TROISI?ME SECTION
AFFAIRE OOO SK STROYKOMPLEKS ET AUTRES c. RUSSIE
(Requ?tes nos 7896/15 et 48168/17)
ARR?T
Art 1 P1 ? Re?glementer l?usage des biens ? R?tention ill?gale de biens des soci?t?s requ?rantes saisis dans le cadre de la proc?dure p?nale contre leur actionnaire majoritaire, sans jamais ?tre qualifi?s de preuves mat?rielles ? Absence de justification au maintien disproportionn? des saisies de la quasi?totalit? des biens de soci?t?s tierces ? la proc?dure p?nale contre l?actionnaire majoritaire
STRASBOURG
17 d?cembre 2019
D?FINITIF
17/04/2020
Cet arr?t est devenu d?finitif en vertu de l?article 44 ? 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l?affaire OOO SK Stroykompleks et autres c. Russie,
La Cour europ?enne des droits de l?homme (troisi?me section), si?geant en une Chambre compos?e de :
Paul Lemmens, pr?sident,
Georgios A. Serghides,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller,
Dmitry Dedov,
Mar?a El?segui,
Erik Wennerstr?m, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,
Apr?s en avoir d?lib?r? en chambre du conseil le 26 novembre 2019,
Rend l?arr?t que voici, adopt? ? cette date :
PROC?DURE
1. ? l?origine de l?affaire se trouvent deux requ?tes (nos 7896/15 et 48168/17) dirig?es contre la F?d?ration de Russie. Les requ?rantes (voir la liste en annexe) ont saisi la Cour les 31 janvier 2015 et 1er juillet 2017 respectivement en vertu de l?article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l?homme et des libert?s fondamentales (? la Convention ?).
2. Les requ?rantes ont ?t? repr?sent?es par Mme Visentin, juriste ? Lainate (Italie). Le gouvernement russe (? le Gouvernement ?) a ?t? repr?sent? par M. M. Galperine, repr?sentant de la F?d?ration de Russie aupr?s de la Cour europ?enne des droits de l?homme.
3. Les requ?rantes all?guaient en particulier que les saisies prolong?es de leurs biens, la r?tention continue par les autorit?s de certains objets, ainsi que l?absence de tout recours effectif pour s?opposer ? ces mesures ont viol? leurs droits garantis par l?article 1 du Protocole no 1 ? la Convention et par les articles 6 ? 1 et 13 de la Convention.
4. Le 25 mai 2018, les griefs relatifs au droit au respect des biens, au droit ? l?ex?cution de d?cisions judiciaires dans un d?lai raisonnable et au droit ? un recours effectif ont ?t? communiqu?s au Gouvernement et les requ?tes ont ?t? d?clar?es irrecevables pour le surplus conform?ment ? l?article 54 ? 3 du r?glement de la Cour.
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L?ESP?CE
La gen?se de l?affaire
5. La premi?re requ?rante dans la requ?te no 48168/17, Mme Shapiro, est l?associ?e unique ou majoritaire des 19 soci?t?s requ?rantes ? soci?t?s ? responsabilit? limit?e (voir les informations concernant toutes les requ?rantes en annexe).
6. En mai 2006, plusieurs poursuites p?nales furent diligent?es contre plusieurs personnes pour escroquerie aggrav?e, d?tournement de fonds aggrav? et abus de pouvoir aggrav?, commis en r?union dans la r?gion autonome de Iamalo-Nenets.
7. ? une date non pr?cis?e dans le dossier, Mme Shapiro quitta la Russie et s?installa en Isra?l. Le 27 avril 2007, elle fut mise en examen in absentia pour escroquerie aggrav?e, d?tournement de fonds aggrav? et complicit? dans la commission de d?tournement de fonds aggrav? et d?abus de fonctions pour un montant total de pr?s de 125 millions de roubles (RUB).
8. Dans le cadre de l?enqu?te, plusieurs mesures d?instruction furent effectu?es, dont des perquisitions et des saisies de documents et d?objets dans les locaux des soci?t?s requ?rantes OOO SK Stroykompleks et OOO Signal (requ?te no 7896/15) ainsi que des saisies de biens appartenant ? toutes les requ?rantes (requ?te no 48168/17).
9. L?enqu?te p?nale contre Mme Shapiro est actuellement suspendue en raison de la fuite de celle-ci et d?autres personnes mises en examen.
Les faits se rapportant ? la requ?te no 7896/15 introduite par les soci?t?s OOO SK Stroykompleks et OOO Signal
Les perquisitions et les saisies des biens des soci?t?s requ?rantes
10. Les 12 et 16 mai 2006, des perquisitions furent men?es dans les locaux des soci?t?s requ?rantes. Plusieurs objets furent saisis (??????) dont des documents, des unit?s centrales d?ordinateurs et d?autres supports ?lectroniques.
11. Par des d?cisions rendues le 30 mai et le 14 juillet 2006, le tribunal de la ville de Salekhard (r?gion autonome de Iamalo-Nenets) (? le tribunal de Salekhard ?) rejeta les recours des soci?t?s requ?rantes tendant ? contester les perquisitions et les saisies des objets et documents pr?cit?s.
12. Le 4 juillet 2006, l?enqu?teur charg? de l?affaire p?nale examina (????????) les unit?s centrales d?ordinateurs saisies mais il ne prit aucune d?cision concernant le statut de celles-ci et ne d?clara pas qu?il s?agissait de preuves ? charge.
Les tentatives de restitution des biens saisis
13. Le 6 novembre 2012, les soci?t?s requ?rantes demand?rent ? l?enqu?teur, inter alia, de leur restituer les unit?s centrales en question. En r?ponse, l?enqu?teur leur proposa de copier les informations stock?es sur ces unit?s centrales. Face ? ce refus implicite de l?enqu?teur de leur rendre leurs biens, les requ?rantes form?rent un recours en justice fond? sur l?article 125 du code de proc?dure p?nale (CPP) (paragraphes 59-61 ci?dessus).
14. Le 21 mars 2014, le tribunal de Salekhard accueillit le recours form? par les soci?t?s requ?rantes. Il estima que tous les objets saisis avaient ?t? d?clar?s comme ?tant des preuves dans l?affaire p?nale. Se r?f?rant ? l?article 82 ? 2 (5) b) du CPP (paragraphe 51 ci-dessous), il jugea que la r?tention prolong?e des supports ?lectroniques et des originaux de certains documents par les autorit?s de poursuite n?avait aucun fondement et qu?il n?existait aucun obstacle ? la restitution de ceux-ci. Le tribunal consid?ra que la r?tention ?tait excessive et injustifi?e, que l?absence de toute d?cision de l?enqu?teur en r?ponse ? la demande des requ?rantes du 6 novembre 2012 ?tait ill?gale, et il enjoignit ? ce dernier de redresser les violations du CPP constat?es en l?esp?ce (????????? ?????????? ?????????).
15. Le 2 juin 2014, la cour de Iamalo-Nenets modifia en appel la d?cision 21 mars 2014. Elle constata que, contrairement ? ce qu?avait jug? le tribunal de Salekhard, les supports ?lectroniques et certains documents saisis n?avaient jamais ?t? qualifi?s de preuves dans l?affaire p?nale. Aucune d?cision formelle ne fut rendue concernant la demande de restitution des unit?s centrales d?ordinateurs.
16. Le 1er ao?t 2014, un juge unique de la cour de Iamalo-Nenets refusa de soumettre le pourvoi en cassation des soci?t?s requ?rantes ? l?examen du pr?sidium de la m?me cour. Il observa que les int?ress?es pouvaient faire des copies des documents dont elles estimaient avoir besoin.
17. Faute de restitution des unit?s centrales et de certains documents, les soci?t?s requ?rantes saisirent la justice d?un nouveau recours fond? sur l?article 125 du CPP.
18. Par une d?cision du 29 octobre 2014, le tribunal de Salekhard constata que l?enqu?teur avait omis de prendre une d?cision concernant le sort des objets qui n??taient pas qualifi?s de preuves dans l?affaire p?nale, et il jugea que cette omission ?tait ill?gale et injustifi?e (?????????? ? ??????????????). Le m?me jour, il rendit une ordonnance particuli?re (??????? ?????????????) en attirant l?attention du comit? d?instruction sur les violations de la loi proc?durale ? l?occasion de l?inex?cution par l?enqu?teur des d?cisions judiciaires rendues en application de l?article 125 du CPP (voir les d?tails dans le paragraphe 32 ci-dessous).
19. Il appara?t que, ? la date des observations des parties, en 2019, les autorit?s de poursuite n?ont pris aucune d?cision formelle sur le sort des unit?s centrales en cause.
Les faits se rapportant ? la requ?te no 48168/17 introduite par Mme Shapiro et 19 soci?t?s
Les saisies des biens des requ?rantes ordonn?es en 2007 et 2010
20. ? une date non pr?cis?e dans le dossier, l?enqu?teur demanda au tribunal de Salekhard d?autoriser les saisies de tous les biens immeubles, v?hicules et avoirs bancaires connus des requ?rantes.
