TROISIÈME SECTION
AFFAIRE DEMETRESCU c. ROUMANIE
(Requête no 5046/02)
ARRÊT
STRASBOURG
10 novembre 2009
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Demetrescu c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Elisabet Fura,
Corneliu Bîrsan,
Boštjan M. Zupan�i�,
Alvina Gyulumyan,
Luis López Guerra,
Ann Power, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 octobre 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 5046/02) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet Etat ayant également la nationalité italienne, M. F. V. D. (« le requérant »), a saisi la Cour le 22 août 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Răzvan-Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le 3 juillet 2008, le président de la troisième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l'affaire.
4. En vertu de l'article 44 § 1 a) de son èglement, la Cour a également communiqué une copie de la requête au gouvernement italien, qui n'a pas souhaité intervenir.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1936 et réside à Craiova, Roumanie.
6. En vertu du décret no 92/1950, les autorités nationalisèrent un bien immobilier composé d'une maison de 145 m2, comprenant une cave, le rez-de-chaussée et un étage, et du terrain y afférent, d'une superficie de 180,6 m2, situé à Craiova, au no 1 bis, rue Romain Rolland, qui était la propriété des parents du requérant. En 1970, la construction fut démolie.
7. Par une demande du 30 avril 2001, fondée sur la loi no 10/2001, le requérant demanda aux autorités locales compétentes une indemnisation. Par une décision du 5 septembre 2001, la mairie de Craiova proposa l'octroi d'une réparation au requérant et transmit son dossier d'indemnisation à la préfecture.
8. Parallèlement, le requérant demanda l'octroi d'une indemnisation pour le bien immobilier nationalisé par le biais d'une action fondée sur le droit commun, formée le 11 octobre 2002. Par jugement du 28 février 2003, devenu définitif à défaut d'appel, le tribunal de première instance de Craiova déclara l'action irrecevable, au motif que le requérant devait suivre la procédure administrative prévue par la loi no 10/2001.
9. Par une décision du 19 mars 2007, qui remplaça la décision du 5 septembre 2001 (voir paragraphe 7 ci-dessus), la mairie de Craiova proposa à nouveau l'octroi d'une indemnisation au requérant, sans en fixer le montant, conformément à la loi susmentionnée. Cette décision, communiquée au requérant, aux autorités locales et à la Commission centrale des dédommagements (« la Commission centrale »), était susceptible de recours devant le tribunal départemental de Dolj dans un délai de trente jours. Aucun recours ne fut formé contre cette décision.
10. Le 27 mars 2007, le dossier d'indemnisation du requérant fut transmis par la mairie de Craiova à la Commission centrale.
11. Le 20 novembre 2008 eut lieu une expertise en vue d'évaluer le bien immobilier en cause, conformément aux dispositions de la loi no 247/2005, en présence du requérant et de l'expert agréé par la Commission centrale. Le rapport d'expertise fixa la valeur du bien immobilier en cause à 614 300 nouveau lei roumains (RON), soit 143 864 euros (EUR).
12. Le 16 mars 2009, la Commission centrale informa l'Agent du Gouvernement que le dossier d'indemnisation du requérant allait être étudié « dans le cadre de [sa] prochaine réunion », sans toutefois en préciser la date exacte.
13. Le 12 juin 2009, le Gouvernement informa la Cour que le rapport d'évaluation du bien immobilier en litige avait été approuvé par la Commission centrale, afin de délivrer au requérant la décision représentant le titre d'indemnisation. Il précisa également que ladite décision avait été rédigée et qu'elle allait être communiquée au requérant dans les plus brefs délais.
14. Le 4 août 2009, le requérant informa la Cour qu'il n'avait pas reçu ladite décision et demanda la poursuite de l'examen de sa requête. A ce jour, le requérant n'a toujours pas touché d'indemnité.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
15. L'essentiel des dispositions légales et de la jurisprudence interne pertinentes, y compris des extraits des lois nos 10/2001 et 247/2005 et de l'ordonnance d'urgence du gouvernement no 81/2007 (OUG no 81/2007) concernant le système d'indemnisation pour les immeubles nationalisés, sont décrites dans les arrêts Tudor c. Roumanie (no 29035/05, §§ 15-20, 17 janvier 2008) et Viaşu c. Roumanie (no 75951/01, §§ 38-49, 9 décembre 2008). Les textes pertinents du Conseil de l'Europe, à savoir la Résolution Res(2004)3 relative aux arrêts révélant un problème structurel sous-jacent et la Recommandation Rec(2004)6 sur l'amélioration des recours internes, adoptées par le Comité des Ministres, sont également citées dans l'arrêt Viaşu susmentionné (§§ 50-51).
