Conclusion Violation de l'art. 6-1 ; Violation de P1-1
TROISIÈME SECTION
AFFAIRE COPACI c. ROUMANIE
(Requête no 6946/03)
ARRÊT
STRASBOURG
16 mars 2010
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Copaci c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Corneliu Bîrsan,
Boštjan M. Zupan�i�,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Luis López Guerra,
Ann Power, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 février 2010,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 6946/03) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme D. C. (« la requérante »), a saisi la Cour le 16 décembre 2002 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante est représenté par Me N. M., avocate à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Razvan-Horatiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le 20 novembre 2008, le président de la troisième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4. La requérante est née en 1950 et réside à Bucarest.
1. La reconstitution du droit de propriété de la requérante
5. Par un jugement définitif du 18 décembre 1992, se fondant sur les dispositions de la loi no 18/1991 sur le domaine foncier (« la loi no 18/1991 »), le tribunal de première instance de Tulcea condamna la commission départementale pour application de la loi no 18/1991 (« la commission départementale ») à reconstituer le droit de propriété de la requérante sur un terrain agricole de 9 ha, dans les lieux nommés « Bomba », « Derindere » et « Puturosu ».
6. Le 20 octobre 1995, se fondant sur la loi no 16/1994 sur le bail des terrains agricoles (arenda), la requérante conclut avec la société d'État V. A. S.A. (« la société ») un contrat de bail pour cinq ans, ayant pour objet un terrain équivalent à 9 ha de terrain agricole.
7. Le 13 décembre 1996, la commission départementale rendit une décision reconnaissant la qualité d'actionnaire de la requérante dans la société en contrepartie des 9 ha de terrain agricole auxquels elle avait droit en vertu du jugement définitif du 18 décembre 1992 (paragraphe 22 in fine ci-dessous). La requérante ne contesta pas cette décision et devint actionnaire de la société.
8. Le 13 décembre 1999, l'ordonnance d'urgence du Gouvernement no 198/1999 sur la privatisation de certaines sociétés publiques, dont la société V. A. S.A., entra en vigueur.
9. La société et la commission locale pour l'application de la loi no 18/1991 (« la commission locale ») conclurent un protocole pour établir le droit des bailleurs de se voir restituer les terrains, leurs emplacements ainsi que l'application d'un coefficient d'équivalence de 1 à 3 (paragraphes 23 et 24 ci-dessous). Se fondant sur ce protocole, par une décision du 30 novembre 2000, la commission départementale établit que la requérante était en droit de voir reconstituer son droit sur un terrain agricole de 9 ha, sur un autre emplacement que celui détenu par ses antécesseurs, dans le périmètre de la société.
10. Le 22 décembre 2000, la société fut privatisée, tous ses actifs ayant été achetés par la société privée A. Le terrain de la société qui appartenait à l'État fit l'objet d'une concession à la même société privée.
11. La requérante contesta la décision du 30 novembre 2000, et demanda à être mise en possession d'un terrain sur l'ancien emplacement. Par un arrêt définitif du 11 janvier 2002, mis au net le 30 janvier 2002, le tribunal départemental de Tulcea confirma la décision du 30 novembre 2000. Il jugea qu'en vertu de la loi no 18/1991 telle que modifiée par les lois nos 16/1994 et 169/1997, les autorités locales compétentes n'étaient pas tenues de reconstituer le droit de propriété des intéressés sur les anciens emplacements. Il jugea également que la reconstitution du droit de propriété de la requérante respectait les dispositions de l'article 25 de la loi no 16/1994 (paragraphe 23 in fine ci-dessous).
12. Par une décision du 27 février 2003, la commission départementale constata le droit de la requérante de voir reconstituer son droit de propriété sur un terrain de 9 ha. Elle nota également que la mise en possession effective devait être réalisée à une date ultérieure, le terrain n'étant pas encore mis à la disposition des autorités compétentes par l'Agence nationale des domaines de l'État.
