Conclusion Violation de l'art. 6-1
DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE BELPERIO ET CIARMOLI c. ITALIE
(Requête no 7932/04)
ARRÊT
STRASBOURG
21 décembre 2010
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Belperio et Ciarmoli c. Italie,
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Ireneu Cabral Barreto,
Dragoljub Popović,
Nona Tsotsoria,
Işıl Karakaş,
Kristina Pardalos,
Guido Raimondi, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 décembre 2010,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 7932/04) dirigée contre la République italienne et dont deux ressortissants de cet État, MM. OMISSIS (« les requérants »), ont saisi la Cour le 26 janvier 2004 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants sont représentés par Me L. P., avocat à Bénévent. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora.
3. Le 9 juin 2009, la Cour a décidé de communiquer la requête. Comme le permettait le paragraphe 3 de l'article 29 de la Convention, en vigueur à l'époque, elle avait en outre décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond des requêtes.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4. Les requérants sont nés respectivement en 1938 et 1948 et résident à Bénévent.
A. La procédure principale
5. Le 3 novembre 1988, les requérants saisirent en référé le juge d'instance de Bénévent afin d'enjoindre à l'entreprise de construction de V.S., qui avait effectué des travaux dans le bâtiment où ils habitaient, de remettre les lieux en état.
6. Le 9 novembre 1988, le juge d'instance émit l'injonction.
7. Après deux renvois motivés par l'irrégularité de la notification de l'injonction faite par les requérants, à l'audience du 10 février 1989, le juge d'instance confirma sa décision et accorda aux parties un délai de quatre-vingt-dix jours pour saisir le tribunal afin d'obtenir une décision sur le fond.
8. Le 10 mars 1989, les requérants assignèrent l'entreprise de V.S. devant le tribunal de Bénévent.
9. Des dix-sept audiences qui se tinrent entre le 14 juillet 1989 et le 19 mai 1998, cinq furent renvoyées à la demande des requérants.
10. Par un jugement du 26 mai 1998, déposé le 11 juin 1998, le tribunal rejeta la demande des requérants, lesquels n'interjetèrent pas appel.
B. La procédure « Pinto »
11. Le 12 octobre 2001, les requérants saisirent la cour d'appel de Rome au sens de la loi « Pinto ».
12. Par une décision du 13 mai 2002, déposée le 19 juin 2002, la cour d'appel constata le dépassement d'une durée raisonnable. Elle rejeta comme non prouvée la demande relative au dommage matériel et accorda à chaque requérant 1 050 EUR pour dommage moral, ainsi que 2 205 EUR pour frais et dépens. Le requérants ne l'ayant pas notifiée au représentant du ministère constitué dans la procédure, cette décision devint définitive le 15 septembre 2003.
13. Par une lettre du 23 janvier 2004, les requérants informèrent la Cour du résultat de la procédure nationale et de leur décision de ne pas se pourvoir en cassation. Ils la prièrent de reprendre l'examen de leur requête.
14. Les sommes accordées en exécution de la décision Pinto furent payées le 24 juin 2004.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
15. Le droit et la pratique internes pertinents figurent dans les arrêts Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31, CEDH 2006-V) et Simaldone c. Italie, (no 22644/03, §§ 11-15, CEDH 2009-...).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION (DURÉE DE LA PROCÉDURE PRINCIPALE)
16. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent de la durée de la procédure principale et de l'insuffisance de l'indemnisation « Pinto ».
17. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.
18. L'article 6 § 1 de la Convention est ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Sur la recevabilité
1. Qualité de victime
19. Le Gouvernement soutient que les requérants ne peuvent plus se prétendre « victimes » de la violation de l'article 6 § 1, car ils auraient obtenu de la cour d'appel de Rome un constat de violation et un redressement approprié et suffisant.
20. Il fait valoir que la situation litigieuse s'est produite au commencement de l'application de la loi « Pinto », dont le but déclaré a été d'appliquer la Convention en respectant le principe de subsidiarité.