16. Selon la jurisprudence interne, la décision par laquelle le maire fait droit à la demande formée par un particulier de restitution ou d'indemnisation en vertu des lois nos 10/2001 et 247/2005 a le caractère d'un acte civil de disposition qui, communiqué aux parties intéressés, fait naître des droits patrimoniaux pour l'ayant droit et ne peut être révoqué ni annulé par les autorités administratives, mais seulement par les tribunaux civils à la suite d'un recours judiciaire (arrêts définitifs no 6723 du 17 octobre 2007 de la Haute Cour de cassation et de justice et no 159 du 22 avril 2008 de la cour d'appel de Craiova). Conformément à ce dernier arrêt, à défaut de recours devant les tribunaux, une telle décision du maire qui reconnaît le droit de l'ayant droit à une indemnisation devient définitive et le droit de l'intéressé à être indemnisé constitue un droit acquis. La poursuite de la procédure prévue par la loi no 247/2005 ne concerne ensuite que la vérification par la Commission centrale du bien-fondé du refus des autorités de restituer l'immeuble litigieux ainsi que la fixation, sur avis d'un expert, du montant de l'indemnisation due à l'intéressé.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION
17. Le requérant se plaint de l'impossibilité de jouir de son droit de se voir indemnisé pour le bien immobilier nationalisé, conformément aux dispositions légales pertinentes et à la décision du maire de Craiova, et invoque à cet égard l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ».
18. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
19. Le Gouvernement soulève une exception d'incompatibilité ratione materiae de ce grief avec la Convention. Il estime que le requérant ne dispose pas d'un « bien » au sens de l'article 1 du Protocole no 1, dans la mesure où la décision du 19 mars 2007 de la mairie de Craiova ne fixe pas le montant de l'indemnisation due au requérant et où aucune décision de justice définitive ne lui a reconnu le droit de se voir octroyer une indemnisation d'un montant déterminé. Il estime, dès lors, qu'à la différence des affaires Broniowski c. Pologne [GC] (no 31443/96, CEDH 2004-V) et Matache et autres c. Roumanie (no 38113/02, 19 octobre 2006), le requérant ne dispose pas d'une créance établie et exigible.
20. Le requérant s'oppose à cette thèse. Il fait valoir que, conformément aux dispositions de la loi no 247/2005, il appartient à la Commission centrale et non à la mairie de Craiova de fixer le montant de l'indemnisation. En outre, il rappelle que son action devant les tribunaux internes, qui avait pour but d'obtenir une décision reconnaissant son droit à se voir octroyer une indemnisation, a été déclarée irrecevable, faute pour lui d'avoir suivi la procédure administrative prévue par la loi no 10/2001.
21. La Cour observe que, par décision du 19 mars 2007, le maire de Craiova a reconnu le droit du requérant d'être indemnisé pour le bien immobilier nationalisé, en proposant l'octroi d'une indemnisation à l'intéressé conformément aux lois nos 10/2001 et 247/2005. Cette décision, susceptible de recours devant les tribunaux civils, n'a été contestée dans le délai légal ni par le requérant, ni par les autorités. Dès lors, au vu de la jurisprudence de la Cour et du droit interne pertinent, il convient de conclure que, nonobstant le défaut des autorités de fixer jusqu'à présent le montant précis de l'indemnisation due, le requérant est depuis plusieurs années le bénéficiaire d'un droit à réparation qui représente un « intérêt patrimonial » suffisamment établi en droit interne, certain, non révocable et exigible, pour relever de la notion de « biens » au sens de l'article 1 du Protocole no 1 (voir les paragraphes 15 et 16 ci-dessus, Viaşu précité, § 59, et, mutatis mutandis, Ramadhi et 5 autres c. Albanie, no 38222/02, § 71, 13 novembre 2007).
22. Il y a donc lieu de rejeter l'exception du Gouvernement. Par ailleurs, la Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
23. Le requérant souligne qu'il se trouve depuis plusieurs années dans l'impossibilité de bénéficier de manière effective de l'indemnisation en cause.