21. Par une ordonnance du 2 mai 2007, le tribunal de Salekhard autorisa la saisie demand?e. Il nota que Mme Shapiro ?tait l?associ?e unique des 19 soci?t?s et la consid?ra de ce fait comme la seule propri?taire des biens qui auraient ?t? acquis au moyen d?activit?s criminelles. L?ordonnance ne pr?cisait pas quelles restrictions au droit de propri?t? d?coulaient de la saisie.
22. Le 23 ao?t 2007, la cour de Iamalo-Nenets confirma cette ordonnance en cassation. Elle fit siennes les conclusions du tribunal et rajouta que l?ordonnance de saisie ne faisait pas obstacle en soi ? une mainlev?e ult?rieure de la saisie, conform?ment ? l?article 115 ? 9 du CPP (paragraphe 54 ci-dessous).
23. Par cinq ordonnances des 30 mars, 12 avril et 29 avril 2010, le tribunal du district Basmanny (ville de Moscou) ordonna la saisie des avoirs bancaires existants et futurs des soci?t?s OOO Rosa, OOO Spetsavtomatika, OOO Plyus-S, OOO Sever, OOO Stroitel-3, OOO Stil-S, OOO SK Stroykompleks, OOO Laska-S, OOO Saturn-S, OOO Alfa-S, OOO Plyus et OOO Stroymontazhproyekt. La saisie consistait en une interdiction de disposer des avoirs.
24. Le tribunal tint compte de l?argument de l?enqu?teur selon lequel les soci?t?s requ?rantes, dirig?es par Mme Shapiro, continuaient ? exercer des activit?s commerciales de mise en location des locaux saisis et ? encaisser des loyers.
Les 9 et 11 ao?t 2010, la cour de la ville de Moscou rejeta en cassation les recours contre les ordonnances de saisie des avoirs bancaires.
Les tentatives d?obtention des mainlev?es des saisies
a) Les demandes de mainlev?e et les recours fond?s sur l?article 125 du CPP exerc?s par les soci?t?s requ?rantes
25. Le 17 d?cembre 2012, les soci?t?s requ?rantes demand?rent ? l?enqu?teur de lever les saisies de leurs biens, en application de l?article 115 ? 9 du CPP.
26. Par deux d?cisions du 19 d?cembre 2012, l?enqu?teur rejeta cette demande. Les motifs du rejet ?taient les suivants : les saisies ?taient destin?es ? garantir l?ex?cution d?une future confiscation des biens de Mme Shapiro en tant que sanction p?nale ; le CPP ne pr?voyait pas de d?lai pour une saisie et celle-ci pouvait ?tre maintenue m?me en cas de suspension de l?enqu?te ; la dur?e de l?enqu?te p?nale et sa suspension r?sultaient directement de la fuite de Mme Shapiro ; le CPP n?imposait ni une limitation de la valeur des biens saisissables ni une appr?ciation par un expert de la valeur de tels biens ; les biens saisis subissaient une d?pr?ciation ind?pendamment du fait de leur saisie, simplement par l?effet du passage du temps.
27. Les soci?t?s requ?rantes contest?rent ces d?cisions par la voie du recours fond? sur l?article 125 du CPP. Le 23 avril 2014, le tribunal de Salekhard, se r?f?rant ? l?arr?t de la Cour constitutionnelle du 31 janvier 2011 (paragraphe 55 ci-dessous), accueillit leur recours. Le tribunal nota qu?aucune action civile n?avait ?t? form?e en l?esp?ce et que la sanction de confiscation n?avait ?t? introduite dans le code p?nal qu?en 2006 alors que les infractions reproch?es ? Mme Shapiro avaient ?t? commises entre 2002 et 2004. Il estima que la saisie de la totalit? des biens n??tait pas proportionn?e au pr?judice all?gu?. Il conclut qu?il n?y avait plus de raisons de maintenir cette mesure (?????????? ????????? ??? ?????????? ????? ????). Il d?clara que les d?cisions de l?enqu?teur ?taient ill?gales et injustifi?es et lui enjoignit de redresser les violations du CPP constat?es en l?esp?ce.
28. Le 30 juin 2014, la cour de Iamalo-Nenets rejeta l?appel du procureur contre la d?cision du tribunal de Salekhard. Elle fit siennes les conclusions du tribunal et ajouta que le mandat d?arr?t d?livr? ? l??gard de Mme Shapiro ne pouvait pas justifier le maintien prolong? des saisies, d?autant plus que les biens des soci?t?s requ?rantes n?appartenaient pas ? Mme Shapiro.
29. Le 14 juillet 2014, l?enqu?teur r?examina les demandes de mainlev?e des requ?rantes et rendit une nouvelle d?cision de refus ? l??gard des soci?t?s OOO Rosa, OOO Signal, OOO Soyuz, OOO Spetsavtomatika et OOO Spetsservis seulement, pour les m?mes motifs que ceux expos?s pr?c?demment.
30. ? une date non pr?cis?e dans le dossier, toutes les soci?t?s requ?rantes form?rent un nouveau recours pr?vu par l?article 125 du CPP. Dans ce recours, elles se plaignaient d?une inex?cution persistante par l?enqu?teur des d?cisions judiciaires du 21 mars 2014 (paragraphe 14 ci?dessus) et du 23 avril 2014 (paragraphe 27 ci-dessus).
31. Par une d?cision du 29 octobre 2014, le tribunal de Salekhard accueillit partiellement le recours en consid?rant d?embl?e que ? si une d?cision de justice rendue en application de l?article 125 du CPP rest[ait] inex?cut?e par les autorit?s de poursuite, le plaignant [pouvait] former un recours contre ce manquement ?. Il estima que l?enqu?teur avait manqu? ? son obligation d?ex?cuter la d?cision du 23 avril 2014 dans laquelle il avait ?t? clairement conclu ? l?absence de raisons pour maintenir les saisies, et que le r?examen par l?enqu?teur de cette conclusion du tribunal ?tait inadmissible. Le tribunal de Salekhard observa aussi que, dans la d?cision du 14 juillet 2014 (paragraphe 29 ci-dessus), l?enqu?teur n?avait pris aucune d?cision quant aux demandes des 14 autres soci?t?s.
Il enjoignit ? l?enqu?teur de rem?dier ? toutes ces d?faillances.
32. Le m?me jour, le tribunal de Salekhard rendit une ordonnance particuli?re (??????? ?????????????) ? l?attention du comit? d?instruction. Dans cette ordonnance, il releva que l?enqu?teur avait pass? outre l?obligation qui lui avait ?t? impos?e par le tribunal de rem?dier aux d?faillances constat?es, ce qui ?tait inadmissible, et que l?enqu?teur n?avait toujours pas ex?cut? les d?cisions judiciaires des 21 mars et 23 avril 2014.
33. Le 22 janvier 2015, l?enqu?teur rejeta une nouvelle fois la demande des soci?t?s requ?rantes de mainlev?e des saisies, pour les m?mes motifs que ceux avanc?s pr?c?demment. Il consid?ra que la mainlev?e des saisies entra?nerait in?vitablement la disparition des biens.
34. Par les d?cisions des 9 et 12 f?vrier 2017, l?enqu?teur rejeta, toujours pour les m?mes motifs, deux nouvelles demandes de la soci?t? OOO Stroymontazhproekt de lever la saisie de ses biens.
35. Par deux lettres adress?es aux soci?t?s requ?rantes les 25 juin et 7 ao?t 2018, l?enqu?teur informa celles-ci que les saisies de leurs biens n?avaient pas ?t? lev?es ? faute de fondements l?gaux ? ? cela (????? ?????????? ???????? ?????????).
b) Les demandes de mainlev?e et les recours fond?s sur l?article 125 du CPP exerc?s par Mme Shapiro
36. Le 17 octobre 2012, Mme Shapiro demanda ? l?enqu?teur de lever la saisie de ses biens. Par une d?cision du 19 octobre 2012, celui-ci rejeta la demande de l?int?ress?e pour des motifs similaires ? ceux expos?s dans les d?cisions du 19 d?cembre 2012 (paragraphe 26 ci-dessus). Mme Shapiro contesta cette d?cision par la voie du recours fond? sur l?article 125 du CPP.
37. Le 14 f?vrier 2014, le tribunal de Salekhard accueillit son recours. Il nota que les infractions imput?es ? Mme Shapiro n??taient pas passibles, ? l??poque de leur commission, de confiscation comme sanction p?nale, qu?aucune action civile n?avait ?t? form?e, et que la valeur totale des biens saisis d?passait plusieurs fois le montant du pr?judice all?gu?. Le tribunal conclut que le maintien de la saisie n??tait plus pertinent (??????? ???? ????????????) et qu?il faisait supporter ? la plaignante une charge injustifi?e (?????????????? ?????) sans lien avec les besoins r?els de l?enqu?te. Par cons?quent, le tribunal de Salekhard jugea que la d?cision de l?enqu?teur ?tait ill?gale et injustifi?e et lui enjoignit de rem?dier aux d?faillances constat?es.
