Conclusion Dommage matériel - réparation pécuniaire ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens
PREMIERE SECTION
AFFAIRE BUFFALO SRL EN LIQUIDATION c. ITALIE
(Requête no 38746/97)
ARRÊT
(Satisfaction équitable)
STRASBOURG
22 juillet 2004
DÉFINITIF
15/12/2004
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Buffalo Srl en liquidation c. Italie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
MM. C.L. Rozakis, président,
P. Lorenzen,
G. Bonello,
Mmes F. Tulkens,
S. Botoucharova,
MM. A. Kovler, juges,
R. Baratta, juge ad hoc,
et de M. S. Quesada, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er juillet 2004,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 38746/97) dirigée contre la République italienne et dont une société ayant à l’époque son siège dans cet Etat, Buffalo Srl en liquidation (« la requérante »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 24 juin 1997 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 dudit Protocole).
3. Devant la Cour la requérante est représentée par Me F. C., avocat à Milan. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Ivo Maria Braguglia, et son co-agent, M. Francesco Crisafulli.
4. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée (article 52 § 1).
5. Par un arrêt du 3 juillet 2003 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé que la requérante avait été victime de retards disproportionnés dans le remboursement de crédits d’impôt de la part de l’administration des finances et que partant, il y avait eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 (Buffalo Srl en liquidation c. Italie, no 38746/97, §§ 39-40 et point 2 du dispositif).
6. En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, la requérante réclamait une satisfaction équitable de 5 203 337 EUR au titre du préjudice matériel. La requérante s’en remettait à la Cour pour la réparation du préjudice moral.
7. La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et le requérant à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 51 et point 4 du dispositif).
8. Le délai a expiré sans que les parties ne parviennent à un accord. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations.
9. Le 29 décembre 2003, la Cour a eu connaissance de ce que la requérante avait transféré son siège à Panama en décembre 2001 et de ce que celle-ci avait été rayée du registre des sociétés italiennes. En outre, la Cour a appris que les organes sociaux de la requérante avaient été modifiés, dans la mesure où, le 7 novembre 2001, M. V. B., résidant à Cureglia (Suisse), avait été nommé administrateur et liquidateur et était ainsi devenu le représentant légal de la société. Le mandat précédemment donné à Maître C. n’ayant pas été révoqué, celui-ci a continué de représenter la requérante devant la Cour.
EN DROIT
10. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
11. En ce qui concerne le dommage matériel, la requérante réclame la réparation du dommage résultant de l’indisponibilité prolongée des sommes dues par l’administration. Elle considère que cette situation la place dans celle d’une banque qui a fait un prêt à l’Etat et réclame en premier lieu la différence entre les intérêts qu’elle a perçus au moment du remboursement et les intérêts qu’elle aurait perçus si elle avait négocié des intérêts avec l’Etat débiteur.
12. Se référant au taux de base appliqué par les banques italiennes, à savoir 8 %, la requérante sollicite à ce titre le paiement d’au moins 789 238 EUR, somme calculée en appliquant l’intérêt qu’une banque réserve à ses meilleurs clients (« prime rate »).
13. En deuxième lieu, la requérante réclame la réparation du préjudice résultant des répercussions sur son activité même et sur celle des sociétés contrôlées par elle. A ce titre, elle demande une somme globale de 4 370 527 EUR.
14. Ensuite, la requérante sollicite le versement de 91 910 EUR correspondant aux frais encourus pour son entretien, tels que loyers, honoraires du liquidateur, frais de notaire, frais d’avocat, frais de factoring.
15. Enfin, la requérante sollicite la réparation du préjudice découlant du prélèvement d’impôt sur les crédits non encore encaissés et réclame une somme d’au moins 228 046 EUR.
16. Il en résulte qu’au titre de dommage matériel, la requérante sollicite une somme globale de 5 969 838 EUR.
17. La requérante réclame ensuite la réparation du dommage moral, pour lequel elle s’en remet à la sagesse de la Cour.
18. Le Gouvernement soutient en premier lieu que le constat de violation constitue en soi, au vu des circonstances de l’espèce, une satisfaction équitable suffisante.
19. Pour le cas où la Cour estimerait opportun d’accorder une somme au titre de la satisfaction équitable, le Gouvernement demande à ce que des mesures soient prises afin d’éviter que la somme litigieuse soit payée à des personnes n’ayant pas le pouvoir d’encaisser pour la société requérante. En outre le Gouvernement sollicite des mesures lui permettant de faire face à son obligation de paiement, étant donné que la requérante a désormais son siège à Panama.