24. Le Gouvernement insiste sur le fait que le requérant a fait usage de la possibilité de s'adresser aux autorités administratives afin de se voir accorder une indemnisation en vertu de la loi no 10/2001, telle que modifiée par la loi no 247/2005. Selon le Gouvernement, le mécanisme mis en place par cette dernière loi et portant sur la création du fonds Proprietatea est de nature à offrir aux ayants droit une indemnisation correspondant aux exigences de la jurisprudence de la Cour. Selon les dernières modifications de la loi no 247/2005, une partie de l'indemnisation en cause pourrait être versée en liquide à l'intéressé et des progrès ont été réalisés pour que le fonds Proprietatea devienne fonctionnel. Au 1er février 2008, la Commission centrale avait émis 6000 titres d'indemnisation. A la même date, 2440 options entre le paiement en espèces et l'octroi d'actions commerciales avaient été formulées, dont 855 avaient été traitées, aboutissant au paiement intégral ou partiel des indemnisations dues.
25. La Cour renvoie à la jurisprudence citée dans l'affaire Viaşu précitée, concernant les obligations, sous l'angle de l'article 1 du Protocole no 1, qui sont à la charge de l'Etat qui a adopté une législation prévoyant la restitution ou l'indemnisation pour les biens confisqués en vertu d'un régime antérieur (Viaşu précité, § 58).
26. La Cour rappelle que la non-exécution d'une décision reconnaissant un droit de propriété constitue une ingérence au sens de la première phrase du premier alinéa de l'article 1 du Protocole no 1. En l'espèce, comme dans les affaires susmentionnées, l'ingérence litigieuse consiste dans la carence des autorités compétentes à rendre effectif le droit qu'elles ont reconnu au requérant par la décision précitée, en fixant le montant des indemnités dues et en les payant à l'intéressé (Viaşu précité, §§ 60 et 66, et Ramadhi et 5 autres précité, §§ 76-77).
27. La Cour a déjà traité d'affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d'espèce et a constaté la violation de l'article 1 du Protocole no 1 (Viaşu précité, §§ 62-73, et Ramadhi et 5 autres précité, §§ 78-84). Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n'a exposé aucun fait ni argument pouvant mener dans le cas présent à une conclusion différente de celle à laquelle elle a abouti dans les affaires précitées. S'agissant de l'examen du juste équilibre a ménager entre les intérêts en cause et, partant, du délai nécessaire aux autorités afin de payer au requérant les indemnités auxquelles il a droit, tout en prenant en compte la marge d'appréciation de l'Etat en matière d'adoption et d'application de mesures de réparation, la Cour observe qu'environ deux ans et demi se sont déjà écoulés depuis la décision de l'administration reconnaissant le droit du requérant à une indemnisation, sans qu'il l'ait perçue.
28. Tout en prenant note avec satisfaction de l'évolution récente qui semble s'amorcer en pratique au regard du mécanisme de paiement prévu par la loi no 247/2005 modifiée par l'OUG no 81/2007, la Cour observe qu'à ce jour, le Gouvernement n'a pas démontré que le système d'indemnisation mis en place par la loi précitée, y compris le fonds Proprietatea, permettrait aux ayants droit, et en particulier au requérant, de toucher, selon une procédure et un calendrier prévisibles, les indemnités auxquelles ils ont droit.
29. Partant, la Cour estime que la carence des autorités à traiter le dossier du requérant et à exécuter la décision du maire de Craiova en calculant et en payant les indemnités dues a maintenu le requérant, à présent âgé de soixante-treize ans et dans un état de santé précaire, dans un état d'incertitude juridique quant à la réalisation effective de ses droits et lui a fait subir une charge excessive (voir, mutatis mutandis, Viaşu précité, §§ 69-70, et Ramadhi et 5 autres précité, §§ 81 et 83).
Partant, il y a violation de l'article 1 du Protocole no 1.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 14 COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION
30. Le requérant se plaint de la discrimination dans l'exercice de son droit de propriété, en raison de l'absence, dans le texte de la loi no 112/1995, des dispositions concernant les anciens propriétaires dont les maisons ont été démolies. Il invoque à cet égard l'article 14 combiné avec l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
31. La Cour estime qu'aucune discrimination ne peut être retenue du seul fait qu'une législation nationale concernant les indemnisations pour les nationalisations n'a pas prévu un cas spécifique applicable au requérant. Vu notamment la large marge d'appréciation que les Etats membres gardent dans le domaine couvert par l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention, la Cour considère que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 2 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION
32. Le requérant dénonce une violation de l'article 2 du Protocole no 1, en faisant état des difficultés rencontrées pour poursuivre ses études universitaires en raison de la nationalisation de la maison de ses parents.
