DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ALDO LEONI c. ITALIE
(Requête no 67780/01)
ARRÊT
STRASBOURG
26 janvier 2010
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Aldo Leoni c. Italie,
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Ireneu Cabral Barreto,
Vladimiro Zagrebelsky,
Danutė Jo�ienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Nona Tsotsoria, juges,
et de Sally Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 janvier 2010,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 67780/01) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. A. L. (« le requérant »), a saisi la Cour le 26 juillet 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me A. S., avocat à Parme. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora, et par son coagent, M. N. Lettieri.
3. Le 3 juin 2004, la Cour a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer le grief tiré des articles 6 § 1, quant à l'équité de la procédure, et 1 du Protocole no 1 au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1913 et réside à Parma.
5. Le requérant était propriétaire d'un terrain de 7 130 m² ainsi que d'un immeuble édifié sur un terrain de 520 m² sis à Cortile San Martino.
6. A une date qui n'a pas été précisée, les biens du requérant furent soumis à permis d'expropriation pour utilité publique en vue de l'aménagement d'une zone artisanale.
7. Le 17 décembre 1980, au cours de la procédure d'expropriation, le requérant conclut un accord de cession des biens (« cessione volontaria ») avec la municipalité de Parme au sens de la loi no 865 de 1971.
8. La municipalité versa au requérant la somme de 102 355 500 lires italiennes, soit 52 900 EUR environ, à titre d'acompte.
9. Le 24 juin 1988, le requérant assigna la municipalité devant le tribunal de Parme et demanda une indemnité d'expropriation calculée à hauteur de la valeur marchande du terrain.
10. Le tribunal ordonna une expertise visant à établir la valeur des biens du requérant. L'expert conclut que la valeur globale du terrain et de l'immeuble au moment de la cession était de 499 360 000 ITL, soit 256 000 EUR.
11. Le 16 février 1993, le tribunal ordonna un supplément d'expertise pour recalculer l'indemnité à verser sur la base des critères prévus par la loi no 359 de 1992. L'expert fixa l'indemnité à 147 670 EUR,
12. Par un jugement du 17 décembre 1998, le tribunal de Parme ordonna à la municipalité de Parme de verser au requérant la somme de 94 808 EUR, à savoir le montant déterminé par l'expert moins la somme déjà versée par l'administration au moment de la cession à titre d'acompte.
13. Le 27 mai 1999, la municipalité de Parme interjeta appel. Elle contesta notamment l'affirmation du tribunal concernant la nature du terrain du requérant et fit valoir que le montant de l'indemnité fixé par le tribunal était excessif.
La procédure est à ce jour pendante devant la cour d'appel de Bologne.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
14. Le droit interne pertinent est décrit dans l'arrêt Sotira c. Italie (no 16508/05, §§ 17-19, 8 janvier 2009).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
15. Le requérant se plaint d'une violation de son droit au respect des biens au motif qu'après plus de vingt-trois ans, il n'a pas été indemnisé pour l'expropriation de son terrain. En outre, il se plaint de ce que le montant de l'indemnisation qui lui sera accordée aux termes de la législation en vigueur, sera largement inférieur à la valeur vénale du terrain. Il invoque l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
16. Le Gouvernement affirme que l'intéressé n'a pas épuisé les voies de recours internes au motif que la procédure est toujours pendante devant la cour d'appel de Bologne.
17. La Cour constate qu'elle a déjà rejeté des exceptions semblables dans des affaires similaires (Capone c. Italie, no 62592/00, § 56, 15 juillet 2005). Elle n'aperçoit aucun motif de déroger à ses précédentes conclusions et rejette donc l'exception en question.
18. Quant au fond, il n'est pas contesté qu'il y a eu transfert de propriété au bénéfice de l'administration.
19. Ensuite, elle relève que l'intéressé a été privé de son terrain conformément à la loi et que l'expropriation poursuivait un but légitime d'utilité publique (Mason et autres c. Italie, no 43663/98, § 57, 17 mai 2005 ; Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 81, CEDH 2006-V). Par ailleurs, il s'agit d'un cas d'expropriation isolé, qui ne se situe pas dans un contexte de réforme économique, sociale ou politique et ne se rattache à aucune autre circonstance particulière.
20. La Cour renvoie à l'arrêt Scordino c. Italie (no 1) précité (§§ 93-98) pour la récapitulation des principes pertinents et pour un aperçu de sa jurisprudence en la matière.
21. Elle constate que vingt-trois ans se sont déjà écoulés sans que le requérant ait reçu l'indemnisation définitive. Elle rappelle que le caractère adéquat d'un dédommagement diminuerait si le paiement de celui-ci faisait abstraction d'éléments susceptibles d'en réduire la valeur, tel l'écoulement d'un laps de temps que l'on ne saurait qualifier de raisonnable (Mason, précité, § 53 ; Capone, précité, § 60).
22. A la lumière de ces considérations, la Cour considère que le requérant a déjà eu à supporter une charge spéciale et exorbitante qui a rompu le juste équilibre devant régner entre, d'une part, les exigences de l'intérêt général et, d'autre part, la sauvegarde du droit au respect des biens. De plus, la Cour considère que le montant qui pourra éventuellement être accordé au requérant à l'issue de la procédure n'a aucune incidence directe sur la question de la proportionnalité.
23. Partant, il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
24. Le requérant se plaint de ce que l'adoption et l'application de l'article 5 bis de la loi no 352 de 1992 à sa procédure, entraînant une diminution substantielle de son indemnisation, constitue une ingérence législative contraire à son droit à un procès équitable.
25. Le Gouvernement s'y oppose.
26. La Cour rappelle que le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l'article 6 de la Convention s'opposent, sauf pour d'impérieux motifs d'intérêt général, à l'ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la justice dans le but d'influer sur le dénouement judiciaire du litige (Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres c. France [GC], nos 24846/94 et 34165/96 à 34173/96, § 57, CEDH 1999-VII).
27. En l'espèce, la cause du requérant étant actuellement pendante, la Cour ne saurait spéculer quant à l'application de la disposition litigieuse à la procédure. De plus, elle ne perd pas de vue le fait que l'article 5 bis de la loi no 359 de 1992 a été déclaré inconstitutionnel par l'arrêt de la Cour constitutionnel du 22 octobre 2007.
28. Dans ces conditions, cette partie de la requête est prématurée et doit être rejetée pour non épuisement des voies de recours internes en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
29. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
30. Le requérant n'a présenté aucune demande de satisfaction équitable dans le délai imparti à cet effet. Partant, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1 et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 janvier 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Sally Dollé Françoise Tulkens
Greffière Présidente