Conclusion Dommage matériel - réparation pécuniaire ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure nationale ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention
ANCIENNE DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE CARBONARA ET VENTURA c. ITALIE
(Requête no 24638/94)
ARRÊT
(Satisfaction équitable)
STRASBOURG
Strasbourg, le 11 décembre 2003
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Carbonara et Ventura c. Italie,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (ancienne deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. A. B. Baka, président,
L. Ferrari Bravo,
G. Bonello,
Mme V. Strážnická,
MM. P. Lorenzen,
Mme M.Tzatza-Nikolovska,
E. Levits, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 novembre 2003,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. L'affaire a été déférée à la Cour, conformément aux dispositions qui s'appliquaient avant l'entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission »), le 3 novembre 1998, et par Mme E. C., MM. P. C., A. C. et C. V. (« les requérants »), le 4 novembre 1998. Le 29 janvier 1999, soit au-delà du délai de trois mois prévu par les anciens articles 32 § 1 et 47 de la Convention, le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a adressé à la Cour une lettre de saisine.
2. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 24638/94) dirigée contre la République italienne et dont quatre ressortissants de cet Etat avaient saisi la Commission le 25 mai 1994, en vertu de l'ancien article 25 de la Convention. Les requérants alléguaient une atteinte injustifiée à leur droit au respect de leurs biens. La Commission (première chambre) a déclaré la requête recevable le 22 octobre 1997. Dans son rapport du 1erjuillet 1998 (ancien article 31 de la Convention), elle a formulé l'avis unanime qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.
3. Par un arrêt du 30 mai 2000 (« l'arrêt au principal »), la Cour a jugé que les requérants avaient été victimes d'une privation arbitraire de leur terrain et que partant, il y avait eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 (CEDH 2000-VI, §§ 72-73, et point 2 du dispositif).
4. En s'appuyant sur l'article 41 de la Convention, les requérants réclamaient au titre du dommage matériel une satisfaction équitable de 364 790 000 lires italiennes (ITL) - correspondant à la valeur du terrain au moment de l'occupation - somme devant être indexée et majorée d'intérêts. Au titre du dommage moral, les requérants demandaient 100 000 000 ITL chacun. Ils revendiquaient enfin le remboursement des frais de justice devant les juridictions nationales à hauteur de 163 896 627 ITL et le remboursement des frais encourus dans la procédure à Strasbourg à hauteur de 124 783 114 ITL.
5. La question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l'a réservée et a invité le Gouvernement et les requérants à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 79 et point 3 du dispositif).
6. Le délai initialement fixé au 30 août 2000 pour permettre aux parties de rechercher un accord amiable a été prorogé, à la demande de celles-ci, au 30 novembre 2000, puis encore au 30 mai 2001, et il est échu sans que les parties ne parviennent à un accord.
7. Réunie le 15 novembre 2001 sur l'initiative de son Président (point 3 c) du dispositif de l'arrêt au principal), la Chambre a estimé opportun d'effectuer une expertise et a décidé que la tâche de l'expert consisterait à déterminer, d'une part, la valeur du terrain au moment de l'occupation, la valeur actuelle du terrain et la plus-value apportée par l'existence de bâtiments ; d'autre part, le dommage découlant de la non-jouissance du terrain et le coût de construction des bâtiments ; enfin, les frais de remise en l'état pour le cas où le terrain serait restitué aux requérants.
8. Par un courrier du 15 novembre 2001, la Cour a communiqué cette décision aux parties et a invité celles-ci à lui fournir le nom d'un expert choisi d'un commun accord. La Cour a par ailleurs précisé que la charge des frais et honoraires d'expertise pèserait sur le Gouvernement (article 38 de la Convention).
9. Par lettres des 18 et 19 mars 2002, les requérants et le Gouvernement respectivement ont informé la Cour que, d'un commun accord, ils avaient choisi M. A. T..
