Conclusion Exception pr?liminaire jointe au fond et rejet?e (non-?puisement de voies de recours internes) ; Violation de P1-1 ; Satisfaction ?quitable r?serv?e
CINQUI?ME SECTION
AFFAIRE UCCI c. ITALIE
(Requ?te no 213/04)
ARR?T
STRASBOURG
22 juin 2006
D?FINITIF
22/09/2006
Cet arr?t deviendra d?finitif dans les conditions d?finies ? l?article 44 ? 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l?affaire Ucci c. Italie,
La Cour europ?enne des Droits de l?Homme (cinqui?me section), si?geant en une chambre compos?e de :
MM. P. Lorenzen, pr?sident,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska,
MM. V. Zagrebelsky,
J. Borrego Borrego,
Mme R. Jaeger, juges,
et de Mme C. Westerdiek, greffi?re de section,
Apr?s en avoir d?lib?r? en chambre du conseil le 29 mai 2006,
Rend l?arr?t que voici, adopt? ? cette date :
PROC?DURE
1. A l?origine de l?affaire se trouve une requ?te (no 213/04) dirig?e contre la R?publique italienne et dont un ressortissant de cet ?tat, M. P. U. (? le requ?rant ?), a saisi la Cour le 5 d?cembre 2003 en vertu de l?article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l?Homme et des Libert?s fondamentales (? la Convention ?).
2. Le requ?rant est repr?sent? par Me L. C., avocat ? B?n?vent. Le gouvernement italien (? le Gouvernement ?) est repr?sent? par son agent, M. I. M. Braguglia, et par son coagent adjoint, M. N. Lettieri.
3. Le 18 mars 2005, la Cour (premi?re section) a d?cid? de communiquer la requ?te au Gouvernement. Se pr?valant des dispositions de l?article 29 ? 3, elle a d?cid? que seraient examin?s en m?me temps la recevabilit? et le bien-fond? de l?affaire.
4. Le 1er avril 2006, la requ?te a ?t? attribu?e ? la cinqui?me section nouvellement constitu?e (articles 25 ? 5 et 52 ? 1 du r?glement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L?ESP?CE
5. Le requ?rant est n? en 1945 et r?side ? B?n?vent.
6. Le requ?rant ?tait propri?taire d?un terrain agricole de 55 810 m?tres carr?s sis ? B?n?vent et enregistr? au cadastre, feuille 31, parcelles 3, 31, 34, 179, 181, 221, 222, 223, 225 et 226.
7. Par deux arr?t?s des 20 novembre 1986 et 21 avril 1988, la soci?t? des chemins de fer approuva le projet d?am?nagement d?une partie du r?seau des chemins de fer.
8. Par deux arr?t?s des 9 janvier 1987 et 18 mai 1988, le Pr?fet de B?n?vent autorisa la soci?t? C. F. I. (? soci?t? concessionnaire?) ? occuper d?urgence une partie du terrain du requ?rant, ? savoir 11 945 m?tres carr?s, en vue de son expropriation pour cause d?utilit? publique, afin de proc?der auxdits travaux d?am?nagement.
9. Les 6 f?vrier 1987 et 29 juin 1988, la soci?t? concessionnaire proc?da ? l?occupation mat?rielle du terrain et entama les travaux de construction.
10. Par un arr?t? du 14 f?vrier 1996, le Pr?fet de B?n?vent d?cr?ta l?expropriation de la partie du terrain qui avait ?t? d?j? occup?e. Le 20 mai 1996, la soci?t? concessionnaire versa au requ?rant les sommes de 39 462 317 ITL ? titre d?indemnit? provisoire d?expropriation et de 7 125 141 ITL ? titre d?indemnit? provisoire d?occupation.
11. Entre-temps, par un acte d?assignation notifi? le 31 ao?t 1994, le requ?rant avait assign? la soci?t? des chemins de fer devant le tribunal de B?n?vent.
