Conclusion Partiellement irrecevable ; Exception préliminaire jointe au fond et rejetée (non-épuisement des voies de recours internes) ; Violation de P1-1 ; Préjudice moral - demande rejetée ; Dommage matériel - constat de violation suffisant
CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE BOWLER INTERNATIONAL UNIT c. FRANCE
(Requête no 1946/06)
ARRÊT
STRASBOURG
23 juillet 2009
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Bowler International Unit c. France,
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Peer Lorenzen, président,
Rait Maruste,
Jean-Paul Costa,
Karel Jungwiert,
Renate Jaeger,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 juin 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 1946/06) dirigée contre la République française et dont la B. I. U., société de droit britannique, dont le siège social est situé à Basildon en Grande-Bretagne, (« la requérante »), a saisi la Cour le 27 décembre 2005 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante est représentée par la SCP P. & M., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. La requête concernait principalement la confiscation des biens de la requérante dans le cadre d'une procédure douanière. Le 24 mai 2007, la Cour a décidé de communiquer les griefs tirés des articles 6 § 1 et 13 de la Convention et 1 du Protocole no 1 au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.
4. Le gouvernement britannique n'a pas souhaité intervenir dans la procédure comme il y avait été invité.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5. Commissionnaire de transport, la requérante chargea la société M. d'une opération de transfert de marchandises consistant à enlever une cargaison de 276 cartons de poupées en Espagne en vue de les acheminer au Royaume-Uni.
6. Le 29 août 1998, le service des douanes de Coquelles (Pas-de-Calais) procéda au contrôle du camion dans lequel se trouvaient ces marchandises, lequel était conduit par un ressortissant britannique (C.J.). La fouille douanière permit de découvrir, parmi les cartons de jouets, 17 cartons renfermant 2 950 plaquettes de résine de cannabis d'un poids total de 520,6 kilos.
7. Les 276 cartons de poupées furent saisis sur le fondement des articles 323 § 2 et 414 du code des douanes au motif qu'ils auraient servi à masquer la fraude.
8. Le 27 avril 1999, la requérante déposa une requête auprès de la direction générale des douanes de Dunkerque pour obtenir la libération des marchandises lui appartenant. Le 19 mai 1999, il lui fut répondu que la mainlevée des marchandises, objet de la saisie, était subordonnée à la constitution d'une garantie bancaire ou d'une consignation d'une somme de 165 000 francs égale à la valeur de celle-ci.
9. Par un jugement du 26 août 1999, le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer déclara C.J. coupable de transport, importation et contrebande de stupéfiants, le condamna notamment à trois ans d'emprisonnement et au paiement d'une amende douanière de 13 015 000 francs français (FRF) égale à la valeur des produits stupéfiants saisis. Le tribunal prononça également la confiscation des produits stupéfiants saisis, ainsi que celle des 276 cartons de poupées en relevant que ceux-ci avaient été saisis pour avoir « manifestement servi à masquer la fraude par dissimulation des cartons de stupéfiants parmi les cartons de jouets ». Le tribunal reçut par ailleurs la requérante en sa constitution de partie civile et condamna C.J. à lui payer la contre-valeur en francs de la somme de 18 323,28 livres sterling (GBP) au titre du préjudice subi. La demande de restitution des marchandises saisies formée par la société fut quant à elle rejetée.
10. La requérante interjeta appel de ce jugement. Par un arrêt du 27 avril 2000, la cour d'appel de Douai réforma le jugement déféré s'agissant de la saisie des 276 cartons de poupées et ordonna leur restitution par l'administration des douanes, ainsi que le paiement à la société B. I. d'une indemnité de 1 % par mois de la valeur des marchandises indûment saisies, calculée depuis le 29 août 1998, jusqu'à la remise effective des marchandises à leur propriétaire. Elle estima, qu'en vertu de l'article 376 § 1 du code des douanes, les objets saisis ou confisqués ne pouvaient être revendiqués par les propriétaires, ni le prix, qu'il soit consigné ou non, réclamé par les créanciers même privilégiés, sauf leur recours contre les auteurs de la fraude. Elle ajouta que la requérante invoquait en vain l'article 326 § 3 du même code, ledit article ne s'appliquant qu'aux moyens de transport saisis, à l'exclusion de toute autre marchandise. La cour d'appel précisa cependant que le procès-verbal du 29 août 1998 relatait que les marchandises étaient entourées vers l'avant du camion par des céramiques, latéralement par des cartons contenant des poupées et à l'arrière par un autre lot de céramiques, de sorte que l'ensemble de la cargaison servait à dissimuler le cannabis. Elle releva qu'il n'apparaissait nullement au vu des constatations opérées que les cartons contenant des poupées aient servi à dissimuler la drogue, dès lors que la logique eût voulu que les portes arrières du camion soient ouvertes les premières et la palette de céramiques déplacées pour trouver les cartons de cannabis. La cour d'appel affirma que la marchandise réellement utilisée pour masquer la fraude était constituée par ces palettes et non par les cartons de poupées.
