Conclusion Violation de l'Art. 6-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention
DEUXIEME SECTION
AFFAIRE CERIELLO c. ITALIE
(Requête n° 36620/97)
ARRÊT
STRASBOURG
26 octobre 1999
En l’affaire Ceriello c. Italie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
M. M. Fischbach, président,
M. L. Ferrari Bravo,
M. G. Bonello,
Mme V. Strážnická,
M. P. Lorenzen,
M. A. B. Baka,
M. E. Levits,
ainsi que de M. E. Fribergh, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 octobre 1999,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette même date :
PROCEDURE
1. L’affaire a été déférée à la Cour par Mme L. C. (« la requérante »), ressortissante italienne, le 3 novembre 1998. A son origine se trouve une requête (no 36620/97) dirigée contre la République italienne et dont la requérante avaient saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 21 mars 1996 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). La requérante est représentée par Me M T. et le gouvernement italien (« le Gouvernement ») par son agent, M. U. Leanza.
2. A la suite de l’entrée en vigueur du Protocole n° 11 le 1er novembre 1998, et conformément aux clauses de l’article 5 § 4 dudit Protocole, lu en combinaison avec les articles 100 § 1 et 24 § 6 du règlement, un collège de la Grande Chambre a décidé, le 14 janvier 1999, que l’affaire serait examinée par une chambre constituée au sein de l’une des sections de la Cour.
3. Le président de la Cour, M. L. Wildhaber, a ensuite attribué l’affaire à la deuxième section. La chambre constituée au sein de ladite section comprenait de plein droit M. B. Conforti, juge élu au titre de l'Italie (articles 27 § 2 de la Convention et 26 § 1 a) du règlement), et M. C. Rozakis, président de la section (article 26 § 1 a) du règlement). Les autres membres désignés par ce dernier pour compléter la chambre étaient M. M. Fischbach, vice-président de la section, M. G. Bonello, Mme V. Strážnická, M. P. Lorenzen et M. E. Levits (article 26 § 1 b) du règlement).
4. Ultérieurement, M. Rozakis et M. Conforti, qui avaient participé à l’examen de l’affaire par la Commission, se sont déportés (article 28 du règlement). Par conséquent, M. Fischbach a remplacé M. Rozakis en tant que président de la chambre (article 12 du règlement) et M. A. B. Baka a été désigné pour le remplacer au sein de celle-ci. Par la suite, le Gouvernement a désigné M. L. Ferrari Bravo, juge élu au titre de Saint-Marin, pour siéger à la place de M. Conforti (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement).
5. Le 30 mars 1999, après avoir consulté l'agent du Gouvernement et la requérante, la Cour a décidé qu'il n'y avait pas lieu de tenir une audience.
6. Le 1er avril 1999, le Gouvernement a informé la Cour qu'il n'entendait pas présenter un nouveau mémoire et se référait à ses observations devant la Commission du 14 novembre 1997. Le 9 avril 1999, le greffe a reçu le mémoire de la requérante.
EN FAIT
7. Le 28 septembre 1987, la requérante introduisit un recours en référé devant le juge d'instance (pretore) de Laviano (Salerne), à l'encontre de la mairie de Laviano, afin d'obtenir la réintégration immédiate dans la possession d'un immeuble et d'un terrain occupés par celle-ci.
8. La mise en état de l'affaire commença le 10 novembre 1987. Dans son mémoire de constitution dans la procédure du 9 novembre 1987, la défenderesse sollicitait au principal le rejet de la demande en raison de l'incompétence ratione materiae de la juridiction saisie. Des huit audiences fixées entre le 19 décembre 1987 et le 26 octobre 1990, deux furent remises d'office, une fut ajournée à la demande des parties, deux à cause de leur absence, une en raison du défaut de notification de la date d'audience à l'expert et deux à cause de l'absence de celui-ci.
A la suite de la suppression du tribunal d'instance (pretura) de Laviano, le dossier de l'affaire fut transféré à celui d'Eboli. Par une ordonnance hors audience du 5 novembre 1990, le juge d'instance de cette ville décida, à la lumière des éléments déjà recueillis, de ne pas adopter une mesure d'urgence et fixa au 17 janvier 1991 l'audience sur le fond. Il remplaça aussi l'expert qui ne s'était pas présenté. Cette audience dut être renvoyée car la défenderesse n'en avait pas reçu la notification. Des quinze audiences fixées entre le 6 mai 1991 et le 24 janvier 1996, neuf furent remises à la demande des parties, deux furent ajournées d'office, les quatre restantes furent consacrées à l'accomplissement d'une expertise et d'un complément d'expertise, ce dernier à la demande de la requérante.
9. La défenderesse présenta ses conclusions à l'audience du 3 avril 1996. La requérante, absente à cette audience, présenta les siennes le 11 février 1997, date à laquelle elle obtint, avec l'accord de la défenderesse, un nouveau report. L'audience de plaidoiries se tint le 9 décembre 1997.