13. Le 25 mars 2004, la commission locale dressa un procès-verbal pour mettre la requérante en possession d'un terrain de 3,0446 ha de vignobles, dans le périmètre de la société. Un coefficient d'équivalence de 1 à 3 fut appliqué. L'époux de la requérante, qui la représentait lors de cette mise en possession, nota sur le procès-verbal qu'elle devait être mise en possession de la différence de 6 ha de terrain. En raison de l'opposition des nouveaux propriétaires de la société, la mise en possession effective du terrain de 3,0446 ha de vignobles n'eut pas eu lieu.
14. Le 17 septembre 2005, se fondant sur les dispositions de la loi no 247/2005, la requérante déposa une nouvelle demande auprès de la commission locale pour obtenir la restitution du terrain de 9 ha. Sa demande fut rejetée, au motif que son droit de propriété avait déjà été reconstitué.
15. Le 11 octobre 2005, la commission locale informa la requérante qu'elle pouvait opter, soit pour la mise en possession d'un terrain de vignoble dans le périmètre de la société avec l'application d'un coefficient d'équivalence, soit pour la mise en possession d'un terrain agricole disponible dans le périmètre d'autres sociétés commerciales, sans l'application d'un coefficient d'équivalence.
16. Par une décision du 23 novembre 2006, la commission départementale constata que le droit de la requérante d'être mise en possession d'un terrain avait été reconnu par les autorités, mais qu'il ne pouvait pas être exécuté, étant donné que des procédures étaient pendantes devant les juridictions nationales pour éclaircir la situation juridique des terrains ayant appartenu à la société. La requérante contesta cette décision devant les juridictions nationales, en demandant sa mise en possession du même terrain que celui demandé dans la procédure qui avait pris fin par l'arrêt définitif du 11 janvier 2002 (paragraphe 11 ci-dessus). Par un arrêt définitif du 17 mars 2009, le tribunal départemental de Ialomiţa rejeta son action, au motif qu'il appartenait aux commissions locales de déterminer l'emplacement du terrain et qu'en tout état de cause, le terrain demandé par la requérante appartenait à présent à une société tierce I.
17. Il ressort du dossier que l'arrêt définitif du 11 janvier 2002, du tribunal départemental de Tulcea n'a pas été exécuté à ce jour.
2. La faillite de la société V. A. S.A.
18. Le 30 novembre 2004, le tribunal départemental de Tulcea ouvrit la procédure de faillite de la société. Le liquidateur établit à 8 004 800 lei roumains anciens (« ROL ») la créance due par la société à la requérante, au titre du loyer pour 2002.
19. Par un arrêt définitif du 16 juin 2005, le tribunal départemental de Tulcea fit droit à l'action de la requérante tendant à établir le montant total de sa créance contre la société. Le tribunal départemental jugea que le contrat de bail avait été renouvelé tacitement à son échéance (paragraphe 6 ci-dessus) et que dès lors, la société devait payer à la requérante la somme de 38 880 000 ROL, représentant le loyer pour les années 2003 et 2004.
20. La requérante fit inscrire sa créance chirographaire, soit un total de 46 884 800 ROL, au tableau définitif des créanciers dans la procédure de faillite.
21. En 2007 et 2008, le liquidateur vendit aux enchères des biens de la société, les sommes obtenues étant utilisées pour le paiement des créances salariales et budgétaires, dans l'ordre de préséance établi par la loi. Il ressort d'une lettre adressée en mars 2009 par le tribunal départemental de Tulcea au Gouvernement, qu'il restait quelques biens dans le patrimoine de la société, biens qui devaient être vendus aux enchères dans la procédure de faillite. D'après les informations fournies par les parties, cette procédure est toujours pendante devant les juridictions nationales, la requérante n'ayant pas récupéré sa créance.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
22. Les extraits pertinents de la loi no 18/1991 sur le fonds foncier sont présentés dans les affaires Sabin Popescu c. Roumanie (nº 48102/99, §§ 42-46, 2 mars 2004) et Dragne et autres c. Roumanie, (no 78047/01, § 15, 7 avril 2005). En vertu des dispositions pertinentes de la loi no 18/1991, les autorités locales pouvaient reconstituer le droit de propriété des intéressés par équivalence, par des actions dans les sociétés d'État qui devaient exploiter le terrain.
