DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE GÜNAYDIN TURİZM VE İNŞAAT TİCARET ANONİM ŞİRKETİ c. TURQUIE
(Requête no 71831/01)
ARRÊT
(fond)
STRASBOURG
2 juin 2009
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Günaydin Turizm Ve İnşaat Ticaret Anonim Şirketi c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Ireneu Cabral Barreto,
Vladimiro Zagrebelsky,
Danutė Jo�ienė,
Dragoljub Popović,
Nona Tsotsoria,
Işıl Karakaş, juges,
et Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 mai 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 71831/01) dirigée contre la République de Turquie et dont une société anonyme de droit turc, G. T. v. İ. T. A. Ş. (« la requérante »), avait saisi la Cour le 11 avril 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La société requérante est représentée par Me S. Ç., avocat à Istanbul et le gouvernement turc (« le Gouvernement »), par son agent.
3. Invoquant les articles 6, 8, 13 et 14 de la Convention et l'article 1 du Protocole no 1, la requérante allègue notamment avoir été privée de sa propriété, à l'issue d'une procédure inéquitable.
4. Le 13 avril 2006, le président de la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A. La genèse de l'affaire
1. La famille Z.
5. Ressortissant grec istanbuliote, Y. Z. était l'un des hommes d'affaires les plus fortunés de l'Empire ottoman au XIXème siècle. En 1821, accusé d'avoir financé l'insurrection du Péloponnèse, Y. Z. se réfugia à Odessa et son patrimoine à Istanbul fut confisqué. En 1829, il s'installa en Grèce avec sa famille.
6. En 1832, Y. Z., fils ainé de Y. Z., retourna à Istanbul ; il y épousa H. Z.. Il devint le conseiller financier du Sultan, fonda une banque et fit fortune en finançant l'Empire alors en difficulté. La famille disposait alors d'un très important patrimoine immobilier, notamment dans les Îles du Prince, et était connue pour ses actions caritatives.
En 1884 Y. Z. décéda et fut inhumé au cimetière orthodoxe de Şişli à Istanbul. Son fils L. Z. reprit les affaires.
7. L. et son épouse, E. E., vécurent à Istanbul et eurent plusieurs enfants : Y. L. G. Z. (« Y. L. »), L. L. T., E. E., S. L. et K. K..
Toujours à Istanbul, Y. L. se maria avec L. A. Z. (« L. ») ; de ce couple naquirent T. et E. B..
Selon toute vraisemblance, dans les années 1910, le couple s'installa à Athènes (d'après la thèse officielle, déjà aucun membre de cette famille n'avait été recensé en Turquie lors du recensement national de 1904).
Y. L. décéda le 6 juillet 1943 à Athènes, laissant derrière lui son épouse L. et ses deux filles.
8. D'après la traduction certifiée d'un mandat délivré le 28 novembre 1948 par un notaire à Lausanne, E. E. (paragraphe 7 in supra ci-dessus) avait chargé son frère K. K. de gérer les biens de la famille sis à Istanbul. La traduction, elle aussi certifiée, d'un second acte notarié, établi le 2 mars 1954 à Athènes, atteste que L., T. et E. B. sont les héritières de Y. L., que L. L. T. et S. L. sont les héritiers d'. E. Z. (paragraphe 7 in supra ci-dessus) et que K. K. est leur représentant.
2. Le bien litigieux et ses acquéreurs
9. Le bien en cause dans la présente affaire, connu sous le nom de « Villa Zarifi », est constitué d'un palais et de ses annexes sis sur un terrain arboré de 14782,38 m² au bord du Bosphore, au lieu-dit Tarabya (Sarıyer-Istanbul).
D'après le cadastre qui fait état de mesures de remembrement remontant au 2 février 1950 et visant à définir les limites de la Villa Zarifi, celle-ci appartenait à L., T., E. B., L. L. T., S. L. et E. E.. Tous vivaient alors à Athènes, sauf cette dernière, domiciliée à Lausanne.
10. Quoi qu'il en soit, à la suite de la révision cadastrale du 27 août 1951, la Villa Zarifi fut enregistrée sur le plan cadastral puis réinscrite au registre foncier au nom des six copropriétaires précités sous le numéro de parcelle 54 (lot 430, plan 72, livre 490).
11. Le 18 mars 1954, K. K., mandataire de la famille (paragraphe 8 ci-dessus), donna pouvoir à un certain K. L..
Le 25 mars 1954, celui-ci vendit la Villa Zarifi à un ressortissant turc, A. A., par un acte formel conclu devant le conservateur du registre foncier de Sarıyer.
12. Le 26 novembre 1964, A. A. décéda et la Villa Zarifi fut inscrite au nom de sa veuve et de ses quatre enfants.
13. Par un acte de vente formel du 1er août 1969, ces derniers cédèrent le bien à la société requérante, toujours selon la procédure officielle devant le conservateur du registre foncier.
Pendant plus de 25 ans, la requérante jouit du titre de propriété de la Villa Zarifi sans être inquiétée par la justice ni l'administration. Au début des années 90, la requérante entreprit même la construction de deux bâtiments annexes sur le terrain en vertu d'un permis de construire.
14. Pendant la période où elle était en possession de ses acquéreurs turcs, la Villa Zarifi fut l'objet de nombreuses saisies conservatoires et/ou grevée d'hypothèques pour divers motifs commerciaux.
B. Les procédures concernant le patrimoine et la succession de Y. L.
1. L'affaire no 1971/60
15. Par un jugement du 24 septembre 1971 rendu à la demande du Trésor public, le tribunal d'instance d'Adalar nomma un administrateur judiciaire, H.Ö, pour gérer certains biens identifiés comme étant inscrits au nom de Y. L., pour une durée de dix ans, au terme de laquelle le Trésor public pouvait revendiquer leur inscription sous son nom (article 530 du code civil – paragraphe 44 ci-dessous).
2. L'affaire no 1978/725
16. En 1978, les descendants de L. et d'E. E., faisant valoir leur qualité d'héritiers (paragraphe 8 ci-dessus), demandèrent au tribunal de grande instance d'Istanbul de congédier l'administrateur judiciaire H.Ö. afin de reprendre le contrôle des biens visés. Ce recours fut rejeté, semble-t-il en 1984.
3. Affaire no 1984/81
17. Le 27 janvier 1984, le Trésor public saisit le tribunal de grande instance d'Istanbul d'une requête visant au prononcé d'un jugement de déclaration de décès de Y. L. et au transfert, à son profit, des biens de ce dernier, inscrits sous les numéros de parcelle 4, 5, 6 (lot 79) dans les Îles du Prince, en vertu de l'article 530 du code civil.
A cet égard, il fit valoir que le délai de dix ans d'administration judiciaire de ces biens était expiré (paragraphe 15 ci-dessus).
18. Par un jugement du 29 avril 1986, le tribunal donna gain de cause au Trésor public, considérant que les annonces et appels judiciaires lancés pour s'enquérir du sort de Y. L. s'étaient avérés vains et que ce dernier devait donc être porté décédé.
4. Affaire no 1987/114
19. A une date non précisée en 1987, le tribunal de grande instance d'Istanbul rendit, à la demande du Trésor public, un nouveau jugement déclaratif de décès concernant Y. L. et autorisa la cession au Trésor public de certains de ses biens autres que ceux déjà transférés en vertu du jugement du 29 avril 1986 (paragraphe 18 ci-dessus).
5. Affaire no 1987/372
20. Le 3 juillet 1987, le Trésor public saisit le tribunal de grande instance d'Istanbul, demandant cette fois-ci qu'outre Y. L., les autres héritiers de L., à savoir son épouse, E. E., et ses enfants, L. L., E. E., S. L., ainsi que K. K. (paragraphe 7 ci-dessus) fussent également déclarés judiciairement décédés. Il réclama aussi le transfert d'un terrain de 6 755 m² sur les Îles du Prince, enregistré sous le numéro de parcelle 14 (lot 182), en invoquant le même motif d'expiration du délai de dix ans d'administration judiciaire.
21. Par un jugement du 12 avril 1989, le tribunal accéda à ces demandes1.
6. Affaires jointes nos1987/131 et 1987/170
22. Le 25 novembre 1975, L., la veuve de Y. L., décéda. Le 7 septembre 1987, sa fille E. B., agissant en son propre nom et au nom de sa sœur T., demanda au tribunal d'instance d'Adalar d'attester leur qualité d'héritières.
A cette fin, elle fit notamment valoir un certificat en ce sens émanant d'instances grecques (paragraphe 8 ci-dessus) et cita E.E. comme témoin. Celui-ci confirma qu'E. et T. étaient bien les descendantes de Y. L. et de L..
23. Le 9 novembre 1987, E. B. introduisit une seconde action en demandant cette fois au tribunal de conférer le statut d'héritier à tous les descendants de sa grand-mère, E. E. (paragraphe 7 ci-dessus).
24. Le Trésor public répondit qu'une demande analogue ayant déjà été écartée en 1984 (paragraphe 16 ci-dessus) et le décès de Y. L. ayant été judiciairement déclaré, il n'était plus possible de délivrer une attestation quelconque en ce sens.
25. Après avoir joint les deux demandes, le tribunal d'instance d'Adalar se prononça le 1er octobre 1989 et débouta E. B. de ses demandes (pour le texte intégral des attendus de ce jugement, voir paragraphe 34 ci-dessous).
