Conclusion Dommage mat?riel – r?paration p?cuniaire ; Pr?judice moral – r?paration p?cuniaire ; Frais et d?pens – demande rejet?e
AFFAIRE ZUBANI c. ITALIE (Article 41)
(Requ?te n? 14025/88)
ARR?T
STRASBOURG
16 juin / June 1999
Cet arr?t peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version d?finitive dans le recueil officiel contenant un choix d?arr?ts et de d?cisions de la Cour.
En l’affaire Zubani c. Italie,
La Cour europ?enne des Droits de l’Homme, constitu?e, conform?ment ? l’article 27 la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libert?s fondamentales (? la Convention ?) telle qu?amend?e par le Protocole n? 111, et aux clauses pertinentes de son r?glement1, en une Grande Chambre compos?e des juges dont le nom suit :
Mme E. Palm, pr?sidente,
MM. A. Pastor Ridruejo,
G. Bonello,
J. Makarczyk,
R. T?rmen
J.-P. Costa,
Mme V. Str??nick?,
MM. C. B?rsan,
P. Lorenzen,
M. Fischbach,
V. Butkevych,
J. Casadevall,
Mme H. S. Greve,
MM. A. Baka,
R. Maruste,
Mme S. Botoucharova,
M. C. Russo, juge ad hoc,
ainsi que de M P.J. Mahoney, greffier adjoint,
Apr?s en avoir d?lib?r? en chambre du conseil les 28 avril et 9 juin 1999,
Rend l’arr?t que voici, adopt? ? cette derni?re date :
PROC?DURE ET FAITS
1. L’affaire a ?t? d?f?r?e ? la Cour, telle qu??tablie en vertu de l?ancien article 19 de la Convention2, par la Commission europ?enne des Droits de l’Homme (? la Commission ?) le 29 mai 1995, dans le d?lai de trois mois qu’ouvraient les anciens articles 32 ? 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requ?te (n? 14025/88) dirig?e contre la R?publique italienne et dont quatre ressortissants de cet Etat, Mme Maddalena Zubani,
Mme Letizia Zubani, Mme Angela Zubani et M. Aldo Zubani, avaient saisi la Commission le 26 janvier 1988 en vertu de l’ancien article 25. Initialement d?sign?s comme ? A.Z. et autres ?, les requ?rants ont consenti ult?rieurement ? la divulgation de leur identit?.
2. Dans son arr?t du 7 ao?t 1996 (? l’arr?t au principal ?), la Cour a conclu ? la violation de l’article 1 du Protocole n? 1 en raison notamment de la dur?e des proc?dures engag?es par les requ?rants ? la suite de l’occupation ill?gale de leur terrain, dont l’exploitation est devenue difficile ? cause des transformations li?es ? la construction d’immeubles d’habitation (Recueil des arr?ts et d?cisions 1996?IV, p.1078, ? 49)
3. En s’appuyant sur l’ancien article 50 de la Convention, les requ?rants r?clamaient une satisfaction ?quitable de l’ordre de plusieurs milliards de lires italiennes (ITL) pour les pr?judices subis ainsi que pour frais et d?pens. Toutefois, les comparants n’ayant pas fourni de renseignements pr?cis sur la question de l’application dudit article, la Cour l’avait r?serv?e en entier en invitant le Gouvernement et les requ?rants ? lui adresser par ?crit, dans les trois mois, leurs observations en la mati?re et notamment ? lui communiquer tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, p. 1079, ?? 52 et 53, et point 3 du dispositif).
4. Le Gouvernement a d?pos? ses observations les 3 octobre et 5 novembre 1996, et les requ?rants ont fait parvenir les leurs les 8, 18 et 22 novembre 1996. Le d?l?gu? de la Commission a pr?sent? ses observations le 10 d?cembre 1996 pr?conisant l’octroi d’au moins 200 000 000 ITL ? chaque requ?rant pour dommage mat?riel et moral.