12. Il faisait notamment valoir que les travaux de construction s??taient termin?s sans qu?il f?t proc?d? ? l?expropriation et au paiement d?une indemnit?. Il all?guait qu?? la suite de l?ach?vement de l?ouvrage public, son droit de propri?t? avait ?t? neutralis? et, par cons?quent, il r?clamait une somme correspondant ? la valeur v?nale du terrain, ainsi qu?une indemnit? d?occupation et une indemnisation pour la perte de valeur de la partie restante du terrain.
13. La soci?t? des chemins de fer ne se constitua pas dans la proc?dure devant le tribunal de B?n?vent. Toutefois, la soci?t? concessionnaire se constitua volontairement dans cette proc?dure.
14. Au cours de la proc?dure, une expertise fut d?pos?e au greffe. Selon l?expert, la valeur v?nale du terrain occup?, calcul?e au 6 f?vrier 1992, ? savoir au moment de l?expiration du d?lai d?occupation autoris?e, ?tait de 59 725 000 ITL, soit 5 000 ITL le m?tre carr?. En outre, l?expert ?valua ? 26 384 347 ITL l?indemnit? d?occupation et ? 10 966 250 ITL l?indemnisation due pour la perte de valeur de la partie restante du terrain.
15. Par un jugement d?pos? au greffe le 27 mai 1999, le tribunal de B?n?vent statua que le requ?rant devait ?tre consid?r? comme ayant ?t? priv? de son terrain en vertu du principe de l?expropriation indirecte ? compter du 6 f?vrier 1992 et que le d?cret d?expropriation du 14 f?vrier 1996 ?tait par cons?quent tardif.
16. A la lumi?re de ces consid?rations, le tribunal condamna la soci?t? des chemins de fer et la soci?t? concessionnaire ? verser au requ?rant un d?dommagement pour la perte du terrain ?gal ? la valeur v?nale de celui-ci en 1992, ? savoir de 59 725 000 ITL, plus r??valuation et int?r?ts, ainsi que la somme de 10 966 250 ITL, avec r??valuation et int?r?ts, ? titre d?indemnisation pour la perte de valeur de la partie restante du terrain. Quant ? l?indemnit? d?occupation, le tribunal d?clara son incomp?tence dans la mati?re, compte tenu de ce que seule la cour d?appel ?tait comp?tente ? reconna?tre le droit ? l?obtention d?une telle indemnit?.
17. Par un acte du 29 juin 1999, la soci?t? concessionnaire interjeta appel de ce jugement devant la cour d?appel de Naples, contestant le montant du d?dommagement reconnu au requ?rant pour la perte de son terrain et faisant valoir que les sommes de 39 462 317 ITL et de 7 125 141 ITL, d?j? encaiss?es par le requ?rant, devaient ?tre soustraites ? la somme reconnue par le tribunal ? titre de d?dommagement pour la perte du terrain.
18. Par un arr?t d?pos? au greffe le 28 octobre 2003, la cour d?appel accueillit partiellement l?appel de la soci?t? concessionnaire, statuant que seule la somme de 39 462 317 ITL, d?j? encaiss?e par le requ?rant ? titre d?indemnit? provisoire d?expropriation, devait ?tre soustraite ? la somme de 59 725 000 ITL, reconnue par le tribunal ? titre de d?dommagement pour la perte du terrain. D?apr?s le requ?rant, cet arr?t a acquis force de chose jug?e le 13 d?cembre 2004.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. L?occupation d?urgence d?un terrain
19. En droit italien, la proc?dure acc?l?r?e d?expropriation permet ? l?administration d?occuper un terrain et d?y construire avant l?expropriation. Une fois l?ouvrage ? r?aliser d?clar? d?utilit? publique et le projet de construction adopt?, l?administration peut d?cr?ter l?occupation d?urgence des zones ? exproprier pour une dur?e d?termin?e n?exc?dant pas cinq ans (article 20 de la loi no 865 de 1971). Ce d?cret devient caduc si l?occupation mat?rielle du terrain n?a pas lieu dans les trois mois suivant sa promulgation. Avant la fin de la p?riode d?occupation autoris?e, un arr?t? d?expropriation formelle doit ?tre pris.