11. Le 28 juillet 2000, les marchandises furent effectivement restituées à la requérante et l'administration des douanes versa à cette dernière la somme de 37 950 FRF au titre de l'indemnité de 1 % par mois de la valeur des objets saisis, avant de former un pourvoi en cassation contre l'arrêt d'appel.
12. Par un arrêt du 3 mai 2001, la Cour de cassation, statuant sur le pourvoi formé par l'administration des douanes, releva qu'il résultait du procès-verbal des douanes, lequel faisait foi, en vertu de l'article 336 § 1 du code des douanes, jusqu'à inscription de faux, que les agents des douanes avaient, pour accéder aux colis contenant la résine de cannabis, procédé à l'enlèvement des cartons appartenant à la requérante. Considérant que la cour d'appel avait méconnu le sens et la portée de ce texte, la juridiction suprême cassa et annula l'arrêt rendu et renvoya l'affaire devant la cour d'appel d'Amiens.
13. Par un arrêt du 22 mai 2003, la cour d'appel d'Amiens confirma le jugement du tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer du 26 août 1999 en ce qu'il avait validé la saisie des 276 cartons de jouets et prononcé la confiscation au profit de l'administration des douanes. La cour d'appel considéra que l'article 336-1 du code des douanes dispose que les procès-verbaux de douanes rédigés par deux agents des douanes font foi jusqu'à inscription de faux des constatations matérielles qu'ils relatent. Elle releva qu'en l'espèce, aucune inscription de faux n'avait été régularisée et qu'ainsi les constatations matérielles que les agents des douanes avaient relatées devaient être tenues pour intangibles. La cour d'appel justifia la saisie, estimant qu'il était manifeste que pour accéder aux colis contenant de la résine de cannabis, les agents avaient dû procéder au déplacement des cartons de jouets appartenant à la requérante. La cour d'appel ajouta que l'article 376-1 du code des douanes confirme le caractère réel de la mesure de confiscation puisque l'interdiction de revendication à l'égard du propriétaire supposé étranger à la fraude ne constitue pas une sanction, mais est destinée à garantir l'indemnisation du Trésor public pour le préjudice qu'il a subi du fait de l'infraction. Cette disposition étant d'application stricte et ne prévoyant aucune dérogation, il importe peu dès lors que le propriétaire ait été dépossédé de la marchandise, objet de la confiscation, à la suite d'un délit commis à l'étranger par un tiers. La cour d'appel ajouta :
« Les articles précités démontrent la validité de la démarche et des demandes de l'Administration des Douanes et en conséquence, cette Cour condamnera la société B. I. à lui payer une somme de 25 154 euros correspondant à la valeur de la marchandise à l'époque de la saisie pour tenir lieu de la confiscation des 276 cartons de jouets et d'une autre somme de 5 785,44 euros équivalent à la somme indument payée par l'Administration à la société B. International correspondant à l'intérêt d'indemnité de 1 % par mois de la valeur des objets saisis.
La bonne foi présumée de la société B. n'est contestée par personne et en conséquence, la société B. est parfaitement justifiée d'utiliser son recours contre l'auteur de la fraude, (...), en conséquence de quoi, la Cour condamnera celui-ci à rembourser à la société B. les deux sommes précitées qu'elle a été contrainte de régler en application de la législation du Code des Douanes. »
14. La requérante introduisit un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Dans son mémoire ampliatif elle souleva notamment des moyens tirés de la violation des articles 6, 7, 13, 14 de la Convention et 1 du Protocole no 1.
15. Par un arrêt du 7 juillet 2005, la Cour de cassation le rejeta, estimant que pour condamner la requérante, après que les objets lui eurent été restitués, au paiement d'une somme tenant lieu de confiscation des marchandises, les juges du second degré énoncent que cette confiscation est une mesure à caractère réel, destinée à garantir l'indemnisation du Trésor pour le préjudice subi du fait de l'infraction et qu'en application de l'article 376-1 du code des douanes, lesdits objets ne peuvent être revendiqués par leur propriétaire.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
16. Code des douanes
Article 323 § 2
« Ceux qui constatent une infraction douanière ont le droit de saisir tous objets passibles de confiscation, de retenir les expéditions et tous autres documents relatifs aux objets saisis et de procéder à la retenue préventive des objets affectés à la sûreté des pénalités. »
Article 326
« 1. Lorsque les marchandises saisies ne sont pas prohibées, il est offert mainlevée des moyens de transport sous caution solvable ou sous consignation de la valeur.