Par jugement du 16 décembre 1997, déposé au greffe le même jour, le juge constata son incompétence ratione materiae, au motif que l'occupation des biens litigieux était intervenue sur la base d'un acte administratif légitime et indiqua le tribunal administratif comme juridiction compétente.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
10. Mme C. a saisi la Commission le 21 mars 1996. Elle alléguait la méconnaissance de son droit à un procès dans un délai raisonnable (article 6 § 1).
11. Le 10 mars 1998, la Commission a retenu la requête (n° 36620/97). Dans son rapport1 du 27 mai 1998 (ancien article 31), elle conclut à l'unanimité à la violation de l'article 6 § 1.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
12. La requérante affirme que la durée de la procédure la concernant a méconnu l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (…) qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »
13. La période à prendre en considération a commencé le 28 septembre 1987, avec la saisine du juge d'instance de Laviano, pour s’achever le 16 décembre 1997, date du dépôt au greffe du jugement du juge d'instance d'Eboli. Elle a donc duré plus de dix ans et deux mois.
14. La Cour rappelle avoir constaté récemment (voir par exemple l'arrêt Bottazzi c. Italie du 28 juillet 1999, à paraître dans le Recueil 1999, § 22) l'existence en Italie d'une pratique contraire à la Convention résultant d'une accumulation de manquements à l'exigence du « délai raisonnable ».
15. Ayant examiné les faits de la cause à la lumière des arguments des parties et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime que la durée de la procédure ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable » et qu'il y a là encore une manifestation de la pratique précitée.
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
II. SUR L'APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
16. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. DOMMAGE
17. La requérante réclame le remboursement des dommages subis en le chiffrant comme suit :
a) 83 502 983 lires italiennes (ITL), pour le préjudice matériel, dont 77 184 183 ITL correspondant à l'indemnité d'expropriation non encore perçue, 2 758 800 ITL pour les frais d'expertise, 310 000 ITL pour la régistration du jugement du 16 décembre 1997, et 3 250 000 ITL pour les frais au paiement desquels elle a été condamnée par ledit jugement ;
b) 80 000 000 ITL pour dommage moral en raison des souffrances et des humiliations subies.
18. Quant à l'indemnité d'expropriation, soulignant le fait que la requérante confond l'enjeu de la procédure nationale et l'objet de la requête à Strasbourg, le Gouvernement affirme qu'en cas de refus de l'administration de la verser, l'intéressée peut s'adresser au juge civil. Pour le reste, les frais d'expertise et d'enregistrement auraient dû être payés indépendamment de la durée et la condamnation aux frais de procédure serait une conséquence du résultat défavorable de l'instance. En ce qui concerne le dommage moral, le constat de violation constituerait, le cas échéant, une satisfaction équitable suffisante.
19. La Cour considère elle aussi qu'il n'existe en l'espèce aucun lien de causalité entre les prétentions et le préjudice matériel allégué. Elle rejette cette partie de la demande. Pour ce qui est du dommage moral, elle estime en revanche que la requérante, qui a quelque peu contribué à rallonger la procédure, a souffert un tel dommage que le simple constat de violation ne saurait suffisamment compenser. La Cour lui alloue par conséquent 20 000 000 ITL de ce chef.
B. FRAIS ET DEPENS
20. Présentant une note d'honoraires rédigée sur la base du barème national, la requérante sollicite le remboursement de 10 000 000 ITL , plus TVA (taxe sur la valeur ajoutée) et CAP (contribution à la caisse de proévoyance des avocats) pour les frais de la procédure à Strasbourg.
21. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Cour.
22. La Cour rappelle qu'au titre de l'article 41 de la Convention, elle rembourse les frais dont il est établi qu'ils ont été réellement et nécessairement exposés et sont d'un montant raisonnable (arrêt Nikolova c. Bulgarie du 25 mars 1999, § 79). En l'occurrence, la Cour, eu égard à la simplicité des affaires de durée de procédure telle la présente, ne se considère pas liée par le barème national. Estimant raisonnable la somme de 5 000 000 ITL, elle l'accorde au requérant. A ce montant il y aura lieu d'ajouter tout montant pouvant être dû au titre de la TVA et la CAP.
C. INTÉRÊTS MORATOIRES
23. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d’intérêt légal applicable en Italie à la date d’adoption du présent arrêt était de 2,5 % l’an.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L’UNANIMITE,
1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
2. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, 20 000 000 (vingt millions) lires italiennes pour dommage moral ainsi que 5 000 000 (cinq millions) lires pour frais et dépens ;
b) que ces montants seront à majorer d’un intérêt simple de 2,5 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ainsi que tout montant pouvant être dû au titre de la TVA et la CAP ;
3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 octobre 1999, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Erik Fribergh Marc Fischbach
Greffier Président
1. Note du greffe : le rapport est disponible au greffe.