10. Sur instructions de la Cour, le 28 mai 2002 le greffe a adressé un mandat à M. A. T.avec copie aux parties.
Le texte du mandat se lit ainsi :
Monsieur,
J'ai l'honneur de vous informer que la Cour européenne des Droits de l'Homme a décidé de vous donner mandat, conformément aux indications des parties, afin d'expertiser un terrain ayant appartenu aux requérants.
Conformément à la décision adoptée par la Chambre chargée d'examiner la requête, votre tâche consistera à déterminer :
- d'une part, la valeur du terrain au moment de l'occupation, la valeur actuelle du terrain et la plus-value apportée par l'existence de bâtiments ;
- d'autre part, le dommage découlant de la non-jouissance du terrain et le coût de construction des bâtiments ;
- enfin, les frais de remise en l'état pour le cas où le terrain serait restitué aux requérants.
J'ai l'honneur de vous informer que la charge finale des frais de l'expertise et de vos honoraires pèsera sur l'Etat (article 38 de la Convention).
11. L'expert a accepté le mandat en date du 20 juin 2002.
12. Par un courrier du 3 juillet 2002, le greffe en a informé les parties en les invitant à prendre les mesures nécessaires pour que l'expert puisse accomplir sa tâche.
13. Le 5 décembre 2002, l'expert a déposé son rapport avec annexes ainsi que sa demande relative à ses frais et honoraires.
14. Le Gouvernement et les requérants ont présenté leurs observations sur l'expertise. Celles-ci ont été consultées par les parties, qui ont ensuite déposé des commentaires.
15. Le 1er novembre 2001, la Cour avait entre-temps modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a cependant continué à être examinée par la chambre de l'ancienne section II telle qu'elle existait avant cette date.
EN DROIT
16. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
I. Validité de l'expertise
17. Les parties n'ont pas contesté la validité de l'expertise.
18. La Cour tient pour valide le rapport de l'expert et le prend en considération pour rendre sa décision.
II. Dommage
A. Dommage matériel
1. Résumé de l'expertise et des conclusions de l'expert
19. Long de vingt-quatre pages et comportant plusieurs annexes, le rapport d'expertise contient une estimation de la valeur du terrain litigieux au 30 juillet 1970, au moment de l'occupation, et en 2002, lorsque l'expertise a été effectuée. Ensuite figure l'estimation du bâtiment construit par l'administration communale depuis l'occupation du terrain et qui est en partie situé sur le terrain des requérants.
L'estimation de l'expert porte sur une étendue de 2 649 mètres carrés, figurant au cadastre de la ville de Noicattaro à la parcelle 590, feuille 34.
Pour rédiger son rapport, l'expert s'est fondé sur des documents fournis par la ville de Noicattaro, sur des éléments apportés par les requérants ainsi que sur des renseignements provenant du marché immobilier. Il a en outre tenu compte de l'évolution du taux d'inflation et des prix dans la période concernée.
20. L'expert a constaté qu'en 1970, au moment de l'occupation du terrain, la ville de Noicattaro n'avait pas de plan d'urbanisme général mais uniquement un règlement de construction (regolamento edilizio) daté du 9 mars 1928. Ledit règlement n'affectait pas le terrain litigieux à un usage spécifique. Il se bornait à fixer la hauteur maximale des bâtiments, identique pour les constructions privées et publiques.
Pour savoir si à l'époque le terrain était constructible, il aurait fallu examiner si la zone dans laquelle il est situé était urbanisable, à savoir si elle prêtait de par sa nature et par sa situation à un développement urbain. L'expert répond affirmativement sur ce point et indique que ceci est confirmé par sa viabilité (existence d'égouts, eau, électricité).
21. L'expert en déduit que le terrain des requérants en 1970 était potentiellement constructible. La constructibilité du terrain est par ailleurs confirmée par le choix des autorités d'y construire une école.
22. Pour déterminer la valeur du terrain en 1970, au moment de son occupation, l'expert a pris en compte deux contrats de vente concernant deux parcelles de terrains limitrophes, régulièrement enregistrés au cadastre, et en a calculé le prix moyen.
