PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE CLINIQUE PSYCHIATRIQUE 'ATHINA' VRILISSION SARL ET CLINIQUE LYRAKOU SA c. GRÈCE
(Requête no 32838/07)
ARRÊT
STRASBOURG
2 juillet 2009
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Clinique Psychiatrique 'Athina' Vrilission Sà rl et Clinique Lyrakou SA c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l'homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Nina Vajić, présidente,
Christos Rozakis,
Khanlar Hajiyev,
Dean Spielmann,
Sverre Erik Jebens,
Giorgio Malinverni,
George Nicolaou, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 juin 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 32838/07) dirigée contre la République hellénique et dont deux cliniques privées ayant leur siège social respectivement à Vrilissia et à Melissia, la clinique psychiatrique « A. » V. S.A.R.L. et la clinique L. S.A., (« les requérantes »), ont saisi la Cour le 18 juillet 2007 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérantes sont représentées par Me E. G., avocat à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, MM. S. Spyropoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l'Etat, et I. Bakopoulos, auditeur auprès du Conseil juridique de l'Etat.
3. Les requérantes alléguaient en particulier une violation de article 6 § 1 de la Convention en raison du refus des autorités de se conformer pleinement à un arrêt du Conseil d'Etat .
4. Le 4 juillet 2008, la présidente de la première section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la Chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5. Les requérantes offrent des services de soins psychiatriques et d'hospitalisation à des patients bénéficiant d'une couverture sociale de tout organisme de sécurité sociale. Elles sont contrôlées et surveillées de manière étroite par le ministère de la Santé, la sécurité sociale et les pouvoirs locaux. Les tarifs d'hospitalisation que les patients doivent verser sont fixés discrétionnairement par l'Etat.
6. En 1986, les requérantes et l'Etat ne s'entendirent pas sur le montant de ces frais et la manière de les fixer. En 1988, 1989 et 1990, par une série d'arrêts rendus sur un recours des requérantes, le Conseil d'Etat annula des actes fixant le montant de ces frais. Ainsi, par un arrêt du 29 juin 1988, le Conseil d'Etat, siégeant en formation plénière, jugea que la décision du ministre fixant ces frais aurait dû inclure une déclaration, issue d'une étude technico-financière, selon laquelle le montant de ces frais ne serait pas inférieur au coût de fonctionnement des cliniques psychiatriques privées. Toutefois, d'après les requérantes, l'Etat ne se conforma pas aux arrêts rendus par le Conseil d'Etat.
7. Les requérantes exposent également qu'après 1997, alors qu'il était certain que diverses décisions ministérielles attaquées par elles devant le Conseil d'Etat allaient être annulées, l'Etat a adopté de nouvelles décisions par lesquelles il mettait un terme à la validité des décisions attaquées. Cette pratique avait eu pour conséquence la constatation par le Conseil d'Etat de l'augmentation des tarifs d'hospitalisation et la déclaration de la fin des procédures pour défaut d'objet.
8. Le 12 décembre 2001, les requérantes introduisirent à nouveau un recours en annulation d'une décision du 11 octobre 2001 des ministres de la Santé, de l'Économie et du Travail concernant la fixation, à partir du 1er janvier 2002, du montant des tarifs d'hospitalisation en troisième catégorie dans les cliniques neuropsychiatriques privées.
9. Le Conseil d'Etat délibéra le 17 décembre 2002.
10. Par un arrêt du 11 octobre 2005, le Conseil d'Etat annula la décision susmentionnée, dans la mesure où elle concernait les tarifs d'hospitalisation en troisième classe. Le Conseil d'Etat estima que les ministres avaient omis de certifier que le montant fixé n'était pas inférieur au coût de fonctionnement d'une clinique organisée rationnellement et qu'une marge bénéficiaire raisonnable pour la survie des cliniques n'était pas prévue. Il releva que l'article 16 de la loi 1579/1985, relative à l'application et au développement du système national de santé (ESY) établissait, pour des motifs de protection de santé publique, une intervention régulatrice de l'Etat pour fixer les montants maximum et minimum des frais journaliers d'hospitalisation, afin d'éviter une charge exorbitante pour les patients et de garantir le bon fonctionnement des hôpitaux et des cliniques.
11. L'arrêt fut transmis au Conseil Central de la Santé (« le KESY »), le 9 juin 2006, afin que celui-ci émette un avis quant à la révision des tarifs d'hospitalisation conformément aux considérants de l'arrêt du Conseil d'Etat.