21. De surcroît, le Gouvernement souligne que la Cour décidant en équité, au cas par cas, sur les montants à accorder au titre de satisfaction équitable dans les affaires de durée des procédures, le juge national n'aurait pas disposé, notamment avant l'arrêt dans l'affaire Cocchiarella ([GC], no 64886/01, CEDH 2006-V), de critères précis et détaillés concernant l'évaluation du dommage moral. Il aurait été ainsi objectivement difficile pour les autorités judiciaires nationales de se conformer à la jurisprudence de la Cour.
22. La Cour observe que dans l'arrêt Cocchiarella (précité, § 68), elle a jugé qu'une analyse attentive des nombreux arrêts postérieurs à l'arrêt Bottazzi c. Italie ([GC], no 34884/97, CEDH 1999-V) permet de saisir la logique interne sous-jacente aux décisions de la Cour relatives aux indemnités octroyées dans ses arrêts, les montants variant uniquement en fonction des circonstances particulières de chaque affaire.
23. En outre, elle rappelle qu'un redressement accordé au niveau national n'est considéré insuffisant que lorsque les sommes obtenues par un requérant sont déraisonnables par rapport à celles allouées par la Cour dans des affaires similaires (Cocchiarella précité, § 105).
24. La Cour, après avoir examiné l'ensemble des faits de la cause et les arguments des parties, considère que le redressement s'est révélé insuffisant (voir Delle Cave et Corrado c. Italie, no 14626/03, §§ 26-31, 5 juin 2007, CEDH 2007-VI ; Cocchiarella précité, §§ 69-98). Cette circonstance suffit à conclure que les requérants peuvent toujours se prétendre « victimes », au sens de l'article 34 de la Convention.
2. Incompatibilité ratione materiae du grief concernant la durée de la de la procédure d'injonction
25. Le Gouvernement n'a pas soulevé dans ses observations la question de savoir si l'article 6 s'applique à la procédure d'injonction. Néanmoins, la Cour doit examiner cette question, qui touche à sa compétence, dont l'étendue est déterminée par la Convention elle-même, spécialement par son article 32, et non par les observations soumises par les parties dans une affaire donnée (Medvedyev et autres c. France [GC], no 3394/03, § 71, 29 mars 2010).
26. La Cour observe que, compte tenu de l'approche adoptée dans l'affaire Micallef, l'article 6 de la Convention s'applique à la procédure d'injonction (Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, §§ 83-86, CEDH 2009-...). De surcroît, elle note que celle-ci ne saurait être vue comme distincte de la procédure sur le fond. Les deux phases forment une seule procédure en rapport avec le fond du grief faisant l'objet de l'action au principal (voir, mutatis mutandis, Micallef précité, § 77).
3. Conclusion
27. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Aussi, le déclare-t-elle recevable.
B. Sur le fond
28. La Cour constate que la procédure a débuté le 3 novembre 1988, date d'introduction de la demande d'injonction (Cesarini c. Italie, 12 octobre 1992, § 16, série A no 245-B) et s'est terminée le 11 juin 1998. Elle a donc duré globalement neuf ans et huit mois pour un degré de juridiction.
29. La Cour a traité à maintes reprises d'affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d'espèce et a constaté une méconnaissance de l'exigence du « délai raisonnable », compte tenu des critères dégagés par sa jurisprudence bien établie en la matière (voir, en premier lieu, Cocchiarella, précité). N'apercevant rien qui puisse mener à une conclusion différente dans la présente affaire, la Cour estime qu'il y a également lieu de constater une violation de l'article 6 § 1 de la Convention, pour le même motif.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1 DE LA CONVENTION ET 1 DU PROTOCOLE No 1 DU FAIT DE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE « PINTO » ET DU RETARD DANS LE PAIEMENT DE L'INDEMNISATION « PINTO »
30. Les requérants affirment que la durée de la procédure « Pinto » devant la cour d'appel de Rome et le retard mis par les autorités nationales à se conformer à la décision de celle-ci ont entraîné la violation des articles 6 § 1 de la Convention, précité, et 1 du Protocole no 1, ainsi libellé dans sa partie pertinente :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général (...). »
31. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
32. Le Gouvernement soutient que les requérants ne peuvent plus se prétendre « victimes » d'une violation au sens de l'article 34 de la Convention, car tout préjudice patrimonial découlant des retards dans la procédure aurait été effacé par l'octroi d'intérêts moratoires. Tout comme dans le cadre de l'exécution des arrêts de la Cour, le Gouvernement estime que le versement d'intérêts moratoires serait la seule conséquence de l'éventuel retard dans les paiements.