L'expert conclut qu'en 1970, la valeur du terrain était de 13 842, 38 EUR.
23. Cette somme actualisée au mois d'août 2002, selon le taux d'inflation en Italie dans la période concernée, est de 200 449 EUR [suivant le coefficient de réévaluation de l'ISTAT publié dans « Consulente Immobiliare »].
24. Pour déterminer la valeur du terrain en 2002, l'expert a pris en compte, d'une part, le plan d'urbanisme adopté postérieurement à 1970 et le fait que celui-ci a permis un volume d'occupation des sols (indice di fabbricabilità) de 3 mètres cubes par mètre carré. D'autre part, l'expert a pris en compte deux contrats de vente et une donation de trois terrains limitrophes, datés respectivement de 2001, 1998 et 1999, et a calculé le prix moyen pour ces trois terrains.
L'expert a conclu que la valeur du terrain en 2002 était de 62,15 EUR par mètre carré, soit une somme de 493 906,05 EUR.
25. L'expert s'est ensuite penché sur la plus-value apportée au terrain par l'existence de parties d'un bâtiment, à savoir une école.
Etant donné l'inexistence d'un marché immobilier de bâtiments affectés à usage scolaire, l'expert a indiqué que la valeur du bâtiment correspond dans ce cas au coût de construction de celui-ci, déduction faite de 20 % pour cause de vétusté de l'immeuble.
Ainsi, la plus-value du terrain apportée par l'existence du bâtiment sur celui-ci est de 891 488, 55 EUR.
26. Quant au préjudice découlant de la non-jouissance du terrain, l'expert l'a évalué à 192 342, 65 EUR, sur la base de la valeur du terrain en 1970 ; et à 253 874, 21 EUR, sur base de la valeur moyenne du terrain pendant la période concernée.
27. Enfin, quant à la question de savoir à quel prix le terrain pourrait être remis en l'état en cas de restitution, l'expert a indiqué que cette opération reviendrait à 48 442, 39 EUR. Il a ajouté que la restitution du terrain s'avère très onéreuse pour l'administration puisque l'école est seulement en partie située sur le terrain litigieux.
28. Pour résumer les conclusions de l'expert :
valeur du terrain en 1970 actualisée :
200 449 EUR
valeur du terrain en 2002 :
493 906,05 EUR
plus-value apportée par le bâtiment = coût de construction :
891 488, 55 EUR
non-jouissance du terrain :
A. 192 342, 65 EUR.
B. 253 874, 21 EUR
2. Arguments du Gouvernement
29. Le Gouvernement fait en premier lieu observer que la restitution du terrain est improbable vu que celle-ci entraînerait la démolition partielle de l'école construite sur le terrain.
30. Le Gouvernement conteste ensuite l'évaluation du terrain en 1970 et soutient que celui-ci était agricole. De ce fait, au lieu de 10 118 ITL par mètre carré estimés par l'expert, le terrain aurait valu à l'époque 5 267, 16 ITL par mètre carré.
31. Le Gouvernement conteste également l'évaluation du terrain en 2002, et soutient que la valeur de celui-ci est tout au plus de 49 244, 91 EUR.
32. Enfin, le Gouvernement soutient qu'aucune somme pour la non-jouissance du terrain n'est due aux requérants, étant donné que, selon la jurisprudence de la Cour, la valeur du terrain à indemniser est calculée à aujourd'hui.
3. Arguments des requérants
33. Les requérants font observer que l'expert a sous-estimé le potentiel constructible du terrain, au motif qu'il s'est basé sur le volume d'occupation du sol établi par le plan d'urbanisme adopté après l'occupation du terrain.
Ils soutiennent que, d'après le règlement en vigueur au moment de l'occupation du terrain, ce dernier aurait pu être construit pour un volume beaucoup plus important, ce qui aurait donné une valeur plus de trois fois supérieure à celle déterminée par l'expert.
4. Décision de la Cour
34. La Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation juridique de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).