12. Selon les requérantes, après l'adoption de cet arrêt, elles invitèrent à sept reprises l'Etat à s'y conformer et à procéder à une étude comptable des coûts, avant de publier une nouvelle décision ministérielle à ce sujet.
13. Le KESY, siégeant en formation plénière, rendit un avis le 19 octobre 2006, qui fut approuvé par le ministre de la Santé.
14. Seize mois plus tard, l'Etat publia au Journal Officiel du 5 février 2007 une décision commune des ministres de la Santé, du Travail, de la Sécurité sociale et de l'Economie, adoptée le 30 janvier 2007. Se référant à l'arrêt du Conseil d'Etat et à la décision du KESY du 19 octobre 2006, la décision fixait les tarifs d'hospitalisation de toutes les classes dans les cliniques psychiatriques privées.
15. Le 9 mars 2007, la même décision, amendée, fut publiée au Journal Officiel. Elle révisait à la hausse les tarifs d'hospitalisation.
16. Le 20 mars 2007, les requérantes saisirent le comité de trois membres du Conseil d'Etat afin de faire constater la responsabilité des ministres et fonctionnaires compétents.
17. Le 3 avril 2007, les requérantes introduisirent un nouveau recours en annulation contre la même décision devant le Conseil d'Etat.
18. Le 30 octobre 2008, le comité des trois membres délibéra et, le 11 novembre 2008, rendit une décision qui constatait que les ministres compétents avaient omis, de manière injustifiée, de prendre les mesures nécessaires pour se conformer à l'arrêt du Conseil d'Etat, les invitait à le faire dans un délai des trois mois et fixait une nouvelle date pour l'examen de l'affaire : le 2 avril 2009. En particulier, le comité releva que la décision commune du 30 janvier 2007 n'avait pas d'effet rétroactif pour couvrir la période suivant l'annulation de la décision attaquée par le Conseil d'Etat, mais fixait comme date d'entrée en vigueur le 1er mars 2007. De plus, il estima que l'omission de prendre les mesures nécessaires, pendant trois ans à compter de l'arrêt du Conseil d'Etat et deux ans et demi depuis la notification de celui-ci au KESY, était injustifiée.
19. Les parties n'ont fourni aucune nouvelle information concernant l'issue du recours introduit par les requérants contre la décision du 9 mars 2007 devant le comité de trois membres du Conseil d'Etat. Elles n'ont pas non plus fourni d'informations sur le recours introduit le 3 avril 2007 devant le Conseil d'Etat.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
20. Selon l'article 95 § 5 de la Constitution, telle que modifiée en avril 2001, « l'administration est obligée de se conformer aux arrêts de justice ».
21. Le 14 novembre 2002, la loi no 3068/2002, relative à l'exécution par l'administration des arrêts de justice, entra en vigueur (Journal officiel no 274/2002). Cette loi prévoit entre autres que l'administration a l'obligation de se conformer sans retard aux arrêts de justice et de prendre toutes les mesures nécessaires pour exécuter lesdits arrêts (article 1). La loi prévoit la création de comités de trois membres, constitués au sein des hautes juridictions helléniques (Cour suprême spéciale, Cour de cassation, Conseil d'Etat et Cour des comptes), qui sont chargés de contrôler la bonne exécution des arrêts dans les administrations de leurs juridictions respectives, dans un délai qui ne peut pas dépasser trois mois (à titre exceptionnel, ce délai peut être prorogé une seule fois). Les comités peuvent notamment désigner un magistrat pour assister l'administration en lui proposant entre autres les mesures appropriées pour se conformer à un arrêt. Si l'administration n'exécute pas un arrêt dans le délai fixé par le conseil, des pénalités lui sont imposées, pénalités qui peuvent être renouvelées tant qu'elle ne s'y conforme pas (article 3). Des mesures disciplinaires peuvent également être prises contre les agents de l'administration à l'origine du défaut d'exécution (article 5). Les dispositions de la loi no 3068/2002 s'appliquent aux arrêts rendus après son entrée en vigueur (article 6).
22. L'application de cette loi débuta le 19 février 2004, lorsque le décret présidentiel no 61/2004 prévoyant ses modalités d'exécution entra en vigueur. Depuis lors, le comité de trois membres du Conseil d'Etat rendit plusieurs décisions dans lesquelles il constata que, suite à sa saisine, l'administration s'était conformée aux arrêts de justice invoqués par les intéressés (décisions nos 29/2005, 30/2005, 45/2005 et 63/2006) ; il rendit aussi une décision par laquelle, constatant que l'administration refusait toujours de se conformer à l'arrêt de justice invoqué par les intéressés, il obligea celle-ci à leur verser 20 000 euros et invita le ministre compétent à prendre des mesures disciplinaires contre les agents de l'administration à l'origine du défaut d'exécution (décision no 48/2005).
