Conclusion Violation de P1-1 ; Non-lieu à examiner l'art. 6-1 ; Satisfaction équitable réservée
TROISIÈME SECTION
AFFAIRE JANES CARRATÙ c. ITALIE
(Requête no 68585/01)
ARRÊT
STRASBOURG
3 août 2006
DÉFINITIF
03/11/2006
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Janes Carratù c. Italie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. B.M. Zupančič, président,
C. Bîrsan,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Gyulumyan,
MM. E. Myjer,
David Thór Björgvinsson,
Mme I. Ziemele, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 juillet 2006,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 68585/01) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. F. J. C. (« le requérant »), a saisi la Cour le 26 novembre 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me A. J. C., avocat à Naples. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I. M. Braguglia, par son coagent, M. F. Crisafulli, et par son coagent adjoint, M. N. Lettieri.
3. Le 6 mai 2004, la Cour (première section) a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer les griefs tirés des articles 1 du Protocole no 1 et 6 § 1 de la Convention (équité de la procédure) au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.
4. Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1944 et résidant à Naples.
6. A.J.C., père du requérant, était propriétaire d’un terrain constructible sis à Montoro Inferiore (Avellino) et enregistré au cadastre, feuille 16, parcelles 192, 193, 273 et 516.
7. Par un arrêté du 5 décembre 1981, le conseil régional (Giunta regionale) de Campanie approuva le projet de construction d’habitations à loyer modéré sur le terrain d’A.J.C.
8. Par un arrêté du 29 juillet 1985, la municipalité de Montoro Inferiore autorisa l’occupation d’une partie du terrain d’A.J.C., à savoir 3 363 mètres carrés, pour une période maximale de cinq ans à compter de la date d’occupation matérielle, en vue de son expropriation pour cause d’utilité publique, afin de procéder à la construction des habitations à loyer modéré.
9. Le 8 janvier 1986, l’administration municipale procéda à l’occupation matérielle du terrain et entama ensuite les travaux de construction.
10. Par un acte d’assignation notifié le 28 octobre 1991, A.J.C. assigna la municipalité de Montoro Inferiore devant le tribunal d’Avellino. Il faisait valoir que l’occupation était illégale, étant donné que celle-ci s’était poursuivie au-delà de la période autorisée, sans qu’il fût procédé à l’expropriation formelle et au paiement d’une indemnité.
11. Par un acte du 24 janvier 1992, la municipalité se constitua dans la procédure et demanda l’appel en garantie de l’institut autonome de gestion des habitations à loyer modéré (« I.A.C.P. »).
12. Le tribunal fit droit à cette demande mais l’I.A.C.P. ne se constitua pas dans la procédure.
13. Au cours de la procédure, une expertise rédigée le 22 octobre 1992 fut déposée au greffe. Selon l’expert, la valeur marchande du terrain était de 76 000 ITL le mètre carré en 1988 et de 98 040 ITL le mètre carré en 1992.
14. Par un jugement déposé au greffe le 4 novembre 1994, le tribunal d’Avellino jugea qu’A.J.C. devait se considérer comme privé de son terrain en vertu du principe de l’expropriation indirecte à compter du 8 janvier 1991, à savoir de la date d’expiration du délai d’occupation autorisée. En outre, le tribunal déclara que l’I.A.C.P. ne pouvait pas être considéré responsable du dommage subi par A.J.C. en raison de la perte de son terrain.
15. A la lumière de ces considérations, le tribunal condamna la municipalité à verser à A.J.C. un dédommagement correspondant à la valeur marchande du terrain au 8 janvier 1991, à savoir 269 040 000 ITL, plus intérêts.
16. De plus, le tribunal condamna la municipalité à verser à A.J.C. les sommes de 67 260 000 ITL, plus intérêts, à titre d’indemnité d’occupation et de 335 635 000 ITL, plus intérêts, à titre de dédommagement pour la perte de valeur de la partie restante du terrain.