20. L?occupation autoris?e d?un terrain donne droit ? une indemnit? d?occupation. La Cour constitutionnelle a reconnu, dans son arr?t no 470 de 1990, un droit d?acc?s imm?diat ? un tribunal aux fins de r?clamer l?indemnit? d?occupation d?s que le terrain est mat?riellement occup?, sans besoin d?attendre que l?administration proc?de ? une offre d?indemnisation.
B. Le principe de l?expropriation indirecte (? occupazione acquisitiva ? ou ? accessione invertita ?)
21. Dans les ann?es 1970, plusieurs administrations locales proc?d?rent ? des occupations d?urgence de terrains qui ne furent pas suivies d?arr?t?s d?expropriation. Les juridictions italiennes se trouv?rent confront?es ? des cas o? le propri?taire d?un terrain avait perdu de facto la disponibilit? de celui-ci en raison de l?occupation et de l?accomplissement de travaux de construction d?un ouvrage public. Restait ? savoir si, simplement par l?effet des travaux effectu?s, l?int?ress? avait perdu ?galement la propri?t? du terrain.
1. La jurisprudence avant l?arr?t no 1464 de 1983 de la Cour de cassation
22. La jurisprudence ?tait tr?s partag?e sur le point de savoir quels ?taient les effets de la construction d?un ouvrage public sur un terrain occup? ill?galement. Par occupation ill?gale, il faut entendre une occupation ill?gale ab initio, ou bien une occupation initialement autoris?e et devenue sans titre par la suite, le titre ?tant annul? ou bien l?occupation se poursuivant au-del? de l??ch?ance autoris?e sans qu?un arr?t? d?expropriation ne soit intervenu.
23. Selon une premi?re jurisprudence, le propri?taire du terrain occup? par l?administration ne perdait pas la propri?t? du terrain apr?s l?ach?vement de l?ouvrage public. Toutefois, il ne pouvait pas demander une remise en l??tat du terrain et pouvait uniquement engager une action en dommages et int?r?ts pour occupation abusive, non soumise ? un d?lai de prescription puisque l?ill?galit? d?coulant de l?occupation ?tait permanente. L?administration pouvait ? tout moment adopter une d?cision formelle d?expropriation ; dans ce cas, l?action en dommages-int?r?ts se transformait en litige portant sur l?indemnit? d?expropriation et les dommages-int?r?ts n??taient dus que pour la p?riode ant?rieure au d?cret d?expropriation pour la non-jouissance du terrain (voir, entre autres, les arr?ts de la Cour de cassation no 2341 de 1982, no 4741 de 1981, no 6452 et no 6308 de 1980).
24. Selon une deuxi?me jurisprudence, le propri?taire du terrain occup? par l?administration ne perdait pas la propri?t? du terrain et pouvait demander la remise en l??tat, lorsque l?administration avait agi sans qu?il y ait utilit? publique (voir, par exemple, Cour de cassation, arr?t no 1578 de 1976, arr?t no 5679 de 1980).
25. Selon une troisi?me jurisprudence, le propri?taire du terrain occup? par l?administration perdait automatiquement la propri?t? du terrain au moment de la transformation irr?versible du bien, ? savoir au moment de l?ach?vement de l?ouvrage public. L?int?ress? avait le droit de demander des dommages-int?r?ts (voir l?arr?t no 3243 de 1979 de la Cour de cassation).