23. Par une décision no 10/2007 du 19 avril 2007, le même comité, se fondant sur l'article 95 § 5 de la Constitution et l'article 1 de la loi no 3068/2002, précisait qu'afin de se conformer à l'arrêt annulant l'acte litigieux, l'administration avait l'obligation de prendre toutes les mesures propres à rétablir la situation qui aurait prévalu si l'administration n'avait pas commis d'acte illégal.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
24. Les requérantes se plaignent du refus initial des autorités de se conformer à l'arrêt du Conseil d'Etat du 11 octobre 2005 et de l'exécution ultérieure insuffisante de celui-ci, ainsi que de l'absence d'un recours effectif au travers duquel elles auraient pu obtenir son exécution. Elles invoquent les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, qui se lisent ainsi :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
A. Sur la recevabilité
25. A titre principal, le Gouvernement soutient que les requérantes n'ont pas épuisé les voies de recours internes : leur grief, selon lequel l'administration ne s'est pas conformée pleinement à l'arrêt du Conseil d'Etat, aurait dû être soumis en premier lieu au comité de trois membres du Conseil d'Etat, conformément à l'article 3 de la loi no 3068/2002. Ce comité aurait pu constater le retard dans l'exécution ou l'exécution incomplète et sanctionner l'administration en accordant aux requérantes une indemnité proportionnelle à la nature et à l'importance de l'enjeu.
26. Les requérantes soutiennent que le recours préconisé par le Gouvernement n'est pas efficace et que ce dernier n'a produit aucune décision démontrant qu'il a été utilisé avec succès dans des cas soulevant le même type de problème que celui des requérantes.
27. La Cour considère que l'objection du Gouvernement est étroitement liée à la substance du grief énoncé par les requérantes sur le terrain de l'article 6 de la Convention et décide de la joindre au fond.
28. La Cour constate par ailleurs que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
29. Le Gouvernement soutient que l'administration s'est conformée pleinement et sans retard à l'arrêt du Conseil d'Etat. La décision commune du 30 janvier 2007 contient les éléments requis par l'arrêt du Conseil d'Etat car elle entérine le contenu de la décision du KESY du 19 octobre 2006 à laquelle elle renvoie. La décision du KESY fait une analyse détaillée et minutieuse (avec des études de coût, des statistiques concernant les recettes et les bénéfices de l'ensemble des cliniques psychiatriques du pays) des éléments nécessaires pour prouver que les tarifs d'hospitalisation fixés ne sont pas inférieurs aux coûts de fonctionnement de ces cliniques.
30. Les requérantes prétendent qu'en dépit du fait que, depuis 1992, les hôpitaux psychiatriques publics et les cliniques psychiatriques privées doivent fonctionner selon les mêmes modalités, l'Etat a tenté de sous-évaluer les tarifs d'hospitalisation. L'Etat a même déclaré expressément qu'il était impossible d'ajuster ces tarifs aux coûts réels car cela entraînerait une déviation de sa politique fiscale. En l'espèce, l'avis du KESY n'était nullement fondé sur une véritable étude comptable des coûts, mais sur un réajustement des tarifs établis en 1992 tenant uniquement compte de l'inflation. Il ne contient aucune prévision concernant un pourcentage minimum de profit qui serait légitime et, surtout, fixe des tarifs ne couvrant pas les coûts opérationnels d'une clinique organisée rationnellement, comme l'avait exigé l'arrêt du Conseil d'Etat.
31. La Cour rappelle que le droit d'accès à un tribunal, garanti par l'article 6 § 1 de la Convention, serait illusoire si l'ordre juridique interne d'un Etat contractant permettait qu'une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d'une partie. L'exécution d'un jugement, de quelque juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l'article 6. La Cour a déjà reconnu que la protection effective du justiciable et le rétablissement de la légalité impliquent l'obligation pour l'administration de se plier à un jugement ou à un arrêt prononcé par la plus haute juridiction administrative de l'Etat en la matière (voir Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997, § 40 et suiv., Recueil des arrêts et décisions 1997-II).