17. Le 14 décembre 1994, A.J.C. décéda.
18. Le 2 janvier 1995, la municipalité interjeta appel du jugement du tribunal d’Avellino devant la cour d’appel de Naples.
19. Par un acte du 24 avril 1995, le requérant, fils d’A.J.C., se constitua dans la procedure devant la cour d’appel de Naples.
20. Par un arrêt déposé au greffe le 17 avril 1998, la cour d’appel de Naples confirma que la propriété du terrain litigieux avait été transférée à la municipalité en vertu du principe de l’expropriation indirecte à compter du 8 janvier 1991.
21. Toutefois, compte tenu de l’entrée en vigueur de la loi no 662 de 1996, la cour d’appel réduisit à 127 817 822 ITL le montant du dédommagement dû au requérant en raison de la perte du terrain et à 150 866 182 ITL le montant du dédommagement pour la perte de valeur de la partie restante du terrain. Quant à l’indemnité d’occupation, la cour d’appel confirma le jugement du tribunal.
22. A la lumière de ces considérations, la cour d’appel condamna la municipalité et l’I.A.C.P. à verser au requérant une somme égale aux dédommagements pour la perte du terrain et pour la perte de valeur de la partie restante du terrain, calculés aux termes de la loi no 662 de 1996 et indexés au jour du prononcé, à savoir 381 908 572 ITL, plus intérêts. En outre, la cour d’appel condamna la municipalité à verser au requérant la somme de 67 260 000 ITL, plus intérêts, à titre d’indemnité d’occupation.
23. Cet arrêt acquit force de chose jugée le 2 juillet 1999.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
24. Le droit interne pertinent se trouve décrit dans l’arrêt Serrao c. Italie (no 67198/01, 13 octobre 2005).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
25. Le requérant allègue avoir été privé de son terrain dans des circonstances incompatibles avec l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
26. Le Gouvernement soutient que la requête est tardive, étant donné que le délai de six mois prévu à l’article 35 de la Convention aurait commencé à courir soit le 1er janvier 1997, date de l’entrée en vigueur de la loi no 662 de 1996, soit le 30 avril 1999, date du dépôt au greffe de l’arrêt de la Cour constitutionnelle no 148 de 1999, par lequel cette dernière juridiction a confirmé la légalité de cette loi. A l’appui de ses allégations, le Gouvernement cite l’affaire Miconi c. Italie (Miconi c. Italie (déc.), no 66432/01, 6 mai 2004).
27. Le requérant s’oppose à la thèse du Gouvernement.
28. La Cour rappelle qu’elle a rejeté des exceptions semblables dans les affaires Serrao c. Italie (no 67198/01, 13 octobre 2005) et Binotti c. Italie (no 2) (no 71603/01, 13 octobre 2005). De surcroît, elle considère que, conformément à sa jurisprudence (Carbonara et Ventura c. Italie, no 24638/94, CEDH 2000-VI, § 69, et Donati c. Italie, no 63242/00, décision du 13 mai 2004 et également dans l’arrêt, § 62), ce n’est que par la décision définitive – en l’espèce l’arrêt de la cour d’appel déposé au greffe le 17 avril 1998 et devenu définitif le 2 juillet 1999 – que le principe de l’expropriation indirecte doit passer pour effectivement appliqué. Dès lors, le délai de six mois a commencé à courir à cette date. Il s’ensuit que l’exception ne saurait être retenue.
29. La Cour constate que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Le Gouvernement
30. Le Gouvernement fait observer que, dans le cas d’espèce, il s’agit d’une occupation de terrain dans le cadre d’une procédure administrative reposant sur une déclaration d’utilité publique. Il admet que la procédure d’expropriation n’a pas été mise en œuvre dans les termes prévus par la loi, dans la mesure où aucun arrêté d’expropriation n’a été adopté.