5. Il ressort des documents pr?sent?es par les parties que le 10 novembre 1996, les int?ress?s interjet?rent appel du jugement du tribunal de Brescia du 26 avril 1995, afin d’obtenir une somme plus importante pour tous les pr?judices subis. La commune se constitua le 18 d?cembre 1996. A une date non pr?cis?e, la cour d’appel fixa au 4 juin 1997 l’?ch?ance du d?lai pour la pr?sentation des conclusions. Les requ?rants d?pos?rent les leurs le 4 mai 1997.
6. Quant ? la proc?dure engag?e par les requ?rants en janvier 1996 (ibid, p. 1074, ? 30), la commune s’opposa ? la saisie ? une date non pr?cis?e. Le 21 mai 1996, le juge d’instance de Brescia condamna la commune ? verser 47 000 000 ITL et ? rembourser 1 000 000 ITL ? titre de frais et d?pens.
7. Le 28 juin 1997, M. R. Bernhardt, vice-pr?sident de la Cour ? l’?poque, agissant en qualit? de pr?sident de la chambre comp?tente, apr?s avoir consult? les parties et le d?l?gu? de la Commission, a acc?d? ? la demande de surseoir ? statuer pr?sent?e par le Gouvernement en raison de l’?tat des proc?dures nationales.
8. Gouvernement et requ?rants ont fait parvenir au greffe, entre f?vrier 1997 et juin 1998, plusieurs documents accompagn?s de commentaires. Selon ces pi?ces, les proc?dures pendantes devant la cour d’appel et le juge d’instance de Brescia ont ?t? interrompues, conform?ment ? l’article 301 du Code de proc?dure civile (C.p.c.), ? cause du d?c?s de l’avocat des requ?rants, survenu le 15 mai 1998.
9. Le 25 septembre 1998, la Cour, constatant que les ?l?ments du dossier ne permettaient pas de trancher l?affaire, d?cidait de demander aux parties de d?poser au greffe, dans les six semaines, tous renseignements utiles sur l??tat des proc?dures internes pendantes ainsi que des propositions d?finitives sur un ?ventuel r?glement amiable.
10. A la suite de l?entr?e en vigueur du Protocole n? 11 le 1er novembre 1998, l?examen de l?affaire a ?t? confi?, en application de l?article 5 ? 5 dudit Protocole, ? la Grande Chambre de la Cour. Cette Grande Chambre comprenait de plein droit M. B. Conforti, juge ?lu au titre de l?Italie (articles 27 ? 2 de la Convention et 24 ? 4 du r?glement), M. L. Wildhaber, pr?sident de la Cour, Mme E. Palm, vice-pr?sidente de la Cour, ainsi que M. J.-P. Costa et M. M. Fischbach, tous deux vice-pr?sidents de section (articles 27 ? 3 de la Convention et 24 ?? 3 et 5 a) du r?glement). Ont en outre ?t? d?sign?s pour compl?ter la Grande Chambre : M. A. Pastor Ridruejo, M. G. Bonello, M. J. Makarczyk, M. R. T?rmen, Mme V. Str??nick?, M. P. Lorenzen, M. V. Butkevych, M. J. Casadevall, Mme H.S. Greve, M. A. Baka, M. R. Maruste et Mme S. Botoucharova (articles 24 ? 3 et 100 ? 4 du r?glement). Ult?rieurement, M. Conforti, ayant particip? ? l?examen de l?affaire par la Commission, s?est d?port? de la Grande Chambre (article 28 du r?glement). Par cons?quent, le Gouvernement a d?sign? M. C. Russo pour si?ger en qualit? de juge ad hoc (articles 27 ? 2 de la Convention et 29 ? 1 du r?glement).
11. Le pr?sident a d?cid? qu?il n?y avait pas lieu en l?esp?ce d?inviter la Commission ? d?signer un d?l?gu? (article 99 du r?glement).
12. Apr?s avoir consult? l?agent du Gouvernement et les requ?rants, la Grande Chambre a d?cid? de ne pas tenir audience.
13. A l’issue de deux prorogations du d?lai fix? le 25 septembre 1998 (paragraphe 9 ci-dessus), le Gouvernement a fait parvenir au greffe ses observations le 11 mars 1999. Les requ?rants avaient d?pos? les leurs le 18 janvier 1999. Il appert de ces observations que les proc?dures litigieuses n’ont pas ?t? reprises par les requ?rants dans le d?lai de six mois pr?vu par l’article 305 du C.p.c. ce qui en a entra?n? l’extinction.