38. Le 17 avril 2014, la cour de Iamalo-Nenets rejeta l?appel du procureur contre cette d?cision. Elle souligna que l?absence d?indication dans le CPP de d?lais pour la saisie des biens de la personne mise en examen ne permettait pas de maintenir une telle saisie ind?finiment.
39. Le 14 juillet 2014, l?enqu?teur refusa une nouvelle fois de lever la saisie des biens de Mme Shapiro pour les m?mes motifs que ceux expos?s pr?c?demment. Il ajouta que les infractions imput?es ? l?int?ress?e ?taient passibles d?une amende. Mme Shapiro forma un nouveau recours contre cette d?cision.
40. Le 27 octobre 2014, le tribunal de Salekhard accueillit le recours et d?clara que la d?cision de l?enqu?teur ?tait ill?gale et injustifi?e. Il constata qu?une action civile avait ?t? form?e pour un montant de pr?s de 4 millions de RUB, ce qui ?tait largement inf?rieur ? la valeur des biens saisis, et il estima que le maintien de la saisie avait perdu sa pertinence.
41. Par des d?cisions du 31 d?cembre 2014 et du 27 ao?t 2016, l?enqu?teur rejeta, toujours pour les m?mes motifs, deux nouvelles demandes de Mme Shapiro visant ? obtenir la lev?e de la saisie de ses biens.
c) Le recours fond? sur l?article 115.1 du CPP exerc? par Mme Shapiro
42. ? une date non pr?cis?e dans le dossier, Mme Shapiro adressa au tribunal de Salekhard une demande, en application des articles 115 ? 9 et 115.1 du CPP (paragraphes 54 et 58 ci-dessous), de lev?e des saisies de ses biens et de ceux des soci?t?s requ?rantes ou d?assortir ces saisies d?un d?lai.
43. Par une d?cision du 31 mars 2016, le tribunal rejeta la demande sans examen au motif que seul l?enqu?teur, en tant ? [qu?]autorit? charg?e de l?affaire ? ?tait comp?tent pour statuer sur celle-ci.
44. Le 30 mai 2016, la cour de Iamalo-Nenets confirma cette d?cision en appel. Elle ajouta que le tribunal ne pourrait ordonner la mainlev?e d?une saisie en application de l?article 115.1 du CPP que lorsqu?il examinerait une demande de l?enqu?teur visant ? prolonger le d?lai d?une telle saisie, et que la requ?rante pourrait adresser ? l?enqu?teur une nouvelle demande de mainlev?e et contester en justice, le cas ?ch?ant, la d?cision de refus.
45. Mme Shapiro se pourvut en cassation en indiquant, inter alia, que, en l?absence d?une demande de l?enqu?teur au tribunal visant ? fixer un d?lai pour les saisies, elle avait d? saisir la justice directement. Le 24 ao?t 2016, un juge unique de la cour de Iamalo-Nenets refusa de transmettre le pourvoi en cassation pour examen au pr?sidium de la m?me juridiction. Il fit siennes les conclusions du tribunal de Salekhard et de la cour de Iamalo-Nenets et ajouta que l?article 115.1 du CPP s?appliquait seulement aux demandes des personnes tierces ? une proc?dure p?nale, ce qui n??tait pas le cas de Mme Shapiro.
L?action en indemnisation pour inex?cution prolong?e de la d?cision de justice
46. ? une date non pr?cis?e dans le dossier, les soci?t?s requ?rantes form?rent un recours en justice en application de la loi sur l?indemnisation telle que modifi?e ? compter du 1er janvier 2017 (paragraphe 64 ci-dessous). Se plaignant d?une violation de leur droit ? l?ex?cution dans un d?lai raisonnable de la d?cision du 23 avril 2014 rendue par le tribunal de Salekhard (paragraphe 27 ci-dessus), elles demandaient une indemnisation. Les soci?t?s requ?rantes indiquaient, en particulier, qu?elles mettaient en location la plupart des immeubles saisis et que le maintien des saisies avait un impact n?gatif sur leur r?putation professionnelle et rendait difficile la gestion de leurs affaires.
47. Par une d?cision du 28 juin 2017, le tribunal de Salekhard rejeta la demande sans examen. D?une part, il estima que la loi f?d?rale pr?cit?e n?avait pas de port?e r?troactive. D?autre part, il consid?ra que les tribunaux statuant en application de l?article 125 du CPP n??taient pas comp?tents pour ordonner la mainlev?e d?une saisie et que la d?cision du 23 avril 2014 n?imposait pas ? l?enqu?teur de lever les saisies mais lui enjoignait seulement de rem?dier aux d?faillances constat?es.
48. Par une d?cision du 3 ao?t 2017 envoy?e aux soci?t?s requ?rantes le 9 ao?t 2017, la cour de Iamalo-Nenets rejeta l?appel de celles-ci contre la d?cision du 28 juin 2017. Le 17 janvier 2018, un juge unique de la cour de Iamalo-Nenets refusa de transmettre le pourvoi en cassation des soci?t?s requ?rantes pour examen par le pr?sidium de la m?me juridiction.
LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Sur le r?gime juridique des biens saisis (???????) comme preuves mat?rielles dans une affaire p?nale
49. Selon l?article 81 ? 4 du CPP, les objets et documents saisis par les autorit?s de poursuite dans le cadre d?une enqu?te p?nale mais non qualifi?s de preuves mat?rielles doivent ?tre restitu?s aux personnes ? qui ils ont ?t? saisis. Depuis le 10 ao?t 2012, cet article est compl?t? par une mention selon laquelle la restitution doit ?tre faite en tenant compte de l?exigence de d?lai raisonnable de la proc?dure p?nale.
50. Le 15 juillet 2016, le nouvel article 81.1 a ?t? introduit dans le CPP. Cet article r?glemente le r?gime juridique des objets ? y compris les supports ?lectroniques – et documents saisis dans le cadre d?une enqu?te concernant les infractions de nature ?conomique (dont l?escroquerie et le d?tournement de fonds). Selon cet article, les objets et documents saisis doivent ?tre qualifi?s de preuves mat?rielles dans un d?lai maximal de dix jours ? compter de leur saisie. Ce d?lai peut ?tre prolong? pour 30 jours dans certaines circonstances exceptionnelles. Les objets et documents qui ne sont pas qualifi?s de preuves mat?rielles doivent ?tre restitu?s dans un d?lai maximal de cinq jours ? compter du moment o? d?autres objets et documents ont ?t? qualifi?s de preuves.
51. Selon l?article 82 ? 2 (5) du CPP, en vigueur ? compter du 10 ao?t 2012, les supports ?lectroniques qui sont des preuves mat?rielles dans le cadre d?une affaire p?nale doivent ?tre restitu?s ? leur possesseur l?gitime apr?s avoir ?t? examin?s et apr?s avoir fait l?objet des autres mesures d?instruction n?cessaires, si cette restitution est possible sans porter pr?judice aux int?r?ts de l?enqu?te p?nale.
52. Dans sa d?cision du 11 janvier 2018 no 1-P, la Cour constitutionnelle s?est prononc?e sur la port?e des articles 81.1 et 82 du CPP. Elle a indiqu? que, lorsque, dans le cadre d?une enqu?te p?nale concernant des infractions de nature ?conomique, les autorit?s de poursuite saisissent des biens appartenant ? des personnes tierces utilis?s dans le cadre des activit?s professionnelles de celles-ci, apr?s avoir conduit les mesures d?instruction n?cessaires relatives ? ces biens, les autorit?s doivent aussit?t les restituer ? leur propri?taire ou possesseur pour conservation (??????????????? ???????????? ???????????? ??? ????????? ?? ????????????? ????????), si cela est possible sans porter pr?judice aux int?r?ts de l?enqu?te p?nale.
Sur les saisies (??????) des biens dans le cadre d?une affaire p?nale
53. L?article 115 du CPP r?glemente la mesure de saisie des biens dans le cadre d?une proc?dure p?nale. Selon cet article, la saisie peut ?tre op?r?e pour assurer l?ex?cution d?un jugement de condamnation dans sa partie concernant l?action civile, l?imposition d?une amende, ou encore la confiscation des biens.
54. L?article 115 ? 9 du CPP dispose que, lorsqu?une saisie n?est plus n?cessaire, elle est lev?e par une autorit? charg?e de l?affaire p?nale.
55. Dans son arr?t no 1-P du 31 janvier 2011, la Cour constitutionnelle a d?clar? inconstitutionnelles certaines dispositions de l?article 115 du CPP au motif qu?elles ne pr?voyaient pas de recours effectif pour les propri?taires d?poss?d?s de leurs biens en cas de suspension d?une enqu?te p?nale pour cause de fuite de l?inculp?.