32. Un délai anormalement long pour exécuter une décision de justice contraignante peut donc entraîner une violation de la Convention. Le caractère raisonnable du délai doit être déterminé en fonction de la complexité de la procédure d'exécution, du comportement du requérant et des autorités compétentes ainsi que du montant et de la nature de l'indemnité accordée par le tribunal (Burdov c. Russie (no 2), no 33509/04, 15 janvier 2009, § 66).
33. En l'espèce, la Cour relève que l'arrêt du Conseil d'Etat a été transmis le 9 juin 2006, soit huit mois après son prononcé, au KESY afin que celui-ci émette un avis sur la révision des tarifs. Sur base de l'avis rendu le 19 octobre 2006, les ministres compétents ont adopté une nouvelle décision en la matière, qui a été publiée le 5 février 2007. La même décision amendée, révisant à la hausse les tarifs d'hospitalisation, a été publiée au Journal Officiel le 9 mars 2007, soit dix-sept mois après l'arrêt du Conseil d'Etat. Il est vrai que l'obligation de l'administration ne se limitait pas au versement d'une somme d'argent, comme ce fut le cas dans beaucoup d'affaires de ce type dans lesquelles la Cour a eu à se prononcer. Dans la présente affaire, il fallait adopter un nouveau texte réglementaire, par un processus qui impliquait la participation d'un organe consultatif, le KESY, et la signature du texte par trois ministères différents.
34. Cependant, les requérantes, qui estimaient que la nouvelle décision adoptée ne répondait pas aux considérants de l'arrêt du Conseil d'Etat, ont saisi le comité de trois membres du Conseil d'Etat le 20 mars 2007, ainsi que le Conseil d'Etat d'un nouveau recours en annulation.
35. Le comité des trois membres du Conseil d'Etat a relevé, le 5 novembre 2008, que l'omission de prendre les mesures nécessaires pour se conformer à l'arrêt du Conseil d'Etat du 11 octobre 2005 pendant trois ans à compter de l'arrêt était injustifiée. Il a en outre constaté que la nouvelle décision ministérielle commune ne répondait pas pleinement aux conclusions de l'arrêt, notamment dans la mesure où, alors qu'elle devait entrer en vigueur le 1er mars 2007, elle ne contenait aucune prévision pour la période écoulée depuis le 1er janvier 2002 (date de l'entrée en vigueur de la décision annulée).
36. Du reste, le comité a également invité les ministres compétents à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à l'arrêt du Conseil d'Etat dans un délai des trois mois et fixé une nouvelle délibération au 9 avril 2009 pour réexaminer l'affaire.
37. Contrairement à ce que soutient le Gouvernement, on ne saurait donc considérer que tous les efforts nécessaires ont été déployés afin de faire exécuter avec célérité l'arrêt du Conseil d'Etat du 11 octobre 2005. A cet égard, la Cour attache également une certaine importance au fait que le différend entre les requérantes et l'Etat concernant la fixation des tarifs d'hospitalisation est antérieur à l'arrêt du 11 octobre 2005.
38. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que les autorités se sont abstenues, pendant une longue période, qui ne peut être considérée comme raisonnable, de prendre les mesures nécessaires pour se conformer à la décision judiciaire définitive rendue en l'espèce. Ce faisant, elles ont partiellement privé les dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention de leur effet utile.
39. Par ailleurs, la Cour rappelle qu'elle a déjà jugé qu'en matière de refus d'exécution d'une décision judiciaire, le recours devant le comité des trois membres du Conseil d'Etat ne constituait pas un recours effectif devant être épuisé (voir, parmi beaucoup d'autres, Georgoulis et autres c. Grèce, no 38752/04, 21 juin 2007, § 19), en se fondant sur le fait que ce comité n'a pas un pouvoir d'injonction tel qu'il pourrait obliger l'administration à agir et que, de plus, il ne peut accorder des dommages-intérêts pour préjudice matériel. Il ne peut que constater l'omission de l'administration de se conformer, et d'accorder une somme à titre de sanction pécuniaire. En outre, le Gouvernement n'a soumis aucun nouvel élément déterminant de nature à mener à une solution différente dans le cas d'espèce.
