DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ÖZERMAN ET AUTRES c. TURQUIE
(Requête no 3197/05)
ARRÊT
STRASBOURG
20 octobre 2009
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Özerman et autres c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Ireneu Cabral Barreto,
Danutė Jo�ienė,
András Sajó,
Nona Tsotsoria,
Işıl Karakaş,
Kristina Pardalos, juges,
et de Sally Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 septembre 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 3197/05) dirigée contre la République de Turquie et dont trois ressortissants de cet Etat, Mme S. S. Ö., Mme A. P. K. (Özerman) et M. A. A. Ö. (« les requérants »), ont saisi la Cour le 27 décembre 2004 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants sont représentés par Me T. Asma, avocat à Ankara. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent.
3. Le 10 septembre 2008, la présidente de la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4. Les requérants sont nés respectivement en 1931, 1960 et 1961. La première requérante réside à Ankara et les deux autres requérants résident à Istanbul.
5. M. Ö., époux et père des requérants respectivement, décéda le 21 mars 1981. Le 28 mai 1981, le tribunal d'instance d'Ankara délivra un certificat d'héritier selon lequel la succession de M. Ö. revenait aux requérants. Ils présentent à la Cour copie de quatre titres de propriété foncière pour une superficie totale de 9 455 m2.
A. La procédure relative à l'annulation du titre de propriété des requérants et à son inscription sur le registre foncier au nom du Trésor public
6. En 1955, le cadastre mena une étude sur la parcelle no 266 située dans le village de Duraliler près de Kepezaltı (Antalya). Le cadastre classa cette parcelle en zone forestière. Un groupe de 237 particuliers, la Direction générale des forêts (Orman Genel Müdürlüğü) et la Direction générale des fondations (Vakıflar Genel Müdürlüğü) revendiquèrent la propriété de cette parcelle. Le cadastre enregistra une partie de cette parcelle au nom des 237 particuliers sur le registre foncier, parmi lesquels M. Ö..
7. A une date non précisée, la Direction générale des forêts, la Direction générale des fondations et une personne dénommée M.A. introduisirent une action en annulation de cette décision devant le tribunal du cadastre d'Antalya, contre le groupe de particuliers.
8. Par un jugement du 6 mars 1997, le tribunal du cadastre d'Antalya inscrivit la partie du plan marquée en « X », d'une superficie de 11 031 m2 et divisée en 40320 parts, au nom des particuliers, dont 280 parts au nom de M. Ö.. Le reste devait être inscrit au nom de la Direction générale des fondations.
9. A une date non précisée, la Cour de cassation infirma le jugement pour les parcelles enregistrées au nom des particuliers, dont M. Ö., et confirma le jugement pour le reste.
10. Par un jugement du 21 février 2002, statuant sur renvoi, constatant que la parcelle enregistrée sur le registre foncier au nom de M. Ö. était incluse dans la partie indiquée en « X » sur le plan et que cette partie était classée en zone forestière, le tribunal du cadastre d'Antalya enregistra cette partie indiquée en « X » sur le registre foncier au nom du Trésor public comme domaine forestier. Ce jugement fut publié dans un quotidien national le 27 mars 2002, cette publication étant censée valoir notification aux parties. Aucune des parties n'ayant formé de pourvoi, ce jugement passa en force de chose jugée le 11 avril 2002.
B. La procédure relative à l'expropriation du bien des requérants et au non-paiement de l'indemnité d'expropriation
11. Le 26 avril 1994, la municipalité d'Antalya aurait déposé la somme de 14 460 640 millions de livres turques (« TRL ») sur un compte bancaire pour l'expropriation d'un terrain d'une superficie de 1 446 064 m2, situé au village de Duraliler.
12. Le 14 avril 1995, la municipalité d'Antalya engagea une action contre plusieurs centaines de personnes, dont les requérants, ainsi que la Direction régionale des forêts et la Direction régionale des fondations, en demandant l'expropriation des biens leur appartenant et l'inscription desdits biens à son nom sur le registre foncier.
13. Par un jugement du 3 août 1998, le tribunal de grande instance d'Antalya rejeta l'expropriation de la municipalité d'Antalya pour une superficie de 114 909 m2 au motif qu'il s'agissait du domaine forestier et confirma l'expropriation pour la superficie restante, soit 1 331 155 m2. Le tribunal ordonna l'inscription de cette dernière superficie sur le registre foncier au nom de la municipalité d'Antalya. Le tribunal ne fixa pas d'indemnité d'expropriation et n'ordonna aucun paiement à la municipalité. Dans ses attendus, ayant été informé par la municipalité de ce qu'une procédure était pendante devant le tribunal du cadastre au sujet des titres de propriété des biens objets de l'expropriation, le tribunal constata que le Conseil d'Etat avait rejeté une demande de sursis à exécution de l'expropriation engagée par la municipalité. Le tribunal constata que, selon l'article 16 § 3 de la loi relative à l'expropriation, la municipalité pouvait demander que les biens faisant l'objet de l'expropriation soient inscrits à son nom sur le registre foncier même s'il y avait un litige concernant les titres de propriété des biens en cause.