31. Premièrement, il y aurait utilité publique, ce qui n’a pas été remis en cause par les juridictions nationales.
32. Deuxièmement, la privation du bien telle que résultant de l’expropriation indirecte serait « prévue par la loi ». Selon le Gouvernement, le principe de l’expropriation indirecte doit être considéré comme faisant partie du droit positif à compter au plus tard de l’arrêt de la Cour de cassation no 1464 de 1983. La jurisprudence ultérieure aurait confirmé ce principe et précisé certains aspects de son application et, en outre, ce principe aurait été reconnu par la loi no 458 du 27 octobre 1988 et par la loi budgétaire no 662 de 1996.
33. Le Gouvernement en conclut qu’à partir de 1983, les règles de l’expropriation indirecte étaient parfaitement prévisibles, claires et accessibles à tous les propriétaires de terrains.
34. Le Gouvernement rappelle que dans l’affaire Forrer-Niedenthal c. Allemagne (arrêt du 20 février 2003), la Cour a considéré une loi allemande de 1997 comme suffisante, malgré son imprévisibilité manifeste, pour fournir une base légale aux décisions qui avaient privé la requérante de toute protection contre l’atteinte portée à sa propriété. Il demande à la Cour de suivre la même approche pour la présente affaire.
35. S’agissant de la qualité de la loi, le Gouvernement reconnaît que le fait qu’un arrêté d’expropriation n’ait pas été prononcé est en soi un manquement aux règles qui président à la procédure administrative.
36. Toutefois, compte tenu de ce que le terrain a été transformé de manière irréversible par la construction d’un ouvrage d’utilité publique, la restitution du terrain n’est plus possible.
37. Le Gouvernement définit l’expropriation indirecte comme le résultat d’une interprétation systématique par les juges de principes existants, tendant à garantir que l’intérêt général l’emporte sur l’intérêt des particuliers, lorsque l’ouvrage public a été réalisé (transformation du terrain) et qu’il répond à l’utilité publique.
38. Quant à l’exigence de garantir un juste équilibre entre le sacrifice imposé aux particuliers et la compensation octroyée à ceux-ci, le Gouvernement reconnaît que l’administration est tenue d’indemniser les intéressés.
39. Compte tenu de ce que l’expropriation indirecte répond à un intérêt collectif et que l’illégalité commise par l’administration ne concerne que la forme, à savoir un manquement aux règles qui président à la procédure administrative, l’indemnisation peut être inférieure au préjudice subi.
40. La fixation du montant de l’indemnité en cause rentre dans la marge d’appréciation laissée aux États pour fixer une indemnisation qui soit raisonnablement en rapport avec la valeur du bien. Le Gouvernement rappelle en outre que l’indemnité telle que plafonnée par la loi budgétaire no 662 de 1996 est en tout cas supérieure à celle qui aurait été accordée si l’expropriation avait été régulière.
41. A la lumière de ces considérations et en se référant notamment aux affaires OGIS-Institut Stanislas, OGEC Saint-Pie X et Blanche de Castille et autres c. France (nos 42219/98 et 54563/00, 27 mai 2004) et Bäck c. Finlande (no 37598/97, 20 juillet 2004), le Gouvernement conclut que le juste équilibre a été respecté et que la situation dénoncée est compatible à tous points de vue avec l’article 1 du Protocole no 1.
b) Le requérant
42. Le requérant s’oppose à la thèse du Gouvernement.
43. Il fait observer que l’expropriation indirecte est un mécanisme qui permet à l’autorité publique d’acquérir un bien en toute illégalité.
44. Le requérant dénonce un manque de clarté, prévisibilité et précision des principes et des dispositions appliqués à son cas au motif qu’un principe jurisprudentiel, tel que celui de l’expropriation indirecte, ne suffit pas à satisfaire au principe de légalité.
2. Appréciation de la Cour
a) Sur l’existence d’une ingérence
45. La Cour rappelle que, pour déterminer s’il y a eu « privation de biens », il faut non seulement examiner s’il y a eu dépossession ou expropriation formelle, mais encore regarder au-delà des apparences et analyser la réalité de la situation litigieuse. La Convention visant à protéger des droits « concrets et effectifs », il importe de rechercher si ladite situation équivalait à une expropriation de fait (Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, pp. 24-25, § 63).