23. Suite à l'entrée en vigueur, le 12 janvier 2000, de la loi no 1/2000, les personnes qui s'étaient vu reconnaître la qualité d'actionnaire dans des sociétés commerciales agricoles en vertu de l'article 36 de la loi no 18/1991 acquirent le droit de se voir restituer en nature des terrains, dans le périmètre du domaine agricole de ces sociétés. Dans le même sens, l'article 25 § 3 de la loi no 16/1994 sur le bail agricole, prévoyait que, au terme du contrat de bail, la commission départementale devait émettre un titre de propriété en faveur des actionnaires pour des terrains équivalents dans le périmètre de la société agricole.
24. Le règlement d'application de la loi no 18/1991 prévoyait, dans son annexe no 21, que les commissions locales pouvaient appliquer un « coefficient d'équivalence » entre le terrain agricole et d'autres terrains effectivement attribués aux ayants droit ; en fonction de plusieurs critères qualitatifs, 1 ha de vigne noble pouvait représenter l'équivalent de 1 à 4 ha de terrain agricole. Ce coefficient a été maintenu dans les modifications ultérieures apportées au règlement d'application de la loi no 18/1991.
25. Les dispositions légales relatives à la liquidation judiciaire d'une société et le rang des créances, plus particulièrement la loi no 64/1995 sur la réorganisation et la liquidation judiciaires, sont décrites dans l'affaire Moldoveanu c. Roumanie, (no 13386/02, § 22, 29 juillet 2008).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION ET DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
26. La requérant allègue que l'inexécution du jugement définitif du 18 décembre 1992 du tribunal de première instance de Tulcea, et des arrêts définitifs des 11 janvier 2002 et 16 juin 2005 du tribunal départemental de Tulcea, a enfreint son droit d'accès à un tribunal, tel que prévu par l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi que son droit au respect de ses biens, tel qu'il est garanti par l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
27. Les articles invoqués sont ainsi libellés :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Article 1 du Protocole no 1
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
28. La requérante souligne qu'elle n'a pas été mise en possession d'un terrain de 9 ha sur l'ancien emplacement comme l'indiquait le jugement définitif du 18 décembre 1992 et l'arrêt définitif du 11 janvier 2002, et qu'elle n'a pas récupéré sa créance reconnue par l'arrêt définitif du 16 juin 2005 du tribunal départemental de Tulcea.
29. Pour ce qui est du jugement du 18 décembre 1992, le Gouvernement note que par la décision du 13 décembre 1996, la requérante s'était vu reconnaître la qualité d'actionnaire dans la société, fait accepté par l'intéressée. Pour ce qui est de l'arrêt définitif du 16 juin 2005, il note que lors de son prononcé, la société était déjà privatisée et que la procédure de faillite était ouverte. Dès lors, l'État ne peut pas être tenu pour responsable du défaut de paiement d'une créance dû à l'insolvabilité d'un débiteur privé.
30. La Cour examinera successivement les griefs de la requérante quant à la non-exécution des décisions définitives précitées.
1. Le jugement définitif du 18 décembre 1992 du tribunal de première instance de Tulcea
31. La Cour constate que par le jugement définitif du 18 décembre 1992, le tribunal de première instance de Tulcea a condamné les autorités locales à reconstituer le droit de propriété de la requérante sur un terrain de 9 ha. Se fondant sur les dispositions pertinentes de la loi no 18/1991, les autorités locales ont proposé à la requérante de devenir actionnaire de la société V. A. S.A. pour une valeur équivalente à 9 ha de terrain agricole. A cet égard, la Cour note que la requérante a conclu un contrat de bail avec la société et qu'elle n'a pas contesté la décision rendue le 13 décembre 1996 par la commission départementale reconnaissant sa qualité d'actionnaire. Dès lors, la Cour estime que la requérante, par ses actes, a accepté de changer la modalité d'exécution du jugement définitif du 18 décembre 1992, qui doit être considéré comme étant exécuté.
32. Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2. L'arrêt définitif du 16 juin 2005 du tribunal départemental de Tulcea
33. La Cour rappelle que le droit d'accès à la justice, garanti par l'article 6 § 1 de la Convention, impose à l'État de se doter d'un arsenal juridique adéquat et suffisant pour assurer le respect des obligations positives qui lui incombent (Ruianu c. Roumanie, no 34647/97, § 66, 17 juin 2003). En outre, il n'est pas contesté que l'arrêt définitif du 16 juin 2005 a créé dans le patrimoine de la requérante une créance certaine et exigible qui constitue un « bien » au sens de l'article 1 du Protocole no 1.
34. En l'occurrence, il convient de noter que pour ce qui est de l'arrêt définitif du 16 juin 2005, le débiteur est un particulier, et non une autorité de l'État (a contrario, Moldoveanu précité, § 33-34). Dès lors, l'État, en sa qualité de dépositaire de la force publique, était obligé de mettre à la disposition de la requérante un moyen lui permettant d'obtenir du débiteur privé le paiement de la somme allouée par le tribunal (voir, mutatis mutandis, Dachar c. France (déc.), no 42338/98, 6 juin 2000). Il ne saurait cependant être tenu responsable d'un éventuel défaut de paiement de la créance dû à l'insolvabilité de ce débiteur « privé » (voir, mutatis mutandis, Sanglier c. France, no 50342/99, § 39, 27 mai 2003). Dans la présente affaire, la requérante avait obtenu une décision définitive établissant le montant de sa créance due par une société privée. En outre, l'ordre juridique interne prévoyait que l'intéressée pouvait recouvrer sa créance en participant à la procédure de faillite (Bartkova et Janos c. République Tchèque (déc.), no 8743/03, 29 janvier 2008). Le sort de sa prétention dépend donc du résultat de la procédure de faillite, laquelle restait pendante en mars 2009.
35. Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
3. L'arrêt définitif du 11 janvier 2002 du tribunal départemental de Tulcea
36. La Cour constate que cette partie de la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
37. La requérante se plaint de la non-exécution de l'arrêt définitif du 11 janvier 2002 du tribunal départemental de Tulcea. Elle souligne qu'elle n'a jamais été mise en possession du terrain sur l'ancien emplacement et conteste également l'application du coefficient d'équivalence.
38. Le Gouvernement note que l'arrêt définitif du 11 janvier 2002 précité ne reconnaissait pas le droit pour la requérante de voir reconstituer son droit de propriété sur l'ancien emplacement. En outre, en vertu des dispositions légales en vigueur, il était loisible à la commission locale d'appliquer un coefficient d'équivalence lors de sa mise en possession. Le Gouvernement note dans ses observations complémentaires qu'en 2004, les autorités locale ont essayé de mettre la requérante en possession d'un terrain mais que la mise en possession effective n'a pas pu se réaliser, en raison de l'opposition des nouveaux actionnaires de la société.
39. La Cour observe que l'arrêt définitif du 11 janvier 2002 ordonnant aux autorités administratives de reconstituer son droit de propriété sur un terrain de 9 ha, n'a été ni exécuté, ni annulé ou modifié à la suite de l'exercice d'une voie de recours prévue par la loi. Or, seule une telle annulation ou la substitution, par le tribunal, des obligations dues en vertu de l'arrêt en cause par d'autres obligations équivalentes aurait permis de mettre fin à la situation continue de non-exécution (Sabin Popescu, précité, § 54).