7. Affaires nos 1991/1444-1440-1439-1445-1441
26. Le 16 septembre 1991, malgré les précédents ci-dessus, cinq descendants de la famille Z., dont E. B., réussirent à faire valoir leur qualité d'héritiers. Le tribunal d'instance d'Istanbul délivra cinq attestations à cet effet.
8. Affaire no 1996/1390
27. Or, le 26 mai 1993, le Trésor public, invoquant les jugements des 12 avril 1989 et 1er octobre 1989 (paragraphes 21 et 25 ci-dessus), introduisit une action en annulation desdites attestations (paragraphe 26 ci-dessus). D'après lui, seul le Trésor public avait la qualité d'héritier du patrimoine litigieux, les propriétaires initiaux étant judiciairement déclarés décédés. La société requérante intervint dans cette procédure, à titre accessoire.
28. Le 13 décembre 1995, le tribunal d'instance d'Istanbul annula les attestations litigieuses. Dans ses attendus, il précisa que la question soulevée en l'occurrence était de déterminer la situation juridique des prétendants à la succession, étant entendu que leur capacité d'acquérir des biens immobiliers en Turquie dépendait de la reconnaissance réciproque, en Grèce, d'un tel droit pour les citoyens turcs. Après avoir examiné la situation en Grèce, le tribunal conclut que la possibilité, pour les turcs, d'acquérir de tels biens dans ce pays était extrêmement réduite en droit et inexistante en pratique : partant, les ressortissants grecs ne pouvaient pas non plus prétendre à la succession d'un bien immobilier en Turquie.
29. Le 2 juillet 1996, la Cour de cassation infirma ce jugement pour vice de procédure.
30. Le 1er décembre 1998, après s'être conformé à l'arrêt de cassation, le tribunal annula le statut d'héritier des intéressés.
C. Le jugement concernant la requérante
31. Le 16 février 1995, le Trésor public saisit à nouveau le tribunal de grande instance de Sarıyer pour demander l'annulation du titre de propriété de la requérante sur la Villa Zarifi.
Dans son mémoire, étayé par un avis consultatif du bureau de contrôle des biens nationaux près le ministère des Finances, le Trésor public soutenait que Y. L. avait définitivement quitté la Turquie avant la guerre des Balkans et que, depuis lors, aucun membre de sa famille n'y avait été recensé. Y. L. et ses descendants devaient alors passer pour avoir disparu ou déserté pendant la guerre ; aussi leurs biens devaient-ils être confisqués en vertu des lois spéciales promulguées à cette fin après la première guerre mondiale et pendant la guerre d'indépendance de la Turquie (paragraphe 43 ci-après).
Pour le Trésor public, les autorités ayant omis de dûment vérifier si les intéressés étaient réellement ou non des renégats ou des disparus au sens de cette législation, l'administration avait dû se prévaloir de la procédure prévue à l'article 530 du code civil (paragraphe 44 ci-après) pour disposer des biens de Y. L. Toutefois, quelques lots avaient échappé à cette procédure et un groupe de malfaiteurs bien informés des lacunes du système avait réussi à faire inscrire la Villa Zarifi au nom des descendants de Y. L. en usant de documents falsifiés. D'après le Trésor public, il y avait eu à cet égard de quoi blâmer les instances administratives qui avaient manqué à leurs devoirs et responsabilités envers l'Etat.
Dans ces circonstances, la vente effectuée le 25 mars 1954 par des individus déchus de leur qualité d'héritiers (paragraphe 25 ci-dessus) devait tout simplement être déclarée nulle et non avenue, sans qu'aucun tiers acquéreur ne puisse prétendre avoir agi de bonne foi. Partant, la Villa Zarifi devait être transférée au Trésor public en application de l'article 530 du code civil comme l'avaient déjà été les autres biens de Y. L.
32. La requérante rétorqua qu'elle avait acheté la Villa Zarifi aux successeurs d'A. A. sur la foi du registre foncier, sachant qu'à cette époque aucun lien apparent n'existait entre ladite villa et Y. L. ; A. A. avait disposé de ce bien pendant dix-sept ans et elle-même, pendant vingt-six ans, et ce, en toute légalité et sans être inquiétés par la justice. Le demande du Trésor public devait donc être rejetée, d'autant plus qu'elle avait été introduite hors du délai de prescription de dix ans fixé pour les contestations cadastrales (paragraphe 10 ci-dessus).
Au demeurant, vingt-six ans de possession sans discontinuer suffisaient à faire déclarer la société propriétaire de la Villa Zarifi par prescription acquisitive.
33. Le 15 avril 1997, le tribunal de grande instance de Sarıyer se prononça :
« Au vu de l'abrogation du décret no 6/13801 du 2 novembre 1964 du Conseil des ministres par le décret no 88/12592 du [3] février 1988, de manière à autoriser désormais les ressortissants grecs à acquérir toutes sortes de biens en Turquie (paragraphes 49-51 ci-après), et au vu des circulaires que les instances du ministère de la Justice et les parquets nous ont communiquées à ce sujet, il aurait certes fallu délivrer aux successeurs, ressortissants grecs, une attestation d'héritier, et ce, sans aucune discrimination ; or, en l'espèce, nous estimons ne pas pouvoir agir en ce sens, pour les motifs qui suivent. »
34.1. La motivation de ce jugement, hormis son ultime attendu (paragraphe 34.3 ci-dessous), est identique à celle du jugement du 1er octobre 1989 rendu par le tribunal d'instance d'Adalar (paragraphe 25 ci-dessus) :
« 1. Avant tout, les documents obtenus auprès du consulat de Grèce (paragraphe 8 ci-dessus) et le témoignage effectué sous serment ne suffisent pas à asseoir un jugement. Il faut savoir que le témoin [il s'agit de E.E. – paragraphe 22 ci-dessus], né en 1902, n'est pas en mesure de savoir ce qui avait pu se passer auparavant ni de connaître tous les héritiers qui, selon le document fourni par le consulat de Grèce, se trouvaient dispersés dans plusieurs pays, tels que le Canada, les États-Unis et l'Italie. A supposer que les documents fournis par le consulat de Grèce puissent faire foi au titre d'écrits émanant d'une autorité officielle, il n'en demeure pas moins que les faits qui y sont relatés auraient pu changer au fil du temps pour diverses raisons. De surcroît, il est impossible que le consulat puisse être au courant de tous les développements qui avaient pu survenir dans les autres pays. En effet, dans la vie courante, on constate très souvent que des personnes en vie d'après les registres officiels, sont en réalité décédées ou portées disparues.
34.2.
2. D'après ce qu'on peut observer et savoir, le problème principal est Y. L. et, d'ailleurs, le témoin axe tout ce qu'il sait sur cette personne. En effet, Y. L. avait un patrimoine non négligeable dans les Îles du Prince. En revanche, il n'a été présenté aucun document établissant que les autres défunts2 disposaient de biens dans la République de Turquie. Avant tout, les principes élémentaires du droit exigent que, pour ester en justice, les personnes physiques ou morales aient un intérêt au sens juridique du terme. Or, rien dans le dossier ne démontre que les héritiers et descendants des autres défunts avaient un patrimoine en Turquie ni qu'ils avaient, par conséquent, un intérêt à réclamer une attestation d'héritier selon le système judiciaire turc. En ce qui concerne Y. L., il ressort des dires du témoin qu'il avait quitté la Turquie avec sa femme dans les années 1910, n'y était jamais retourné et n'y avait jamais fait gérer son patrimoine par les soins d'un représentant ; dès lors, ses biens immobiliers ont été confisqués par les tribunaux, en vertu des articles 377 et ss. du code civil, puis gérés pendant des années et, finalement, transférés au Trésor public en application de l'article 530 du code civil, après le jugement déclaratoire du décès de l'intéressé, au sens des articles 31 et ss. du code civil. Il est vrai qu'à l'heure actuelle, Y. L. possède encore certains biens qui n'ont pas été transférés au Trésor public. Cependant, dès lors qu'il a déjà été décidé d'inscrire ses autres biens au nom du Trésor public et de déclarer Y. L. judiciairement décédé, force est d'admettre que, désormais, tous les biens de Y. L. doivent passer pour avoir été transférés au Trésor public. A notre avis, dans le cas d'espèce, rien ne distingue le Trésor public d'un individu, en ce sens qu'une fois qu'une inscription est faite au nom du Trésor public, il n'est plus possible de l'annuler. La situation est comparable à celle d'un ancien propriétaire ou possesseur d'un bien immobilier délaissé pendant des années, lequel ne saurait opposer aucun droit à un tiers qui a utilisé ce bien et qui en a obtenu le titre de propriété par une décision judiciaire en vertu des dispositions sur la prescription acquisitive, ou encore à celle d'un bien immobilier non inscrit, mais qui a été utilisé sans interruption et sans contestation par un possesseur qui le fait inscrire au registre foncier en son nom en vertu de l'article 639 du code civil ; aussi Y. L. et/ou ses héritiers n'ont-ils plus le droit de demander la restitution de ces biens. Il découle des informations, documents et preuves disponibles que tous les de cujus et les prétendants à l'héritage ont quitté la Turquie, il y a des années ; ils se sont installés dans d'autres pays et ont délaissé leur patrimoine existant en Turquie ; partant, il faut désormais considérer ce patrimoine comme étant transféré au Trésor public et procéder dans ce contexte. En fait, on estime que, même si les héritiers n'avaient pas quitté la Turquie ou même s'ils avaient la citoyenneté de la République de Turquie, cela n'aurait pas porté à conséquence quant au fond [de l'affaire]. Au vu de ce qui précède, et considérant que les prétendants n'ont pas [droit à une] attestation d'héritier, parce qu'ils ne peuvent avoir cette qualité ; que l'action en reconnaissance de la qualité d'héritier intentée auparavant par certains des intéressés devant le tribunal d'instance d'Istanbul a été rejetée par un jugement no 1983/1451 du 23 novembre 19833 (...) ; que ce jugement a acquis force de chose jugée ; que le décret du Conseil des ministres susmentionné [du no 88/12592 du 3 février 1988] (paragraphes 33 ci-dessus et 49 ci-dessous) n'est pas applicable rétroactivement, nous décidons de rejeter les demandes.