2. Cette offre, ainsi que la réponse, sont mentionnées au procès-verbal.
3. La mainlevée du moyen de transport est accordée sans caution ni consignation au propriétaire de bonne foi, lorsqu'il a conclu le contrat de transport, de location ou de crédit-bail le liant au contrevenant conformément aux lois et règlements en vigueur et selon les usages de la profession. Toutefois, cette mainlevée est subordonnée au remboursement des frais éventuellement engagés par le service des douanes pour assurer la garde et la conservation du moyen de transport saisi. »
Article 369
« 1. S'il retient les circonstances atténuantes, le tribunal peut :
a) libérer les contrevenants de la confiscation des moyens de transport ; ces dispositions ne sont toutefois pas applicables dans les cas où les actes de contrebande ou assimilés ont été commis par dissimulation dans des cachettes spécialement aménagées ou dans des cavités ou espaces vides qui ne sont pas normalement destinés au logement des marchandises ;
b) libérer les contrevenants de la confiscation des objets ayant servi à masquer la fraude ;
c) réduire le montant des sommes tenant lieu de confiscation des marchandises de fraude jusqu'au tiers de la valeur de ces marchandises ;
d) réduire le montant des amendes fiscales jusqu'au tiers de leur montant minimal, sous réserve des dispositions de l'article 437 ci-après ;
e) en ce qui concerne les sanctions fiscales visées au c et au d ci-dessus, limiter ou supprimer la solidarité de certains condamnés.
Si les circonstances atténuantes ne sont retenues qu'à l'égard de certains co-prévenus pour un même fait de fraude, le tribunal prononce d'abord les sanctions fiscales auxquelles les condamnés ne bénéficiant pas des circonstances atténuantes seront solidairement tenus. Il peut ensuite, en ce qui concerne les sommes tenant lieu de confiscation et les amendes fiscales, limiter l'étendue de la solidarité à l'égard des personnes bénéficiant des circonstances atténuantes.
S'il retient les circonstances atténuantes à l'égard d'un prévenu, le tribunal peut : dispenser le prévenu des sanctions pénales prévues par le présent code, ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de celles-ci, décider que la condamnation ne soit pas mentionnée au bulletin no 2 du casier judiciaire.
2. (paragraphe abrogé).
3. Lorsque les marchandises saisies ne sont pas explicitement prohibées au titre de la réglementation douanière, les tribunaux peuvent en donner mainlevée avant de juger définitivement le tout, moyennant caution solvable ou consignation de la valeur.
4. Les tribunaux ne peuvent dispenser le redevable du paiement des sommes fraudées ou indûment obtenues ni de la confiscation des marchandises dangereuses pour la santé ou la moralité et la sécurité publiques, des marchandises contrefaisantes, ainsi que de celles qui sont soumises à des restrictions quantitatives. »
Article 376
« 1. Les objets saisis ou confisqués ne peuvent être revendiqués par les propriétaires, ni le prix, qu'il soit consigné ou non, réclamé par les créanciers même privilégiés, sauf leur recours contre les auteurs de la fraude.
2. Les délais d'appel, de tierce opposition et de vente expirés, toutes répétitions et actions sont non recevables. »
Article 414
« Sont passibles d'un emprisonnement maximum de trois ans, de la confiscation de l'objet de fraude, de la confiscation des moyens de transport, de la confiscation des objets servant à masquer la fraude et d'une amende comprise entre une et deux fois la valeur de l'objet de fraude, tout fait de contrebande ainsi que tout fait d'importation ou d'exportation sans déclaration lorsque ces infractions se rapportent à des marchandises de la catégorie de celles qui sont prohibées ou fortement taxées au sens du présent code.
La peine d'emprisonnement est portée à une durée maximale de dix ans et l'amende peut aller jusqu'à cinq fois la valeur de l'objet de la fraude soit lorsque les faits de contrebande, d'importation ou d'exportation portent sur des marchandises dangereuses pour la santé, la moralité ou la sécurité publiques, dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé des douanes, soit lorsqu'ils sont commis en bande organisée. »
Article 435
« Lorsque les objets susceptibles de confiscation n'ont pu être saisis ou lorsque, ayant été saisis, la douane en fait la demande, le tribunal prononce, pour tenir lieu de la confiscation, la condamnation au paiement d'une somme égale à la valeur représentée par lesdits objets et calculée d'après le cours du marché intérieur à l'époque où la fraude a été commise. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
17. La requérante allègue que la confiscation de ses biens alors même qu'elle était de bonne foi et étrangère aux poursuites constitue une atteinte au droit au respect de ses biens et invoque à ce titre l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
Invoquant l'article 1 du Protocole no 1 (précité) et l'article 14 de la Convention, elle se plaint également de n'avoir pu, en tant que propriétaire de biens ayant servi à masquer une fraude, arguer de sa bonne foi devant les juridictions répressives, alors que le droit français offre cette possibilité aux contrevenants ou aux propriétaires de bonne foi des moyens de transport de marchandises frauduleuses. Par ailleurs, compte tenu des allégations de la requérante quant à l'absence de recours pour faire valoir sa bonne foi, la question de savoir si les faits constituaient une violation de l'article 13 de la Convention pouvait également se poser. Toutefois, la Cour, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, estime approprié d'examiner tous les aspects de ces griefs sous l'angle de l'article 1 du Protocole no 1, lequel est ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
A. Thèses des parties
1. Le Gouvernement
18. Le Gouvernement soulève tout d'abord une exception d'irrecevabilité fondée sur le non-épuisement des voies de recours internes. Il relève que l'auteur de la fraude a été condamné par les juridictions nationales à rembourser à la requérante 25 154 euros (EUR), correspondant à la valeur des marchandises confisquées, et 5 785,44 EUR, correspondant à la somme complémentaire que la société a été condamnée à restituer à l'administration des douanes. Il estime par conséquent qu'il appartenait à la requérante de s'adresser à l'auteur de la fraude afin d'obtenir le versement des sommes dues sans préjuger, comme elle le fait dans son formulaire de requête, de l'insolvabilité de son débiteur. Le cas échéant, il lui revenait de mettre en œuvre les mesures de droit internes lui permettant d'obtenir l'exécution des décisions de justice rendues en sa faveur, et si nécessaire, le paiement forcé desdites sommes.