40. La Cour constate que la requérante demande sa mise en possession d'un terrain de 9 ha de vignoble sur l'ancien emplacement. Toutefois, ni les dispositions légales applicables en la matière, ni l'arrêt définitif du 11 janvier 2002 confirmant la décision de la commission départementale du 30 novembre 2000 (paragraphe 11 ci-dessous) ne prévoient un tel droit en sa faveur, l'arrêt précité condamnant les autorités locales à la mettre en possession d'un terrain sans identifier son emplacement (Gavrileanu c. Roumanie, no 18037/02, § 39, 22 février 2007). En outre, elle constate que l'application du coefficient d'équivalence était prévue par la loi, et qu'en tout état de cause, la requérante n'a contesté devant les juridictions nationales ni la décision du 30 novembre 2000, ni le procès-verbal de mise en possession du 25 mars 2004 dans leurs parties concernant l'application du coefficient d'équivalence.
41. Cependant, la Cour ne saurait accepter les arguments du Gouvernement qui soutient, pour l'essentiel, que les autorités se sont trouvées devant une impossibilité objective d'exécuter l'arrêt précité à cause de l'attitude de la requérante. Certes, le 25 mars 2004, les autorités compétentes ont dressé un procès-verbal relatif à sa mise en possession d'un terrain de 3,0446 ha de vignoble. Cependant, il suffit à la Cour de constater que, tel que cela ressort des décisions des autorités administratives et judiciaires rendues ultérieurement, ainsi que des observations complémentaires du Gouvernement, la mise en possession effective n'a pas pu être réalisée, pour des raisons non imputables à la requérante. La Cour souligne que non seulement il appartenait aux autorités de faire à la requérante des offres concrètes, mais également de prendre les mesures nécessaires pour mettre à sa disposition de manière effective un terrain qui corresponde aux conditions prévues dans l'arrêt du 22 janvier 2002.
42. La Cour rappelle qu'elle a déjà conclu dans plusieurs affaires que l'omission des autorités, sans justification valable, d'exécuter dans un délai raisonnable une décision définitive rendue à leur encontre s'analyse en une violation du droit d'accès à un tribunal ainsi que du droit au respect des biens (voir, parmi d'autres, Taculescu et autres c. Roumanie, no 16947/03, §§ 35-40, 1er avril 2008, Acatrinei c. Roumanie, no 7114/02, § 40, 26 octobre 2006, Prodan c. Moldova, no 49806/99, §§ 54-55, CEDH 2004-III (extraits)). Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n'a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent.
43. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière et des éléments concrets du dossier, la Cour estime qu'en l'espèce l'État, par le biais de ses organes spécialisés, n'a pas déployé tous les efforts nécessaires afin de faire exécuter avec célérité les décisions judiciaires favorables à la requérante.
Partant, il y a eu violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1.
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
44. Invoquant l'article 6 de la Convention, la requérante se plaint de ce que, dans la procédure qui a abouti à l'arrêt définitif du 11 janvier 2002 du tribunal départemental de Tulcea, les juridictions nationales n'ont pas interprété correctement les faits et le droit interne, conséquence du manque d'indépendance et d'impartialité des juges chargés d'examiner son affaire. Elle dit avoir eu connaissance de la motivation de cet arrêt en août 2002. Citant, l'article 13 de la Convention, elle se plaint de l'absence d'un recours effectif pour faire valoir ses moyens de recours.
45. A supposer même qu'elle ait été saisie de ces griefs dans le délai de six mois prévu par l'article 35 de la Convention, compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n'a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par les articles de la Convention. Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
46. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
47. La requérante réclame 34 723,42 euros (EUR) au titre du préjudice matériel, dont 1 337 EUR représentent la créance à récupérer dans la procédure de faillite et 33 386,42 EUR représentent le manque à gagner pour le terrain revendiqué, de 1993 à 2008. Elle fournit un rapport d'expertise justifiant la somme demandée au titre du manque à gagner pour un terrain agricole de 9 ha situé dans le périmètre de la ville de Tulcea. Elle demande également 1 161 449,15 EUR au titre du préjudice moral qu'elle aurait subi.