40. Partant, la Cour rejette l'objection du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes et conclut à la violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
41. Quant au grief des requérantes relatif à l'article 13 de la Convention, la Cour considère qu'il se confond avec celui qu'elle a examiné sous l'angle de l'article 6 § 1 et n'estime pas nécessaire de se placer de surcroît sur ce terrain.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
42. Les requérantes se plaignent d'une atteinte à leur droit au respect des biens car, par ses pratiques et par son refus de se conformer à l'arrêt du Conseil d'Etat, l'Etat leur a causé un dommage pécuniaire pour la période 2002-2007. Elles allèguent une violation de l'article 1 du Protocole no 1 aux termes duquel :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
43. La Cour relève que, dans son arrêt, le Conseil d'Etat n'a fait qu'annuler la décision du ministre qui fixait à un certain montant les frais d'hospitalisation des cliniques requérantes en troisième catégorie. Cet arrêt n'a pas conféré aux requérantes un droit à une somme quelconque et n'a donc pas créé au profit de celles-ci une créance suffisamment établie pour qu'elle soit exigible, de sorte qu'il n'y a pas de « bien » au sens de l'article 1 du Protocole no 1. A supposer même que les requérantes puissent faire valoir un droit au paiement de certaines sommes, la Cour constate qu'elles ont omis de saisir les juridictions administratives d'une action en dommages-intérêts fondée sur l'article 105 de la loi d'accompagnement du code civil et de donner ainsi aux autorités nationales l'occasion de redresser la situation concernant leurs biens, ce dont elles se plaignent actuellement devant la Cour. Une telle action leur aurait permis de se voir verser une indemnisation complète pour le dommage matériel et moral subis en raison du refus de l'administration de fixer des tarifs d'hospitalisation en conformité avec les conclusions de l'arrêt du Conseil d'Etat.
44. Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 1, 3 et 4 de la Convention.
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
45. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage matériel
46. Pour la période de janvier 2002 à février 2007, la première requérante réclame 3 671 337,83 euros (EUR) et la deuxième 713 154,23 EUR.
47. Le Gouvernement souligne que le préjudice matériel allégué n'a pas de lien de causalité avec la violation de l'article 6.
48. La Cour constate que les prétentions pécuniaires des requérantes n'ont pas été constatées et liquidées par une décision judiciaire ayant force de chose jugée (voir, notamment, Raffineries Grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, 9 décembre 1994, série A, no 301-B). Elle considère donc qu'à défaut d'avoir revendiqué devant les juridictions internes les sommes dont il s'agit, les requérantes ne peuvent les réclamer pour la première fois devant la Cour au titre du dommage matériel. Dès lors, la demande doit être écartée.
B. Dommage moral
49. Les requérantes demandent chacune la somme symbolique de 1 000 EUR pour la souffrance et le stress qu'elles ont subis du fait de la non-exécution de l'arrêt du Conseil d'Etat.
50. Le Gouvernement soutient que les requérantes ne précisent pas en quoi consiste leur préjudice moral. La référence faite à des émotions, comme l'angoisse, le stress et la tristesse est vague et, dans le cas des personnes morales, comme les requérantes, elle devrait être expliquée. Selon le Gouvernement, le constat de la violation serait suffisant.
51. La Cour considère que l'omission de l'administration de se conformer à l'arrêt du Conseil d'Etat a dû causer, dans le chef des requérantes ou à tout le moins de leurs représentants, des désagréments considérables et une incertitude prolongée, ne serait-ce que sur le fonctionnement et la viabilité des cliniques. Celles-ci se sont vues notamment privées de la possibilité de bénéficier plus rapidement de tarifs plus appropriés et en rapport avec leurs coûts de fonctionnement, situation qui subsiste à l'heure actuelle. A cet égard, on peut donc estimer que les requérantes ont été laissées dans une situation d'incertitude qui justifie l'octroi d'une indemnité.
52. Statuant en équité, la Cour alloue à chaque requérante 1 000 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt.
C. Frais et dépens
53. Les requérantes ne réclament aucune somme pour les frais et dépens afférents aux procédures nationales. En revanche, elles demandent 6 000 EUR pour la procédure devant la Cour.
54. Le Gouvernement considère cette somme excessive.
55. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l'allocation de frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). Statuant en équité, comme le veut l'article 41, la Cour alloue conjointement aux requérantes la somme de 4 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par celles-ci.
D. Intérêts moratoires
56. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré des articles 6 § 1 et 13 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner l'affaire sous l'angle de l'article 13 de la Convention ;
4. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention,
i. 1 000 EUR (mille euros) à chaque requérante, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour le dommage moral ;
ii. 4 000 EUR (quatre mille euros) conjointement aux requérantes, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par celles-ci, pour les frais et dépens ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 juillet 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
André Wampach Nina Vajić
Greffier adjoint Présidente