56. Dans son arr?t no 25-P du 21 octobre 2014, la Cour constitutionnelle a d?clar? inconstitutionnelles certaines dispositions de l?article 115 du CPP en ce que cette norme ne pr?voyait pas de ? m?canisme l?gal appropri? ? pour la ? protection judiciaire effective ? des droits des tiers dont le droit de propri?t? avait ?t? affect? par l?application prolong?e d?une mesure de saisie. Elle a estim? en particulier que la mesure de saisie, par sa nature m?me, devait ?tre temporaire et ?tre assortie de garanties proc?durales, et que le maintien de la saisie devait ?tre assorti d?un contr?le judiciaire effectif.
57. En application de ces deux arr?ts, le 15 septembre 2015, certaines dispositions du CPP ont ?t? modifi?es. En particulier, l?article 115 du CPP pr?voit d?sormais que, lors de la r?alisation d?une saisie, un proc?s-verbal doit ?tre dress? et mentionner que la personne d?poss?d?e a la possibilit? de former un recours contre l?ordonnance de saisie, de demander une modification des restrictions ? la propri?t? ou de solliciter la mainlev?e de la mesure. En outre, d?sormais, le tribunal autorisant la saisie des biens des personnes tierces doit fixer un d?lai de validit? de la mesure (article 115 ? 3 du CPP). ? l?expiration du d?lai, si le tribunal n?autorise pas une prolongation de celui-ci, la saisie est lev?e (article 115 ? 9 du CPP).
58. Le nouvel article 115.1 du CPP, en vigueur ? compter du 15 septembre 2015, d?crit les modalit?s de l?autorisation judiciaire de prolongation du d?lai de saisie des biens des personnes tierces ? la proc?dure p?nale (voir, pour plus de d?tails, Lachikhina c. Russie (no 38783/07, ?? 36-39, 10 octobre 2017)). Dans sa d?cision no 1182-O du 23 juin 2016, la Cour constitutionnelle a estim? que les dispositions des articles 115 et 115.1 du CPP n?exon?raient pas le tribunal de l?obligation de statuer sur le fond des demandes ?manant des personnes tierces tendant ? la mainlev?e de la saisie de leurs biens.
Sur le recours pr?vu par l?article 125 du code de proc?dure p?nale
59. Les dispositions pertinentes en l?esp?ce de l?article 125 du CPP relatif au contr?le juridictionnel des d?cisions et des actes ou omissions d?un enqu?teur ou d?un procureur sont expos?es dans l?arr?t Roman Zakharov c. Russie [GC] (no 47143/06, ?? 89?91, CEDH 2015).
60. Le 10 f?vrier 2009, le pl?num de la Cour supr?me a rendu son arr?t no 1 relatif ? la port?e de l?article 125 du CPP. Dans cet arr?t, la Cour supr?me a d?clar? que, lorsque le tribunal constate le caract?re ill?gal ou injustifi? d?une d?cision, d?un acte ou d?une omission d?un enqu?teur, il lui enjoint de rem?dier ? la d?faillance constat?e (????????? ?????????? ?????????).
61. Dans ce m?me arr?t, la Cour supr?me a ?galement jug? que, si les autorit?s de poursuite n?ex?cutaient pas une d?cision judiciaire d?finitive rendue en application de l?article 125 du CPP, le justiciable pouvait former contre cette inaction un nouveau recours fond? sur l?article 125 du CPP. Dans ce dernier cas, la Cour supr?me a sugg?r? aux tribunaux de rendre une ordonnance particuli?re, conform?ment ? l?article 29 ? 4 du CPP (paragraphe 62 ci-dessous), en attirant l?attention des fonctionnaires sur les violations de la loi n?cessitant la prise de mesures appropri?es par ces derniers.
D?autres dispositions pertinentes
62. Selon l?article 29 ? 4 du CPP, lorsque, dans le cadre de l?examen d?une affaire p?nale, le tribunal d?couvre, entre autres, des violations de la loi commises par les autorit?s de poursuite, il peut rendre une ordonnance particuli?re (??????? ???????????) en attirant l?attention des fonctionnaires et entit?s comp?tents sur ces violations n?cessitant la prise de mesures appropri?es. Si le tribunal l?estime n?cessaire, il peut ?galement rendre une ordonnance particuli?re dans d?autres cas.
63. Le 15 septembre 2015, la loi f?d?rale no 68-FZ (? la loi sur l?indemnisation ?) a ?t? modifi?e. Depuis cette date, en cas de violation du d?lai raisonnable d?application d?une mesure de saisie des biens de personnes tierces ? une proc?dure p?nale, ces personnes peuvent former une action en indemnisation pour violation du droit ? un d?lai raisonnable, ? condition que la saisie soit maintenue depuis plus de quatre ans.
64. Le 1er janvier 2017, la loi sur l?indemnisation a encore ?t? modifi?e. D?sormais, elle contient des dispositions qui ?tendent sa port?e aux affaires relatives ? la non-ex?cution de jugements internes imposant des obligations en nature ? diverses autorit?s nationales (voir, pour plus de d?tails, Shtolts et autres c. Russie (d?c.), nos 77056/14, 17236/15 et 14023/16, ?? 26 et 31-41, 31 janvier 2018).
EN DROIT
SUR LA JONCTION DES REQU?TES
65. Compte tenu de la similitude des requ?tes, la Cour estime appropri? de les examiner conjointement en un seul arr?t.
SUR LA VIOLATION ALL?GU?E DE L?ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 ? LA CONVENTION
66. Les requ?rantes all?guent que les mesures de saisies de leurs biens, en place depuis plusieurs ann?es, et la r?tention de certains objets par les autorit?s ont viol? leur droit au respect de leurs biens pr?vu par l?article 1 du Protocole no 1 ? la Convention. Cet article est ainsi libell? :
? Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut ?tre priv? de sa propri?t? que pour cause d?utilit? publique et dans les conditions pr?vues par la loi et les principes g?n?raux du droit international.
Les dispositions pr?c?dentes ne portent pas atteinte au droit que poss?dent les ?tats de mettre en vigueur les lois qu?ils jugent n?cessaires pour r?glementer l?usage des biens conform?ment ? l?int?r?t g?n?ral ou pour assurer le paiement des imp?ts ou d?autres contributions ou des amendes. ?
Sur la recevabilit?
Th?ses des parties
67. Le Gouvernement estime que la requ?te no 48168/17 est tardive car elle a ?t? introduite le 1er juillet 2017, soit plus de six mois apr?s la derni?re d?cision d?finitive dans l?affaire ? ses yeux, ? savoir la d?cision du 29 octobre 2014 du tribunal de Salekhard (paragraphe 31 ci-dessus). Selon le Gouvernement, les requ?rantes qui se plaignent d?une inex?cution de cette d?cision auraient d? saisir la Cour dans un ? d?lai raisonnable ? et non deux ans et sept mois apr?s le prononc? de ladite d?cision.
68. Les requ?rantes combattent cette th?se. Elles estiment que les saisies prolong?es de leurs biens et le manquement persistant des enqu?teurs ? ex?cuter les d?cisions judiciaires s?analysent en une ? situation continue ? au sens de la Convention. Elles soutiennent que, au lieu de lever les saisies et de restituer les biens, comme cela leur aurait ?t? ordonn? par les tribunaux, les enqu?teurs ont de nouveau rejet? leurs demandes en ce sens et leur ont implicitement sugg?r? d?entamer de nouveaux recours fond?s sur l?article 125 du CPP. Or, aux yeux des requ?rantes, dans ces circonstances, ces nouveaux recours auraient ?t? sans effet.
69. Les requ?rantes indiquent par ailleurs avoir tent? d?exercer une action en indemnisation pour violation de leur droit ? l?ex?cution des d?cisions dans un d?lai raisonnable, conform?ment ? la loi sur l?indemnisation telle que modifi?e le 1er janvier 2017 (paragraphe 64 ci?dessus). Elles disent qu?elles ont introduit leur requ?te dans les six mois ? compter de cette date et ont fourni ? la Cour les r?sultats de l?examen de leur action dans les six mois ? compter de la derni?re d?cision rendue sur leur action en indemnisation.
Appr?ciation de la Cour
70. Rappelant que le respect du d?lai de six mois constitue une condition de recevabilit? ? soulever, le cas ?ch?ant, d?office, la Cour analysera cette question pour les deux pr?sentes requ?tes.
71. La Cour observe que les unit?s centrales d?ordinateurs ont ?t? saisies en 2006 et les saisies des autres biens des requ?rantes ont ?t? ordonn?es en 2007 et 2010, donc plusieurs ann?es avant l?introduction des requ?tes. Elle constate que les biens pr?cit?s sont toujours saisis.