48. Le Gouvernement considère que l'État ne peut pas être tenu responsable du défaut de paiement d'une créance exécutoire dû à l'insolvabilité d'un débiteur privé. Il note également que de 1995 à 2000, la requérante a bénéficié du contrat de bail conclu avec la société, fait qui n'a pas été pris en compte par l'expertise soumise par l'intéressée. Il souligne également que l'octroi d'une somme au titre de manque à gagner revêtirait en l'espèce un caractère spéculatif, la possibilité et le rendement d'une location étant fonction de plusieurs variables. Il ressort d'un document établi par la mairie de Tulcea et fourni par le Gouvernement en décembre 2009, que la valeur d'un ha de terrain situé sur l'ancien emplacement sollicité par la requérante est de 1000 EUR.
49. Quant au préjudice moral, le Gouvernement estime qu'il n'y a pas de lien de causalité entre les souffrances invoquées et la prétendue violation de la Convention, et que la somme sollicitée à ce titre est excessive.
50. La Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'État défendeur l'obligation juridique de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI). En outre, la Cour note, qu'en l'occurrence, elle a constaté une violation des articles 6 de la Convention et 1 du Protocole no 1, uniquement en raison de la non-exécution de l'arrêt définitif du 11 janvier 2002.
51. Ainsi, elle estime, dans les circonstances de l'espèce, que l'exécution de l'arrêt définitif du 11 janvier 2002 du tribunal départemental de Tulcea placerait la requérante autant que possible dans une situation équivalant à celle où elle se trouverait si les exigences des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 n'avaient pas été méconnues.
52. A défaut pour l'État défendeur de procéder à pareille exécution, la Cour décide, compte tenu des informations dont elle dispose, qu'il devra verser à l'intéressée, pour dommage matériel, une somme correspondant à la valeur du terrain ainsi que la valeur du manque à gagner pour la période ultérieure à 2004, date après laquelle le contrat de bail avec la société ne produisait plus d'effet. Ainsi, statuant en équité et compte tenu des éléments en sa possession, la Cour décide que l'État doit verser à la requérante pour préjudice matériel, la somme de 25 000 EUR.
53. De plus, la Cour estime que la requérante a subi un préjudice moral du fait notamment de la frustration provoquée par l'impossibilité de voir exécuter l'arrêt rendu en sa faveur. Dans ces circonstances, eu égard à l'ensemble des éléments se trouvant en sa possession et, statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, la Cour alloue à la requérante 4 800 EUR au titre de préjudice moral.
B. Frais et dépens
54. La requérante demande également 3 954,54 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et la Cour, en versant au dossier des justificatifs.
55. Le Gouvernement note qu'une partie des justificatifs versés au dossier par la requérante ne sont pas pertinents.
56. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce et compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 550 EUR tous frais confondus et l'accorde à la requérante.
C. Intérêts moratoires
57. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l'article 6 § 1 de la Convention et de l'article 1 du Protocole no 1 à raison de la non-exécution de l'arrêt définitif du 11 janvier 2002 du tribunal départemental de Tulcea, et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention et de l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;
3. Dit,
a) que l'État défendeur doit exécuter l'arrêt définitif du 11 janvier 2002 du tribunal départemental de Tulcea, dans les trois mois à compter du jour où le présent arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention ;
b) qu'à défaut, l'État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 25 000 EUR (vingt-cinq mille euros) pour préjudice matériel, à convertir en lei roumains au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
c) qu'en tout état de cause, l'État défendeur doit verser au requérant 4 800 EUR (quatre mille huit cents euros) pour préjudice moral et 550 EUR (cinq cent cinquante euros) pour frais et dépens, à convertir en lei roumains au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par la requérante ;
d) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 mars 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Josep Casadevall
Greffier Président