34.3.
3) Conformément au jugement ci-dessus, nous déclarons que tous les biens de Y. L. sont réputés être transférés au Trésor public et, de ce fait, rejetons la demande de la partie demanderesse (sic) concernant la reconnaissance de sa qualité d'héritier. La vérité inébranlable est donc que, désormais, il est impossible de céder la propriété de [l'un de ces biens] en utilisant tel ou tel document ou en faisant valoir telle ou telle inscription foncière, et que si un tel acte a néanmoins eu lieu, la vente ne signifie rien ; compte tenu de [cette réalité], nous décidons l'annulation de l'inscription faite au registre foncier au nom de la société défenderesse, faute d'une vente valide. »
35. Ainsi, la Villa Zarifi fut inscrite au nom du Trésor public.
Le 14 novembre 1997, la requérante se pourvut en cassation. Réitérant ses moyens de défense (paragraphe 32 ci-dessus), elle déplora encore que le tribunal eût jugé sans même effectuer un état des lieux.
Par un arrêt du 3 décembre 1998, la Cour de cassation confirma le jugement attaqué. Le 1er mars 1999, elle rejeta le recours en rectification d'arrêt de la requérante. L'arrêt définitif fut notifié à celle-ci le 21 octobre 1999.
36. Le 12 février 2002, la requérante fut expulsée des lieux et, par la suite, condamnée à payer une compensation pour occupation illicite de la Villa Zarifi. Le 15 mai 2007, le dû à ce titre s'élevait à 1 106 656,61 TRY (environ 600 000 EUR).
A l'heure actuelle, la Villa Zarifi est louée à la Chambre de commerce d'Istanbul pour une durée de 49 ans.
D. Les actions en réparation diligentées par la requérante
37. Le 28 juillet 2003, la requérante introduisit une action en réclamation partielle (d'un montant de 10 milliards d'anciennes livres turques – TRL) contre le Trésor public et demanda la compensation de la perte subie à la suite du transfert sans indemnisation de la Villa Zarifi ainsi que le remboursement de la plus-value créée sur ce bien du fait des constructions annexes qu'elle y avait réalisées (paragraphe 13 in fine ci-dessus).
38. Par un jugement du 25 octobre 2005, le tribunal de grande instance de Sarıyer débouta la requérante au motif que le Trésor public n'avait pas à répondre des conséquences des inscriptions foncières faites au nom des particuliers antérieurement au transfert effectué en son nom. D'après lui, aucune négligence ou responsabilité ne pouvait non plus être imputée au conservateur du registre foncier ayant procédé à l'inscription au nom du Trésor public ; les personnes fautives étaient celles qui avaient irrégulièrement vendu le bien à la requérante et c'est à elles qu'il appartenait de réparer le préjudice incontestable subi en l'espèce.
39. Le 27 mars 2005, la Cour de cassation infirma ce jugement en tant qu'il portait sur la question – laissée en suspens – de savoir si le Trésor public avait bien bénéficié d'un enrichissement sans cause du fait de la plus-value alléguée (paragraphe 37 ci-dessus). Elle confirma le jugement en ce qui concernait la compensation de la perte de la Villa Zarifi elle-même.
Le 13 juillet 2006, les recours en rectification d'arrêt des deux parties furent écartés.
40. Le 23 janvier 2007, le tribunal de grande instance de Sarıyer rendit son second jugement. Tenant compte d'une expertise évaluant la plus-value revendiquée à 835 173,81 TRY4, le tribunal condamna le Trésor public à verser à la requérante la somme de 10 000 TRY.
Par un arrêt du 8 mai 2007, la Cour de cassation confirma ce jugement.
41. Entre-temps, le 6 mars 2007, la requérante saisit à nouveau le tribunal, réclamant cette fois-ci le restant du montant déterminé par l'expertise, assorti d'intérêts moratoires, plus son manque à gagner d'un montant de 167 034, 76 TRY. A titre subsidiaire, elle tira également argument de la responsabilité du conservateur du registre foncier, donc du Trésor public, du fait des préjudices découlant des fautes de service commises lors des inscriptions précédentes de la Villa Zarifi. Toutefois, aucune somme ne fut réclamée à ce titre.
Par un jugement du 13 novembre 2007, le tribunal accorda à la requérante la somme de 825 173,81 TRY, assortie d'intérêts à courir à partir du 15 février 2007 ; il rejeta la demande pour le surplus.
42. Sur pourvoi du Trésor public, l'affaire fut portée devant la Cour de cassation et, selon toute vraisemblance, celle-ci infirma le jugement pour motif de prescription à une date non précisée.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La législation et la jurisprudence concernant les biens abandonnés par des renégats ou des expatriés
43. Pendant la guerre des Balkans (1912-1913) et la Première Guerre mondiale (1914-1918), nombre d'individus, accusés de trahison ou d'espionnage, fuirent l'Empire ottoman ou en furent expulsés. Pour prévenir un retour en force de ces derniers, deux lois notamment furent promulguées les 14 mai et 13 septembre 1915 ; d'après celles-ci, les personnes visées seraient déchues de la nationalité ottomane et leurs biens confisqués ipso iure. Cependant, à la suite de la défaite et du démembrement de l'Empire, certaines de ces personnes retournèrent au pays, parfois pour collaborer avec les puissances alliées. Or, pendant la guerre d'indépendance turque (1919-1923), particulièrement après la libération d'Izmir le 9 septembre 1922, la situation évolua au détriment des alliés. Aussi, les collaborateurs choisirent-ils soit de quitter définitivement la Turquie soit de se cacher afin d'éviter des représailles.
Face à cette situation, la législation de 1915 fut amendée par les lois des 20 avril 1922 et 15 avril 1923 portant administration des biens abandonnés par les renégats et les personnes portées disparues. Il était prévu que les biens de ces derniers seraient transférés au Trésor public ou, selon le cas, à la Direction des fondations de la Turquie.
44. La situation de droit décrite ci-dessus ne doit pas être confondue avec celle des personnes ayant fait l'objet d'une déclaration judiciaire de décès en vertu du droit commun, à savoir l'article 530 de l'ancien code civil no 743 du 17 février 1926 (resté en vigueur jusqu'à la promulgation du nouveau code no 4721 du 22 novembre 2001) :
« S'agissant des personnes dont l'état de vie ou de mort demeure inconnu et dont les biens sont gérés depuis dix ans par les soins des tribunaux, ainsi que des personnes dont les biens sont gérés depuis moins de dix ans mais qui ont atteint l'âge de cent ans, une décision est prise à la demande du Trésor public.
Si nul ayant-droit ne se manifeste pendant le délai d'affichage judiciaire préalable à la déclaration de décès, les biens en question sont transférés au Trésor public. Dans ce cas, le Trésor public demeure responsable envers la personne déclarée décédée et ses héritiers légaux (...) ».
La gestion de tels biens par des administrateurs judiciaires relève de la procédure prévue à l'article 377 § 1 de l'ancien code civil.
45. En la matière, les exemples jurisprudentiels (de l'assemblée plénière ou des 8ème et 14ème chambres de la Cour de cassation) produits par les parties fournissent les précisions suivantes :
En vertu de l'article 33 de l'ancienne loi no 766 sur les inscriptions foncières (en vigueur du 26 juillet 1972 au 9 octobre 1987), tel qu'amendé par la loi no 1617 du 19 juillet 1972 avec effet rétroactif, les biens immobiliers relevant de la juridiction et du contrôle de l'Etat (i.e. pâtures, rivages des mers, lacs, bandes côtières) ainsi que les biens qui reviennent à l'Etat en vertu des lois (i.e. la législation exposée au paragraphe 43 ci-dessus), qu'ils soient inscrits ou non au registre foncier, ne peuvent être acquis par prescription (arrêts des 19 septembre 1973 (E. 1969/7-1145, K. 703), 3 avril 1974 (E. 1971/8-626, K. 327) et 2 octobre 1974 (E. 1971/8-839, K. 1032)).
46. En ce qui concerne la première catégorie de biens, le fait est que ceux-ci ne peuvent en aucun cas faire l'objet d'une propriété privée même si l'Etat ne figure pas comme propriétaire sur le registre foncier ; ainsi, par exemple, la cession à un particulier d'une pâture est nulle et non avenue, même si – d'une manière ou d'une autre – il y a eu inscription au nom de ce particulier (arrêt du 19 juin 2003 (E. 2003/3504, K. 2003/5088)) ; qu'un tel bien étatique ait auparavant été illégitimement inscrit au nom de particuliers ne porte pas non plus à conséquence, pareille inscription ne faisant pas foi (arrêt du 15 décembre 1981 (E. 1981/6936, K. 1981/7298)).
