TROISIÈME SECTION
AFFAIRE DUMITRU GEORGESCU ET ION GEORGESCU c. ROUMANIE
(Requêtes nos 30995/03 et 31003/03)
ARRÊT
STRASBOURG
12 janvier 2010
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Dumitru Georgescu et Ion Georgescu c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Elisabet Fura,
Corneliu Bîrsan,
Boštjan M. Zupan�i�,
Egbert Myjer,
Luis López Guerra,
Ann Power, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 décembre 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouvent deux requêtes (nos 30995/03 et 31003/03) dirigées contre la Roumanie et dont deux ressortissants de cet État, MM. D. G. et I. G. (« les requérants »), ont saisi la Cour le 21 août 2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Răzvan-Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.
3. Les requérants allèguent en particulier une violation de l'article 1 du Protocole no 1 en raison de l'impossibilité pour eux de jouir d'un terrain inscrit sur un titre de propriété qui leur fut délivré le 4 août 1994.
4. Le 13 février 2008, le président de la troisième section a décidé de communiquer les requêtes au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5. Les requérants sont nés respectivement en 1937 et 1952 et résident à Greci et Petreşti Găeşti.
A. La délivrance du titre de propriété aux requérants et leur mise en possession du terrain
6. En 1991, se fondant sur la loi no 18/1991 sur le domaine foncier (« la loi no 18/1991 »), les requérants et cinq autres personnes présentèrent à la commission locale de la commune d'Oarja chargée de l'application de ladite loi (« la commission locale »), en leur qualité d'héritiers de G.T.I., une demande de restitution concernant un terrain situé sur le territoire de la commune en question.
7. Par une décision du 5 juin 1991, la commission départementale d'Argeş pour l'application de la loi no 18/1991 (« la commission départementale ») confirma l'existence d'un terrain de 417 ha dans le patrimoine de la commune d'Oarja, ainsi que les propositions faites par la commission locale d'Oarja concernant la reconstitution du droit de propriété de certains particuliers sur ce terrain. Par ailleurs, la demande des requérants visant à la reconstitution de leur droit de propriété sur un terrain fut confirmée par la commission départementale.
8. Par une décision administrative du 13 avril 1992, les requérants et cinq autres personnes furent mis en possession d'un terrain de 5,4 ha situé au bord de l'autoroute Bucarest-Piteşti. Le 4 août 1994, ils obtinrent le titre administratif de propriété sur ce terrain. Ils exploitèrent eux-mêmes leurs parties de terrain jusqu'en 2001, date à laquelle ils conclurent un contrat de bail pour trois ans avec une société agricole.
B. Le transfert du terrain litigieux dans le patrimoine de la commune voisine et la délivrance des titres de propriété à des tiers
9. Les communes d'Oarja et de Bradu sont voisines.
10. Le 31 octobre 2000, se fondant sur l'article III § 1 lettre a) de la loi no 169/1997 modifiant et complétant la loi no 18/1991, la commission locale de Bradu pour l'application de la loi no 18/1991 (« la commission locale de Bradu ») saisit le tribunal de première instance d'Argeş d'une action en annulation de la décision de la commission départementale du 5 juin 1991 dans sa partie confirmant l'existence, dans le patrimoine de la commune, d'Oarja d'un terrain de 194 ha sur les 417 ha susmentionnés. Le terrain de 194 ha était situé au bord de l'autoroute Bucarest-Piteşti, parcelle no 2 et lots 11, 18, 21, 23, 24 et 25 de la parcelle no 3. Le terrain attribué aux requérants en 1992 était situé dans le lot 11 de la parcelle no 3. Les requérants ne furent pas partie à cette procédure.
11. Par un jugement du 16 novembre 2000, le tribunal fit droit à l'action et annula, sur la base d'un rapport d'expertise, la partie de la décision du 5 juin 1991 relative à l'existence d'un terrain de 194 ha dans le patrimoine de la commune d'Oarja.
12. Le parquet près le tribunal de première instance de Piteşti interjeta appel contre ce jugement, faisant valoir que la commission locale de Bradu n'avait pas d'intérêt pour agir et que le tribunal de première instance n'avait pas recherché quelle était la situation juridique actuelle du terrain en cause.
13. Par un arrêt du 22 mars 2001, le tribunal départemental d'Argeş fit droit à l'appel du parquet. Il retint, entre autres, que l'article III § 1 lettre a) ne concernait que la nullité absolue des actes de reconstitution ou de constitution délivrés à une personne physique, et non celle des actes délivrés par les commissions départementales à une commission locale. En outre, le tribunal retint que la commission locale de Bradu avait introduit son action neuf ans après que la décision contestée eut produit des effets juridiques, que le terrain litigieux fut entré dans le circuit civil et que le droit de propriété de certains particuliers sur des parcelles de ce terrain eut été reconstitué.
