DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE D’ALESSIO c. ITALIE
(Requête no 36308/03)
ARRÊT
STRASBOURG
14 octobre 2008
DÉFINITIF
14/01/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire D’Alessio c. italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Antonella Mularoni,
Ireneu Cabral Barreto,
Vladimiro Zagrebelsky,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Nona Tsotsoria, juges,
et de Sally Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 septembre 2008,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 36308/03) dirigée contre la République italienne et dont une ressortissante de cet Etat, Mme S. D’A. (« la requérante »), a saisi la Cour le 4 novembre 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante est représentée par M. C. R., résidant à Bovino. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté successivement par ses agents, MM. I.M. Braguglia et R. Adam et Mme E. Spatafora, et ses coagents, MM. V. Esposito et F. Crisafulli, ainsi que par son coagent adjoint, M. N. Lettieri.
3. Le 30 août 2006, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention, elle a en outre décidé qu’elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. La requérante est née en 1925 et réside à Bovino (Foggia).
A. La procédure principale
5. Le 22 juin 1987, la requérante déposa un recours devant le juge d’instance de Foggia (RG no 1565/87), agissant à titre de juge du travail, tendant à obtenir une réévaluation de son indemnité pour accident du travail.
Le 17 mars 1988, le juge d’instance fixa la première audience au 9 juin 1988. Des vingt-deux audiences fixées entre le 30 mars 1989 et le 2 novembre 1994, deux furent renvoyées à la demande des parties, une à la demande de la requérante et quatre d’office.
6. Le 17 février 1995, la requérante n’ayant pas déposé tous les documents nécessaires, la procédure fut suspendue, puis reprise le 22 mars 1995. Le juge d’instance fixa la nouvelle audience au 22 septembre 1995. Des neuf audiences fixées entre le 9 février 1996 et le 11 novembre 2000, deux furent renvoyées à la demande des parties et deux concernaient la notification de la communication à comparaître à l’avocat de la partie défenderesse.
7. Par un jugement du 8 novembre 2000, dont le texte fut déposé au greffe le 4 décembre 2000, le juge rejeta la demande de la requérante. Ce jugement devint définitif au plus tard le 18 janvier 2002.
B. La procédure « Pinto »
8. Le 17 avril 2002, la requérante saisit la cour d’appel de Lecce au sens de la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto », afin de se plaindre de la durée de la procédure décrite ci-dessus. Elle demanda à la cour de dire qu’il y avait eu une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de condamner l’Etat italien au dédommagement des préjudices moraux subis.
9. Par une décision du 3 juillet 2002, dont le texte fut déposé au greffe le 22 juillet 2002, la cour d’appel constata le dépassement d’une durée raisonnable. Elle accorda 1 500 euros (EUR) en équité comme réparation du dommage moral et compensa les frais et dépens de la procédure. Cette décision fut notifiée à l’administration le 22 novembre 2002 et acquit l’autorité de la chose jugée le 21 janvier 2003.
10. En raison du fait que la procédure devant la Cour était pendante, la requérante refusa le paiement de la somme accordée par la décision Pinto, offert par le ministère de la Justice le 2 février 2005.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
11. Le droit et la pratique internes pertinents figurent dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31, CEDH 2006-...).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
12. La requérante allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
13. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
14. Après avoir examiné les faits de la cause et les arguments des parties, la Cour estime que le redressement s’est révélé insuffisant (voir, entre autres, Delle Cave et Corrado c. Italie, no 14626/03, §§ 26-31, 5 juin 2007 et Cocchiarella c. Italie, précité). Partant, la requérante peut toujours se prétendre « victime » au sens de l’article 34 de la Convention.
15. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
B. Sur le fond
16. Quant à la durée de la procédure, la Cour estime que la période à considérer s’étend du 22 juin 1987, jour de l’introduction de la demande de la requérante devant le juge d’instance de Foggia, jusqu’au 4 décembre 2000, date du dépôt au greffe du jugement dudit juge. Elle a donc duré plus de treize ans et cinq mois pour un degré de juridiction.
17. Après avoir examiné les faits à la lumière des informations fournies par les parties, et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce, la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
18. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
19. La requérante réclame une somme en équité pour dommage matériel, ainsi que 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’elle aurait subi.
20. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
21. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, pour ce qui est du dommage moral, la Cour estime qu’elle aurait pu accorder à la requérante, en l’absence de voies de recours internes et compte tenu de l’enjeu du litige, la somme de 20 000 EUR. Le fait que la cour d’appel de Lecce ait octroyé 7,5 % de cette somme aboutit à un résultat manifestement déraisonnable. Par conséquent, eu égard aux caractéristiques de la voie de recours « Pinto » et au fait qu’elle soit tout de même parvenue à un constat de violation, la Cour, compte tenu de la solution adoptée dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie (précité, §§ 139-142 et 146) et statuant en équité, alloue à la requérante 7 500 EUR à ce titre.
B. Frais et dépens
22. Justificatifs à l’appui, la requérante demande également 760 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions « Pinto ».
23. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
24. Selon la jurisprudence de la Cour, l’allocation des frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Can et autres c. Turquie, no 29189/02, du 24 janvier 2008, § 22). Quant aux frais et dépens encourus devant les juridictions « Pinto », estimant raisonnable la décision de l’instance interne de compenser ceux-ci, la Cour rejette cette demande.
C. Intérêts moratoires
25. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 7 500 EUR (sept mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 octobre 2008, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Sally Dollé Françoise Tulkens
Greffière Présidente