46. La Cour relève que, en appliquant le principe de l’expropriation indirecte, les juridictions internes ont considéré le requérant comme étant privé de son bien à compter de la date d’expiration du délai d’occupation autorisée. A défaut d’un acte formel d’expropriation, le constat d’illégalité de la part du juge est l’élément qui consacre le transfert au patrimoine public du bien occupé. Dans ces circonstances, la Cour conclut que l’arrêt de la cour d’appel de Naples a eu pour effet de priver le requérant de son bien au sens de la deuxième phrase de l’article 1 du Protocole no 1 (Carbonara et Ventura précité, § 61, et Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 77, CEDH 1999-VII).
47. Pour être compatible avec l’article 1 du Protocole no 1, une telle ingérence doit être opérée « pour cause d’utilité publique » et « dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux de droit international ». L’ingérence doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (Sporrong et Lönnroth, précité, p. 26, § 69). En outre, la nécessité d’examiner la question du juste équilibre « ne peut se faire sentir que lorsqu’il s’est avéré que l’ingérence litigieuse a respecté le principe de légalité et n’était pas arbitraire » (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 58, CEDH 1999-II, et Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 107, CEDH 2000-I).
48. Dès lors, la Cour n’estime pas opportun de fonder son raisonnement sur le simple constat qu’une réparation intégrale en faveur du requérant n’a pas eu lieu (Carbonara et Ventura, précité, § 62).
b) Sur le respect du principe de légalité
49. La Cour renvoie à sa jurisprudence en matière d’expropriation indirecte (Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie, no 31524/96, CEDH 2000-VI, et Carbonara et Ventura c. Italie, no 24638/94, CEDH 2000-VI ; parmi les arrêts plus récents, voir Acciardi et Campagna c. Italie, no 41040/98, 19 mai 2005, Pasculli c. Italie, no 36818/97, 17 mai 2005, Scordino c. Italie (no 3), no 43662/98, 17 mai 2005, Serrao c. Italie, no 67198/01, 13 octobre 2005, La Rosa et Alba c. Italie (no 1), no 58119/00, 11 octobre 2005, et Chirò c. Italie (no 4), no 67196/01, 11 octobre 2005), selon laquelle l’expropriation indirecte méconnaît le principe de légalité au motif qu’elle n’est pas apte à assurer un degré suffisant de sécurité juridique et qu’elle permet en général à l’administration de passer outre les règles fixées en matière d’expropriation. En effet, dans tous les cas, l’expropriation indirecte vise à entériner une situation de fait découlant des illégalités commises par l’administration, à régler les conséquences pour le particulier et pour l’administration, au bénéfice de celle-ci.
50. Dans la présente affaire, la Cour relève qu’en appliquant le principe de l’expropriation indirecte, les juridictions italiennes ont considéré le requérant comme privé de son bien à compter du moment où l’occupation avait cessé d’être autorisée, les conditions d’illégalité de l’occupation et d’intérêt public de l’ouvrage construit étant réunies. Or, en l’absence d’un acte formel d’expropriation, la Cour estime que cette situation ne saurait être considérée comme « prévisible », puisque ce n’est que par la décision judiciaire définitive que l’on peut considérer le principe de l’expropriation indirecte comme ayant effectivement été appliqué et que l’acquisition du terrain au patrimoine public a été consacrée. Par conséquent, le requérant n’a eu la « sécurité juridique » concernant la privation du terrain que le 2 juillet 1999, date à laquelle l’arrêt de la cour d’appel de Naples est devenu définitif.
51. La Cour observe ensuite que la situation en cause a permis à l’administration de tirer parti d’une occupation de terrain illégale. En d’autres termes, l’administration a pu s’approprier du terrain au mépris des règles régissant l’expropriation en bonne et due forme, et, entre autres, sans qu’une indemnité soit mise en parallèle à la disposition de l’intéressé.