33. La Cour ne souscrit pas à l'analogie proposée par le Gouvernement entre les conséquences juridiques d'un retard dans l'exécution, d'une part, d'une décision exécutoire d'une juridiction interne et, d'autre part, de ses arrêts, même quand il s'agit, comme en l'espèce, de décisions nationales rendues dans le cadre d'un recours pour violation d'un droit garanti par la Convention.
34. Elle relève que l'obligation de payer les sommes accordées par la Cour à titre de satisfaction équitable et les intérêts moratoires en cas de retard est fondée sur l'engagement des Hautes Parties contractantes à se conformer aux arrêts de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties, en vertu de l'article 46 de la Convention. À ce titre et dans ce cadre, le Comité des Ministres est chargé de surveiller l'exécution de l'arrêt, y inclus les paiements en question (voir, mutatis mutandis, Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 61, CEDH 2009-...).
35. Par contre, l'obligation de payer dans un délai raisonnable et d'office des sommes dues en vertu d'une décision judicaire exécutoire rendue dans le cadre d'une action en réparation du préjudice découlant de la violation de son droit à un procès dans un « délai raisonnable » trouve son fondement dans les articles 6 et 13 de la Convention et 1 du Protocole no 1 (voir Simaldone, precité et Cocchiarella, précité), dont la Cour est appelée à assurer le respect, en vertu de l'article 19 de la Convention.
36. La Cour rappelle qu'eu égard à la nature de la voie de recours « Pinto », le versement des intérêts sur les sommes reconnues dans ce cadre ne saurait être déterminant pour exclure la qualité de victime d'un requérant se plaignant d'un retard dans le paiement (voir, Simaldone c. Italie, précité, § 63). En effet, une décision ou mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé, la violation de la Convention dénoncée (voir, entre autres, Eckle c. Allemagne, 15 juillet 1982, § 69, série A no 51 et Cocchiarella, précité, § 71). En l'espèce, compte tenu aussi du fait que les requérants ne se limitent pas à dénoncer un retard dans l'exécution de la décision de la cour d'appel « Pinto », mais dénoncent aussi la durée de la procédure devant celle-ci, la Cour relève que l'octroi d'intérêts moratoires ne peut entraîner une reconnaissance de violation et réparer le préjudice moral en découlant.
37. Par conséquent, les requérants peuvent toujours se prétendre « victimes », au sens de l'article 34 de la Convention.
38. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève, en outre, qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Aussi, le déclare-t-elle recevable.
B. Sur le fond
1. Les principes applicables
39. La Cour rappelle que l'exécution d'un jugement ou arrêt devant être considérée comme faisant partie intégrante du procès au sens de l'article 6 (Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997, § 40, Recueil des arrêts et décisions 1997-II), le terme d'une procédure dont la durée est examinée sous l'angle de cette disposition est le moment où le droit revendiqué trouve sa « réalisation effective » (Jarreau c. France, no 50975/99, § 27, 8 avril 2003 et, mutatis mutandis, Di Pede c. Italie, 26 septembre 1996, § 24, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV).