14. Par la suite, Mme Palm a remplac? M. Wildhaber, emp?ch?, ? la pr?sidence de la Grande Chambre et M. C. B?rsan, suppl?ant, l’a remplac? comme membre de celle-ci (articles 10 et 24 ? 5 b) du r?glement).
CONCLUSIONS PR?SENT?ES ? LA COUR
15. Les requ?rants invitent la Cour ? statuer d?finitivement sur l’affaire en leur accordant 2 000 000 000 ITL pour dommage et frais et d?pens.
16. Le Gouvernement consid?re ce chiffre in?quitable et invite la Cour ? prendre en consid?ration dans son ?valuation la valeur acquise par les parcelles de terrain restitu?es aux requ?rants et devenues constructibles ainsi que la somme vers?e en 1995 par la commune de Brescia.
en droit
17. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
? Si la Cour d?clare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les cons?quences de cette violation, la Cour accorde ? la partie l?s?e, s’il y a lieu, une satisfaction ?quitable. ?
A. Dommage et frais et d?pens
18. Les requ?rants prient la Cour de leur accorder 2 000 000 000 lires italiennes (ITL) au titre des dommages qu’ils auraient subis et des frais et d?pens expos?s en raison de la violation de l’article 1 du Protocole n? 1. Ils invoquent ? l’appui de cette pr?tention le nombre et la dur?e des proc?dures qu’ils ont engag?es devant les juridictions nationales ainsi que les sentiments d’angoisse et d’impuissance face aux refus de l’administration municipale de Brescia de se conformer aux d?cisions internes ordonnant la restitution de leur terrain. Ils consid?rent enfin insuffisante la somme per?ue en 1995.
19. Le Gouvernement souligne l’utilit? publique de l’occupation du terrain des requ?rants par la commune en 1980 et affirme qu’en raison des travaux d’urbanisation effectu?s sur le site les int?ress?s ont r?alis? une plus-value importante car ils ont pu ali?ner en tant que lots constructibles une partie des parcelles restitu?es, et le restant serait constructible de facto. Par cons?quent, il invite la Cour ? juger que le pr?judice all?gu? a ?t? suffisamment compens? par le montant vers? en ex?cution de l’arr?t du tribunal de Brescia du 26 avril 1995. Pour le cas o? la Cour ne les ferait pas siens, ces arguments devraient de toute mani?re ?tre pris en compte aux fins de la d?termination de l’?ventuelle satisfaction ?quitable ? accorder.
20. La Cour rappelle que, dans son arr?t au principal (p. 1078, ? 49), elle fondait le constat de violation de l’article 1 du Protocole n? 1 sur les consid?rations suivantes :
? (?) la Cour note que le choix l?gislatif visant ? privil?gier l’int?r?t de la collectivit? dans les cas d’expropriations ou d’occupations ill?gales de terrains est raisonnable ; l’indemnisation int?grale des pr?judices subis par les propri?taires concern?s constitue une r?paration satisfaisante car, en plus du remboursement des dommages, l’administration est tenue de payer aussi l’?quivalent de la d?pr?ciation mon?taire ? partir du jour de l’acte ill?gitime. Toutefois, la loi en question n’est entr?e en vigueur qu’en 1988, alors que le contentieux portant sur le bien des requ?rants durait depuis d?j? huit ans (?) ?.
Apr?s la constatation du fait que la commune rechignait ? verser la totalit? de l’indemnit?, l?arr?t poursuivait ainsi,
? En ce qui concerne, enfin, le restant de l’argumentation du gouvernement d?fendeur, la Cour consid?re que l’importance de la somme octroy?e par le tribunal de Brescia ne saurait ?tre d?terminante en l’esp?ce eu ?gard ? la dur?e des proc?dures engag?es par Mmes et M. Zubani.