52. S’agissant de l’indemnité, la Cour constate que l’application rétroactive de la loi no 662 de 1996 au cas d’espèce a eu pour effet de priver le requérant de la possibilité d’obtenir réparation du préjudice subi.
53. A la lumière de ces considérations, la Cour estime que l’ingérence litigieuse n’est pas compatible avec le principe de légalité et qu’elle a donc enfreint le droit au respect des biens du requérant.
54. Dès lors, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
55. Le requérant allègue que l’adoption et l’application de la loi no 662 du 23 décembre 1996 à sa procédure constitue une ingérence législative contraire à son droit à un procès équitable tel que garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, qui, en ses passages pertinents, dispose :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
56. Le Gouvernement conteste cette thèse et observe que la loi litigieuse n’a pas été adoptée pour influencer le dénouement de la procédure intentée par le requérant. En outre, l’application de cette loi n’aurait pas eu de répercussions négatives pour le requérant. Il en conclut que l’application de la disposition litigieuse à la cause du requérant ne soulève aucun problème au regard de la Convention. A l’appui de ses thèses, le Gouvernement se réfère spécifiquement aux arrêts Forrer-Niedenthal c. Allemagne (no 47316/99, 20 février 2003), OGIS-Institut Stanislas, OGEC Saint-Pie X et Blanche de Castille et autres c. France (nos 42219/98 et 54563/00, 27 mai 2004) et Bäck c. Finlande (no 37598/97, CEDH 2004-VIII).
57. La Cour relève que ce grief est lié à celui examiné ci-dessus et doit donc aussi être déclaré recevable.
58. La Cour vient de constater, sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1, que la situation dénoncée par le requérant n’est pas conforme au principe de légalité. Eu égard aux motifs ayant amené la Cour à ce constat de violation (paragraphes 52 à 54 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 6 § 1 (voir, a contrario, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 103-104 et §§ 132 - 133, CEDH 2006).
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
59. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
60. A titre de préjudice matériel, le requérant sollicite le versement d’une somme égale à la valeur vénale actuelle du terrain, augmentée de la plus- value apportée au terrain par l’existence de l’ouvrage public, à savoir 2 500 000 EUR.
61. A titre subsidiaire, le requérant demande une somme égale à la différence entre le montant reconnu par le tribunal d’Avellino, réévalué et assorti d’intérêts, et la somme obtenue à la suite de l’arrêt de la cour d’appel de Naples.
62. S’agissant du préjudice moral, le requérant sollicite le versement de 100 000 EUR.
63. Enfin, le requérant demande 79 282,76 EUR pour les frais de procédure devant la Cour.
64. Quant au préjudice matériel, le Gouvernement soutient que la valeur marchande du terrain devrait être calculée par rapport au moment du transfert de propriété et il fait valoir qu’aucune somme n’est due au requérant à titre de plus-value apportée au terrain par l’ouvrage public y réalisé.
65. A titre subsidiaire, le Gouvernement fait valoir que la Cour devrait fonder son appréciation sue la différence entre la valeur marchande du bien estimée par l’expert commis d’office par le juge national et la somme liquidée par ce dernier aux termes de la loi no 662 de 1996.
66. S’agissant du préjudice moral et des frais de procédure, le Gouvernement estime que les sommes demandées par le requérant sont excessives et s’en remet à la sagesse de la Cour.
67. La Cour estime que la question de l’application de l’article 41 ne se trouve pas en état. En conséquence, elle la réserve et fixera la procédure ultérieure, compte tenu de la possibilité que le Gouvernement et le requérant parviennent à un accord.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;
3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention ;
4. Dit que la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ;
en conséquence,
a) la réserve en entier ;
b) invite le Gouvernement et le requérant à lui adresser par écrit, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, leurs observations sur cette question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;
c) réserve la procédure ultérieure et délègue le président de la chambre le soin de la fixer au besoin.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 août 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Vincent Berger Boštjan M. Zupančič
Greffier Président
ARRÊT JANES CARRATÙ c. ITALIE
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