33. La Cour observe que ce grief se réfère à des faits qui se sont passés avant la ratification de la Convention par la Roumanie, à savoir le 20 juin 1994. Dès lors, elle considère que cette partie de la requête est incompatible ratione temporis avec les dispositions de la Convention et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
IV. SUR L'APPLICATION DES ARTICLES 46 ET 41 DE LA CONVENTION
A. Article 46 de la Convention
34. Aux termes de cette disposition :
« 1. Les Hautes Parties contractantes s'engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L'arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l'exécution. »
35. La Cour constate que la violation du droit du requérant au respect de ses biens tel que le garantit l'article 1 du Protocole no 1 tire son origine d'un problème à grande échelle résultant du dysfonctionnement du mécanisme mis en place par la loi no 10/2001, modifiée par la loi no 247/2005. Elle renvoie à ses observations faites à titre indicatif dans d'autres affaires similaires quant aux mesures générales qui s'imposeraient au niveau national dans le cadre de l'exécution du présent arrêt pour que l'Etat défendeur garantisse la réalisation effective et rapide du droit à restitution, qu'il s'agisse d'une restitution en nature ou de l'octroi d'une indemnité, comme en l'espèce (Viaşu précité, §§ 82- 83).
B. Article 41
36. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
1. Dommage
37. Le requérant demande 928 200 nouveaux lei roumains (RON), soit environ 221 000 euros (EUR) au titre du dommage matériel subi, représentant la valeur du terrain et de la construction démolie, sans toutefois fournir une expertise immobilière justifiant cette somme. Il conteste la valeur établie pour la construction par le rapport d'évaluation réalisé le 20 novembre 2008 (voir paragraphe 11 ci-dessus), dans la mesure où celui-ci n'aurait pris en compte que la valeur de la surface de 145 m2 au sol de la construction et n'aurait pas tenu compte du fait que celle-ci comprenait, en plus du rez-de-chaussée, une cave et un étage. Au titre du dommage moral, il demande 10 000 EUR pour la souffrance morale causée par la nationalisation du bien immobilier en cause, ainsi qu'en raison du dysfonctionnement du système d'indemnisation.
38. Le Gouvernement renvoi au rapport d'évaluation rédigé le 20 novembre 2008 par l'expert agréé par la Commission centrale (voir paragraphe 11 ci-dessus), selon lequel la valeur du bien immobilier en cause serait de 614 300 RON, soit 143 864 EUR. S'agissant de la somme demandée pour dommage moral, il renvoie à la jurisprudence pertinente de la Cour et estime que le constat éventuel d'une violation constituerait une satisfaction équitable pour le préjudice moral allégué.
39. La Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).
40. En l'espèce, elle a constaté qu'il y avait eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 en raison de la carence des autorités à exécuter les décisions du maire de Craiova en calculant et en payant les indemnités dues à l'intéressé. Compte tenu de la nature de la violation constatée, la Cour considère que le requérant a subi un préjudice matériel et moral considérable et que ce préjudice n'est pas suffisamment compensé par les constats de violation.
41. La Cour estime que le paiement de l'indemnisation validée par la décision du 19 mars 2007 et fixée conformément aux critères établis par la législation roumaine (Viaşu précité, § 38), serait de nature à placer le requérant, autant que possible, dans une situation équivalant à celle où il se trouverait si les exigences de l'article 1 du Protocole no 1 n'avaient pas été méconnues.
42. Toutefois, compte tenu des constatations du présent arrêt dont il ressort que le système actuel de restitution n'est pas encore efficace, la Cour estime qu'elle n'a pas d'autre option que d'allouer au requérant la somme qui, selon elle, constituerait un règlement définitif et complet du présent litige patrimonial (Viaşu précité, § 89).
43. En l'espèce, compte tenu des informations dont elle dispose sur les prix du marché immobilier local et des éléments fournis par le Gouvernement à cet égard, et prenant en considération les désagréments et l'incertitude que la situation litigieuse a pu provoquer chez le requérant, la Cour, statuant en équité, lui alloue, tous préjudices confondus, la somme de 155 000 EUR.
2. Frais et dépens
44. Le requérant ne demande aucune somme pour frais et dépens.
3. Intérêts moratoires
45. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1 relatif au droit du requérant d'être indemnisé, et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu'il y a violation de l'article 1 du Protocole no 1 ;
3. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 155 000 EUR (cent cinquante-cinq mille euros), à convertir en lei roumains au taux applicable à la date du règlement, tous préjudices confondus, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 novembre 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Josep Casadevall
Greffier Président