Elle se borne ? souligner que si la somme de 1 015 255 000 lires peut sembler ?norme par rapport ? la superficie effectivement occup?e par les logements, on ne saurait oublier que la propri?t? des requ?rants – 21 960 m2 qui constituaient le support de leur activit? d’?leveurs – a ?t? ?galement coup?e par une nouvelle route, de sorte que les parcelles restitu?es sont difficilement accessibles aux int?ress?s. ?
21. La Cour estime qu’il faut aussi prendre en consid?ration le nombre ?lev? de proc?dures engag?es pendant dix-huit ans par les int?ress?s qui, de plus, ont d? en entamer une nouvelle en janvier 1996 afin de r?cup?rer une partie de la somme litigieuse ind?ment retenue par la commune (paragraphe 6 ci-dessus). Toutefois, la r?alisation de travaux d’urbanisation sur le bien dont il s’agit et la vente r?cente par les requ?rants d’une partie des parcelles de terrain restitu?es, si elles ne suffisent pas non plus ? effacer les cons?quences de la violation de l’article 1 du Protocole n? 1, doivent entrer en ligne de compte dans l’?valuation de la satisfaction ?quitable ? accorder aux requ?rants.
22. Au vu de l’ensemble de ce qui pr?c?de, la Cour consid?re que les requ?rants, tous ?g?s de plus de quatre-vingt ans, ont sans nul doute subi des pr?judices r?sultant aussi de la dur?e de la d?possession de leur bien, de la diminution prolong?e de la possibilit? d’exploiter ? leur guise ledit bien, ainsi que des sentiments de frustration et d’angoisse li?s ? l’incertitude sur l’issue des proc?dures nationales et au comportement tenu par la commune de Brescia.
Ces pr?judices n’ayant pas ?t? suffisamment r?par?s par le Gouvernement d?fendeur, la Cour, statuant en ?quit? comme le veut l’article 41 de la Convention, accorde aux quatre requ?rants la somme globale de 1 000 000 000 ITL pour dommages mat?riel et moral.
23. Quant aux frais et d?pens, la Cour note d’abord que les int?ress?s ont obtenu devant elle l’assistance judiciaire. Elle rappelle ensuite que selon sa jurisprudence, un requ?rant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et d?pens que dans la mesure o? se trouvent ?tablis leur r?alit?, leur n?cessit? et le caract?re raisonnable de leur taux (voir, entre autres l’arr?t Musial
c. Pologne du 25 mars 1999, ? 61). De plus, l?article 60 ? 2 du r?glement pr?voit que toute pr?tention pr?sent?e au titre de l?article 41 de la Convention doit ?tre chiffr?e, ventil?e par rubrique et accompagn?e des justificatifs n?cessaires, faute de quoi la Cour peut rejeter la demande, en tout ou en partie (arr?t Buscarini et autres c. Saint-Marin du 18 f?vrier 1999, ? 48). Les requ?rants ayant omis de fournir les d?tails et les justificatifs pertinents, la Cour ?carte leur demande de remboursement des frais et d?pens.
B. Int?r?ts moratoires
24. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d?int?r?t l?gal applicable en Italie ? la date d?adoption du pr?sent arr?t ?tait de 2,5 % l?an.
Par ces motifs, la Cour, ? l?unanimit?,
1. Dit
a) que l?Etat d?fendeur doit verser aux requ?rants, dans les trois mois, 1 000 000 000 (un milliard) lires italiennes pour dommages mat?riel et moral ;
b) que ce montant sera ? majorer d?un int?r?t simple de 2,5 % l?an ? compter de l?expiration dudit d?lai et jusqu?au versement ;
2. Rejette la demande de satisfaction ?quitable pour le surplus.
Fait en fran?ais et en anglais, puis communiqu? par ?crit le 16 juin 1999, en application de l?article 77 ?? 2 et 3 du r?glement.
Sign? : Elisabeth Palm
Pr?sidente
Sign? : Paul Mahoney
Greffier adjoint
Notes du greffe
1-2. Entr? en vigueur le 1er novembre 1998.
2. Tel qu?applicable avant l?entr?e en vigueur du Protocole n? 11 et l??tablissement d?une Cour fonctionnant de fa?on permanente (article 19 de la Convention tel qu?amend? par ledit Protocole).
ARR?T ZUBANI (Article 41) DU 16 JUIN 1999