14. La Direction générale des fondations se pourvut en cassation.
15. Par un arrêt du 25 janvier 2000, la Cour de cassation confirma le jugement du tribunal de grande instance d'Antalya.
16. Le 9 avril 2004, en réponse à une demande des requérants du 5 avril 2004, la municipalité d'Antalya précisa que le terrain litigieux avait été enregistré sur le registre foncier à son nom conformément au jugement du tribunal de grande instance d'Antalya. Elle indiqua que le terrain concerné faisait l'objet d'une action en justice ; que le montant de l'indemnité d'expropriation était bloqué sur un compte ouvert à la banque des fondations ; et que l'indemnité d'expropriation ne pouvait être payée aux personnes concernées, le cas échéant, que si le tribunal du cadastre avait statué en leur faveur.
17. Le 26 avril 2004, se fondant sur le jugement du tribunal de grande instance d'Antalya du 3 août 1998, les requérants demandèrent à la municipalité le paiement de l'indemnité d'expropriation bloquée sur un compte ouvert à la banque des fondations, établissement d'Antalya (Antalya Vakıflar Bankası). Les requérants prétendirent que le fait qu'une action soit pendante devant le tribunal du cadastre ne devait pas être un prétexte pour ne pas payer l'indemnité d'expropriation litigieuse.
18. Le 27 avril 2004, la municipalité d'Antalya informa les requérants que l'indemnité d'expropriation ne pouvait leur être versée par la banque des fondations que s'ils prouvaient qu'un jugement du tribunal du cadastre avait été rendu en leur faveur.
19. Le 24 juin 2004, en se fondant toujours sur le jugement du tribunal de grande instance d'Antalya, les requérants demandèrent à la banque des fondations d'Antalya le paiement de l'indemnité d'expropriation correspondant à leur terrain. Ils contestèrent l'argument concernant l'ouverture d'une action à leur encontre devant le tribunal du cadastre.
20. Le 14 juillet 2004, en réponse à la demande des requérants du 24 juin 2004, la banque des fondations les informa que, contrairement à ce qui était écrit dans le jugement du tribunal de grande instance d'Antalya, le montant de l'expropriation n'avait pas été bloqué sur un compte ouvert dans leur agence. La municipalité d'Antalya y avait seulement déposé une lettre de garantie (teminat mektubu). La banque précisa que pour convertir cette lettre de paiement en liquidités il fallait une décision du tribunal, qui faisait défaut en l'espèce.
21. Le 4 octobre 2004, les requérants s'adressèrent de nouveau à la municipalité d'Antalya en demandant le paiement de l'indemnité d'expropriation. Le même jour, les requérants envoyèrent une lettre au tribunal de grande instance d'Antalya par laquelle ils demandèrent s'il avait rendu une décision ordonnant de convertir la lettre de garantie en liquidités.
22. D'après les informations données par les parties, les requérants n'ont toujours pas reçu paiement du montant de l'indemnité d'expropriation correspondant à leur bien.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
23. En vertu de l'article 82 de la loi no 2004 du 9 juin 1932 sur les voies d'exécution et la faillite (Icra ve Iflas Kanunu) et de l'article 19 de la loi no 1530 du 3 avril 1930 sur les communes (Belediyeler Kanunu), les biens appartenant à l'Etat et aux communes ainsi que les biens destinés à l'usage public ne peuvent faire l'objet d'une saisie (Gaganuş et autres c. Turquie, no 39335/98, §§ 15-18, 5 juin 2001).
24. Le droit interne pertinent concernant le littoral maritime se trouve exposé dans l'affaire N.A. et autres c. Turquie (no 37451/97, § 30, CEDH 2005-X).
25. Le droit et la pratique internes pertinents concernant le domaine forestier se trouve exposé dans l'affaire Turgut et autres c. Turquie (no 1411/03, §§ 41-67, 8 juillet 2008).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 DE LA CONVENTION
26. Les requérants se plaignent de l'annulation de l'inscription de leur titre de propriété sur le registre foncier au profit de l'Etat et de ne pas avoir reçu d'indemnisation pour la perte de leur bien comme le voudrait l'article 1 du Protocole no 1 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. (...). »
27. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
28. Le Gouvernement soulève d'abord une exception d'irrecevabilité tirée du non-respect du délai de six mois (l'article 35 § 1 de la Convention). Il indique que c'est par le jugement du tribunal du cadastre du 21 février 2002, passé en force de chose jugée, que le titre de propriété des requérants a été annulé et que le bien en litige a été inscrit sur le registre foncier au nom du Trésor public. Or les requérants n'ont introduit leur requête devant la Cour que le 27 décembre 2004, soit plus de six mois après ce jugement.