35. Les Etats contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Ce pouvoir d'appréciation quant aux modalités d'exécution d'un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l'obligation primordiale imposée par la Convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l'Etat défendeur de la réaliser, la Cour n'ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l'accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de la violation, l'article 41 habilite la Cour à accorder, s'il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Brumarescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2000-I).
36. Dans son arrêt au principal, la Cour a dit que l'ingérence litigieuse ne satisfaisait pas à la condition de légalité et était arbitraire (paragraphes 72 et 73 de l'arrêt au principal). L'acte du gouvernement italien que la Cour a tenu pour contraire à la Convention n'était pas une expropriation qui eût été légitime si une indemnisation avait été versée, mais une mainmise illégale sur les biens des requérants.
37. Le caractère illicite de pareille dépossession se répercute par la force des choses sur les critères à employer pour déterminer la réparation due par l'Etat défendeur, les conséquences financières d'une mainmise licite ne pouvant être assimilées à celles d'une dépossession illicite (Ex Roi de Grèce et autres c. Grèce, [GC], no 25701/94, § 75, CEDH 2002).
38. La Cour a adopté une position très semblable dans l'affaire Papamichalopoulos c. Grèce (Papamichalopoulos c. Grèce (article 50) du 31 octobre 1995, série A no 330-B, p. 59, §§ 36 et 39). Elle y a conclu à une violation en raison d'une expropriation de fait irrégulière (occupation de terres par la marine grecque depuis 1967) qui durait depuis plus de vingt-cinq ans à la date de l'arrêt au principal rendu le 24 juin 1993.
La Cour enjoignit en conséquence à l'Etat grec de verser aux requérants, « pour dommage et perte de jouissance depuis que les autorités avaient pris possession de ces terrains en 1967, la valeur actuelle de leurs terrains augmentée de la plus-value apportée par l'existence » de certains bâtiments qui avaient été édifiés sur les terrains depuis l'occupation, ainsi que du coût de construction de ces bâtiments.
39. Compte tenu des considérations qui précèdent, la Cour estime que dans la présente affaire la nature de la violation constatée dans l'arrêt au principal lui permet de partir du principe d'une restitutio in integrum.
A défaut de restitution du terrain, l'indemnisation à fixer en l'espèce devra, comme celle octroyée dans l'affaire Papamichalopoulos évoquée ci-dessus et concernant des dépossessions illicites en soi, refléter l'idée d'un effacement total des conséquences de l'ingérence litigieuse.
40. S'agissant du dommage matériel, la Cour estime par conséquent que l'indemnité à accorder aux requérants ne se limite pas à la valeur qu'avait leur propriété à la date de son occupation. Pour cette raison, elle a invité l'expert à estimer aussi la valeur actuelle du terrain litigieux. Cette valeur ne dépend pas de conditions hypothétiques, ce qui serait le cas s'il se trouvait aujourd'hui dans le même état qu'en 1970. Il ressort clairement du rapport d'expertise que, depuis lors, ledit terrain et son voisinage immédiat - qui disposaient de par leur situation d'un potentiel de développement urbain - ont été mis en valeur par la construction de bâtiments, dont l'école.
41. La Cour décide que l'Etat devra verser aux intéressés, pour dommage et perte de jouissance depuis que les autorités ont pris possession du terrain en 1970, la valeur actuelle du terrain augmentée de la plus-value apportée par l'existence du bâtiment.
Quant à la détermination du montant de cette indemnité, la Cour entérine les conclusions du rapport d'expertise pour l'évaluation exacte du préjudice subi. Ce montant s'élève à 1 385 394, 60 EUR.
B. Dommage moral
42. Les requérants sollicitent aussi 100 000 000 ITL chacun (soit 51 645,69 EUR) pour le préjudice moral qu'ils allèguent avoir subi.
43. Le Gouvernement fait observer qu'en l'espèce, le constat de violation représente une réparation suffisante.
44. La Cour considère que la violation de la Convention a porté aux requérants un tort moral certain, résultant du sentiment d'impuissance et de frustration face à la dépossession illégale de leurs biens.