19. A titre subsidiaire sur le bien fondé de ce grief, le Gouvernement se réfère aux affaires AGOSI c. Royaume-Uni (24 octobre 1986, § 55, série A no 108) et C.M. c. France ((déc.), no 28078/95, CEDH 2001-VII) dans lesquelles la Cour avait abouti respectivement à un constat de non-violation et à l'irrecevabilité concernant des griefs fondés sur l'article 1 du Protocole no 1. Toutefois, le Gouvernement estime qu'aucune de ces deux jurisprudences n'est directement transposable à la présente affaire.
20. Le Gouvernement ne conteste pas l'existence d'une ingérence dans le droit de la requérante au respect de ses biens, mais estime que le raisonnement à suivre diffère selon que la confiscation des marchandises appartenant à la requérante constitue une réglementation des biens ou une privation de propriété.
21. Il estime que si, comme dans les affaires AGOSI et C.M. c. France (précitées) la confiscation des objets est considérée comme découlant de la législation destinée à empêcher l'introduction de stupéfiants prohibés, cette mesure relève alors de la réglementation des biens. Dans ce cas, il considère que les obligations procédurales découlant des affaires précitées ont été respectées puisque la requérante disposait d'un recours devant le juge correctionnel de nature à lui permettre de faire entendre sa cause et notamment de discuter de la validité de la saisie pratiquée et par la suite de solliciter la restitution des marchandises confisquées.
22. Le Gouvernement admet qu'en l'espèce, contrairement à l'affaire C.M. c. France précitée, le propriétaire des biens saisis, même de bonne foi, ne peut revendiquer ses biens mais uniquement engager un recours contre l'auteur de la fraude. La confiscation des biens servant à masquer la fraude pourrait dès lors être considérée comme une privation de biens. Le Gouvernement considère que même dans cette hypothèse, les exigences résultant de l'article 1 du Protocole no 1 ont été satisfaites. En effet, il relève tout d'abord que la confiscation était prévue par la loi et répondait à un objectif légitime de lutte contre le trafic international de stupéfiants. Sur ce dernier point, le Gouvernement observe que ces mesures ne constituent pas une sanction, puisque la requérante n'est pas l'auteur de la fraude et que sa bonne foi n'a jamais été remise en cause, mais une mesure préventive destinée à responsabiliser les propriétaires de marchandises dans leur choix des transporteurs et à garantir l'indemnisation du Trésor public. Le Gouvernement relève ensuite que la confiscation a ménagé un « juste équilibre » entre les intérêts en cause et respecté un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Il rappelle à ce titre que le pouvoir de saisie des agents des douanes est prévu et encadré par le code des douanes et que l'exercice de ce pouvoir est subordonné au contrôle du juge. Il précise également qu'en cas de saisie injustifiée la responsabilité civile de l'administration peut être engagée. Il souligne que seul le juge peut prononcer la confiscation des biens ayant servi à masquer la fraude. Enfin, le Gouvernement affirme que la requérante n'a pas eu à subir « une charge spéciale et exorbitante » car s'il est vrai qu'elle a dû, en raison de la restitution des 276 cartons de poupées lui appartenant, verser à l'administration des douanes une somme correspondant à la valeur de ces biens, elle a par ailleurs obtenu que l'auteur de la fraude soit condamné à lui rembourser l'intégralité des sommes qu'elle a dû payer. Si comme elle le soutient l'auteur de la fraude n'a pas procédé au paiement, il lui appartient de mettre en œuvre les voies de droit ouvertes pour faire exécuter la décision.