14. La commission locale de Bradu forma un recours contre cet arrêt, faisant valoir qu'elle avait un intérêt à agir et que le terrain en cause avait toujours appartenu à la commune de Bradu.
15. Par un arrêt définitif du 19 septembre 2001, la cour d'appel de Piteşti fit droit à ce recours. Elle jugea que, selon l'article II de la loi no 169/1997, les dispositions de cette dernière ne pouvaient pas porter atteinte aux titres de propriété et autres actes délivrés dans le respect de la loi no 18/1991. Cependant, elle estima que la décision de la commission départementale du 5 juin 1991 portait atteinte à la loi no 18/1991, au motif qu'elle validait le droit de propriété de la commission locale d'Oarja sur le terrain de 194 ha, alors que cette dernière n'en était pas la propriétaire légitime. En cela, la décision contestée portait atteinte aux droits des particuliers de Bradu, dont le droit de propriété devait être reconstitué à l'intérieur du village.
16. Le 21 mars 2002, la commission locale de Bradu et la commission départementale reconstituèrent le droit de propriété de D.M. sur le terrain des requérants. D.M. vendit le terrain en 2003 à la société commerciale F.
17. En 2003, les requérants et les autres copropriétaires se déplacèrent sur le terrain afin de réaliser une expertise en vue du partage du terrain. A cette occasion ils constatèrent que la société commerciale F. (« la société F. ») avait commencé des travaux pour clôturer leur terrain. Les requérants se déplacèrent au siège de la société F. où ils furent informés que cette dernière avait acheté le terrain de D.M., qui avait vu reconstituer son droit de propriété sur le terrain par la commission locale de Bradu.
18. Le 3 juillet 2003, les requérants et d'autres familles qui se trouvaient dans la même situation furent convoqués à la mairie où le sénateur N.C. les informa que d'autres terrains leurs seraient attribués.
19. Il ressort des pièces du dossier qu'aucune décision judiciaire n'a annulé le titre de propriété des requérants sur le terrain en cause et qu'aucune compensation ne leur a été offerte à ce jour.
C. Action en annulation du titre de propriété de D.M.
20. Le 28 juillet 2003, les requérants et les autres titulaires du titre de propriété du 4 août 1994 saisirent le tribunal de première instance de Piteşti d'une action contre les commissions impliquées dans la délivrance des titres aux tiers, en annulation du titre de propriété de D.M. et en revendication du terrain contre la société F. et P.A.M.
21. Par un jugement du 9 mars 2005, le tribunal rejeta leur action, au motif qu'il y avait deux titres de propriété sur le même terrain. Par un arrêt du 29 novembre 2005, le tribunal départemental d'Argeş fit droit à l'appel des parties et renvoya l'affaire pour jugement en premier ressort. Par un arrêt définitif du 15 mai 2006, sur recours de la société F., la cour d'appel de Piteşti confirma l'arrêt du 29 novembre 2005 précité.
22. L'affaire est toujours pendante en premier ressort devant le tribunal de première instance de Piteşti.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
23. Les dispositions légales applicables sont décrites dans l'arrêt Ioan c. Roumanie, (no 31005/03, 1 juillet 2008).
EN DROIT
I. JONCTION DES REQUÊTES
24. La Cour constate que les requêtes sont similaires en ce qui concerne les griefs soulevés et les problèmes de fond qu'elles posent. En conséquence, elle juge approprié, en application de l'article 42 § 1 de son règlement, de joindre les requêtes.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE NO 1 À LA CONVENTION
25. Les requérants allèguent l'impossibilité pour eux de jouir de la parcelle de terrain inscrite sur leur titre de propriété, parce qu'un deuxième titre de propriété a été délivré par les autorités locales à des tiers. Ils invoquent l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
26. Le Gouvernement combat cette thèse.
A. Sur la recevabilité
27. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes par les requérants, l'action en revendication et en annulation du titre de propriété de D.M. étant toujours pendante devant les juridictions nationales. Il note que les requérants sont les propriétaires du terrain, dans la mesure où leur titre de propriété n'a pas été annulé.
28. La Cour rappelle qu'elle a déjà examiné cette exception dans l'affaire Ioan précitée (§ 32-36). Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n'a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. En outre, selon les documents en sa possession, l'action en revendication est toujours pendante en première instance devant les juridictions nationales. Dès lors, pour les mêmes raisons que celles invoquées dans l'affaire Ioan précitée, et plus particulièrement en tenant compte du fait que l'introduction d'une action en justice contre des particuliers ne saurait constituer une voie de recours à épuiser par un requérant lorsque ce dernier se plaint d'un acte positif des autorités (mutatis mutandis, Pine Valley Developments Ltd et autres c. Irlande du 29 novembre 1991, série A no 222, § 48, Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 47 in fine, CEDH 1999–II), il convient de rejeter l'exception du Gouvernement.
