DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE GENNARI c. ITALIE
(Requête no 32550/03)
ARRÊT
STRASBOURG
8 décembre 2009
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Gennari c. Italie,
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Vladimiro Zagrebelsky,
Danutė Jo�ienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Nona Tsotsoria,
Kristina Pardalos, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 novembre 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 32550/03) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. V. G. (« le requérant »), a saisi la Cour le 2 octobre 2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me I. C., avocat à Stra. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, est représenté par son agent, Mme E. Spatafora et par son coagent, N. Lettieri.
3. Le 3 mars 2005, le président de la première section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1927 et réside à Castelmassa.
5. Le requérant était propriétaire d'un terrain constructible de 7 780 mètres carrés sis à Rovigo et enregistré au cadastre, feuille 11, parcelles 303, 304 et 305.
6. Par un arrêté du 28 février 1994, la municipalité de Castelmassa approuva le projet d'aménagement d'un pôle d'activités sur le terrain du requérant.
7. Le 10 avril 1997, la commission provinciale de Rovigo chargée des expropriations fixa le montant de l'indemnité d'expropriation due au requérant à 15 000 ITL le mètre carré, soit un montant global de 60 270 euros (EUR).
8. Par un arrêté du 30 mai 1997, le Président de la province de Rovigo décréta l'expropriation du terrain du requérant.
9. Par un acte d'assignation notifié le 11 juin 1997, la municipalité de Castelmassa entama devant la cour d'appel de Venise une action à l'encontre du requérant et de l'administration provinciale de Rovigo visant à contester le montant de l'indemnité d'expropriation fixé par la commission provinciale de Rovigo.
Le requérant se constitua dans la procédure et s'opposa aux arguments de la municipalité.
10. Au cours de la procédure, une expertise fut déposée au greffe. Selon l'expert, la valeur vénale du terrain au moment de l'expropriation était de 142 913 000 ITL, soit 73 800 EUR, à savoir 18 369 ITL le mètre carré.
11. Par un jugement déposé au greffe le 4 juillet 2002, la cour d'appel de Venise décida que le montant de l'indemnité d'expropriation due au requérant devait être calculé d'après les termes de l'article 5 bis de la loi no 359 de 1992 et le fixa à 43 268 517 ITL, soit 22 346,32 EUR.
12. Ce jugement de la cour d'appel de Venise acquit force de chose jugée le 7 octobre 2003.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
13. Le requérant se plaint d'une atteinte à son droit au respect de ses biens, au motif que l'indemnité n'est pas adéquate, et qu'elle a été calculée sur la base de l'article 5 bis de la loi no 359 de 1992. Il invoque l'article 1 du Protocole no 1.
14. Le Gouvernement soulève tout d'abord une exception de non épuisement des voies de recours internes (l'article 35 § 1 de la Convention), faisant valoir que le requérant ne s'est pas pourvu en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel de Venise.
15. Le requérant s'y oppose.
16. S'agissant de l'exception du Gouvernement, la Cour rappelle qu'elle a rejeté une exception semblable dans des affaires similaires (Giacobbe et autres c. Italie, no 16041/02, 15 décembre 2005 ; Grossi c. Italie, no 18791/03, 6 juillet 2006 ; Ucci c. Italie, no 213/04, 22 juin 2006 ; Lo Bue c. Italie, no 12912/04, 13 juillet 2006 ; Zaffuto c. Italie, no 12894/04, 13 juillet 2006 ; De Angelis et autres c. Italie no 68852/01, 21 décembre 2006). Elle n'aperçoit aucun motif de déroger à ses précédentes conclusions et rejette donc l'exception en question.
17. Quant au fond, la Cour note que les parties s'accordent pour dire qu'il y a eu transfert de propriété au bénéfice de l'administration.
18. Ensuite, elle relève que l'intéressé a été privé de son terrain conformément à la loi et que l'expropriation poursuivait un but légitime d'utilité publique (Mason et autres c. Italie, précité, § 57 ; Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 81, CEDH 2006-... (no 1)). Par ailleurs, il s'agit d'un cas d'expropriation isolé, qui ne se situe pas dans un contexte de réforme économique, sociale ou politique et ne se rattache à aucune autre circonstance particulière.
19. La Cour renvoie à l'arrêt Scordino c. Italie (no 1) précité (§§ 93-98) pour la récapitulation des principes pertinents et pour un aperçu de sa jurisprudence en la matière.
20. Elle constate que l'indemnisation accordée au requérant a été calculée conformément à l'article 5 bis de la loi no 359 de 1992. Le montant définitif de l'indemnisation fut fixé à 22 346,32 EUR, alors que la valeur marchande du terrain estimée, à la date de l'expropriation, était de 73 800 EUR.
21. Il s'ensuit que le requérant a dû supporter une charge disproportionnée et excessive qui ne peut être justifiée par un intérêt général légitime poursuivi par les autorités.
22. Partant, il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.
II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
23. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
24. Le requérant n'a présenté aucune demande de satisfaction équitable. Partant, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 décembre 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise Elens-Passos Françoise Tulkens
Greffière adjointe Présidente