47. Pour ce qui est de la seconde catégorie de biens, les juges, avant de statuer sur les prétentions de tiers, doivent d'abord dûment déterminer si le bien en cause appartenait initialement à une personne renégate ou portée disparue (arrêts des 29 mars 1978 (E. 1976/8-3250, K. 1978/280), 20 décembre 1973 (E. 5605, K. 7236) et 11 novembre 1983 (E. 1980/7-1948, K. 1983/1156)), compte tenu, par exemple, des expertises ou témoignages (arrêt du 11 décembre 1973 (E. 6803, K. 7036)) ou des annotations au registre foncier concernant le bien en cause (arrêt du 13 juin 1973 (E. 380, K. 3093)).
Cela étant, si la propriété d'un tel bien est acquise en bonne et due forme en vertu d'un acte de vente (i.e. acte de vente notarié), par un ressortissant turc (arrêt 12 avril 1978 (E. 1977/7-611, K. 1978/313)) ou non (arrêt du 30 mai 1979 (E. 4476, K. 6195)), la tâche du juge est de vérifier la validité dudit acte et de trancher en conséquence ; l'acte en question doit être exempt de vice (arrêts des 9 janvier 1979 (E. 10256, K. 101) et 2 juin 1977 (E. 1830, K. 5495)) et passé avec le propriétaire légitime qui est inscrit au registre foncier.
La législation concernant le patrimoine des renégats et expatriés (paragraphe 43 ci-dessous) n'est opposable qu'à cette catégorie de personnes ainsi qu'à leurs héritiers dont le patrimoine est réputé être confisqué ipso iure. Lorsque l'intéressé est un tiers ne relevant pas de cette législation et dont les biens n'ont jamais été confisqués à ce titre, la tâche du juge se limite à vérifier si l'intéressé a bien acquis la propriété du bien litigieux par un acte valide et à statuer en conséquence (arrêt du 24 mars 1961 (E. 8954, K. 2177)).
B. La règle de réciprocité et la situation des ressortissants grecs
48. L'article 35 de la loi foncière no 2644 du 22 décembre 1934, dans sa version en vigueur à l'époque (avant la modification du 19 juillet 2003) était ainsi libellé :
« Les étrangers (personnes physiques) peuvent acquérir par voie de cession et d'héritage des biens immeubles situés sur le territoire turc, sous réserve des restrictions prévues par les dispositions législatives et sous condition de réciprocité. »
49. A cet égard, il faut rappeler que, par un décret no 6/13801 du Conseil des ministres du 2 novembre 1964 (pris sur la base de la loi no 1062 sur la réciprocité), une contre-mesure concernant les personnes physiques et morales de nationalité grecque avait été adoptée en réaction aux mesures prises par le gouvernement grec restreignant quasi totalement la jouissance des droits de propriété par des ressortissants turcs en Grèce. Ce décret avait suspendu la conclusion d'actes portant sur des droits réels relatifs à un bien sis en Turquie et appartenant à des ressortissants grecs.
Cependant, par un décret no 88/12592 du 3 février 1988, le Conseil des ministres abrogea le décret précédent. En outre, le 23 mars 1988, le Conseil des ministres adopta le décret no 88/12752, additionnel au premier, dans lequel il relevait que, pendant la période où le décret du 2 novembre 1964 était en vigueur, des biens n'avaient pas pu être inscrits au registre foncier au nom des héritiers ou légataires qui n'étaient pas des ressortissants turcs, du fait de l'effet suspensif dudit décret ; aussi, pour corriger cette situation, le Conseil permettait l'inscription de pareils biens au registre foncier dans la mesure où les lois l'autorisaient.
50. D'après l'assemblée plénière de la Cour de cassation, les dispositions du décret précité du 2 novembre 1964 étaient de caractère provisoire, tout comme les décisions judiciaires rendues en application de ce décret. Pareilles décisions ne peuvent donc passer pour avoir créé un droit matériel quelconque ou anéantir un droit matériel existant. En abrogeant le décret de 1964 par les décrets de 1988, l'exécutif a manifesté sa volonté de lever rétroactivement les obstacles à l'inscription au registre des biens visés par l'ancien régime restrictif et d'autoriser ainsi la conclusion des actes de cession de propriété (i.e. promesse de vente, succession) qui se trouvaient gelés jusqu'alors. Il y va du principe qu'un droit matériel acquis ne peut être définitivement effacé par un décret du Conseil des ministres (arrêt du 13 février 1991 (E. 1990/2-648, K. 1991/65)).
51. Ceci dit, comme la Cour de cassation l'a précisé (arrêt du 23 novembre 2004 (E. 2004/13816, K. 2004/13771)), la possibilité ouverte par les décrets de 1988 ne porte aucun préjudice à l'article 35 du code foncier no 2644 et le principe de réciprocité demeure intact (paragraphe 48 ci-dessus).
C. Les autres normes de l'ancien code civil
52. D'après l'article 633 de l'ancien code civil, l'acquisition de la propriété foncière se fait par l'inscription au registre foncier. En cas de succession, la propriété est acquise avant l'inscription, mais l'intéressé ne peut céder le bien avant qu'il ne soit inscrit au registre foncier.
Le certificat d'héritier est une attestation délivrée par le tribunal d'instance du lieu d'ouverture de la succession en vue d'établir la qualité d'héritier d'une personne. Ce document ne répertorie pas les biens qui figurent dans le patrimoine du défunt mais établit la quotité des droits de chaque héritier. Il fait naître une présomption simple d'exactitude des énonciations qui y figurent. Si un certificat d'héritier inexact a été établi, il doit être annulé par le tribunal d'instance. Le certificat ne jouit pas de la foi publique, c'est-à -dire qu'il ne protège pas le tiers de bonne foi qui acquiert des biens successoraux d'un héritage apparent.
53. D'après l'article 931 de l'ancien code civil :
« Lorsqu'une personne acquiert une propriété ou un autre droit réel sur la foi des inscriptions du registre foncier, cette acquisition est valide ».
A cet égard, la personne qui doit être de bonne foi est celle qui a fait l'acquisition, étant entendu que sa foi doit porter sur la teneur du registre foncier même et non sur les documents contractuels à l'origine de telle ou telle inscription. Ainsi, la personne qui acquiert une propriété à l'aide de faux documents et qui fait inscrire le bien au registre foncier en tant que propriétaire de premier main ne saurait prétendre avoir ajouté foi au registre ; en revanche, l'acquéreur de deuxième main peut le faire, dans la mesure où son acquisition était motivée par l'inscription déjà existante au registre foncier (arrêt de principe du 26 janvier 1994 (E. 1993/1-792, K. 1994/9)).
54. L'article 932 de l'ancien code civil dispose que les inscriptions aux registres fonciers doivent être fondées sur une cause légitime, sachant qu'en cas d'inscription illégitime, les tiers acquéreurs qui étaient ou auraient dû être au courant d'un tel vice ne peuvent prétendre avoir agi sur la foi du registre foncier. Par ailleurs, en vertu de l'article 933, toute personne dont les droits réels ont été lésés par une inscription faite ou par des inscriptions modifiées ou radiées sans cause légitime pouvait en exiger la radiation ou la correction.
Cependant, en vertu de l'article 638 dudit code :
« Il ne peut y avoir d'opposition contre le droit de propriété d'une personne qui, bien qu'indûment inscrite au registre foncier comme étant le propriétaire, a possédé ce bien de bonne foi pendant dix ans, sans interruption ni contestation. »
55. En ce qui concerne l'application de ces deux normes (paragraphes 53 et 54 ci-dessus) aux biens immobiliers des renégats et expatriés (paragraphes 43-47 ci-dessus), un arrêt de principe portant harmonisation de la jurisprudence (arrêt du 3 février 1943 (E. 1942/7, K. 1943/8)) énonce :
« (...) Lorsqu'une tierce personne affirme avoir acquis une propriété, sur la foi du registre foncier, de la part d'un individu qui y était inscrit comme étant le propriétaire, avant d'objecter à cette tierce personne le fait que ladite inscription était frauduleuse ou qu'elle résultait d'une vente invalide, (...) il est évident qu'il faut d'abord prouver que cette personne était ou aurait dû être au courant de ce fait. (...) Il est vrai que les tiers sont à même d'examiner les inscriptions et les annotations au registre foncier ainsi que les documents versés par le conservateur du registre au dossier relatif à la transaction y afférente ; cependant, ce tiers demeure en droit de faire confiance à la validité d'une inscription faite au nom du [vendeur] par un fonctionnaire compétent et d'ajouter foi à pareille inscription. (...) Cette tierce personne ne saurait être tenue de vérifier la conformité à la loi (...) des actes contractuels à l'origine de l'inscription, (...), à moins que des informations concernant ces actes ne ressortent du registre-même ou des procès-verbaux fonciers qui en font partie (...)
Nous concluons qu'en l'espèce, il appartenait au Trésor public demandeur de prouver, conformément à la procédure, que la tierce personne avait fait une acquisition alors qu'elle connaissait la fraude commise, et qu'à défaut d'une telle preuve, on ne peut refuser à cette personne le droit de se prévaloir de l'article 931 du code civil, en prétextant que quiconque serait tenu de connaître la loi no 17715. »
56. L'article 917 § 1 de l'ancien code civil dispose que l'État est responsable de tout dommage résultant de la tenue du registre foncier.
