).
67. En l'espèce, l'intervention législative litigieuse a définitivement empêché les requérants de faire valoir leur grief tiré de l'incompétence des agents de la DVNI devant les juridictions administratives, les privant ainsi d'un bien dont ils pouvaient espérer obtenir le remboursement.
68. De l'avis de la Cour, l'adoption de l'article 122 de la loi de finances pour 1997 a fait peser une « charge anormale et exorbitante » sur les requérants et l'atteinte portée à leurs biens a revêtu un caractère disproportionné, rompant le juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et la sauvegarde des droits fondamentaux des individus (voir, mutatis mutandis, Lecarpentier et autre, précité, §§ 48 à 53). En conséquence, elle considère que la marge d'appréciation dont disposaient les autorités, même élargie s'agissant d'un litige de nature fiscale, est en l'espèce dépassée.
69. Partant, il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
70. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
71. Les requérants réclament la somme de 121 140 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu'ils ont subi du fait de l'intervention de l'article 122 de la loi de finances pour 1997 les privant de la possibilité de faire annuler leur contrôle fiscal. Cette somme correspond à ce qu'ils ont versé à l'administration fiscale. Ils réclament également la somme de 26 180 EUR au titre du préjudice moral, arguant de la longueur de la procédure et de l'état de santé du requérant.
72. Le Gouvernement conteste ces sommes. Il fait valoir que, dans un premier temps, les requérants ont reconnu le bien-fondé de leur redressement avant de contester, un an plus tard, la compétence des agents de la DVNI. Il en déduit que les requérants avaient accepté le principe même de leur redressement fiscal et qu'ils ne pouvaient, dans ces conditions demander au titre du préjudice matériel le remboursement d'une somme qu'ils savaient devoir.
73. Quant aux sommes sollicitées en réparation du préjudice moral, le Gouvernement conteste l'existence d'un lien de causalité entre la violation de l'article 1 du Protocole no 1 et l'état de santé du requérant ou la durée de la procédure. Il précise que la somme demandée est de toute manière disproportionnée. Il estime qu'un constat de violation serait en l'espèce suffisant pour réparer le préjudice subi.
74. La Cour constate que dans un courrier adressé à l'administration fiscale, le 23 septembre 1993, les requérants ont reconnu avoir commis une erreur substantielle dans leur déclaration fiscale. Leur recours portait donc sur un vice formel entachant la procédure en raison de l'incompétence des agents à l'origine de leur redressement, vice dont ils n'ont pu se plaindre du fait de l'adoption d'une loi de validation rétroactive.
75. La Cour relève que la seule base à retenir pour l'octroi d'une satisfaction équitable réside en l'espèce dans le fait que les requérants n'ont pu jouir des garanties de l'article 1 du Protocole no 1. A cet égard, la Cour précise qu'il ne lui appartient pas de spéculer sur l'issue du redressement fiscal infligé aux requérants, ni sur la possibilité pour l'administration fiscale de leur en notifier un nouveau si le premier avait été annulé.
76. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le constat de violation auquel elle est parvenue en l'espèce constitue en soi une satisfaction équitable pour le préjudice moral subi par les requérants.
B. Frais et dépens
77. Les requérants sollicitent 28 820,71 EUR au titre des frais et dépens engagés tant devant les juridictions internes que devant la Cour. Ils ventilent la somme de la façon suivante : 1 356,03 EUR de frais d'avocats pour la réclamation adressée à l'administration fiscale, 6 526,98 EUR pour la procédure diligentée devant le tribunal administratif, 8 565,08 EUR pour l'instance d'appel, 6 392, 62 EUR pour les frais d'avocats devant le Conseil d'Etat et 5 980 EUR pour les frais d'avocats inhérents à la procédure devant la Cour. Ils produisent des notes d'honoraires justifiant ces dépenses.
78. Le Gouvernement estime que la somme de 28 820,71 EUR, bien qu'accompagnée de justificatifs, est disproportionnée. Il évalue à 5 000 EUR la somme qu'il conviendrait d'allouer aux requérants.
79. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, parmi d'autres, Öztürk c. Turquie [GC], no 22479/93, § 83, CEDH 1999-VI).
80. La Cour considère que le montant global des frais et dépens dont justifient les requérants est disproportionné, et estime raisonnable de leur accorder la somme de 10 000 EUR à ce titre.
C. Intérêts moratoires
81. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable pour autant qu'elle concerne le grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1 et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ;
3. Dit que le constat de violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral subi par les requérants ;
4. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 10 000 EUR (dix mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par les requérants ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 juillet 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia Westerdiek Peer Lorenzen
Greffière Président