40. De surcroît, la Cour a jugé que, dans le cadre de la procédure « Pinto » », il n'y a aucune obligation pour les intéressés d'entamer une procédure d'exécution pour obtenir le paiement des indemnisations accordées (Delle Cave et Corrado, précité, §§ 23-24 et Simaldone, précité, § 53), étant inopportun de demander à une personne qui a obtenu une créance contre l'État à l'issue d'une procédure judiciaire d'engager par la suite une procédure d'exécution forcée afin d'obtenir satisfaction (Metaxas c. Grèce, no 8415/02, § 19, 27 mai 2004; Karahalios c. Grèce, no 62503/00, § 23, 11 décembre 2003).
41. Il s'ensuit que, lorsqu'un requérant se plaint de la durée de la phase judiciaire d'un recours « Pinto », ainsi que d'un retard dans le paiement de l'indemnisation, le temps s'écoulant entre la date de la décision exécutoire de la cour d'appel « Pinto » et le paiement effectif de la somme accordée doit être pris en considération pour évaluer la durée de la procédure, et ce indépendamment de la mise en œuvre d'une procédure d'exécution par le requérant (voir, mutatis mutandis, Scollo c. Italie, 28 septembre 1995, § 44, série A no 315-C).
42. Quant au délai qui peut être considéré raisonnable au sens de l'article 6 § 1, la Cour considère que les critères applicables ne sauraient être ceux adoptés pour évaluer la durée des procédures ordinaires, eu égard à la nature de la voie de recours « Pinto » et au fait que ces affaires ne revêtent normalement aucune complexité. Dans le cadre d'un recours indemnitaire visant à redresser les conséquences de la durée excessive des procédures, une diligence particulière s'impose aux États afin que la violation soit constatée et redressée dans le plus bref délai possible.
43. En ce qui concerne la phase judiciaire de la procédure, dans l'affaire Vaney c. France (no 53946/00, § 53, 30 novembre 2004) où le requérant se plaignait de la durée d'une procédure pénale ainsi que de la durée d'un recours en responsabilité de l'État pour la lenteur de celle-ci, la Cour a conclu à la violation de l'article 6 § 1 de la Convention aussi en relation à la durée de la deuxième procédure.
Dans l'affaire Cocchiarella (précité, § 99), la Cour a indiqué que le délai de quatre mois prévu par la loi « Pinto » respecte l'exigence de célérité requise pour un recours effectif. Toutefois elle a accepté que des durées de neuf mois pour une instance et de quatorze mois pour deux instances pouvait passer pour raisonnables, bien que dépassant le délai prévu par la loi « Pinto » (Riccardi Pizzati c. Italie [GC], no 62361/00, § 98, 29 mars 2006, Giuseppe Mostacciuolo c. Italie (no 2) [GC], no 65102/01, § 97, 29 mars 2006).
Plus récemment, dans l'affaire Simaldone (précité, § 29), la Cour a estimé que la phase judiciaire du remède « Pinto », ayant duré onze mois pour un degré de juridiction, était excessivement longue.
44. La Cour rappelle avoir déjà statué (voir, en premier lieu, Cocchiarella c. Italie, précité, § 89) que s'il est admissible qu'une administration puisse avoir besoin d'un certain laps de temps pour procéder à un paiement, néanmoins, s'agissant d'un recours indemnitaire visant à redresser les conséquences de la durée excessive de procédures, ce laps de temps ne devrait généralement pas dépasser six mois à compter du moment où la décision d'indemnisation devient exécutoire (voir aussi Simaldone précité, §§ 48 ss.).
45. Enfin, la Cour relève que dans certaines affaires, afin d'établir si la procédure était raisonnable, elle a considéré globalement la phase judiciaire et la phase de l'exécution. Notamment, quant à la durée de procédures « Pinto », elle a jugé qu'un an et six mois pour un degré de juridiction, exécution comprise, n'était pas un délai déraisonnable (Pelli c. Italie (déc.), no 19537/02, 13 novembre 2003).
46. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime qu'afin de satisfaire aux exigences du « délai raisonnable » au sens de l'article 6 § 1 de la Convention, la durée d'une procédure « Pinto » devant la cour d'appel compétente, y incluse la phase d'exécution de la décision, ne devrait pas, en principe et sauf circonstances exceptionnelles, dépasser un an et six mois.
