TROISIÈME SECTION
AFFAIRE DI COLA c. ITALIE
(Requête no 44897/98)
ARRÊT
(Satisfaction équitable)
STRASBOURG
18 mai 2010
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire di Cola c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Corneliu Bîrsan,
Boštjan M. Zupan�i�,
Vladimiro Zagrebelsky,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Ineta Ziemele, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 avril 2010,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 44897/98) dirigée contre la République italienne et dont une ressortissante de cet Etat, Mme C. D. C., a saisi la Cour le 21 novembre 1998 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). Elle est décédée le 4 mai 2000. Par une lettre du 5 octobre 2000, OMISSIS, ses enfants et héritiers, ont informé le greffe qu’ils souhaitaient poursuivre la procédure devant la Cour. Le troisième requérant est décédé le 3 mai 2004. Par une lettre du 25 janvier 2005, OMISSIS ont informé le greffe de ce qu’ils avaient hérité du troisième requérant et qu’ils souhaitaient se constituer dans la procédure devant la Cour.
2. Les requérants sont représentés par Me R., avocat à L’Aquila. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents successifs, respectivement MM. U. Leanza et I.M. Braguglia, et ses coagents successifs, respectivement V. Esposito, F. Crisafulli et M. N. Lettieri.
3. Par un arrêt du 15 décembre 2005 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé que l’ingérence dans le droit au respect des biens des requérants n’était pas compatible avec le principe de légalité et que, partant, il y avait eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 (Di Cola c. Italie, no 44897/98, § 74-75, 15 décembre 2005).
4. En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, les requérants réclamaient une satisfaction équitable de 408 043,47 EUR à titre du préjudice matériel, correspondant à la valeur vénale du terrain litigieux réévaluée et assortie d’intérêts. Ils sollicitaient en outre une indemnité pour dommage moral.
5. La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et les requérants à lui soumettre par écrit, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt deviendrait définitif, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 85 et point 2 du dispositif, 15 décembre 2005).
6. Le délai fixé pour permettre aux parties de parvenir à un accord amiable est échu sans que les parties n’aboutissent à un tel accord.
7. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations.
EN FAIT
8. Les faits survenus après l’arrêt au principal peuvent se résumer comme suit.
9. Le 12 mai 2006, la cour d’appel de l’Aquila accueillit le recours des requérants et condamna l’administration à leur payer une somme de 50 885,50 EUR (de ce montant doit être déduite la somme de 20 658,30 EUR déjà versée en exécution du jugement du tribunal) à réévaluer et assortir d’intérêts à partir de février 1986 jusqu’à la date du paiement.
10. Cet arrêt est devenu définitif à une date non précisée.
EN DROIT
11. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
1. Arguments des parties
12. Les requérants sollicitent le versement d’une indemnité de 408 043,47 EUR à titre du préjudice matériel, correspondant à la valeur vénale du terrain litigieux réévaluée et assortie d’intérêts.
13. Ils demandent le versement d’une indemnité de 91 956, 53 EUR à titre de préjudice moral.
14. Les requérants affirment que le dédommagement accordé par la cour d’appel couvre uniquement les préjudices matériels de la violation et non le préjudice moral.
15. Le Gouvernement observe qu’entre-temps, la cour d’appel a reconnu aux requérants la valeur entière des biens, telle qu’évaluée par les experts commis d’office lors de la procédure nationale. Il rappelle que la cour d’appel a condamné la commune de Pescara à verser aux requérants 30 227,20 EUR plus intérêts et réévaluation à partir de février 1986.
16. Selon le Gouvernement, la Cour ne peut pas allouer aux requérants une somme supérieure à celle octroyée par le tribunal.
17. S’agissant du dommage moral, le Gouvernement fait valoir que celui-ci dépend de la durée excessive de la procédure devant les juridictions nationales. Par conséquent, il soutient que le versement d’une somme à titre d’indemnisation du dommage moral est subordonné à l’épuisement du remède Pinto.
18. De plus, le Gouvernement souligne que la somme demandée par les requérants est excessive et que ces derniers ont quantifié une telle indemnité de manière vague et imprécise.