EN DROIT
I. L'OBJET DU LITIGE
57. La société requérante allègue avoir été injustement privée de sa propriété, en l'absence d'un quelconque motif d'utilité publique et sans aucune indemnisation, en violation de l'article 1 du Protocole no 1.
Invoquant les articles 6 § 1, 13 et 14 de la Convention, elle se plaint également de ce que sa cause n'a pas été entendue dans un délai raisonnable et encore moins équitablement, car le tribunal de grande instance de Sarıyer aurait annulé son titre de propriété au mépris de la loi sur le cadastre et du code civil, uniquement parce que les propriétaires initiaux étaient de nationalité grecque.
Se prévalant de l'article 8 de la Convention, la requérante déplore enfin qu'elle ait été contrainte de quitter son siège social et que ses associés aient dû déménager.
58. Le Gouvernement combat ces thèses.
II. SUR LA RECEVABILITÉ
A. Arguments des parties
1. Le Gouvernement
59. Invoquant les arrêts Ble�ić c. Croatie ([GC], no 59532/00, CEDH 2006-III) et Mitap et Müftüoğlu c. Turquie (25 mars 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II), le Gouvernement excipe d'emblée de l'incompétence ratione temporis de la Cour en deux branches. Premièrement, les lois à l'origine du transfert de la propriété de la Villa Zarifi remontent aux années 1915-1923 (paragraphe 43 ci-dessus) et, deuxièmement, celle-ci a été achetée le 1er août 1969 (paragraphe 13 ci-dessus) ; or la Turquie n'a reconnu le droit de recours individuel que le 28 janvier 1987.
60. Le Gouvernement considère en outre qu'il n'y a pas eu épuisement des voies de recours internes puisque l'action en réparation intentée contre le Trésor public (paragraphe 37 ci-dessus) était encore pendante à la date d'introduction de la requête. A titre subsidiaire, le Gouvernement estime que, si la requérante était persuadée de l'inefficacité de cette procédure, elle aurait dû alors saisir la Cour dans les six mois à partir de la date « de l'acte dénoncé ».
61. Il reproche en outre à la requérante d'avoir omis, en toute connaissance de cause, d'introduire une action en dommages-intérêts contre les héritiers d'A. A. qui lui avaient vendu la Villa Zarifi.
62. Par des lettres des 1er juin 2007 et 14 août 2008, le Gouvernement a encore excipé du non-épuisement des voies de recours internes, faisant remarquer que, le 6 mars 2007, la requérante avait introduit une nouvelle action en dommages-intérêts contre le Trésor public et que celle-ci se trouvait également pendante (paragraphe 41 ci-dessus).
2. La requérante
63. La requérante rétorque que le litige au cœur de la présente affaire concerne l'expropriation de facto de la Villa Zarifi dans l'état où elle se trouvait lorsqu'elle avait été achetée ; or, la procédure quant à cette partie du litige a été définitivement close par l'arrêt de cassation du 13 juillet 2006 (paragraphe 39 in fine ci-dessus).
64. S'agissant de la responsabilité civile présumée des vendeurs de la Villa Zarifi, la requérante soutient qu'aucun recours en ce sens ne saurait prospérer, non seulement parce qu'après 40 ans, toute forme d'action civile se trouve prescrite, mais, de surcroît, parce qu'aucune faute n'est imputable aux héritiers d'A. A. qui, eux aussi, avaient agi sur la foi du registre foncier (paragraphes 12 et 13 ci-dessus).
65. Du reste, nul problème ne se poserait au regard de la compétence ratione temporis de la Cour ou de la règle des six mois, la procédure litigieuse ayant débuté le 16 février 1995 et pris fin avec la notification de la décision finale en date du 21 octobre 1999 (paragraphes 31 et 35 in fine ci-dessus).
B. Appréciation de la Cour
66. La Cour rappelle qu'elle a déjà rejeté des exceptions semblables tirées de son incompétence ratione temporis (voir, Fener Rum Patrikliği (Patriarcat Œcuménique) c. Turquie (déc.), no 14340/05, 12 juin 2007 ; Turgut et autres c. Turquie, no 1411/03, § 75, 8 juillet 2008) et ne voit, en l'espèce, aucune raison pour se départir d'une telle solution, d'autant moins que, dans la présente affaire, la requête ne tire son origine ni de l'application des lois invoquées par le Gouvernement ni du caractère illicite du contrat de vente passé avec les héritiers d'A. A..
La Cour reviendra sur ces points (paragraphes 84-90 ci-dessous).
67. Pour ce qui est du non-respect du délai de six mois (paragraphe 60 in fine ci-dessus), il suffit d'observer que la présente requête a été introduite le 11 avril 2000, soit dans les six mois à partir du 21 octobre 1999, date de notification du dernier arrêt de la Cour de cassation (paragraphe 35 ci-dessus).
68. En ce qui concerne la première action civile intentée contre le Trésor public (paragraphe 60 in supra ci-dessus), il ressort du dossier que la question de la réparation du préjudice subi du fait du transfert de la Villa Zarifi a été définitivement tranchée avec le rejet du recours en rectification d'arrêt de la requérante en date du 13 juillet 2006 (paragraphes 39 et 62 ci-dessus), soit avant que la Cour ait statué sur la recevabilité de la présente requête (Kamil Uzun c. Turquie, no 37410/97, § 48, 10 mai 2007). Par conséquent, celle-ci n'est pas prématurée ni ne se heurte à la règle des six mois.
S'agissant de la seconde action, initiée le 6 mars 2007 (paragraphe 62 ci-dessus), la Cour admet que le Gouvernement n'est pas forclos à faire valoir cette procédure, celle-ci ayant été entamée postérieurement au terme du délai qui avait été imparti pour le dépôt des observations écrites sur la recevabilité de la requête (voir, par exemple, Fener Rum Erkek Lisesi Vakfı c. Turquie, no 34478/97, § 33, CEDH 2007-... (extraits)). Cela étant, à partir du jugement susmentionné du 13 juillet 2006, cette procédure se trouvait cantonnée aux constructions annexes réalisées ultérieurement sur le terrain de la Villa Zarifi. L'issue à laquelle cette procédure pourrait aboutir (paragraphe 42 ci-dessus) peut certes entrer en ligne de compte au regard de l'article 41 de la Convention mais non dans l'examen de la question de la compatibilité du transfert gracieux dudit bien au Trésor public avec l'article 1 du Protocole no 1.
69. En ce qui concerne enfin les perspectives qu'une action en réparation contre les héritiers d'A. A. aurait pu présenter (paragraphe 61 ci-dessus), la Cour note que le Gouvernement n'a produit aucune décision de justice ayant donné gain de cause à une personne qui, dans une situation comparable à celle de la requérante, a pu ester en justice des décennies après le fait litigieux. A supposer qu'elle existât en théorie, la requérante n'était néanmoins pas tenue d'emprunter une telle voie dont l'effectivité et l'accessibilité n'ont pas été établies avec le degré de certitude nécessaire pour la considérer comme offrant des chances raisonnables de succès (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 66, Recueil 1996-IV ; mutatis mutandis, Fener Rum Patrikliği (Patriarcat Œcuménique), précitée).
70. En conclusion, la Cour rejette l'exception du Gouvernement en toutes ses branches et déclare la requête recevable, celle-ci ne se heurtant du reste à aucun des autres motifs d'irrecevabilité énoncés à l'article 35 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
A. Les arguments des parties
1. Le Gouvernement
71. Se référant aux arrêts Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne ([GC], no 42527/98, CEDH 2001-VIII), Jantner c. Slovaquie (no 39050/97, 4 mars 2003) et Jahn et autres c. Allemagne ([GC], nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, CEDH 2005-VI), le Gouvernement soutient que la requérante n'a jamais disposé d'un « bien actuel » quelconque, son acquisition de la Villa Zarifi étant invalide dès le début, car l'inscription faite en son nom était contraire à la loi. Les inscriptions erronées du registre foncier ne pouvant faire naître un droit quelconque à acquérir une propriété immobilière, les juridictions internes n'auraient fait que corriger cette erreur en annulant le titre de propriété de la requérante, et ce, dans le respect de « la législation pertinente ».
72. A cet égard, le Gouvernement rappelle que les descendants de Y. L. avaient quitté le pays avant la guerre des Balkans ; ils n'étaient plus jamais recensés en Turquie depuis 1904. Leur situation tombait donc sous le coup des lois sur l'administration des biens abandonnés, avant le 6 août 1924, par des renégats et des individus portés disparus promulguées entre 1915 et 1923 (paragraphes 43-47 ci-dessus).
Les mesures prises contre de tels biens visaient à « contribuer au développement du pays » et devaient s'appliquer même aux biens ayant échappé à la confiscation jusqu'à cette dernière date.
73. Le Gouvernement rappelle que la situation de la famille Z. se trouvait établie par les enquêtes de sécurité et confirmée lors des actions civiles visant son patrimoine. En effet, les membres de cette famille avaient été « déclarés disparus » par des jugements des 29 avril 1986 (paragraphes 17 et 18 ci-dessus) et 12 avril 1989 (paragraphes 20 et 21 ci-dessus), et leurs biens avaient été enregistrés au nom du Trésor public, selon les procédures prévues aux articles 377 et 530 du code civil no 743 (paragraphe 44 ci-dessus).