La Cour alloue à chacun des requérants 50 000 EUR de ce chef, soit 200 000 EUR au total.
III. Frais et dépens
45. Les requérants sollicitent le remboursement des frais et dépens, notamment pour honoraires, frais d'avocat et frais de justice, d'un montant global de 288 679 741 ITL (149 090,64 EUR), montant incluant la taxe sur la valeur ajoutée, et se répartissant ainsi :
a) procédure nationale : 163 896 627 ITL, soit 84 645,54 EUR, dont les honoraires s'élèvent à 129 956 640 ITL, soit 67 110 000 EUR ;
b) procédure à Strasbourg : 124 783 114 ITL, soit 64 445,10 EUR, dont les honoraires s'élèvent à 83 208 000 ITL, soit 42 973 EUR.
46. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Cour.
47. La Cour rappelle que l'allocation des frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis dans leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) précité, § 54). ). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (Van de Hurk c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril 1994, série A no 288, § 66).
48. La Cour ne doute pas de la nécessité des frais réclamés ni qu'ils aient été effectivement engagés. Elle trouve cependant excessifs les honoraires totaux revendiqués à ce titre. La Cour considère dès lors qu'il n'y a lieu de les rembourser qu'en partie.
Compte tenu des circonstances de la cause, et statuant en équité comme le veut l'article 41 de la Convention, la Cour juge raisonnable d'allouer conjointement aux requérants un montant de 40 000 EUR.
IV. Frais d'expertise
49. Pour ses honoraires et les frais relatifs à la réalisation de l'expertise, l'expert signataire du rapport demande un montant global de 10 452,00 EUR, taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et contributions sociales (CPA) en sus. Son calcul tient compte du travail d'estimation lui-même, des visites sur les lieux, de l'établissement des plans.
50. Le Gouvernement n'a pas fait de commentaires à cet égard.
51. Les requérants ne se prononcent pas non plus à ce sujet.
52. La Cour rappelle d'abord que l'octroi d'indemnité relève de son pouvoir discrétionnaire et qu'il lui appartient de juger si telle indemnité est nécessaire ou appropriée. La rémunération de l'expert s'analyse en l'occurrence en des frais liés à la réalisation d'une expertise que la Cour a jugée indispensable afin de donner aux requérants la possibilité d'obtenir l'effacement de la violation relevée par l'arrêt au principal.
Sur les instructions de la Chambre, le greffier a du reste informé le Gouvernement et l'expert que les frais et honoraires relatifs à l'expertise incomberaient en définitive à l'Etat défendeur (voir § 8).
53. La Cour ne doute pas de la réalité et de la nécessité des opérations que l'expert a accomplies pour s'acquitter au mieux de sa tâche. Elle estime ensuite que les sommes réclamées sont raisonnables. La Cour décide, en conséquence, d'accorder l'intégralité de cette somme, à savoir 10 452,00 EUR, augmentée de TVA et de CPA.
V. Intérêts moratoires
54. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Dit, à l'unanimité,
a) que l'expertise est valide ;
b) que l'Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 1 385 394, 60 EUR (un million trois cent quatre-vingt-cinq mille trois cent quatre-vingt-quatorze euros et soixante centimes) pour dommage matériel ;
ii. 200 000 EUR (deux cent mille euros) pour dommage moral ;
iii. 40 000 EUR (quarante mille euros) pour frais et dépens ;
iv. tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur lesdites sommes ;
c) que l'Etat défendeur doit verser à l'expert, M. T., dans les trois mois, 10 452, 00 EUR (dix mille quatre cent cinquante-deux euros), plus TVA et CPA ;
d) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
2. Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 décembre 2003 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen András Baka
Greffier adjoint Président
ARRÊT CARBONARA ET VENTURA c. ITALIE (SATISFACTION ÉQUITABLE)
ARRÊT CARBONARA ET VENTURA c. ITALIE (SATISFACTION ÉQUITABLE)