72. La Cour consid?re que la saisie en tant que telle constitue un acte instantan? (Delev c. Bulgarie (d?c.), no 1116/03, ? 34, 13 novembre 2013, avec les r?f?rences qui y sont cit?es). Ainsi, pour autant que les griefs concernent la r?alisation des saisies (???????) et les ordonnances de saisie des biens (??????), y compris la l?galit? de ces mesures, elle estime que les griefs sont tardifs (voir, mutatis mutandis, Forminster Enterprises Limited c. R?publique tch?que, no 38238/04, ? 71, 9 octobre 2008) et qu?ils doivent ?tre rejet?s, en application de l?article 35 ? 1 de la Convention.
73. La Cour estime, en revanche, que la r?tention persistante des objets saisis par les autorit?s et le maintien des saisies s?analysent en une situation continue (voir, dans le contexte de la comp?tence ratione temporis de la Cour, Vasilescu c. Roumanie, 22 mai 1998, ? 48, Recueil des arr?ts et d?cisions 1998?III, et Karamitrov et autres c. Bulgarie, no 53321/99, ? 71, 10 janvier 2008 ; dans le contexte d?un conflit politique rendant impossible l?acc?s des requ?rants ? leurs biens, Sargsyan c. Azerba?djan (d?c.) [GC], no 40167/06, ?? 136-140, 14 d?cembre 2011, et Chiragov et autres c. Arm?nie (d?c.) [GC], no 13216/05, ?? 137-141, 14 d?cembre 2011 ; voir ?galement Delev, d?cision pr?cit?e, ? 34, et, r?cemment, Uzan et autres c. Turquie, no 19620/05 et 3 autres, ?? 178-179, 5 mars 2019 ; voir ?galement, mutatis mutandis, Petyo Petkov c. Bulgarie, no 32130/03, 7 janvier 2010, une affaire dans laquelle les autorit?s avaient saisi la voiture du requ?rant en f?vrier 2002, le procureur avait rejet? la demande de restitution formul?e par le requ?rant en d?cembre 2002 et la requ?te avait ?t? introduite en septembre 2003, et dans laquelle la Cour a implicitement admis que celle-ci n??tait pas tardive).
En effet, les saisies ?tant cens?es ?tre des mesures temporaires, les requ?rantes demeurent propri?taires des biens mais se voient appliquer des restrictions continues ? leur droit de propri?t?.
74. La Cour rappelle que, lorsque la violation all?gu?e consiste en une situation continue, le d?lai de six mois ne commence ? courir qu?? la date ? laquelle cette situation a pris fin (voir, par exemple, H?seyin Kaplan c. Turquie, no 24508/09, ? 31, 1er octobre 2013, avec les r?f?rences cit?es). En m?me temps, la Cour a d?j? jug? qu?une situation continue ne pouvait repousser ind?finiment l?application de la r?gle des six mois. Dans les d?cisions pr?cit?es Sargsyan et Chiragov et autres, la Cour a estim? que les requ?rants all?guant des violations continues de leur droit de propri?t? ne devaient pas rester passifs pendant des ann?es face ? une situation qui n??voluait plus et qu?ils devaient saisir la Cour une fois qu?ils s??taient rendu compte, ou auraient d? se rendre compte, qu?il n?y avait pas de perspective r?aliste de recouvrer l?acc?s ? leurs biens dans un avenir pr?visible. Cependant, la Cour n?a pas jug? appropri? d?indiquer un d?lai concret dans lequel le requ?rant doit introduire une requ?te conform?ment ? l?article 34 de la Convention (Sargsyan, d?cision pr?cit?e, ?? 136-141, et Chiragov et autres, d?cision pr?cit?e, ?? 137-142).
75. En l?esp?ce, la Cour rel?ve que, face ? la r?tention continue de leurs biens et au maintien des saisies, les requ?rantes ne sont pas rest?es passives. Apr?s les d?cisions judiciaires des 27 et 29 octobre 2014 (paragraphes 31 et 40 ci-dessus), elles ont obtenu plusieurs nouvelles d?cisions des enqu?teurs. En outre, elles ont tent? d?obtenir une indemnisation pour inex?cution de la d?cision du 23 avril 2014, et Mme Shapiro a aussi tent? d?obtenir une mainlev?e des saisies directement en justice. Aucune des parties n?a all?gu? que ces deux recours ?taient d?embl?e vou?s ? l??chec, surtout vu l?interpr?tation des articles 115 et 115.1 par la Cour constitutionnelle (paragraphe 58 ci-dessus).
76. Compte tenu de ce qui pr?c?de, la Cour consid?re que, dans les circonstances particuli?res de l?esp?ce, les requ?rantes ont agi sans d?lai excessif et que le grief tir? des restrictions continues ? leur droit de propri?t? n?est pas tardif. Il s?ensuit que l?exception d?irrecevabilit? du Gouvernement doit ?tre rejet?e.
77. Constatant que ce grief n?est pas manifestement mal fond? au sens de l?article 35 ? 3 a) de la Convention et qu?il ne se heurte par ailleurs ? aucun autre motif d?irrecevabilit?, la Cour le d?clare recevable.
Sur le fond
Th?ses des parties
a) Le Gouvernement
78. Concernant la requ?te no 7896/15, le Gouvernement all?gue que tous les objets saisis lors des perquisitions en 2006 ont ?t? qualifi?s de preuves dans l?affaire p?nale. Il argue que les autorit?s n?ont jamais emp?ch? les soci?t?s requ?rantes de faire des copies des documents saisis par leurs propres moyens. Il en conclut que les droits des requ?rantes n?ont pas ?t? viol?s.
79. Concernant la requ?te no 48167/17, le Gouvernement soutient que les saisies n?ont pas emp?ch? les requ?rantes d?utiliser les biens qui sont rest?s en leur possession.
80. Concernant les deux requ?tes, le Gouvernement estime que le maintien des saisies et la r?tention continue des biens ?taient n?cessaires et justifi?s tout au long de l?enqu?te p?nale. Il argue que l?enqu?te se trouve suspendue pr?cis?ment ? cause de la fuite de Mme Shapiro, qui serait donc la seule responsable du pr?judice que toutes les requ?rantes pr?tendent avoir subi.
b) Les requ?rantes
81. Les soci?t?s requ?rantes de la requ?te no 7896/15 all?guent que seules quelques centaines de documents saisis ont ?t? qualifi?s de preuves dans l?affaire p?nale, ce qui, selon elles, n?a pas ?t? le cas des unit?s centrales. Elles arguent ?galement que les enqu?teurs n?ont jamais d?montr? en quoi il ?tait n?cessaire de retenir les unit?s centrales pendant tout ce temps, d?autant plus que celles-ci n?ont fait l?objet d?aucune mesure d?instruction depuis 2007.
82. Les soci?t?s requ?rantes concluent que la r?tention continue des unit?s centrales pendant une p?riode de pr?s de 12 ans est ill?gale et disproportionn?e, notamment en ce qu?elle aurait rendu impossible l?exercice de leurs activit?s statutaires.
83. Les requ?rantes dans la requ?te no 48168/17 soutiennent que, du fait des saisies, elles ont perdu le contr?le de la quasi-totalit? de leurs biens. Elles estiment que ces mesures ont ?t? ill?gales, arbitraires et disproportionn?es eu ?gard notamment ? leur dur?e. Elles all?guent que, ? l?exception d?une action civile visant ? obtenir 4 millions de RUB, aucune autre action civile n?a jamais ?t? form?e dans l?affaire p?nale, et que les infractions imput?es ? Mme Shapiro ne sont pas passibles de confiscation. Elles concluent que le maintien des saisies de tous leurs biens n?est pas n?cessaire.
84. Les requ?rantes des deux requ?tes estiment que, ? cause d?une attitude ? leurs yeux arbitraire et abusive des autorit?s de poursuite dans leur affaire, les mesures temporaires de saisie sont devenues des mesures d?finitives assimilables ? des confiscations de fait.
Appr?ciation de la Cour
a) Sur l?existence d?une ing?rence et sur la r?gle applicable
85. Il ne fait pas pol?mique entre les parties que les biens saisis constituaient les ? biens ? des requ?rantes au sens de l?article 1 du Protocole no 1 ? la Convention.
86. La Cour rappelle que la saisie d?objets pour les besoins d?une proc?dure p?nale s?analyse en une ing?rence relevant de la r?glementation de l?usage des biens (Lachikhina, pr?cit?, ? 58, avec les r?f?rences cit?es).
b) Sur la justification de l?ing?rence dans le droit de propri?t?
87. La Cour rappelle que l?article 1 du Protocole no 1 ? la Convention ne prohibe pas la saisie des biens dans le cadre d?une proc?dure p?nale. Toutefois, pour r?pondre aux exigences inh?rentes ? cet article, la saisie doit ?tre pr?vue par la l?gislation interne, poursuivre un but l?gitime et ?tre proportionn?e au but poursuivi (Lachikhina, pr?cit?, ? 59).