2. L'application au cas d'espèce
47. La Cour observe que la période à considérer a débuté le 12 octobre 2001, lorsque les requérants saisirent la cour d'appel de Rome, et s'est terminée le 24 juin 2004, lorsqu'ils obtinrent le paiement des indemnisations octroyées par celle-ci. La procédure a donc duré deux ans et huit mois.
48. Rien dans le dossier de la requête n'indique que ce long laps de temps puisse être lié au comportement des requérants ou à la complexité de l'affaire. Partant, ne relevant aucun motif particulier pour s'éloigner des principes énoncés au paragraphe 42 ci-dessus, la Cour estime qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1, sous l'angle du droit à un jugement dans un délai raisonnable.
49. Le grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1 portant sur les mêmes faits, la Cour considère qu'il ne soulève aucune question distincte de celle déjà posée sur le terrain de l'article 6 et que, par conséquent, il n'est pas nécessaire de l'examiner séparément au fond.
III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
50. Invoquant les articles 13 et 53 de la Convention, les requérants se plaignent de l'ineffectivité du remède « Pinto » en raison de l'insuffisance de la réparation obtenue et de la durée de la procédure indemnitaire.
51. La Cour estime que ces griefs doivent être considérés uniquement sous l'angle de l'article 13 de la Convention, combiné avec l'article 6.
52. Elle rappelle que, selon la jurisprudence Delle Cave et Corrado (précité, §§ 43-46) et Simaldone (précité, §§ 71-72) l'insuffisance de l'indemnisation « Pinto » ne remet pas en cause l'effectivité de cette voie de recours.
53. Tout en soulignant qu'on ne peut exclure que la lenteur excessive du recours indemnitaire en affecte son caractère adéquat (Cocchiarella, précité, § 86), la Cour considère que la durée de la procédure constatée en l'espèce, bien qu'entraînant la violation de l'article 6 § 1 de la Convention, n'est pas suffisamment importante pour remettre en cause l'effectivité du remède « Pinto ».
54. Néanmoins, la Cour relève que le contentieux pendant devant elle concernant la durée des recours « Pinto » peut indiquer l'existence d'un problème général dans le fonctionnement de celui-ci (voir, mutatis mutandis, Simaldone précité, § 82).
55. Elle estime encore une fois nécessaire d'attirer l'attention du Gouvernement sur ce problème, et notamment sur les retards dans le paiement des indemnisations « Pinto ». Elle rappelle l'obligation pesant sur les autorités nationales de se doter de tous les moyens adéquats et suffisants pour assurer le respect des obligations qui leur incombent en vertu de l'adhésion à la Convention et pour éviter que le rôle de la Cour soit engorgé d'un grand nombre d'affaires répétitives portant sur les indemnités accordées par des cours d'appel dans le cadre de procédures « Pinto », la durée de celles-ci et/ou le retard dans le paiement des sommes en question, ce qui constitue une menace pour l'effectivité à l'avenir du dispositif mis en place par la Convention (voir Cocchiarella, précité, §§ 69-107 et §§ 125-130 ; mutatis mutandis, Scordino c. Italie (no 3) (satisfaction équitable), no 43662/98, §§ 14-15, CEDH 2007-... ; Driza c. Albanie, no 33771/02, § 122, CEDH 2007-... (extraits) ; Katz c Roumanie, no 29739/03, § 9, 20 janvier 2009).
56. Il y a lieu en l'espèce de déclarer ce grief irrecevable pour défaut manifeste de fondement au sens de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
57. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
58. Les requérants réclament, au titre du préjudice moral qu'ils auraient subi, 7 000 euros (EUR) chacun pour la violation de l'article 6 § 1 (durée de la procédure principale) et se remettent à la sagesse de la Cour quant aux autres violations dénoncées.