74. Le Gouvernement se réfère en particulier au jugement du 1er octobre 1989 (paragraphes 22-25 ci-dessus) rendu à l'encontre d'E. B., inscrite comme copropriétaire de la Villa Zarifi. C'est bien ce jugement définitif, mettant en évidence que les prétendants à l'héritage « n'étaient pas les héritiers de Y. L. », qui fournirait la réponse à la question principale soulevée en l'espèce. Ainsi, à l'instar de nombre d'autres biens que la famille Z. avait abandonnés, la propriété de la Villa Zarifi devrait passer pour avoir été transférée ipso iure au Trésor public.
75. D'après le Gouvernement, en tout état de cause, le premier acte de vente de la Villa Zarifi ne pouvait être que frauduleux, tout comme les attestations d'héritier et d'autres documents ayant servi à cette transaction : partant, les descendants de Y. L. ne peuvent plus réclamer la restitution de la Villa Zarifi et nul acheteur ne saurait légitimement prétendre avoir agi sur la foi du registre foncier. En d'autres termes, le contrat de vente passé entre les descendants de Y. L. et A. A. étant invalide, il en irait de même du contrat conclu avec la requérante.
76. Le Gouvernement soutient enfin qu'en aucun cas, la requérante ne peut être réputée être devenue propriétaire par prescription acquisitive, pareille possibilité étant exclue pour « les biens transférés au Trésor public ».
2. La requérante
77. La requérante rétorque que les juridictions internes ont méconnu le principe de proportionnalité consacré par la jurisprudence de la Cour en décidant d'inscrire la Villa Zarifi au nom du Trésor public sans avoir égard au fait qu'elle avait été acquise de bonne foi et était demeurée en sa possession durant 26 ans.
78. La requérante déplore que le Gouvernement tente de légitimer l'ingérence commise en arguant de jugements et d'une législation qui, en soi, méconnaissent la Convention. D'après elle, que certains autres biens de Y. L. aient auparavant été confisqués ne justifie en rien l'annulation de son propre titre parce qu'au moment de la vente – contrairement à ces derniers – la Villa Zarifi se trouvait inscrite au nom d'un ressortissant turc.
79. Même à supposer qu'il ait eu une irrégularité dans l'inscription dont il s'agit, la requérante soutient que nul ne saurait lui objecter pareil fait après dix ans de possession de bonne foi au sens de l'article 638 de l'ancien code civil (paragraphe 54 in fine ci-dessus).
B. L'appréciation de la Cour
80. La Cour abordera l'examen de la situation de fait et de droit en jeu en l'espèce en tenant compte de l'enseignement qui ressort des arrêts suivants : Apostolidi et autres (no 45628/99, 27 mars 2007) ; Fener Rum Erkek Lisesi Vakfı, précité ; Nacaryan et Deryan (nos 19558/02 et 27904/02, 8 janvier 2008) ; Fener Rum Patrikliği (Patriarcat œcuménique) c. Turquie (no 14340/05, 8 juillet 2008) ; Yedikule Surp Pırgiç Ermeni Hastanesi Vakfı c. Turquie (no 2) (no 36165/02, 16 décembre 2008).
1. Sur l'existence d'une ingérence
81. La Cour renvoie à sa jurisprudence concernant la démonstration d'une ingérence au sens de l'article 1 du Protocole no 1 (voir, entre autres, Jahn et autres, précité, § 78 ; Turgut et autres, précité, §§ 86, 87 ; N.A. et autres c. Turquie, no 37451/97, §§ 36-37, CEDH 2005-X ; Doğrusöz et Aslan c. Turquie, no 1262/02, §§ 26-28, 30 mai 2006 ; Nacaryan et Deryan, précité, § 44 ; Fener Rum Patrikliği (Patriarcat œcuménique), précité, § 60 ; Fener Rum Erkek Lisesi Vakfı, précité, §§ 45- 46 ; Apostolidi et autres, précité, § 66).
82. Dans ce contexte, elle observe que la société requérante a acquis la Villa Zarifi le 1er août 1969, en payant le prix avec ses fonds propres, aux termes d'un acte de vente formel passé avec les héritiers d'A. A. devant le conservateur du registre foncier (paragraphes 13 ci-dessus). Par l'inscription de son nom audit registre à cette date, la requérante est devenue propriétaire de ce bien au regard du droit civil turc (paragraphe 52 in supra ci-dessus) et elle en a pu jouir, en toute tranquillité, au moins jusqu'au 1er mars 1999 (paragraphes 33-35 ci-dessus). Nul ne conteste que, pendant cette période, la requérante s'est acquittée des taxes afférentes à la Villa Zarifi (mutatis mutandis, Fener Rum Erkek Lisesi Vakfı, précité, § 47), a usé de ce bien aux fins d'actes hypothécaires et y a érigé des bâtiments annexes en vertu d'un permis de construire (mutatis mutandis, N.A. et autres, précité, § 39 – paragraphes 13-14 ci-dessus).
83. Toutefois, avant de conclure, la Cour estime devoir répondre aux arguments du Gouvernement d'après lequel la requérante n'aurait jamais eu le statut d'un propriétaire légitime parce que l'inscription foncière faite en son nom était invalide et ce, à plus d'un égard (paragraphe 71 ci-dessus).
84. Contrairement à ce que le Gouvernement laisse entendre (paragraphes 72 et 73 ci-dessus), rien dans le dossier ne permet de suggérer que la Villa Zarifi était un bien abandonné par les membres d'une famille, en l'occurrence celle de Y. L., devant être qualifiés de renégats ou portés disparus au sens de la législation antérieure à l'instauration de la République de Turquie le 29 octobre 1923 (paragraphe 43 ci-dessus) ni que ces personnes avaient été déclarées « disparues » à l'issue de recherches adéquates, comme le veut la jurisprudence turque : les inscriptions au registre foncier concernant la Villa Zarifi ne contiennent aucune information en ce sens, sachant que l'unique témoignage en la matière a été considéré comme non probant (paragraphe 34 et 47 ci-dessus).
85. D'ailleurs, comme l'administration l'a reconnu (paragraphe 31 ci-dessus), c'est apparemment pour cette raison que les biens inscrits exclusivement au nom de Y. L. ont dû être confisqués, l'un après l'autre et dès leur identification, en vertu de l'ancien code civil no 743 du 17 février 1926 (paragraphe 44 ci-dessus) et non de la législation spécifique susmentionnée.
On ne saurait donc conclure que la Villa Zarifi faisait partie de la catégorie de biens qui reviennent ipso iure à l'Etat de sorte à rendre caduque toute inscription foncière faite au registre au nom de particuliers et/ou à ôter tout bénéfice des règles de la prescription acquisitive (paragraphes 45, 46, 76 et 77 ci-dessus).
86. Revenant aux faits de la cause, la Cour observe qu'au moins depuis la révision cadastrale du 27 août 1951 (paragraphe 10 ci-dessus), la Villa Zarifi n'appartenait plus à Y. L., déclaré judiciairement décédé par un jugement du 29 avril 1986 (paragraphes 17, 18 et 73 ci-dessus) ; elle se trouvait explicitement inscrite en tant que copropriété de ses héritiers L., T. et E. B., de ses frères L. L. et S. L. et de sa sœur, E. E. (paragraphe 9 ci-dessus).
87. Il est vrai qu'un autre jugement de déclaration de décès du 12 avril 1989 – cité par le Gouvernement (paragraphes 20, 21 et 73 ci-dessus) – vise non seulement Y. L.6, mais aussi ses proches E. E., L. L., S. L., E. E. et K. K. (paragraphe 7 ci-dessus).
Il est cependant remarquable que ces personnes – portées décédées en 1989 – étaient, fût-ce en partie, celles qui s'étaient fait représenter devant le tribunal de grande instance d'Istanbul en 1978 (paragraphe 16 ci-dessus). Quoi qu'il en soit, ces jugements – qui, du reste, ne visaient que certains biens sis sur les Îles du Prince (les parcelles nos 4, 5, 6 du lot 79 et la parcelle 14 du lot 182) – s'avèrent muets quant aux héritières légales de Y. L., à savoir L. (décédée dans l'intervalle – paragraphe 22 ci-dessus), T. et E. B. (paragraphes 8, 9 et 86 in supra ci-dessus). Il paraît inconcevable que ces dernières aient pu être déclarées décédées en vertu du code civil, compte tenu des trois procédures ultérieures au cours desquelles elles se sont fait représenter du 7 septembre 1987 (paragraphe 22 ci-dessus) jusqu'au 1er décembre 1998 (paragraphe 30 ci-dessus).
88. S'agissant de ces trois procédures, le Gouvernement attire l'attention sur celle qui a abouti au jugement du 1er octobre 1989 (paragraphes 22-25 ci-dessus), d'après lequel les copropriétaires de la Villa Zarifi (paragraphe 9 ci-dessus) ne pouvaient être admis au statut d'héritiers de Y. L. selon le droit turc ni, par conséquent, hériter du bien en cause (paragraphe 74 ci-dessus).