29. Le Gouvernement soulève ensuite une exception d'irrecevabilité tirée de l'absence de qualité de victime des requérants. D'une part, il découle du jugement du tribunal du cadastre que M.a Ö. n'a plus de titre de propriété. D'autre part, le lien de parenté entre M. Ö. et les requérants n'est pas établi. Le Gouvernement fait valoir que si tel est le cas, les requérants doivent présenter un certificat d'héritier.
30. Le Gouvernement attire également l'attention de la Cour sur le fait que le jugement du tribunal de grande instance d'Antalya du 3 août 1998 n'ordonne pas le paiement d'une indemnité d'expropriation, contrairement à ce que soutiennent les requérants. Le tribunal a simplement ordonné l'inscription sur le registre foncier au nom du Trésor public du bien prétendument appartenant aux requérants, dans la mesure où le titulaire du droit de propriété n'avait pas encore été déterminé par le tribunal du cadastre.
31. Les requérants contestent les exceptions du Gouvernement. A cet égard, ils se réfèrent au jugement du 28 mai 1981 du tribunal d'instance d'Ankara qui a rendu un certificat d'héritier selon lequel la succession de M. Ö. leur revenait. Ils expliquent que, devant les juridictions nationales, ils ont agi en qualité d'héritiers de M. Ö.. Ils présentent par ailleurs copie des titres de propriété de leur bien. Les requérants rappellent que l'objet de leur requête concerne l'absence de paiement de l'indemnité d'expropriation de leur bien à la suite du jugement du tribunal de grande instance d'Antalya du 3 août 1998 annulant leur titre de propriété au profit de la municipalité d'Antalya. Ils expliquent que ce jugement, passé en force de chose jugée, doit être exécuté. Concernant la procédure engagée devant le tribunal du cadastre, ils soutiennent que le jugement du 21 février 2002 ne leur a jamais été notifié.
32. Pour ce qui est de l'exception du Gouvernement tirée du non-respect du délai de six mois. La Cour constate que le jugement du tribunal du cadastre du 21 février 2002 annulant le titre de propriété des requérants et ordonnant son inscription sur le registre foncier au nom du Trésor public est passé en force de chose jugée le 11 avril 2002. Le greffe du tribunal du cadastre a mentionné en bas du jugement qu'une publication de celui-ci avait été effectuée, pour valoir notification, dans un quotidien national le 27 mars 2002. La Cour en déduit que ce jugement n'a jamais été signifié aux requérants. Faute pour le Gouvernement de n'avoir pas prouvé que ce jugement n'a pas pu être notifié directement aux requérants, il convient de rejeter l'exception du Gouvernement.
33. Quant à l'exception du Gouvernement tirée de l'absence de qualité de victime des requérants, ces derniers présentent à la Cour un certificat d'héritier délivré, le 28 mai 1981, par le tribunal d'instance d'Ankara. La Cour note d'ailleurs que les juridictions nationales n'ont pas contesté le fait que les requérants étaient les héritiers de M. Ö.. Cette exception doit donc elle aussi être rejetée.
34. La Cour constate que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
35. Le Gouvernement conteste les allégations des requérants. Il explique que l'action engagée devant le tribunal du cadastre était pendante lorsque la municipalité d'Antalya a décidé d'exproprier, entre autres, le bien enregistré sur le registre foncier au nom de M. Ö..
36. Les requérants réitèrent leur allégations.
37. La Cour note que la particularité de l'affaire réside dans le fait que la municipalité d'Antalya a engagé une action en expropriation du bien appartenant aux requérants, laquelle s'est terminée le 25 janvier 2000 (paragraphe 15 ci-dessus) sans attendre l'issue de l'action engagée devant le tribunal du cadastre concernant la contestation du titre de propriété des requérants, laquelle s'est terminée le 21 février 2002.
38. La Cour rappelle d'abord qu'elle a déjà eu l'occasion de se prononcer sur un grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1 et de conclure à une violation de cette disposition en cas d'expropriation pour cause d'utilité publique sans versement d'une indemnité (Gaganuş et autres précité, § 26). Elle a également conclu à la violation de ce même article dans le cas de l'annulation du titre de propriété d'un bien appartenant à un requérant situé sur le tracé du littoral maritime (N.A. et autres précité, §§ 40-41) ou qui faisait partie de la forêt d'Etat (Turgut et autres précité, §§ 91-92) dans la mesure où les intéressés n'avaient reçu aucune indemnité pour le transfert de leur bien au Trésor public. Quant au niveau de l'indemnisation, la Cour a constaté que, sans le versement d'une somme raisonnable en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constitue d'ordinaire une atteinte excessive qui ne saurait se justifier sur le terrain de l'article 1 du Protocole no 1 (Aka c. Turquie, 23 septembre 1998, § 50, Recueil des arrêts et décisions 1998-VI).