23. Le Gouvernement conclut au défaut manifeste de fondement de ce grief.
24. Enfin, le Gouvernement estime que la requérante a disposé d'un recours effectif pour faire valoir son droit de propriété sur les marchandises confisquées au profit de l'administration des douanes. Il rappelle que la requérante a pu, en tant que partie civile, contester la validité de la saisie pratiquée par les agents des douanes devant le juge judiciaire puis introduire un recours contre l'auteur de la fraude. Il précise qu'elle a ainsi obtenu en appel la restitution de ses marchandises, puis après la cassation de l'arrêt du 27 avril 2000, la condamnation de l'auteur de la fraude au remboursement de l'intégralité des sommes versées à l'administration fiscale. Le Gouvernement précise qu'à sa connaissance la requérante n'a engagé aucune poursuite à l'encontre de l'auteur de la fraude afin d'obtenir le paiement auquel elle a droit.
2. La requérante
25. Quant au non-épuisement des voies de recours internes, la requérante affirme qu'elle ne dispose d'aucune chance de voir un éventuel recours judiciaire permettre le paiement effectif de la somme qui lui est due. En effet, elle souligne que, s'il est exact que l'auteur de la fraude a été condamné par le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer à lui payer la contrevaleur en francs de la somme de 18 323,28 GBP, ce chauffeur routier âgé de soixante ans, a également été condamné au paiement d'une amende douanière de 13 015 000 FRF égale à la valeur des produits stupéfiants saisis. Elle estime par conséquent qu'exiger d'elle qu'elle utilise des voies de droit par avance vouées à l'échec et indéfiniment répétables par nature aboutirait à créer un obstacle permanent à la saisine de la Cour.
26. Quant au fond, la requérante prétend contrairement aux affirmations du Gouvernement que le bilan de l'ingérence démontre le caractère disproportionné entre les buts recherchés et les effets subis.
27. Elle soutient en effet que seuls les objectifs de lutte des Etats contre le trafic international de stupéfiants et de sensibilisation des propriétaires de marchandises sont en l'espèce pertinents, la garantie de l'indemnisation du Trésor public étant assurée par l'amende douanière infligée à l'auteur de la fraude.
28. Quant aux effets de l'ingérence subie, la requérante rappelle que sa bonne foi n'a jamais été remise en cause par l'administration des douanes et que les recours contre l'auteur de la fraude ou contre l'administration sont illusoires. Elle estime par conséquent que l'ingérence subie aboutit à la création d'effets équivalents à ceux d'une véritable spoliation. Enfin, la requérante affirme que l'action en revendication à l'encontre d'un contrevenant ouvertement insolvable ne saurait suffire à aménager un juste équilibre entre les buts poursuivis par la confiscation et ses effets et conclut à la violation de l'article 1 du Protocole no 1.
B. Appréciation de la Cour
1. Sur la recevabilité
29. Quant à l'exercice des voies de recours, la Cour rappelle qu'aux termes de l'article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes. A cet égard, elle souligne que tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l'occasion que l'article 35 § 1 a pour finalité de ménager en principe aux Etats contractants : éviter ou redresser les violations alléguées contre lui (Cardot c. France, 19 mars 1991, § 36, série A no 200). Cette règle se fonde sur l'hypothèse que l'ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (voir, par exemple, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V).
30. Les dispositions de l'article 35 § 1 de la Convention ne prescrivent cependant que l'épuisement des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l'effectivité et l'accessibilité voulues ; il incombe à l'Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, parmi beaucoup d'autres, Vernillo c. France, 20 février 1991, § 27, série A no 198, et Dalia c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil des arrêts et décisions 1998-I).
31. En l'espèce, la Cour note que le Gouvernement estime que la requérante n'a pas satisfait à l'obligation découlant de l'article 35 § 1 de la Convention car elle ne s'est pas adressé à l'auteur de la fraude afin d'obtenir le versement des sommes dues. La requérante considère quant à elle que ces procédures étaient vaines en raison de l'insolvabilité manifeste du débiteur.
32. La Cour observe en tout état de cause que les arguments avancés par le Gouvernement sont étroitement liés à la substance du grief énoncé par la requérante, de sorte qu'il y a lieu de joindre l'exception au fond (voir, par exemple, la décision Gnahoré c. France (no 40031/98, CEDH 2000-IX)).
33. La Cour constate par ailleurs que le grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.
2. Sur le fond
34. La Cour observe en premier lieu que les parties s'accordent toutes deux sur l'existence d'une ingérence dans le droit de la requérante au respect de ses biens.
35. La Cour rappelle ensuite que l'article 1 du Protocole no 1 garantit en substance le droit de propriété et contient trois normes distinctes : la première, qui s'exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux Etats contractants le droit de réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou d'assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. Il ne s'agit pas pour autant de règles dépourvues de rapport entre elles : la deuxième et la troisième ont trait à des exemples particuliers d'atteintes au droit de propriété ; dès lors, elles doivent s'interpréter à la lumière du principe consacré par la première (voir les arrêts AGOSI, précité, § 48, et Air Canada, précité, § 30).
36. La Cour estime nécessaire d'établir si la confiscation des marchandises propriété de la requérante a constitué une réglementation des biens ou une privation de propriété.