2. L?arr?t no 1464 de 1983 de la Cour de cassation
26. Par un arr?t du 16 f?vrier 1983, la Cour de cassation, statuant en chambres r?unies, r?solut le conflit de jurisprudence et adopta la troisi?me solution. Ainsi fut consacr? le principe de l?expropriation indirecte (accessione invertita ou occupazione acquisitiva). En vertu de ce principe, la puissance publique acquiert ab origine la propri?t? d?un terrain sans proc?der ? une expropriation formelle lorsque, apr?s l?occupation du terrain, et ind?pendamment de la l?galit? de l?occupation, l?ouvrage public a ?t? r?alis?. Lorsque l?occupation est ab initio sans titre, le transfert de propri?t? a lieu au moment de l?ach?vement de l?ouvrage public. Lorsque l?occupation du terrain a initialement ?t? autoris?e, le transfert de propri?t? a lieu ? l??ch?ance de la p?riode d?occupation autoris?e. Dans le m?me arr?t, la Cour de cassation pr?cisa que, dans tous les cas d?expropriation indirecte, l?int?ress? a droit ? une r?paration int?grale, l?acquisition du terrain ayant eu lieu sans titre. Toutefois, cette r?paration n?est pas vers?e automatiquement ; il incombe ? l?int?ress? de r?clamer des dommages-int?r?ts. En outre, le droit ? r?paration est assorti du d?lai de prescription pr?vu en cas de responsabilit? d?lictuelle, ? savoir cinq ans, commen?ant ? courir au moment de la transformation irr?versible du terrain.
3. La jurisprudence apr?s l?arr?t no 1464 de 1983 de la Cour de cassation
a) La prescription
27. Dans un premier temps, la jurisprudence consid?rait qu?aucun d?lai de prescription ne trouvait ? s?appliquer, puisque l?occupation sans titre du terrain constituait un acte ill?gal continu. La Cour de cassation, dans son arr?t no 1464 de 1983, affirma que le droit ? r?paration ?tait soumis ? un d?lai de prescription de cinq ans. Par la suite, la premi?re section de la Cour de cassation affirma qu?un d?lai de prescription de dix ans devait s?appliquer (arr?ts no 7952 de 1991 et no 10979 de 1992). Par un arr?t du 22 novembre 1992, la Cour de cassation statuant en chambres r?unies a d?finitivement tranch? la question, estimant que le d?lai de prescription est de cinq ans et qu?il commence ? courir au moment de la transformation irr?versible du terrain.
b) L?arr?t no 188 de 1995 de la Cour constitutionnelle
28. Dans cet arr?t, la Cour constitutionnelle a jug? compatible avec la Constitution le principe de l?expropriation indirecte, dans la mesure o? ce principe est ancr? dans une disposition l?gislative, ? savoir l?article 2043 du code civil r?gissant la responsabilit? d?lictuelle. Selon cet arr?t, le fait que l?administration devient propri?taire d?un terrain en tirant b?n?fice de son comportement ill?gal ne pose aucun probl?me sur le plan constitutionnel, puisque l?int?r?t public, ? savoir la conservation de l?ouvrage public, l?emporte sur l?int?r?t du particulier, et donc sur le droit de propri?t? de ce dernier. La Cour constitutionnelle a jug? compatible avec la Constitution l?application ? l?action en r?paration du d?lai de prescription de cinq ans, tel que pr?vu par l?article 2043 du code civil pour responsabilit? d?lictuelle.
c) Cas de non-application du principe de l?expropriation indirecte
29. Les d?veloppements de la jurisprudence montrent que le m?canisme par lequel la construction d?un ouvrage public entra?ne le transfert de propri?t? du terrain au b?n?fice de l?administration conna?t des exceptions.
30. Dans son arr?t no 874 de 1996, le Conseil d??tat a affirm? qu?il n?y a pas d?expropriation indirecte lorsque les d?cisions de l?administration et l?arr?t? d?occupation d?urgence ont ?t? annul?s par les juridictions administratives ; si tel n??tait pas le cas, la d?cision judiciaire serait vid?e de substance.
31. Dans son arr?t no 1907 de 1997, la Cour de cassation statuant en chambres r?unies a affirm? que l?administration ne devient pas propri?taire d?un terrain lorsque les d?cisions qu?elle a adopt?es et la d?claration d?utilit? publique doivent ?tre consid?r?es comme nulles ab initio. Dans ce cas, l?int?ress? garde la propri?t? du terrain et peut demander la restitutio in integrum. Il peut, comme alternative, demander des dommages-int?r?ts. L?ill?galit? dans ces cas a un caract?re permanent et aucun d?lai de prescription ne trouve application.