En ce qui concerne la r?tention des unit?s centrales d?ordinateurs dans la requ?te no 7896/15
88. La Cour observe que, en l?esp?ce, contrairement ? ce que pr?tend le Gouvernement, les unit?s centrales d?ordinateurs n?ont jamais ?t? qualifi?es de preuves mat?rielles dans l?affaire p?nale (voir les conclusions des tribunaux sur ce point dans les paragraphes 15 et 18 ci-dessus).
89. Elle rel?ve que, selon l?article 81 ? 4 du CPP, les objets et documents saisis par les autorit?s de poursuite dans le cadre d?une enqu?te p?nale mais non qualifi?s de preuves mat?rielles doivent ?tre restitu?s aux personnes ? qui ils ont ?t? saisis. Si, initialement, aucun d?lai pour une telle restitution n?a ?t? mentionn? dans la loi, depuis le 10 ao?t 2012, la restitution doit ?tre effectu?e dans le respect du ? d?lai raisonnable de la proc?dure ?, et, depuis le 15 juillet 2016, de tels objets doivent ?tre restitu?s dans les cinq jours apr?s la d?cision de l?enqu?teur d?clarant que d?autres objets sont des preuves (paragraphes 49-51 ci-dessus).
90. Il s?ensuit que la r?tention des unit?s centrales depuis 2006, alors qu?elles ne constituent pas des preuves, est contraire aux articles 81 ? 4 et 81.1 du CPP, et, par cons?quent, ? ill?gale ? au sens de l?article 1 du Protocole no 1 ? la Convention.
91. Bien que cette conclusion rende superflu l?examen de l?existence d?un but l?gitime et de la proportionnalit? de la mesure, la Cour ne peut s?emp?cher de relever, ? titre surabondant, que ladite r?tention ne poursuivait aucun but l?gitime. En effet, ni les autorit?s internes ni le Gouvernement n?ont avanc? l?existence d?un but rendant n?cessaire la r?tention des objets qui n??taient pas qualifi?s de preuves et qui ne repr?sentaient apparemment pas d?int?r?t pour l?enqu?te. De son c?t?, la Cour ne parvient pas ? discerner de raison justifiant une telle r?tention pendant pr?s de 13 ans (voir, mutatis mutandis, Begu c. Roumanie, no 20448/02, ?? 162-163, 15 mars 2011, s?agissant des biens mis sous scell?s et retenus alors qu?ils ne constituaient pas des preuves ou des indices dans l?affaire).
Partant, il y a eu violation de l?article 1 du Protocole no 1 ? la Convention.
En ce qui concerne le maintien des saisies des biens des requ?rantes dans la requ?te no 48168/17
92. S?agissant de la l?galit? du maintien de la saisie des biens personnels de Mme Shapiro ? personne mise en examen -, la Cour constate que le CPP ne pr?voit aucun d?lai pour le maintien de la saisie. S?agissant de la l?galit? du maintien des saisies des soci?t?s requ?rantes ? personnes tierces ? la proc?dure p?nale -, la Cour observe qu?il ressort de la lecture des articles 115 et 115.1 du CPP que, depuis septembre 2015, de telles saisies doivent ?tre assorties d?un d?lai ou lev?es par un tribunal (paragraphes 57?58). Cependant, il n?est pas clair si le maintien ind?fini des saisies est devenu contraire au CPP ? compter de cette date, et les parties n?ont pas avanc? d?arguments sur ce point. La Cour estime qu?elle n?est pas comp?tente pour trancher ce point et donc se prononcer sur la l?galit? de la mesure.
93. Par ailleurs, la Cour admet que le maintien des saisies poursuivait au moins deux buts l?gitimes ? le paiement d?une amende en tant que sanction p?nale et la protection des int?r?ts des parties civiles.
94. N?anmoins, elle consid?re que le maintien des saisies de quasiment tous les immeubles, v?hicules et avoirs bancaires des requ?rantes pendant plusieurs ann?es ?tait disproportionn?. En effet, elle note que les tribunaux, dans leurs d?cisions rendues en application de l?article 125 du CPP, ont conclu qu?il n?y avait plus de raisons justifiant le maintien des saisies, que celles-ci ?taient excessivement longues, qu?elles n??taient pas proportionn?es au pr?judice all?gu?, qu?elles n??taient plus pertinentes et qu?elles imposaient une charge injustifi?e aux int?ress?es (paragraphes 27, 28, 31, 37 et 40 ci-dessus). La Cour ne voit aucune raison de s??carter de ces conclusions. Elle ajoute seulement que, pr?s de quatre ans et demi apr?s le prononc? de ces d?cisions judiciaires, ? la date des observations des parties, en 2019, les saisies en question n?avaient pas ?t? lev?es, ce qui, ? son avis, ne fait qu?aggraver le caract?re disproportionn? de l?ing?rence.
Partant, il y a eu violation de l?article 1 du Protocole no 1 ? la Convention.
SUR LA VIOLATION ALL?GU?E DES ARTICLES 6 ? 1 ET 13 DE LA CONVENTION
95. Les requ?rantes se plaignent d?une inex?cution persistante par les enqu?teurs des d?cisions judiciaires relatives ? la r?tention des objets et au maintien des saisies, et d?une absence d?un recours interne effectif pour se voir restituer leurs biens retenus et pour obtenir une mainlev?e des saisies. Elles invoquent les articles 6 ? 1 et 13 de la Convention, ainsi libell?s en leurs parties pertinentes en l?esp?ce :
Article 6 ? 1
? Toute personne a droit ? ce que sa cause soit entendue (…) par un tribunal (…), qui d?cidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caract?re civil (…) ?
Article 13
? Toute personne dont les droits et libert?s reconnus dans la (…) Convention ont ?t? viol?s, a droit ? l?octroi d?un recours effectif devant une instance nationale, alors m?me que la violation aurait ?t? commise par des personnes agissant dans l?exercice de leurs fonctions officielles. ?
Th?ses des parties
96. Le Gouvernement soutient que l?article 125 du CPP repr?sente un m?canisme interne suffisant pour la protection contre les abus des pouvoirs ?ventuels commis par les autorit?s de poursuite. En outre, il indique que les parties ? la proc?dure p?nale peuvent se plaindre aupr?s du procureur d?une dur?e excessive de la proc?dure. Le Gouvernement n?a pas pr?sent? d?observations sur les griefs concernant l?inex?cution all?gu?e des d?cisions de justice.
97. Les requ?rantes admettent que le recours fond? sur l?article 125 du CPP constitue en th?orie un recours efficace contre les ?ventuels abus par les autorit?s de poursuite, et que, dans leur cas, les tribunaux statuant sur ces recours ont prot?g? les droits patrimoniaux des int?ress?s. Elles soutiennent que, n?anmoins, aucune juridiction ne peut contraindre l?enqu?teur ? restituer les objets saisis et ? lever les saisies ou allouer une indemnisation pour manquement de l?enqu?teur ? adopter ces mesures. Les requ?rantes concluent qu?elles ne disposaient en l?esp?ce d?aucun recours pour prot?ger leur droit au respect de leurs biens.
Appr?ciation de la Cour
98. La Cour rel?ve que ces griefs sont li?s ? celui examin? ci-dessus. Eu ?gard ? la conclusion ? laquelle elle est parvenue sur le terrain de l?article 1 du Protocole no 1 ? la Convention (paragraphes 90, 91 et 94 ci-dessus), elle estime qu?il est inutile d?examiner la question de savoir si, en l?esp?ce, il y a eu violation des articles 6 et 13 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Forminster Enterprises Limited, pr?cit?, ?? 58-59, o? la Cour a d?cid? d?examiner le grief tir? de l?article 6 ? 1 de la Convention en tant que partie du grief tir? de l?article 1 du Protocole no 1 ? la Convention s?agissant d?une saisie prolong?e de parts sociales, ainsi que East West Alliance Limited c. Ukraine, no 19336/04, ?? 219-222, 23 janvier 2014, ?nsped Paket Servisi SaN. Ve TiC. A.?. c. Bulgarie, no 3503/08, ?? 48-51, 13 octobre 2015, et Barkanov c. Russie, no 45825/11, ? 68, 16 octobre 2018).
SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALL?GU?ES
99. Invoquant en substance l?article 6 ?? 1, 2 et 3 et l?article 13 de la Convention, Mme Shapiro d?nonce diff?rentes violations en lien avec les poursuites p?nales dont elle faisait l?objet. La Cour constate que ces griefs sont essentiellement les m?mes que ceux ayant d?j? ?t? d?clar?s irrecevables dans plusieurs requ?tes pr?c?demment introduites par l?int?ress?e. Il s?ensuit que ces griefs doivent ?tre rejet?s, en application de l?article 35 ? 2 b) de la Convention.