37. Elle relève que la confiscation des marchandises a été opérée sur le fondement des articles 323 § 2 et 414 du code des douanes au motif qu'elles auraient servi à masquer une fraude et note qu'aux termes de l'article 376 du code des douanes « les objets confisqués ne peuvent être revendiqués par les propriétaires ». Par ailleurs, la direction générale des douanes de Dunkerque a fait savoir à la requérante que la mainlevée des marchandises était subordonnée à la constitution d'une garantie bancaire ou d'une consignation d'une somme de 165 000 FRF égale à la valeur de celle-ci. De plus, suite à une décision initialement favorable, la requérante a été condamnée par la cour d'appel de renvoi au paiement d'une somme « correspondant à valeur de la marchandise à l'époque de la saisie pour tenir lieu de la confiscation » de la marchandise.
38. Une telle situation atteste d'une véritable privation de propriété et ne peut pas s'analyser en une mesure temporaire de saisie et restitution contre un versement (voir l'affaire Air Canada, précitée). De plus, le constat du Gouvernement quant à l'absence d'un recours pour permettre au propriétaire de solliciter la restitution de son bien en faisant valoir sa bonne foi permet de considérer que la confiscation emportait transfert définitif de propriété et ne constituait pas une restriction temporaire à son utilisation (voir a contrario l'affaire C.M. c. France, précitée).
39. Cependant, la Cour rappelle que, bien qu'elle comporte une privation de propriété, la confiscation de biens ne relève pas nécessairement de la seconde phrase du premier alinéa de l'article 1 du Protocole no 1 (Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, § 63, série A no 24, et AGOSI, précité, § 51).
40. En l'espèce, la législation applicable laisse apparaître que la confiscation de la marchandise ayant servi à masquer la fraude poursuivait les buts légitimes de lutte contre le trafic international de stupéfiants et de responsabilisation des propriétaires de marchandises dans le choix des transporteurs auxquels ils ont recours, ce dont les parties conviennent.
41. Or, comme telle, l'ingérence relève de la réglementation de l'usage de biens. Dès lors, c'est le second alinéa de l'article 1 du Protocole no 1 qui s'applique en l'espèce (voir, mutatis mutandis, AGOSI, pre�cite�, § 51, et Grifhorst c. France, no 28336/02, §§ 85-86, 26 février 2009).
42. Reste la question de savoir si la mesure d'ingérence dans le droit au respect des biens a ménagé un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu (voir, parmi d'autres, Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, § 69, série A no 52). En particulier, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure privant une personne de sa propriété (Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique, 20 novembre 1995, § 38, série A no 332).
43. Si l'on peut considérer comme le Gouvernement que la confiscation était prévue par la loi et répondait à l'objectif légitime de lutte contre le trafic international de stupéfiants, l'argument selon lequel cette mesure est uniquement préventive et destinée à garantir l'indemnisation du Trésor public ne semble pas pertinent. Cette garantie est en effet déjà assurée par la condamnation de l'auteur de la fraude à une amende très importante. Par ailleurs, et de l'avis de la Cour, il convient également de noter que la sanction constituée par la confiscation des biens ayant servi à masquer la fraude paraît très rigoureuse lorsque, comme en l'espèce, elle ne concerne pas des produits dangereux ou prohibés.
44. S'agissant du recours que peut exercer le propriétaire de bonne foi en pareille situation, il ressort de la législation qu'il est limité à une action contre l'auteur principal. La Cour observe par conséquent qu'il s'agit d'un problème législatif de caractère général. Toutefois, compte tenu du montant des amendes douanières auxquelles les auteurs des fraudes sont condamnés au profit de l'administration des douanes, créancière privilégiée selon le droit interne, ainsi que du risque d'insolvabilité de l'auteur de la fraude, ce recours ne saurait être considéré comme offrant une possibilité adéquate à cette catégorie de propriétaires d'exposer sa cause aux autorités compétentes (voir a contrario AGOSI, précité, § 62).
45. La requérante a été ainsi privée de la propriété de ses biens, puis condamnée – après leur restitution – au paiement de leur valeur, sans toutefois avoir la possibilité d'exercer un recours effectif permettant de remédier à cette ingérence et alors même que les juridictions internes avaient reconnu sa bonne foi. La Cour observe qu'une telle faculté est pourtant offerte par le droit français aux propriétaires de bonne foi des moyens de transport.
46. Par conséquent, tout en reconnaissant la nécessité des mesures de lutte contre ce fléau qu'est le trafic international de stupéfiants, et quelle que soit la marge d'appréciation importante qui doit être laissée aux Etats en la matière, la Cour estime que l'ingérence dans le droit au respect des biens de la requérante n'a pas ménagé un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu puisqu'aucun mécanisme ne permet d'y remédier directement. En effet, la Cour considère que l'instauration d'un mécanisme dérogatoire lorsque le propriétaire est de bonne foi, prévu dans d'autres cas par la législation nationale (voir article 326 du code des douanes), ne saurait, en tant que telle, porter atteinte aux intérêts de l'Etat (voir, mutatis mutandis, C.M c. France. précitée).