32. Dans l?arr?t no 6515 de 1997, la Cour de cassation statuant en chambres r?unies a affirm? qu?il n?y a pas de transfert de propri?t? lorsque la d?claration d?utilit? publique a ?t? annul?e par les juridictions administratives. Dans ce cas, le principe de l?expropriation indirecte ne trouve donc pas ? s?appliquer. L?int?ress?, qui garde la propri?t? du terrain, a la possibilit? de demander la restitutio in integrum. L?introduction d?une demande en dommages-int?r?ts entra?ne une renonciation ? la restitutio in integrum. Le d?lai de prescription de cinq ans commence ? courir au moment o? la d?cision du juge administratif devient d?finitive.
33. Dans l?arr?t no 148 de 1998, la premi?re section de la Cour de cassation a suivi la jurisprudence des chambres r?unies et affirm? que le transfert de propri?t? par effet de l?expropriation indirecte n?a pas lieu lorsque la d?claration d?utilit? publique ? laquelle le projet de construction ?tait assorti a ?t? consid?r?e comme invalide ab initio.
34. Dans l?arr?t no 5902 de 2003, la Cour de cassation en chambres r?unies a r?affirm? qu?il n?y a pas de transfert de propri?t? en l?absence de d?claration d?utilit? publique valide.
35. Il convient de comparer cette jurisprudence avec la loi no 458 de 1988 (paragraphes 36-37 ci-dessous) et avec le R?pertoire des dispositions sur l?expropriation, entr? en vigueur le 30 juin 2003 (paragraphes 46-47 ci – dessous).
4. La loi no458 du 27 octobre 1988
36. Aux termes de l?article 3 de cette loi,
? Le propri?taire d?un terrain, utilis? pour la construction de b?timents publics et de logements sociaux, a droit ? la r?paration du dommage subi, ? la suite d?une expropriation d?clar?e ill?gale par une d?cision pass?e en force de chose jug?e, mais ne peut pr?tendre ? la restitution de son bien. Il a ?galement droit, en plus de la r?paration du dommage, aux sommes dues en raison de la d?pr?ciation mon?taire et ? celles mentionn?es ? l?article 1224 ? 2 du code civil et ceci ? compter du jour de l?occupation ill?gale. ?
37. Interpr?tant l?article 3 de la loi de 1988, la Cour constitutionnelle, dans son arr?t du 12 juillet 1990 (n? 384), a consid?r? :
? Par la disposition attaqu?e, le l?gislateur, entre l?int?r?t des propri?taires des terrains – obtenir en cas d?expropriation ill?gale la restitution des terrains – et l?int?r?t public – concr?tis? par la destination de ces biens ? des finalit?s de constructions r?sidentielles publiques ? des conditions favorables ou conventionn?es – a donn? la priorit? ? ce dernier int?r?t. ?
5. Le montant de la r?paration en cas d?expropriation indirecte
38. Selon la jurisprudence de 1983 de la Cour de cassation en mati?re d?expropriation indirecte, une r?paration int?grale du pr?judice subi, sous forme de dommages-int?r?ts pour la perte du terrain, ?tait due ? l?int?ress? en contrepartie de la perte de propri?t? qu?entra?ne l?occupation ill?gale.
39. La loi budg?taire de 1992 (article 5 bis du d?cret-loi no 333 du 11 juillet 1992) modifia cette jurisprudence, dans le sens que le montant d? en cas d?expropriation indirecte ne pouvait d?passer le montant de l?indemnit? pr?vue pour le cas d?une expropriation formelle. Par l?arr?t no 369 de 1996, la Cour constitutionnelle d?clara inconstitutionnelle cette disposition.
40. En vertu de la loi budg?taire no 662 de 1996, qui fit suite ? la disposition d?clar?e inconstitutionnelle, l?indemnisation int?grale ne peut ?tre accord?e pour une occupation de terrain ayant eu lieu avant le 30 septembre 1996. Dans cette perspective, l?indemnisation ?quivaut au montant de l?indemnit? pr?vue pour le cas d?une expropriation formelle, dans l?hypoth?se la plus favorable au propri?taire, moyennant une augmentation de 10 %.