A ce sujet, la Cour note, avant tout, que la demande rejetée par le jugement en question est celle tendant à obtenir, au nom des descendants de L. et d'E. E., dont Y. L., une attestation d'héritier conforme au droit turc (paragraphe 52 in fine ci-dessus). Qu'une telle attestation leur ait été refusée, ne veut assurément pas dire que les intéressés n'étaient pas titulaires d'un droit matériel sur la succession de leur de cujus. D'ailleurs, deux actes notariaux établis en Grèce et en Suisse, les 8 novembre 1948 et 2 mars 1954, permettent de présumer que les droits successoraux de ces personnes avaient été reconnus dans leur pays de résidence et que ces dernières avaient mandaté K. K. pour gérer le patrimoine de la famille en Turquie (paragraphe 8 ci-dessus).
Il s'agit là d'un élément qui va à l'encontre de la thèse de « bien abandonné » (paragraphe 72 ci-dessus), d'autant que c'est sur intervention de K. K. que la Villa Zarifi a été vendue à A. A., le 25 mars 1954 (paragraphe 11 ci-dessus).
89. Au demeurant, il importe peu de s'attarder sur la question de savoir si les protagonistes étaient ou non en droit de solliciter l'inscription de la Villa Zarifi à leur nom, à titre d'héritiers d'une personne déclarée décédée (voir, par exemple, Apostolidi et autres, précité, § 67) et/ou d'espérer se voir légitimement reconnaître pareille qualité selon le droit turc (voir, par exemple, Nacaryan et Deryan, précité, §§ 45, 46) : depuis 1951, la propriété de la Villa Zarifi se trouvait déjà inscrite en leur nom (paragraphes 10 et 86 in fine ci-dessus).
90. Ceci dit, même à supposer que les autorités turques aient eu des raisons plausibles de penser que les premiers propriétaires de la Villa Zarifi devaient tomber sous le coup des lois régissant les renégats (paragraphe 43 ci-dessous), la Cour estime pouvoir clore ce débat en rappelant que, d'après la Cour de cassation turque, ledit régime ne pouvait éventuellement être opposé qu'à ces derniers et à leurs héritiers et non aux tiers acquéreurs, dont la requérante (paragraphe 47 in fine ci-dessus).
91. Cependant, c'est sur ce point précis qu'intervient à nouveau le Gouvernement, soutenant que tant cette inscription initiale (paragraphe 10 ci-dessus) que la vente de première main à A. A. (paragraphe 11 ci-dessus) ne pouvaient être que frauduleuse car elles se fondaient sur des attestations d'héritiers et des mandats (paragraphe 8 ci-dessus) falsifiés ; aussi la requérante ne saurait-elle légitimement prétendre avoir agi sur la foi du registre foncier (paragraphe 75 ci-dessus).
92. La Cour ne saurait accorder crédit à cette thèse, en l'absence d'une vérification quelconque de l'authenticité des documents en question auprès des autorités étrangères qui les avaient émis, de poursuites judiciaires à l'encontre des auteurs présumés de la fraude alléguée ou ne serait-ce que d'une enquête administrative sur l'éventuelle responsabilité des notaires ou des fonctionnaires chargés de la conservation du registre foncier et/ou des hypothèques ayant validé les actes que le Gouvernement conteste maintenant.
La Cour ne voit donc aucune raison plausible pour mettre en doute la bonne foi de la requérante lors de son acquisition et revient ainsi à l'essentiel.
93. Il ressort de la jurisprudence turque que, même si l'acheteur de première main, à savoir A. A., avait acquis la Villa Zarifi de manière frauduleuse, fût-il de connivence avec le mandataire K. L. (paragraphe 11 ci-dessus) ou avec le notaire et les autres fonctionnaires concernés, pareille circonstance ne pouvait être opposée à la requérante, à savoir l'acquéreur de deuxième main, que si celle-ci savait ou aurait dû savoir qu'il y avait eu fraude, compte tenu des informations qui ressortaient, au moment donné, du registre foncier, sans qu'on puisse lui reprocher d'avoir omis de s'enquérir outre mesure sur les circonstances de la conclusion des actes précédents ou de vérifier la légalité de ceux-ci (paragraphe 53 et 54 ci-dessus).
Or, en l'espèce, le Gouvernement n'a pas été en mesure de démontrer que le registre foncier contenait des informations de ce type (voir, mutatis mutandis, Doğrusöz et Aslan c. Turquie, no 1262/02, § 29, 30 mai 2006).
94. Il s'ensuit qu'au moment de son acquisition, le 1er août 1969 (paragraphe 13 ci-dessus), la requérante pouvait légitimement avoir la certitude que les actes en cause étaient conformes à la loi et qu'elle bénéficierait de la « sécurité juridique » quant à son statut de propriétaire, intrinsèque à son inscription au registre foncier (mutatis mutandis, Fener Rum Erkek Lisesi Vakfı, précité, § 56).
95. En bref, la radiation définitive du titre de propriété de la requérante, environ trente ans après l'acquisition de la Villa Zarifi, a eu pour conséquence de priver l'intéressée d'un bien actuel et s'analyse en une « privation » de propriété au sens de la seconde phrase du premier alinéa de l'article 1 du Protocole no 1 (voir, par exemple, Yedikule Surp Pırgiç Ermeni Hastanesi Vakfı, § 28 ; Fener Rum Erkek Lisesi Vakfı, précité, §§ 48 et 49 ; Turgut et autres, précité, § 88 ; Doğrusöz et Aslan, précité, ibidem ; mutatis mutandis, Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 77, CEDH 1999-VII).
2. Sur le respect du principe de légalité
96. Quant à la question de savoir si cette privation cadrait avec le principe de légalité (voir, notamment, Jahn et autres, § 81, précité ; Nacaryan et Deryan, § 58, précité ; Fener Rum Patrikliği (Patriarcat œcuménique), précité, § 70 ; Fener Rum Erkek Lisesi Vakfı, précité, §§ 50-52 ; Apostolidi et autres, précité, § 70), la Cour doit se situer essentiellement par rapport à la motivation donnée à cet égard par le tribunal de grande instance de Sarıyer (« le tribunal » – paragraphes 33 et 34 ci-dessus), en gardant à l'esprit que c'est à cette juridiction que l'interprétation de la législation interne incombait au premier chef (voir, par exemple, Wittek c. Allemagne, no 37290/97, § 49, CEDH 2002-XI ; Forrer-Niedenthal c. Allemagne, no 47316/99, § 39, 20 février 2003).
97. Cela étant, force est de constater qu'en l'espèce, ladite motivation, du reste entièrement calquée sur celle du tribunal d'instance d'Adalar (paragraphe 25 ci-dessus), est trop vague et sujette à des analyses divergentes pour que l'on puisse dire qu'elle se fondait sur l'interprétation ou sur l'application d'une législation et/ou d'une jurisprudence établie.
98. En l'espèce, le tribunal a abordé son examen par la condition de réciprocité prévue à l'article 35 de la loi foncière no 2644 (paragraphe 48 ci-dessus), en tirant argument des décrets y afférents du Conseil des ministres (paragraphe 49 ci-dessus). Ainsi, il est parvenu à une première conclusion, à savoir que, si le décret no 88/12592 du 3 février 1988 commandait que l'on reconnût la qualité d'héritier aux descendants de Y. L., cela s'avérait néanmoins impossible notamment parce que ledit décret n'avait pas d'effet rétroactif (paragraphes 33 et 34.2 in fine ci-dessus). Or, le décret subséquent no 88/12752, promulgué le 23 mars 1988 (paragraphe 49 in fine ci-dessus) – que le tribunal ne pouvait ignorer – prévoit bien une clause de rétroactivité, justement pour remédier à la situation des ressortissants grecs dont les droits avaient été suspendus par le passé (paragraphe 49 in fine ci-dessus – Apostolidi et autres, précité, § 76) ; de surcroît, cette solution se trouvait explicitement confirmée par l'assemblée plénière de la Cour de cassation (paragraphe 50 ci-dessus), et ce, bien avant que le tribunal ne statuât.
99. Aussi, la Cour estime-elle ne pas pouvoir suivre le tribunal sur ce point, d'autant moins qu'elle a déjà conclu, dans des circonstances comparables, que l'application de la règle de réciprocité dont il s'agit avait enfreint le droit des non-ressortissants de voir reconnaitre leurs droits successoraux au regard de l'article 1 du Protocole no 1 (voir, par exemple, ibidem, §§ 71-78, et Nacaryan et Deryan, précité, §§ 47-57).
La Cour ne reviendra pas non plus sur l'argument récurrent de « bien abandonné » (paragraphe 34.2 in supra ci-dessus), parce qu'elle y a déjà répondu (paragraphe 11, 72 et 88 ci-dessus).
100. Pour le reste, les attendus (paragraphes 34.2 ci-dessus) consistent en une série d'extrapolations factuelles se rapportant toujours aux Z., mais étrangères à la situation concrète de la requérante.
101. Il y a d'abord la conclusion selon laquelle les documents fournis par le consulat de Grèce et le témoignage de E.E. ne pouvaient être déterminants, parce que ledit consulat ne pouvait savoir où les protagonistes se trouvaient ni s'ils étaient encore en vie, et parce que E.E. ne pouvait être au courant de ce qui avait pu se passer avant sa naissance en 1902 (paragraphe 34.1 ci-dessus).
Il s'agit là d'évènements que le tribunal non plus ne pouvait pas connaître, ce qui ne l'a pourtant pas empêché de statuer (paragraphe 92 in supra ci-dessus).
