TROISIEME SECTION
AFFAIRE IZZO c. ITALIE
(Requête no 20935/03)
ARRÊT
(Satisfaction équitable)
STRASBOURG
19 octobre 2010
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Izzo c. Italie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Corneliu Bîrsan,
Boštjan M. Zupan�i�,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Ineta Ziemele,
Guido Raimondi, juges,
et de Santiago Quesada, greffier,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 septembre 2010,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 20935/03) dirigée contre la République italienne et dont une ressortissante de cet Etat, Mme F. I. (« la requérante »), a saisi la Cour le 24 juin 2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Par un arrêt du 2 mars 2006 (« l'arrêt au principal »), la Cour a jugé que l'ingérence dans le droit au respect des biens de la requérante n'était pas compatible avec le principe de légalité et que, partant, il y avait eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 (Izzo c. Italie, no 20935/03, § 78, et point 3 du dispositif, 2 mars 2006).
3. En s'appuyant sur l'article 41 de la Convention, la requérante réclamait un dédommagement à titre de préjudice matériel. La requérante sollicitait en outre une indemnité pour dommage moral. Enfin elle revendiquait le remboursement des frais encourus dans la procédure à Strasbourg.
4. La question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l'a réservée et a invité le Gouvernement et la requérante à lui soumettre par écrit, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt deviendrait définitif, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 90, et point 4 du dispositif).
5. L'arrêt au principal est devenu définitif le 2 juin 2006, aucune demande de renvoi devant la Grande Chambre n'ayant été formulée au titre de l'article 43 de la Convention. Le délai de trois mois est échu sans que les parties ne parviennent à un accord.
6. Le Gouvernement a déposé des observations.
EN DROIT
7. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage matériel
8. A titre du préjudice matériel, la requérante sollicite la somme de 25 000 EUR, correspondant à la valeur vénale du terrain litigieux, assortie d'intérêts et réévaluation. Elle fonde ses prétentions s'appuyant sur la valeur vénale du terrain en 1994 évaluée par l'expert commis d'office dans la procédure devant la cour d'appel de Naples (paragraphe 11 de l'arrêt au principal). Quant à la réévaluation, la requérante affirme avoir calculé celle-ci à la lumière notamment de la nature constructible du terrain, ainsi que de l'augmentation récente des valeurs immobilières au niveau national.
9. Le Gouvernement soutient à titre principal que la requérante aurait droit à une somme égale à environ le 20 % de la valeur vénale du terrain, étant donné qu'en l'espèce la satisfaction équitable doit compenser le non respect des procédures légales au cours de l'expropriation et non la perte du terrain en tant que telle. A titre subsidiaire, le Gouvernement fait valoir que le dédommagement pour la perte du terrain doit être limité à la partie du terrain dont l'occupation avait été autorisée, étant donné que la requérante aurait pu obtenir au niveau interne un dédommagement intégral en ce qui concerne la partie du terrain dont l'occupation n'avait pas été autorisée (paragraphes 7, 11 et 14 de l'arrêt au principal).
10. D'après le Gouvernement, il faut soustraire de la valeur vénale de la partie du terrain dont l'occupation avait été autorisée, telle qu'évaluée par l'expert commis d'office dans la procédure devant la cour d'appel de Naples, le montant de l'indemnité que la requérante aurait pu obtenir au niveau interne aux termes de la loi no 662 de 1996, ainsi que le montant de la somme offerte par la municipalité au cours de la procédure d'expropriation. En conclusion, la somme à laquelle la requérante aurait droit serait de 1 693,87 EUR.
11. En outre, le Gouvernement évalue l'indemnité d'occupation à 1 492,53 EUR.
12. La somme des deux montants calculés ci-dessus, réévaluée et assortie d'intérêts, est évaluée par le Gouvernement à 7 156,59 EUR.
13. La Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).
14. Elle rappelle que dans l'affaire Guiso-Gallisay c. Italie ((satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009), la Grande Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères d'indemnisation dans les affaires d'expropriation indirecte. En particulier, la Grande Chambre a décidé d'écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la date de l'arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l'Etat sur les terrains.
15. Selon les nouveaux critères fixés par la Grande Chambre, l'indemnisation doit correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu'établie par l'expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que l'on aura déduit la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l'inflation. Il convient aussi de l'assortir d'intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s'est écoulé depuis la dépossession des terrains. Ces intérêts doivent correspondre à l'intérêt légal simple appliqué au capital progressivement réévalué.
16. En l'espèce, la requérante a perdu la propriété de son terrain (360 mètres carrés) en 1999. Il ressort de l'expertise ordonnée par les juridictions internes au cours de la procédure nationale que la valeur du bien à cette date était de 26,86 EUR le mètre carré (paragraphe 11 de l'arrêt au principal).
17. Compte tenu de ces éléments et statuant en équité, la Cour estime raisonnable d'accorder à la requérante 15 000 EUR pour le préjudice matériel, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme.
18. Reste à évaluer la perte de chances subie à la suite de l'expropriation litigieuse. Statuant en équité, la Cour alloue à la requérante 3 500 EUR de ce chef.
B. Dommage moral
19. A titre du préjudice moral, la requérante demande la somme de 5 000 EUR.
20. Le Gouvernement s'y oppose et s'en remet à la sagesse de la Cour, tout en soulignant la valeur modeste du terrain litigieux.
21. La Cour estime que le sentiment d'impuissance et de frustration face à la dépossession illégale de son bien a causé à la requérante un préjudice moral important, qu'il y a lieu de réparer de manière adéquate.
22. Statuant en équité, la Cour accorde à la requérante la somme demandée au titre du préjudice moral.
C. Frais et dépens
23. La requérante sollicite le versement de 8 432,53 EUR à titre de frais et dépenses en ce qui concerne la procédure devant la Cour.
24. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Cour, faisant valoir qu'en tout état de cause la somme demandée est excessive et pas justifiée.
25. La Cour rappelle que l'allocation des frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002 ; Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003-VIII).
26. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d'allouer le montant demandé pour l'ensemble des frais exposés.
D. Intérêts moratoires
27. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes au taux applicable à la date du règlement :
i. 18 500 EUR (dix huit mille cinq cent euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage matériel ;
ii. 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral ;
iii. 8 432,53 EUR (huit mille quatre cent trente-deux euros et cinquante-trois centimes), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt à la requérante, pour frais et dépens ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 octobre 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Josep Casadevall
Greffier Président