39. En l'espèce, la Cour constate que l'atteinte au droit des requérants au respect de leurs biens s'analyse en une privation de propriété au sens de la seconde phrase du premier alinéa de l'article 1 du Protocole no 1 (Turgut et autres, précité, §§ 86-88, et N.A. et autres, précité, §§ 36-38).
40. La Cour note ensuite que le bien objet de la requête a échu aux requérants par voie de succession. Il ressort par ailleurs des faits qu'à la suite d'une étude menée par le cadastre en 1955, le bien litigieux avait été inscrit sur le registre foncier au nom de Mustafa Özerman, dont les requérants sont les héritiers. Par conséquent, la Cour ne conteste pas la bonne foi des requérants quant à l'acquisition et à la validité du titre de propriété du bien en question inscrit sur le registre foncier à leur nom, jusqu'à l'annulation dudit titre au profit du Trésor public.
41. Par ailleurs, la Cour rappelle que la procédure d'expropriation entamée par la municipalité d'Antalya s'était terminée par l'arrêt de la Cour de cassation du 25 janvier 2000. A cette date, alors que la procédure engagée devant le tribunal du cadastre était pendante, les requérants ont demandé l'exécution d'un jugement passé en force de chose jugée. Le tribunal de grande instance d'Antalya a, conformément à l'article 16 de la loi relative à l'expropriation, ordonné l'expropriation des biens appartenant entre autres aux requérants sans attendre l'issue de la procédure engagée devant le tribunal du cadastre.
42. La Cour note ensuite que les requérants ont été privés de leur bien par une décision de justice. A cet égard, la Cour a déjà dit que, sans le versement d'une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constitue normalement une atteinte excessive, et qu'une absence totale d'indemnisation ne saurait se justifier sur le terrain de l'article 1 du Protocole no 1 que dans des circonstances exceptionnelles (N.A. et autres, précité, § 41 et Turgut et autres, précité § 91, 8 juillet 2008). En l'espèce, les requérants n'ont reçu aucune indemnité pour le transfert de leur bien au Trésor public. La Cour note que le Gouvernement n'a invoqué aucune circonstance exceptionnelle pour justifier l'absence totale d'indemnisation.
43. La Cour estime en conséquence que l'absence de toute indemnisation des requérants rompt, en leur défaveur, le juste équilibre à ménager entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits individuels.
44. Dès lors, il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
45. Les requérants dénoncent l'absence d'un recours effectif devant une instance nationale pour faire valoir leur grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1. Ils invoquent l'article 13 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
46. Le Gouvernement conteste cette thèse.
47. La Cour relève que ce grief est lié à celui examiné ci-dessus et doit donc aussi être déclaré recevable.
48. Toutefois, eu égard au constat relatif à l'article 1 du Protocole no 1 (paragraphes 42-44 ci-dessus), la Cour estime qu'il n'y a pas lieu d'examiner séparément s'il y a eu, en l'espèce, violation de l'article 13 de la Convention (Gaganuş et autres précité, § 32).
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
49. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
50. Les requérants réclament au titre du préjudice matériel 9 300 000 euros (EUR) pour la perte de leur bien et 7 500 000 EUR en raison du manque à gagner. Ils réclament également, chacun, 10 000 EUR pour le dommage moral qu'ils auraient subi.
51. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
52. En l'occurrence, la Cour constate que c'est l'absence d'une indemnité adéquate et non l'illégalité intrinsèque de l'annulation du titre de propriété des requérants qui a été à l'origine de la violation constatée sous l'angle de l'article 1 du Protocole no 1 (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 255 et suivants, CEDH 2006-V et N.A. et autres c. Turquie (satisfaction équitable), no 37451/97, §§ 17-19, 9 janvier 2007).
Compte tenu de ce constat, des informations dont elle dispose ainsi que de la superficie du bien en cause (paragraphe 5 ci-dessus) et statuant en équité, la Cour estime raisonnable d'allouer aux requérants, conjointement, la somme de 170 000 EUR pour dommage matériel.
53. Dans les circonstances de l'espèce, la Cour estime que le constat d'une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par les requérants.
54. Les requérants ne demandent pas de frais et dépens. Partant, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu de leur octroyer de somme à ce titre.
55. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 de la Convention ;
3. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner séparément le grief tiré de l'article 13 de la Convention ;
4. Dit que le constat d'une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par les requérants ;
5. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser aux requérants, conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 170 000 EUR (cent soixante-dix mille euros), somme à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage matériel ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 octobre 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Sally Dollé Françoise Tulkens
Greffière Présidente