102. La Cour en veut pour autre exemple l'analogie faite entre la situation du Trésor public et celle d'une personne devenue propriétaire d'un bien inscrit au nom d'un tiers par voie de prescription acquisitive, et à laquelle ce tiers ne saurait plus opposer un droit réel quelconque. On a peine à comprendre cet exemple, la Villa Zarifi n'étant jamais entrée en possession du Trésor public ou d'une autre entité administrative.
103. Il y a encore l'extrapolation fondée sur l'applicabilité de l'article 530 de l'ancien code civil : d'après le tribunal, si les autres biens identifiés de Y. L. ont bien été confisqués en vertu de la procédure prévue à cet effet, la Villa Zarifi devrait également « passer pour avoir été transférée au Trésor public » dans le même contexte. La Cour n'est pas non plus convaincue par cette analyse, non seulement parce que la Villa Zarifi n'était ni inscrite au nom de Y. L. ni abandonnée, mais aussi parce que l'article 530 aurait au moins exigé qu'elle fît l'objet d'une administration judiciaire pendant dix ans avant qu'une décision quelconque ne fût prise sur son sort (paragraphe 44 in fine ci-dessus).
104. Enfin, il y a lieu de noter qu'avant d'annuler le titre de la requérante, le tribunal a fait valoir l'absence « d'une vente valide » (paragraphe 34.3 in fine ci-dessus). Ayant déjà conclu à la bonne foi de la requérante lors de l'acquisition (paragraphes 92 et 93 ci-dessus), la Cour estime que celle-ci était en droit de s'attendre à ce que le tribunal tînt compte de l'arrêt de principe du 3 février 1943 portant harmonisation de la jurisprudence dans le domaine qui nous concerne ici (paragraphes 54 et 55 ci-dessus) et étayât les motifs qui l'auraient conduit à dispenser le Trésor public du fardeau de prouver que les actes fonciers concernant la Villa Zarifi étaient viciés et que ladite Villa avait été acquise en toute connaissance de cause.
105. Force est d'admettre que, considéré dans son ensemble, le jugement incriminé ne permet guère d'identifier la loi et/ou la jurisprudence appliquées à la requérante, étant entendu que les quelques décisions judiciaires y mentionnées (paragraphe 34.2 in fine ci-dessus) ne concernent que la famille Z. et, de par leurs dates, ne pouvaient passer pour prévisibles aux yeux de la requérante (Fener Rum Erkek Lisesi Vakfı, précité, § 57 supra).
D'ailleurs, la conclusion du tribunal, loin de se fonder sur une législation établie et de puiser dans une « vérité inébranlable » (paragraphe 34.3 ci-dessus), fait plutôt transparaître une surprotection de l'intérêt du Trésor public au détriment de l'intérêt concurrent invoqué par la requérante lors de la procédure (paragraphe 32 ci-dessus), et ce, abstraction faite du préjudice subi en raison de l'absence d'indemnisation.
Or il s'agit là d'un résultat qui ne pouvait se justifier que dans des circonstances exceptionnelles dont l'existence n'a pas été démontrée par le Gouvernement (voir, Turgut et autres, précité, § 91 ; N.A. et autres, précité, § 41 ; Fener Rum Patrikliği (Patriarcat œcuménique), précité, § 84 ; Jahn et autres, précité, § 111 ; Nastou c. Grèce (no 2), no 16163/02, § 33, 15 juillet 2005).
106. À la lumière de ces considérations, la Cour estime que le transfert sans indemnisation de la propriété de la Villa Zarifi au Trésor public ne saurait être qualifié de suffisamment prévisible (voir, en ce sens, Apostolidi et autres, précité, § 78 ; Nacaryan et autres, précité, §§ 59, 60) ni, par conséquent, compatible avec le principe de légalité.
Cette conclusion dispense la Cour de rechercher dans quelle mesure l'ingérence constatée avait pour but de servir une cause d'utilité publique et plus particulièrement de « contribuer au développement du pays » (paragraphe 72 in fine ci-dessus).
107. Il y a donc eu en l'espèce violation du droit au respect des biens de la requérante au regard de l'article 1 du Protocole no 1.
IV. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
108. Reste l'examen des autres griefs que la requérante tire des articles 6 § 1 et 8 de la Convention, pris isolément ou combinés avec l'un ou l'autre des articles 13 et 14 (paragraphe 57 ci-dessus).
109. La Cour estime avoir déjà statué sur la question juridique principale posée par la présente requête au regard de l'article 1 du Protocole no 1 (paragraphe 107 ci-dessus). Eu égard à l'ensemble des faits de la cause et des arguments des parties, elle considère qu'il ne s'impose pas d'examiner le restant des griefs (voir, parmi beaucoup d'autres, Kamil Uzun c. Turquie, no 37410/97, § 64, 10 mai 2007).
V. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
110. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Arguments des parties
111. La requérante réclame en premier lieu la restitution de la Villa Zarifi ainsi que le versement d'un montant de 5 500 000 euros (EUR), assorti d'intérêts moratoires, à titre de compensation de la perte de revenus locatifs subie depuis le 16 février 1995 qu'elle évalue à 500 000 EUR/l'an.
112. A défaut, la requérante demande le versement d'une indemnité équivalant à la valeur actuelle minimum de la Villa Zarifi, soit 10 060 475 EUR, plus 5 500 000 EUR, à titre de perte de revenus locatifs (paragraphe 111 ci-dessus). A cet égard, elle explique que ce premier montant correspond à la contrepartie en euros du montant calculé par les experts lors de la procédure diligentée le 28 juillet 2003 devant le tribunal de grande instance de Sarıyer (paragraphe 37 ci-dessus). Or, d'après les indicateurs du marché, la valeur réelle de la Villa Zarifi frôle les 15 000 000 EUR et présente une valeur locative d'environ 630 000 EUR par an.
113. En outre, la requérante demande le versement d'une somme de 1 000 000 EUR pour le préjudice moral subi par M. İ. G., fondateur et associé principal de la société.
114. Par ailleurs, se référant au tableau d'honoraires du barreau d'Istanbul, la requérante sollicite le remboursement de 25 526 EUR pour les honoraires de son conseil qui a fourni un travail de 97 heures, honoraires ventilés en détail sous cinq postes (à raison de 500 TRY/l'heure).
Pour les frais divers, la requérante réclame 1 000 EUR.
115. Le Gouvernement rétorque qu'au vu des décisions rendues en droit interne et de la législation sur les bien abandonnés, la requérante n'est pas en droit de revendiquer la restitution de la Villa Zarifi.
116. Quant au dommage matériel, le Gouvernement avance que les résultats de l'expertise, que la requérante fait valoir, n'ont pas de poids décisif car ils peuvent encore changer en cours d'instance (paragraphe 42 ci-dessus) et que, quoi qu'il en soit, ils ne lient pas les juges. En ce qui concerne la perte alléguée de revenus locatifs, le Gouvernement soutient que cette prétention est spéculative car non documentée.
117. S'agissant du préjudice moral, le Gouvernement excipe du caractère exorbitant de la somme demandée.
118. En ce qui concerne enfin les frais et dépens, le Gouvernement estime qu'en l'absence de factures, récépissés et autres justificatifs à l'appui, aucune somme ne devrait allouée à ce titre.
B. Appréciation de la Cour
119. Dans les circonstances de la présente affaire, la Cour estime que la question de l'application de l'article 41 ne se trouve pas en état, de sorte qu'il convient de la réserver en tenant compte de l'éventualité d'un accord entre l'Etat défendeur et la société requérante.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ;
3. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner les autres griefs tirés des articles 6 § 1 et 8 de la Convention, pris isolément ou combinés avec l'un ou l'autre des articles 13 et 14 ;
4. Dit que la question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ;
en conséquence,
a) la réserve ;
b) invite le Gouvernement et la requérante à lui adresser par écrit, dans le délai de six mois à compter de la date de notification du présent arrêt, leurs observations sur cette question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;
c) réserve la procédure ultérieure et délègue au président de la chambre le soin de la fixer au besoin.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 juin 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise Elens-Passos Françoise Tulkens
Greffière adjointe Présidente
1. Une autre décision analogue est évoquée dans le dossier. Il s’agit d’un jugement rendu le 29 avril 1986 dans l’affaire n° 84/81. Par ailleurs, le 23 novembre 1983, semble-t-il sous le numéro de dossier 1983/1451, le tribunal d’instance d’Istanbul aurait refusé aux successeurs de Y. L. de délivrer une attestation d’héritier selon le droit turc.
1. Le jugement n’est pas explicite sur ce point, mais il devrait normalement s’agir de L. L., E. E., S. L. et de K. K..
1. Voir la note en bas de la page 4.
1. Le 1er janvier 2005, la livre turque (TRY), qui remplace l’ancienne livre turque (TRL), est entrée en vigueur. 1 TRY vaut un million TRL. La somme en question équivalait, à l’époque pertinente, à environ 456 000 euros.
5. Il s’agit là d’une loi promulguée en 1931 ; de par son but, elle est comparable à la législation exposée ci-dessus sur l’administration des biens de non-ressortissants et, plus particulièrement, la liquidation définitive des biens appartenant aux ressortissants grecs à la suite des échanges de populations gréco-turques opérées en vertu du traité de Lausanne du 24 juillet 1923.
1. Pour les autres décisions déclarant Y. L. judiciairement décédé, voir les paragraphes 15 et 19 ci-dessus.