100. Invoquant l?article 1 du Protocole no 1 ? la Convention et l?article 13 de la Convention, Mme Shapiro se plaint d?une liquidation arbitraire d?une soci?t? non requ?rante dont elle ?tait l?associ?e unique. Invoquant les m?mes articles, toutes les requ?rantes d?noncent : le vol des v?hicules saisis et de certains mat?riaux de construction ; le pillage de certains immeubles saisis ; le vol de certaines sommes d?pos?es dans une banque ; la perte d?autres sommes d?pos?es dans une autre banque ? la suite du retrait de la licence de celle-ci et de l?ouverture d?une proc?dure de liquidation ; l?absence d?enqu?te interne effective concernant les faits de vol et de pillage ; l?absence d?allocation de dommages-int?r?ts ? ces ?gards.
101. La Cour juge, ? la lumi?re de l?ensemble des ?l?ments dont elle dispose, que les griefs susmentionn?s sont en partie pr?matur?s, en partie irrecevables pour non-?puisement des voies de recours internes et que, pour le reste, ils ne r?v?lent aucune apparence de violation des droits et libert?s ?nonc?s dans la Convention. Il s?ensuit que ces griefs doivent ?tre rejet?s, au sens de l?article 35 ?? 1 et 3 a) de la Convention.
SUR L?APPLICATION DE L?ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
102. Aux termes de l?article 41 de la Convention,
? Si la Cour d?clare qu?il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d?effacer qu?imparfaitement les cons?quences de cette violation, la Cour accorde ? la partie l?s?e, s?il y a lieu, une satisfaction ?quitable. ?
Dommage
Th?ses des parties
103. Au titre du pr?judice mat?riel dont elles s?estiment victimes, les requ?rantes demandent la restitution de leurs biens et la mainlev?e des saisies. Les requ?rantes de la requ?te no 48168/17 r?clament, si la mainlev?e n?est pas possible, le remboursement de la valeur totale des immeubles (2,8 milliards de roubles (RUB)) et des avoirs bancaires (368 millions de RUB) saisis.
104. En outre, les requ?rantes demandent une indemnisation du pr?judice r?el qu?elles disent avoir subi :
– 22 000 000 RUB pour ? la valeur de l?un des immeubles saisis et pr?tendument pill? ;
– 31 440 000 RUB pour la valeur totale de 39 v?hicules saisis et pr?tendument vol?s ;
– 106 926 639 RUB pour les sommes d?pos?es sur certains comptes bancaires et pr?tendument vol?es ;
– 200 000 RUB pour la valeur des mat?riaux de construction stock?s dans l?un des immeubles saisis et pr?tendument vol?s.
105. Enfin, elles r?clament les sommes suivantes pour manque ? gagner :
– 34 475 766 RUB d?int?r?ts (? lost income ?) pour l?argent d?pos? dans des banques et pr?tendument vol? ou disparu ;
– une somme non pr?cis?e correspondant ? des int?r?ts pour l?indisponibilit? des avoirs bancaires saisis (? unearned interest on the deposit ?), obtenue par addition des int?r?ts annuels entre 2007 et 2018 pour chaque somme d?argent d?pos?e et saisie sur chaque compte bancaire, int?r?ts ?tant compris entre 6,75 % et 7,10 % en fonction de l?ann?e et de la soci?t? ;
– une somme non pr?cis?e pour la r?duction et/ou la cessation d?activit?s de construction et de mise en location des locaux. Les soci?t?s requ?rantes all?guent ? cet ?gard que les saisies ont constitu? un obstacle ? l?exercice au m?me niveau qu?auparavant de leurs activit?s statutaires et qu?elles ont eu un impact n?gatif sur leur r?putation professionnelle.
106. Mme Shapiro demande ?galement une indemnisation de 2 647 000 RUB pour une liquidation qu?elle dit frauduleuse d?une soci?t? non requ?rante dont elle ?tait l?associ?e unique. Cette somme correspond, selon elle, au capital social de la soci?t? liquid?e.
107. S?agissant du pr?judice moral, les soci?t?s requ?rantes demandent 25 000 euros (EUR) chacune ? ce titre, et Mme Shapiro demande personnellement 100 000 EUR, soutenant que les poursuites p?nales ? son encontre, la suspension de l?enqu?te et la perte du contr?le de ses biens, alors qu?elle serait totalement innocente, lui ont caus? de graves souffrances psychiques et une d?pression.
108. Les soci?t?s requ?rantes dans la requ?te no 7896/15 all?guent que la saisie et la r?tention de leurs ordinateurs par les autorit?s font obstacle en soi ? une estimation du dommage mat?riel caus? par l?ing?rence, car, en l?absence des biens retenus, elles ne peuvent ni exercer leurs activit?s statutaires ni prouver l?innocence de Mme Shapiro. Pour cette raison, elles demandent 100 000 EUR pour pr?judice moral.
109. Le Gouvernement estime qu?aucune indemnisation n?est due aux requ?rantes, car les ordonnances de saisie sont selon lui conformes ? l?article 1 du Protocole no 1 ? la Convention. En outre, il consid?re que les demandes relatives ? un manque ? gagner sont sp?culatives et non ?tay?es, et que les demandes relatives ? un pr?judice moral sont clairement excessives. Il invite la Cour ? rejeter la totalit? des demandes de satisfaction ?quitable au motif que, dans tous les cas, les droits des requ?rantes n?ont pas ?t? viol?s.
Appr?ciation de la Cour
a) Rappel des principes g?n?raux
110. La Cour rappelle qu?un arr?t constatant une violation entra?ne pour l??tat d?fendeur l?obligation juridique au regard de la Convention de mettre un terme ? la violation et d?en effacer les cons?quences de mani?re ? r?tablir autant que faire se peut la situation ant?rieure ? celle-ci. Les ?tats contractants parties ? une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer ? un arr?t constatant une violation. Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe ? l??tat d?fendeur de la r?aliser, la Cour n?ayant ni la comp?tence ni la possibilit? pratique de l?accomplir elle-m?me. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu?imparfaitement d?effacer les cons?quences de la violation, l?article 41 de la Convention habilite la Cour ? accorder, s?il y a lieu, ? la partie l?s?e la satisfaction qui lui semble appropri?e (Sargsyan c. Azerba?djan (satisfaction ?quitable) [GC], no 40167/06, ? 35, 12 d?cembre 2017, Chiragov et autres c. Arm?nie (satisfaction ?quitable) [GC], no 13216/05, ? 53, 12 d?cembre 2017).
La Cour rappelle ?galement que, conform?ment aux principes d?gag?s par sa jurisprudence constante, la forme et le montant de la satisfaction ?quitable tendant ? la r?paration d?un pr?judice diff?rent selon les cas et d?pendent directement de la nature de la violation constat?e (voir, par exemple, Nurmiyeva c. Russie, no 57273/13, ? 45, 27 novembre 2018), et qu?il doit y avoir un lien de causalit? entre le dommage all?gu? par le requ?rant et la violation de la Convention (P., C. et S. c. Royaume?Uni, no 56547/00, ? 147, CEDH 2002?VI, avec les r?f?rences cit?es, ainsi que Sargsyan, arr?t pr?cit?, ? 36, et Chiragov et autres, arr?t pr?cit?, ? 54).
111. Elle rappelle enfin que toute saisie entra?ne par nature des dommages et n?implique pas en soi un droit d??tre indemnis? pour tout dommage subi (Atanassov et Ovtcharov c. Bulgarie, no 61596/00, ? 43, 17 janvier 2008, et Simonjan-Heikinheimo c. Finlande, (d?c.), no 6321/03, 2 septembre 2008), mais le pr?judice subi ne doit pas d?passer les limites de l?in?vitable (Borjonov c. Russie, no 18274/04, ? 61, 22 janvier 2009, avec les r?f?rences cit?es).
b) Application des principes g?n?raux en l?esp?ce
112. En l?esp?ce, le constat de violation de l?article 1 du Protocole no 1 ? la Convention d?coule de la r?tention ill?gale et sans but l?gitime des unit?s centrales d?ordinateurs (requ?te no 7896/15), ainsi que du maintien disproportionn? des saisies des biens des requ?rantes (requ?te no 48168/17).
113. Dans ces circonstances, la Cour estime que, concernant la requ?te no 7896/15, le redressement appropri? serait la restitution des unit?s centrales d?ordinateurs. En l?absence d?une demande quantifiable de la part des soci?t?s requ?rantes, la Cour n?est pas en mesure d?allouer un montant correspondant ? la valeur de ces biens ou un montant d?termin?. Concernant la requ?te no 48168/17, elle consid?re qu?un redressement appropri? serait de donner effet aux d?cisions judiciaires des 23 avril et 29 octobre 2014 (paragraphes 27 et 31 ci-dessus) s?agissant de toutes les soci?t?s requ?rantes, et des 14 f?vrier et 27 octobre 2014 (paragraphes 37 et 40 ci?dessus) s?agissant de Mme Shapiro.