20. S’agissant des sommes réclamées au titre de dommage matériel, le Gouvernement observe que la requérante n’a pas prouvé l’existence du dommage matériel et qu’elle n’a pas non plus établi le lien de causalité entre la violation alléguée et le préjudice prétendument souffert.
21. A cet égard, le Gouvernement soutient que si la requérante a dû faire appel à des financements et a dû par conséquent payer des intérêts débiteurs élevés, ceci doit être considéré comme la conséquence de la gestion financière de la société requérante.
22. Le Gouvernement indique en outre que la requérante était obligée de prolonger la phase de liquidation uniquement parce qu’elle a cédé ses crédits d’impôts à des tiers, ce qui est par ailleurs permis par la loi.
23. Le Gouvernement soutient enfin que la requérante n’est pas fondée à réclamer la réparation d’un préjudice moral puisqu’il s’agit d’une société commerciale.
24. La Cour estime tout d’abord que la nature de la violation qu’elle a constatée (voir §§ 39-41 de l’arrêt au principal) ne permet pas une restitutio in integrum (Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 20). En effet, dans le cas d’espèce, la Cour n’a pas conclu à la violation du principe de légalité mais a constaté la rupture du « juste équilibre ».
25. Le caractère licite de la situation litigieuse se répercute par la force des choses sur les critères à employer pour déterminer la réparation due par l’Etat défendeur.
26. La Cour estime que l’impossibilité prolongée de disposer de l’argent dû par l’administration et l’écoulement d’années d’incertitude sont susceptibles d’avoir entraîné pour la requérante un préjudice matériel qui doit être réparé au moins dans une certaine mesure.
27. Toutefois, la Cour ne saurait spéculer sur l’usage des sommes d’argent litigieuses et sur le gain potentiel, pour le cas où la requérante aurait été en mesure de disposer de ces sommes (Pialopoulos et autres c. Grèce (satisfaction équitable), no 37095/97, § 17). Dès lors, la Cour est amenée à apprécier le dommage matériel en équité, au sens de l’article 41 de la Convention.
28. Quant au préjudice moral, la Cour ne peut pas exclure, au vu de sa propre jurisprudence, qu’il puisse y avoir, pour une société commerciale, un dommage autre que matériel appelant une réparation pécuniaire (Comingersoll c. Portugal [GC], no 35382/97, CEDH 2000-IV, § 35).
29. Compte tenu de la diversité des éléments devant être considérés aux fins du calcul du préjudice ainsi que de la nature de l’affaire, la Cour juge opportun de fixer en équité une somme globale prenant en compte les divers éléments cités ci-dessus. La Cour décide par conséquent d’allouer à la requérante la somme de 75 000 EUR à titre de réparation du dommage.
B. Frais et dépens
30. La requérante a envoyé deux projets de notes d’honoraires. Le premier, daté du 27 décembre 2000, s’élève à 12 288 000 ITL (soit 6 346 EUR) et concerne l’assistance de Me C.. Le deuxième, daté du 31 mars 2004, s’élève à 18 000 EUR et concerne l’assistance d’un conseil spécialisé en droit des sociétés.
31. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce [GC] (satisfaction équitable), no 31107/96, CEDH 2000-XI, § 54). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (Van de Hurk c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril 1994, série A no 288, § 66).
32. Dans les circonstances de l’espèce, la Cour estime que le montant des frais réclamés à ce titre apparaît excessif. Statuant en équité comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour octroie à la requérante 1 000 EUR au titre de remboursement des frais encourus dans la procédure à Strasbourg.
C. Intérêts moratoires
33. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, moyennant dépôt auprès de la Banque d’Italie, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 75 000 EUR (soixante-quinze mille euros) pour dommage ;
ii. 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens ;
iii. tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur lesdites sommes ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
c) que ces sommes seront remises à la personne qui se présentera à la Banque munie des pouvoirs de représenter la requérante aux termes de la loi.
2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 juillet 2004 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Christos Rozakis
Greffier adjoint Président
ARRÊT BUFFALO SRL EN LIQUIDATION c. ITALIE (SATISFACTION ÉQUITABLE)
ARRÊT BUFFALO SRL EN LIQUIDATION c. ITALIE (SATISFACTION ÉQUITABLE)