29. La Cour constate en outre que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
30. Les requérants soulignent que leur titre de propriété leur a été légalement délivré le 4 août 1994 mais qu'ils sont à présent dans l'impossibilité d'utiliser le terrain en raison de l'action des autorités qui, dans un premier temps, ont transféré celui-ci à la commune voisine et, dans un deuxième temps, ont délivré un titre de propriété à un tiers.
31. Le Gouvernement réitère les mêmes arguments que ceux exposés dans l'affaire Ioan c. Roumanie précitée (§ 41) concernant le caractère prématuré de la requête. Selon lui, l'action en revendication joue en faveur de la sécurité des rapports juridiques.
32. La Cour rappelle qu'elle a traité déjà dans l'affaire Ioan c. Roumanie précitée (§§ 42-58) des questions semblables à celles du cas d'espèce et a constaté la violation de l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n'a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. La Cour réaffirme notamment que le fait que les autorités compétentes aient rempli, à l'égard des requérants, leur obligation de reconstitution du droit de propriété de ceux-ci en vertu de la loi no 18/1991 ne saurait les exonérer de toute responsabilité ultérieure concernant les atteintes au droit des intéressés garanti par l'article 1 du Protocole no 1 et imputables à leurs propres agissements.
33. La Cour observe que lors de la reconstitution du droit de propriété des requérants et de leur mise en possession du terrain, la commission locale était seule compétente pour déterminer l'emplacement du terrain sur lequel les intéressés devaient voir reconstituer leur droit. Elle en conclut dès lors que les autorités administratives ont eu l'occasion de vérifier si les conditions pour délivrer le titre de propriété étaient bien réunies et de prévenir la création d'un droit de propriété contraire à la loi (Gashi c. Croatie, no 32457/05, § 39, 13 décembre 2007 et Ioan, précité, § 50).
34. Après la reconstitution de leur droit de propriété sur le terrain, les requérants avaient l'assurance légitime qu'ils pouvaient bénéficier paisiblement de leur droit de propriété. Ce n'est que neuf ans plus tard, période pendant laquelle ils ont exploité le terrain, que les autorités locales entamèrent des démarches pour éclaircir la situation juridique de celui-ci. De plus, le Gouvernement reconnaît explicitement que les requérants sont restés propriétaire du terrain et fonde sa défense sur ce fait.
35. Bien qu'il n'appartienne pas à la Cour d'examiner la conformité du titre des requérants ou de celui du tiers concerné avec les dispositions de la loi no 18/1991, ni de juger si l'emplacement du terrain a été déterminé correctement, elle ne peut que constater qu'actuellement deux titres de propriétés valables coexistent sur le même terrain, mettant en échec toute possibilité pour les requérants de jouir de leur bien. De surcroît, elle observe qu'à ce jour, bien qu'ils soient titulaires d'un titre de propriété valable, les requérants se trouvent privés de leur terrain depuis maintenant plus de cinq ans sans avoir reçu ni indemnités, ni terrain équivalent, et que les autorités locales n'ont fait aucune tentative pour mettre un terme à cette situation, dont elles sont pourtant responsables.
36. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que l'État a manqué à son obligation d'assurer aux requérants la jouissance effective de leur droit de propriété garanti par l'article 1 du Protocole no 1.
Partant, il y a eu et il continue d'y avoir violation de cette disposition.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
37. Les requérants dénoncent une violation de l'article 6 de la Convention, au motif qu'ils n'ont pas été invités à intervenir dans la procédure qui a pris fin par l'arrêt de la cour d'appel de Ploieşti du 19 septembre 2001.
38. Le Gouvernement soulève l'exception tirée du défaut de qualité de victime des requérants et estime également que l'article 6 de la Convention n'est pas applicable en l'espèce.
39. A supposer qu'il soit présenté devant la Cour dans le délai de six mois imposé par l'article 35 de la Convention, la Cour relève que ce grief est lié à celui examiné ci-dessus sous l'angle de l'article 1 du Protocole no 1 et doit donc aussi être déclaré recevable. Cependant, eu égard à son constat relatif à l'article 1 du Protocole no 1 (paragraphes 33-37 ci-dessus), la Cour estime qu'il n'y a pas lieu d'examiner s'il y a eu, en l'espèce, violation de l'article 6 précité.
IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
40. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
41. Les requérants réclament, au titre du préjudice matériel, soit la restitution du terrain litigieux soit respectivement 171 559 euros (« EUR ») et 171 566 EUR représentant pour chacun d'eux la valeur marchande d'un septième du terrain. Ils ajoutent que, dans le cadre d'une procédure interne portant sur le terrain litigieux, une expertise a été réalisée en juin 2007 selon laquelle la valeur globale dudit terrain était de 2 376 000 lei roumains nouveaux (« RON »). Cependant, ils considèrent que l'expertise en cause ne reflète pas la valeur réelle du terrain.
42. Ils demandent également chacun 4 000 EUR pour le manque à gagner sur ledit terrain pour une période de cinq ans. Le requérant D. G. demande en outre 500 000 EUR représentant la valeur de la production agricole qu'il aurait pu obtenir de l'exploitation future du terrain. Ils demandent chacun 4 000 EUR au titre du préjudice moral qu'ils auraient subi. Le requérant D. G. a augmenté ultérieurement à 100 000 EUR la somme demandée au titre du préjudice moral.
43. Le Gouvernement note que les requérants n'ont présenté aucun justificatif pour appuyer leurs demandes faites au titre du préjudice matériel. Il estime que, dans la mesure où il n'a pas été établi de manière certaine que le terrain de 5,4 ha figurant dans le titre de propriété a été entièrement occupé par des tiers et où aucun partage n'a été réalisé entre les requérants et les autres copropriétaires, l'étendue du préjudice matériel ne peut pas être déterminée. Le Gouvernement ne conteste pas l'expertise à laquelle il est fait référence ci-dessus ; en se fondant sur les conclusions de cette expertise, il estime que la somme qui aurait pu revenir à chacun des requérants en tant que propriétaire d'un septième du terrain litigieux est de 339 428,57 RON.
44. Quant au préjudice moral, le Gouvernement estime qu'il n'y a pas de lien de causalité entre les prétendues violations de la Convention et le préjudice moral allégué et qu'en tout état de cause, la somme sollicitée est excessive.
45. La Cour rappelle qu'elle a conclu à la violation de l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention en raison de ce que l'État a manqué à son obligation d'assurer aux requérants la jouissance effective de leur droit de propriété.
46. La Cour note à titre liminaire qu'ainsi qu'il ressort des éléments en sa possession, le terrain qui devait être restitué aux requérants a fait l'objet d'un transfert de propriété dans le patrimoine de la commune voisine dans son intégralité (paragraphe 11 ci-dessus). Dès lors, la Cour estime, dans les circonstances de l'espèce, que le versement d'une indemnité aux intéressés correspondant à la valeur du bien, placerait ces derniers autant que possible dans une situation équivalant à celle où ils se trouveraient si les exigences de l'article 1 du Protocole no 1 n'avaient pas été méconnues. Quant à la détermination du montant de cette indemnité, la Cour note, d'une part, que bien que les requérants contestent le montant établi par l'expertise judiciaire versée au dossier, ils ne fournissent pas de preuves à l'appui de leurs affirmations. D'autre part, le Gouvernement ne conteste pas cette expertise. Dès lors, la Cour tiendra compte de cette expertise et du fait que chacun des requérants n'est propriétaire que d'un septième du terrain litigieux afin de fixer le montant du dommage matériel.
47. Compte tenu des éléments en sa possession, la Cour estime la valeur marchande actuelle d'un septième du terrain litigieux à 79 500 EUR.
48. S'agissant du manque à gagner causé par l'impossibilité de jouir de leur terrain, la Cour observe que les requérants n'ont pas accompagné leurs prétentions des justificatifs pertinents (Dragne et autres c. Roumanie (satisfaction équitable), no 78047/01, § 18, 16 novembre 2006). Dès lors, la Cour ne saurait spéculer sur la valeur du manque à gagner. Il n'y a donc pas lieu d'accorder aux requérants une indemnité à ce titre.
49. Concernant la demande des requérants au titre du dommage moral, la Cour considère que les événements en cause ont entraîné pour eux des désagréments et des incertitudes, et que la somme de 4 000 EUR, accordée à chacun des intéressés, représente une réparation équitable du préjudice moral subi.
B. Frais et dépens
50. Le requérant D. G. demande également 10 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et la Cour, sans présenter de justificatifs.
51. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce et compte tenu du fait que le requérant n'a pas justifié sa demande, aucune somme ne sera allouée à ce titre.
C. Intérêts moratoires
52. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Décide de joindre les requêtes ;
2. Déclare les requêtes recevables ;
3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 Ã la Convention ;
4. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner le grief tiré de l'article 6 de la Convention ;
5. Dit
a) que l'État défendeur doit verser à chacun des requérants, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 79 500 EUR (soixante dix-neuf mille cinq cents euros) pour dommage matériel et 4 000 EUR (quatre mille euros) pour dommage moral, à convertir dans la monnaie nationale de l'État défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 janvier 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Josep Casadevall
Greffier Président