47. Au vu de l'ensemble de ces éléments, la Cour rejette l'exception préliminaire du Gouvernement et conclut à la violation de l'article 1 du Protocole no 1.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
48. La requérante se plaint de ne pas avoir bénéficié d'un examen effectif de l'opportunité et de la proportionnalité de la mesure de confiscation prise à son encontre et en particulier de ne pas avoir pu utilement contester la mesure, les moyens tirés de sa bonne foi ayant été écartés d'office. Elle invoque l'article 6 § 1 de la Convention dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Thèses des parties
1. Le Gouvernement
49. Le Gouvernement soulève tout d'abord l'inapplicabilité de l'article 6 de la Convention à la procédure en cause. Il rappelle que dans les affaires AGOSI et C.M. c. France précitées, la Cour a écarté l'application de l'article 6 § 1 dans sa branche pénale.
50. Quant à la branche civile de l'article 6 § 1, le Gouvernement rappelle que selon une jurisprudence constante, les organes de la Convention ont toujours exclu du champ d'application de l'article 6 § 1 les procédures fiscales, en dépit des effets patrimoniaux qu'elles ont nécessairement sur la situation des contribuables. Il conclut par conséquent au rejet de la requête pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention.
51. A titre subsidiaire sur le fond, le Gouvernement estime que la requérante a été entendue équitablement conformément aux exigences de l'article 6 § 1.
52. Le Gouvernement souligne que la requérante a pu, en sa qualité de partie civile, défendre sa cause tout au long de la procédure pénale diligentée contre l'auteur de la fraude. Il observe que la requérante a obtenu satisfaction devant la cour d'appel de Douai qui a annulé le jugement du tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer et ordonné la restitution des marchandises confisquée, ce qui fut fait le 28 juillet 2000, avant que l'administration des douanes n'obtienne la cassation de cet arrêt le 3 mai 2001.
53. Quant à l'argument de la requérante selon lequel les juridictions n'auraient pas tenu compte de la bonne foi de la requérante, le Gouvernement relève que la cour d'appel d'Amiens tout comme la Cour de cassation ont examiné cette question comme cela ressort des motivations adoptées. Le Gouvernement estime par conséquent que la requérante se plaint en réalité devant la Cour de l'interprétation du droit interne par le juge français.
54. Le Gouvernement conclut que le grief est manifestement mal fondé.
55. Dans son mémoire en réplique, le Gouvernement note que la requérante se plaint, non pas de ne pas avoir eu accès à un tribunal impartial, mais de ce que son recours ait abouti à la seule condamnation de l'auteur de l'infraction à lui rembourser les sommes correspondant à la valeur des marchandises confisquées. Il estime par conséquent que la requérante se contente de contester le résultat du recours auquel elle a eu accès et rappelle que l'article 6 § 1 n'impose pas que le recours ait systématiquement une issue favorable pour le requérant mais impose au tribunal de se livrer à un examen attentif des moyens, arguments et offres de preuve des parties.
2. La requérante
56. Sur l'applicabilité de l'article 6 § 1 de la Convention, la requérante rappelle que dans l'affaire Air Canada (précitée, § 56) la Cour a admis que l'action du propriétaire de bonne foi en revendication d'objets confisqués par la douane avait trait à une contestation relative aux droits de caractère civil et que la requérante était fondée à invoquer la violation de l'article 6 § 1. Elle souligne qu'en l'espèce la confiscation en valeur entre les mains des douanes d'un bien ayant servi à dissimuler l'objet de l'infraction constitue juridiquement une mesure de sûreté réelle destinée à accorder au créancier une garantie pour le recouvrement de sa créance. Elle estime donc que l'article 6 § 1 s'applique sous son volet civil. Elle soutient également l'applicabilité de l'article 6 § 1 sous son volet pénal, estimant que la mesure de confiscation a la nature d'une peine.
57. Quant au fond, et en réponse aux observations du Gouvernement, la requérante rappelle qu'elle ne conteste pas avoir eu accès à un juge ni même avoir eu la possibilité de présenter ses observations mais estime « avoir été privée d'un tribunal doté de la plénitude de juridiction quant aux questions pouvant se poser », c'est-à -dire qui soit compétent pour se prononcer sur tous les aspects du litige.
58. En l'espèce, la requérante rappelle que la Cour de cassation, dans son arrêt du 7 juillet 2005, a étendu le champ d'application de l'article 376 § 1 du code des douanes, qui interdit au propriétaire d'un objet saisi ou confisqué de le revendiquer sauf recours contre les auteurs de la fraude, même aux hypothèses où le propriétaire, tiers au procès pénal, est de bonne foi, ce que les dispositions de l'article en question ne prévoient pas.