114. La Cour observe en outre que les requ?rantes ont formul? plusieurs demandes tendant ? la r?paration des pr?judices mat?riel et moral qu?elles estiment avoir subis.
Quant aux demandes de r?paration du pr?judice mat?riel all?gu?, la Cour estime que les soci?t?s requ?rantes n?ont pas d?montr? dans quelle mesure le maintien des saisies, devenu disproportionn? d?s avril 2014, a eu des cons?quences sur leurs activit?s, d?autant plus qu?elles ont reconnu en 2017 qu?elles continuaient ? mettre en location les immeubles saisis (paragraphe 46 ci-dessus). Dans ces conditions, la demande d?indemnisation des soci?t?s requ?rantes pour la r?duction ou la cessation de leurs activit?s statutaires doit ?tre rejet?e.
115. Quant ? la demande d?int?r?ts pour les avoirs bancaires saisis, la Cour ne peut pas accepter les calculs faites par les requ?rantes. En effet, une partie desdits calculs concerne la p?riode ant?rieure ? 2014, alors que ce n??tait qu?en 2014 que les saisies ont ?t? d?clar?es disproportionn?es. En outre, les requ?rantes n?expliquent pas ? quoi correspondent les taux d?int?r?ts demand?s et pourquoi ces taux diff?rent en fonction chaque soci?t?. Par ailleurs, certains int?r?ts sont calcul?s ? partir de sommes d?argent qui n?avaient pas ?t? saisies. Pour ces raisons, la Cour rejette cette partie de la demande.
116. Enfin, la Cour estime que les pertes all?gu?es pour lesquelles les requ?rantes demandent une indemnisation ? titre de pr?judice mat?riel r?el n?ont aucun lien direct avec le maintien disproportionn? des saisies, et indique que ces demandes se rapportent aux griefs pour lesquels aucune violation n?a ?t? constat?e (voir aussi, mutatis mutandis, Forminster Enterprises Limited c. R?publique tch?que (satisfaction ?quitable), no 38238/04, ? 18, 10 mars 2011). Il s?ensuit que ces demandes doivent ?galement ?tre rejet?es.
117. La Cour tient ? pr?ciser que le rejet par elle des demandes ? titre de pr?judice mat?riel ne fait pas obstacle ? ce que les requ?rantes demandent une indemnisation, y compris les int?r?ts pour l?indisponibilit? des avoirs bancaires, devant les juridictions internes par l?interm?diaire de tout m?canisme l?gal appropri?, si elles d?montrent l?existence d?un tel pr?judice d?coulant des mesures contest?es.
118. Enfin, la Cour rel?ve que les soci?t?s requ?rantes disposent du droit de r?clamer devant les juridictions russes une indemnisation du pr?judice moral en raison du d?lai prolong? de l?application des mesures de saisies, en vertu de la loi sur l?indemnisation (paragraphe 63 ci-dessus). Compte tenu de tous les ?l?ments dont elle dispose, la Cour juge que le constat de violation constitue en soi une satisfaction ?quitable suffisante quant au dommage moral subi par les requ?rantes.
Frais et d?pens
Th?ses des parties
119. Les soci?t?s requ?rantes de la requ?te no 7896/15 demandent 15 000 EUR, une somme correspondant selon elles ? 34 jours de travail, ? raison de 8 heures par jour, de leur repr?sentante devant la Cour, Mme Visentin. Les requ?rantes dans la requ?te no 48168/17 demandent 110 220 EUR pour 1 336 heures de travail fournies par Mme Visentin.
120. Les requ?rantes produisent plusieurs contrats de services juridiques conclus principalement par Mme Shapiro, dans les int?r?ts des soci?t?s requ?rantes, mais aussi par certaines d?elles. Selon ces contrats, le taux horaire pratiqu? par Mme Visentin est de 150 EUR, le taux journalier est de 660 EUR, et le travail fourni par celle-ci concerne tant les saisies et la r?tention des biens que d?autres griefs non communiqu?s et irrecevables.
121. Toutes les requ?rantes r?clament ?galement le remboursement de 8 215 461 RUB (l??quivalent de pr?s de 111 000 EUR ? la date des observations) pour les frais et d?pens qu?elles disent avoir engag?s devant les juridictions internes. Selon les requ?rantes, cette somme inclut les services juridiques et les frais de d?placement des avocats et juristes dans le cadre de plusieurs proc?dures internes.
122. Selon les documents fournis par les requ?rantes, les avocats ayant particip? aux proc?dures li?es ? la r?tention des objets et documents et au maintien des saisies leur ont factur? 548 heures de travail au taux horaire de 300 EUR, soit un montant total de 6 183 611 RUB comprenant les frais de d?placement (l??quivalent de 83 562 EUR ? la date des observations). Ces m?mes avocats leur auraient factur? 27 600 EUR suppl?mentaires, dont des frais de d?placement, pour services juridiques dans les int?r?ts des soci?t?s OOO Stroymontazhproyekt et OOO Signal dans le cadre des saisies des biens desdites soci?t?s.
123. Les soci?t?s requ?rantes indiquent que la juriste ayant particip? ? la proc?dure concernant la demande d?indemnisation pour violation du droit ? l?ex?cution des d?cisions dans un d?lai raisonnable (paragraphes 46-48 ci?dessus) leur a factur? 69 heures de travail ? un taux horaire compris entre 2 000 et 3 000 RUB, soit un montant total de 229 900 RUB comprenant les frais de d?placement (l??quivalent de 3 100 EUR ? la date des observations).
124. Sans commenter les documents fournis par les requ?rantes (conventions d?honoraires, d?comptes d?heures et re?us), le Gouvernement argue que les demandes ne sont pas ?tay?es, que la somme de 15 000 EUR concernant la requ?te no 7896/15 est exag?r?e, et que les frais de 8 215 461 RUB concernant la requ?te no 48168/17 ne se rapportent pas aux griefs faisant l?objet d?un examen par la Cour.
Appr?ciation de la Cour
125. Selon la jurisprudence de la Cour, un requ?rant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et d?pens que dans la mesure o? se trouvent ?tablis leur r?alit?, leur n?cessit? et le caract?re raisonnable de leur taux. Les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure o? ils se rapportent ? la violation constat?e (Beyeler c. Italie (satisfaction ?quitable) [GC], no 33202/96, ? 27, 28 mai 2002).
126. En l?esp?ce, la Cour observe que les frais de repr?sentation et d?assistance des requ?rantes par Mme Visentin ne se rapportent que partiellement ? un travail juridique fourni en lien avec les griefs pour lesquels des violations ont ?t? constat?es. En outre, elle estime que la facturation de 1 336 heures de travail sur les requ?tes (repr?sentant pr?s de 167 jours de travail ? temps plein) est clairement excessive par rapport ? la complexit? de l?affaire (Iatridis c. Gr?ce (satisfaction ?quitable) [GC], no 31107/96, ? 57, CEDH 2000?XI).
127. Compte tenu des ?l?ments dont elle dispose et eu ?gard en particulier ? la complexit? de l?affaire, au nombre des requ?rantes et au travail effectu? par Mme Visentin, la Cour accorde un montant forfaitaire de 10 000 EUR pour la proc?dure au titre de la Convention conjointement ? toutes les requ?rantes.
128. Quant aux frais engag?s devant les instances internes, la Cour estime que les frais qui se rapportent directement aux pr?sentes requ?tes n?ont pas n?cessairement tous ?t? expos?s et ne sont pas raisonnables. Aux yeux de la Cour, le taux horaire de 300 EUR en particulier est clairement excessif en comparaison avec les taux horaires moyens de pr?s de 40,5 EUR pratiqu?s par les avocats dans la r?gion de Iamalo-Nenets. En outre, le nombre d?heures de travail ne semble pas justifi? par la complexit? de l?affaire, et plusieurs d?placements n?apparaissent pas ayant ?t? n?cessaires. Enfin, les demandes pr?sent?es font appara?tre qu?il y a eu un certain nombre de fois un chevauchement et une duplication des travaux.
129. Compte tenu de tous les ?l?ments dont elle dispose, la Cour estime raisonnable d?allouer conjointement aux requ?rantes un montant forfaitaire de 10 000 EUR pour les frais et d?pens engag?s devant les juridictions internes.
Int?r?ts moratoires
130. La Cour juge appropri? de calquer le taux des int?r?ts moratoires sur le taux d?int?r?t de la facilit? de pr?t marginal de la Banque centrale europ?enne major? de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, ? L?UNANIMIT?,
D?cide de joindre les requ?tes ;
D?clare les requ?tes recevables quant aux griefs tir?s de la r?tention continue des biens et du maintien des saisies, et irrecevables pour le surplus ;
Dit qu?il y a eu violation de l?article 1 du Protocole no 1 ? la Convention ;
Dit qu?il n?y a pas lieu d?examiner les griefs tir?s des articles 6 ? 1 et 13 de l