2. Appréciation de la Cour
19. La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’Etat défendeur l’obligation de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).
20. Elle rappelle que dans l’affaire Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], nº 58858/00, 22 décembre 2009), la Grande Chambre a révisé la jurisprudence de la Cour concernant les critères d’indemnisation dans les affaires d’expropriation indirecte. En particulier, celle-ci a décidé d’écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la date de l’arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l’Etat sur les terrains.
21. Suivant les critères fixés par la Grande Chambre, l’indemnisation doit correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu’établie par l’expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que l’on aura déduit la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l’inflation. Il convient également de l’assortir d’intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s’est écoulé depuis la dépossession des terrains. Ces intérêts doivent correspondre à l’intérêt légal simple appliqué au capital progressivement réévalué.
22. A la lumière des données en sa possession, la Cour observe que les requérants ont reçu au niveau national une somme correspondant à la valeur vénale de leur terrain, réévaluée et assortie d’intérêts à compter de la date de la perte de la propriété (voir paragraphe 9 ci-dessus). Selon elle, les intéressés ont ainsi déjà obtenu une somme suffisante à satisfaire les critères d’indemnisation précités.
23. Reste à évaluer la perte de chances subie par les requérants à la suite de l’expropriation litigieuse (Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) précité, § 107). La Cour juge qu’il y a lieu de prendre en considération le préjudice découlant de l’indisponibilité du terrain pendant la période allant du début de l’occupation légitime (1981) jusqu’au moment de la perte de propriété (1986). Du montant ainsi calculé sera déduit la somme déjà obtenue par les requérants au niveau interne pour l’indisponibilité du terrain. Statuant en équité, la Cour alloue aux requérants conjointement 3 500 EUR pour la perte de chances.
24. Quant au dommage moral, la Cour estime que le sentiment d’impuissance et de frustration face à la dépossession illégale de leur bien a causé aux requérants un préjudice moral important, qu’il y a lieu de réparer de manière adéquate.
25. La Cour rappelle que lorsqu’un groupe de requérants tire sa qualité de victime de l’existence d’un lien juridique avec une seule partie initiale à la procédure interne litigieuse il n’est pas nécessaire de tenir compte de la multiplicité des requérants qui en résulte (voir, entre autres, Ergül et autres c. Turquie, no 22492/02, § 45, 20 octobre 2009). Pareille situation peut par exemple survenir en cas de remplacement de la partie initiale à l’instance par ses ayants droit si elle décède ou par les administrateurs de son patrimoine si elle est déclarée en faillite, ou en cas de cession de créance. Point n’est alors besoin pour la Cour de tenir compte, lorsqu’elle statue sur la somme à allouer, de la multiplicité des requérants qui en résulte, d’autant plus que l’augmentation de leur nombre ne saurait être imputée à la partie défenderesse.
26. Dans le cas d’espèce, les requérants ont succédé à Mme D. C,, partie initiale à la procédure litigieuse (paragraphe 1 ci-dessus).
27. Statuant en équité, la Cour accorde aux requérants conjointement, la somme de 20 000 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
28. Les requérants réclament 25 000,00 EUR à titre de remboursement des frais encourus devant la Cour, sans toutefois les chiffrer.
29. Quant aux frais de la procédure à Strasbourg, le Gouvernement argue que les requérants n’ont pas chiffré leurs prétentions et qu’en tout état de cause, la somme demandée est excessive.
30. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, l’allocation des frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Can et autres c. Turquie, no 29189/02, du 24 janvier 2008, § 22). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002 ; Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003-VIII).
31. Dans le cas d’espèce, la Cour constate que les requérants ont omis de fournir les justificatifs des frais et dépens exposés devant elle et décide partant de ne rien accorder.
C. Intérêts moratoires
32. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Dit,
a) que l’Etat défendeur doit verser aux requérants conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes:
i. 3 500 EUR (trois mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;
ii. 20 000 EUR (vingt mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 mai 2010, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Josep Casadevall
Greffier Président