59. La requérante affirme donc que les propriétaires d'objets confisqués sont en conséquence privés de la possibilité de faire valoir leur bonne foi devant un juge comme argument ayant valeur de circonstance atténuante pour justifier la restitution de leur bien et ce alors même que leur bonne foi n'est pas contestée par l'administration elle-même.
60. La requérante conclut par conséquent à la violation du droit d'accès à un tribunal tel que garanti par l'article 6 § 1. Elle ajoute que le traitement ainsi réservé aux propriétaires – même de bonne foi – des objets ayant permis le délit est moins favorable que celui réservé aux propriétaires du moyen de transport ayant permis le délit qui peut, en vertu de l'article 326 alinéa 3 du code des douanes, invoquer sa bonne foi dans le cadre d'une demande en restitution de son automobile confisquée par l'administration des douanes.
B. Appréciation de la Cour
61. Quant à la recevabilité du grief, la Cour relève qu'elle a admis que l'action en revendication par le propriétaire d'objets confisqués par les services douaniers avait trait à une contestation relative aux droits de caractère civil de la société requérante (Air Canada, précitée, § 56). Compte tenu de la similarité des faits de la présente espèce, la Cour n'aperçoit aucune raison de s'écarter de cette position.
62. Quant au fond, la Cour observe qu'il ressort des observations des parties, et notamment de celles de la requérante qui précise la nature de son grief, que celui-ci est lié à l'examen qui a été fait sous l'angle de l'article 1 du Protocole no 1 quant au recours disponible (paragraphe 43 in fine ci-dessus).
63. La Cour estime par conséquent qu'il n'y a pas lieu d'examiner s'il y a eu, en l'espèce, violation de cette disposition.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 7 DE LA CONVENTION
64. La requérante se plaint également de ce que la confiscation a été prononcée alors qu'elle n'avait eu aucun comportement répréhensible. Elle invoque l'article 7 de la Convention dont les dispositions pertinentes peuvent se lire comme suit :
« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. »
65. La Cour rappelle que l'article 7 de la Convention s'applique à des condamnations pénales. La question se pose donc de savoir si la confiscation dont la requérante a été victime peut être considérée comme une condamnation.
66. La Cour observe que dans les affaires C.M. c. France et AGOSI (précitées), pertinentes en l'espèce, elle avait exclu que les requérants, bien qu'ils aient pâti, dans leurs droits patrimoniaux, de mesures pénales, aient fait l'objet d'une « accusation en matière pénale » au sens de l'article 6 de la Convention. Elle ne voit aucune raison de s'écarter de ce constat en l'espèce.
67. Par conséquent, et compte tenu du fait que la notion de peine ne saurait avoir des acceptions différentes selon les dispositions conventionnelles (voir Göktan c. France, no 33402/96, CEDH 2002-V), la Cour exclut que la confiscation dont la requérante se plaint puisse être considérée comme une peine au sens de l'article 7 de la Convention.
68. Il s'ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 35 § 3 et doit être rejeté en application de l'article 35 § 4.
IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
69. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
70. La requérante réclame 10 000 EUR au titre du préjudice moral qu'elle aurait subi du fait de la longueur de la procédure et 18 865 EUR concernant la perte de valeur des poupées qui seraient démodées. La dernière somme correspond aux trois quarts de la valeur initiale des poupées.
71. Le Gouvernement estime tout d'abord que la somme de 10 000 EUR en réparation du préjudice moral subi du fait de la longueur de la procédure est sans lien avec les griefs invoqués tirés d'une atteinte au droit de propriété ou au droit d'accès à un tribunal. Il conteste ensuite l'existence du préjudice matériel et son évaluation dépourvue de toute justification. Il souligne que la requérante n'a pas versé à l'administration la somme de 25 154 EUR et a conservé les cartons de poupées, certes sans les revendre. Il estime par conséquent que le simple constat de violation constituerait le cas échéant une réparation adéquate des préjudices éventuellement subis par la requérante.
72. La Cour n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage moral allégué tiré de la longueur de la procédure et rejette cette demande. Quant au dommage matériel allégué, la Cour, statuant en équité, alloue 15 000 EUR.
B. Frais et dépens
73. La requérante demande également 26 001,29 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 8 000 EUR pour ceux engagés devant la Cour.
74. Le Gouvernement estime que la somme éventuellement allouée à la partie requérante au titre des frais et dépens ne saurait excéder 16 000 EUR, montant correspondant aux frais et dépens engagés pour faire corriger la violation constatée devant la Cour de cassation et la Cour.
75. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 16 000 EUR tous frais confondus et l'accorde à la requérante.
C. Intérêts moratoires
76. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l'article 6 de la Convention et de l'article 1 du Protocole no 1 et irrecevable quant à celui tiré de l'article 7 de la Convention ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ;
3. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner le grief tiré de l'article 6 § 1 de la Convention ;
4. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 15 000 EUR (quinze mille euros) pour dommage matériel et 16 000 EUR (seize mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par la société requérante ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 juillet 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia Westerdiek Peer Lorenzen
Greffière Président