59. Le Gouvernement n'a pas pris position à cet égard.
60. Quant au préjudice moral découlant de la durée de la procédure principale, la Cour estime qu'elle aurait pu accorder aux requérants, en l'absence de voies de recours internes et compte tenu des retards qui leur sont imputables, 8 400 EUR chacun. Le fait que la cour d'appel de Rome ait octroyé à chaque requérant environ 12,5 % de cette somme aboutit à un résultat manifestement déraisonnable, d'autant plus que le paiement est intervenu deux ans et huit mois après le dépôt du recours « Pinto ». Par conséquent, eu égard, d'une part, aux caractéristiques de cette voie de recours et au fait qu'elle est tout de même parvenue à un double constat de violation (paragraphes 29 et 44 ci-dessus) et compte tenu d'autre part de la solution adoptée dans l'arrêt Cocchiarella précité (§§ 139-142 et 146), statuant en équité, la Cour alloue à chaque requérant 2 700 EUR à ce titre.
61. Quant au préjudice moral en raison de la durée de la procédure « Pinto », la Cour rappelle qu'elle est une juridiction internationale ayant pour tâche principale d'assurer le respect des droits de l'homme tels que garantis dans la Convention et ses Protocoles, plutôt que de compenser, minutieusement et de manière exhaustive, les préjudices subis par les requérants. Contrairement aux juridictions nationales, la Cour a pour rôle privilégié d'adopter des jugements publics établissant les normes en matière des droits de l'homme applicables dans toute l'Europe (voir, mutatis mutandis, Goncharova et autres et 68 autres « retraités privilégiés » c. Russie, nos 23113/08 et autres requêtes, §§ 22-24, 15 octobre 2009).
62. Elle observe que dans le cas d'espèce, les requérants ont été victimes de l'incapacité des autorités italiennes à garantir le déroulement de la procédure « Pinto » et le paiement des indemnisations « Pinto » dans un délai compatible avec les obligations qui découlent de l'adhésion de l'État défendeur à la Convention.
63. La Cour relève que plus de 1 200 requêtes portant principalement ou uniquement sur ce même problème sont pendantes contre l'Italie et que le nombre de ce type de requêtes est en constante augmentation depuis 2008. Elle estime que, dans des situations impliquant un nombre significatif des victimes placées dans une situation similaire, une approche globale s'impose.
64. Au vu de ce qui précède et statuant en équité, la Cour considère opportun d'accorder une somme forfaitaire additionnelle de 200 EUR à chaque requérant à titre de dommage moral en raison de la durée excessive de la procédure « Pinto » qu'elle vient de constater.
B. Frais et dépens
65. Les requérants demandent également le remboursement des frais et dépens engagés devant la Cour.
66. Le Gouvernement n'a pas pris position à cet égard.
67. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce et compte tenu du fait que les requérants n'ont produit aucun document justifiant des frais et dépens à ce titre, la Cour rejette la demande.
C. Intérêts moratoires
68. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
1. Déclare, à l'unanimité, la requête recevable quant aux griefs tirés de la durée excessive de la procédure principale et de la procédure « Pinto » et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée excessive de la procédure principale ;
3. Dit, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée excessive de la procédure « Pinto » ;
4. Dit, à l'unanimité, qu'il n'y a pas lieu à un examen séparé du grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1 ;
5. Dit, par cinq voix contre deux,
a) que l'État défendeur doit verser à chaque requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 2 900 EUR (deux mille neuf cents euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette, par cinq voix contre deux, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 décembre 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley Naismith Françoise Tulkens
Greffier Présidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion séparée des juges Barreto et Popović.
F.T.
S.H.N.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES CABRAL BARRETO ET POPOVIĆ
Nous sommes dissidents en ce qui concerne les montants alloués au titre de l'article 41 de la Convention dus aux retards dans la procédure «Pinto» pour les motifs avancés dans notre opinion jointe à l'arrêt Gaglione et autres c. Italie, de la même date.