41. Par l?arr?t no 148 du 30 avril 1999, la Cour constitutionnelle a jug? une telle indemnit? compatible avec la Constitution. Toutefois, dans le m?me arr?t, la Cour a pr?cis? qu?une indemnit? int?grale, ? concurrence de la valeur v?nale du terrain, peut ?tre r?clam?e lorsque l?occupation et la privation du terrain n?ont pas eu lieu pour cause d?utilit? publique.
6. La jurisprudence apr?s les arr?ts de la Cour europ?enne des Droits de l?Homme du 30 mai 2000 dans les affaires Belvedere Alberghiera et Carbonara et Ventura.
42. Par les arr?ts no 5902 et 6853 de 2003, la Cour de cassation en chambres r?unies s?est ? nouveau prononc?e sur le principe de l?expropriation indirecte, en faisant r?f?rence aux deux arr?ts de la Cour europ?enne des Droits de l?Homme.
43. Au vu du constat de violation de l?article 1 du Protocole no 1 dans les affaires ci-dessus, la Cour de cassation a affirm? que le principe de l?expropriation indirecte joue un r?le important dans le cadre du syst?me juridique italien et qu?il est compatible avec la Convention.
44. Plus sp?cifiquement, la Cour de cassation ? apr?s avoir analys? l?histoire du principe de l?expropriation indirecte – a dit qu?au vu de l?uniformit? de la jurisprudence en la mati?re, le principe de l?expropriation indirecte doit passer pour pleinement ? pr?visible ? ? compter de 1983. De ce fait, l?expropriation indirecte doit ?tre consid?r?e comme ?tant respectueuse du principe de l?galit?. S?agissant des occupations de terrain ayant lieu sans d?claration d?utilit? publique, la Cour de cassation a affirm? que celles-ci ne sont pas aptes ? transf?rer la propri?t? du bien ? l??tat. Quant ? l?indemnisation, elle a affirm? que, m?me si elle est inf?rieure au pr?judice subi par l?int?ress?, et notamment ? la valeur du terrain, l?indemnisation due en cas d?expropriation indirecte est suffisante pour garantir un ? juste ?quilibre ? entre les exigences de l?int?r?t g?n?ral de la soci?t? et les imp?ratifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l?individu.
45. Saisi d?un recours en ex?cution d?une d?cision judiciaire d?finitive annulant la d?claration d?utilit? publique concernant une proc?dure d?expropriation, vu la demande de la partie requ?rante tendant ? obtenir la restitution du terrain entre-temps occup? et transform?, le Conseil d??tat, dans son arr?t no 2/2005 du 29 avril 2005 rendu en s?ance pl?ni?re, s?est prononc? sur le point de savoir si la transformation irr?versible dudit terrain ? la suite de la construction de l?ouvrage ? public ? pouvait constituer une raison de droit emp?chant la restitution du terrain. Le Conseil d??tat a r?pondu par la n?gative. Ce faisant, il a :
a) reconnu que le principe jurisprudentiel de l?expropriation indirecte est d?faillant quant au besoin de s?curit? juridique, en ce qui concerne entre autres le point de savoir ? quelle date l?ouvrage public doit ?tre consid?r? comme ? r?alis? ? et donc ? quelle date il y a eu transfert de propri?t? au b?n?fice de l??tat ;
b) salu? jurisprudence de la Cour, et notamment l?arr?t Belvedere Alberghiera Srl c. Italie, en affirmant que, face ? une demande en restitution d?un bien ill?galement occup? et transform?, l?ouvrage r?alis? par les autorit?s publiques ne peut pas, en tant que tel, constituer un obstacle absolu ? la restitution ;
c) interpr?t? l?article 43 du R?pertoire (paragraphe 47 ci-dessous) dans le sens o? la non-restitution d?un terrain ne peut ?tre admise que dans des cas exceptionnels, ? savoir lorsque l?administration invoque un int?r?t public particuli?rement marqu? ? la conservation de l?ouvrage ;
d) affirm?, dans ce contexte, que l?expropriation indirecte ne saurait constituer une alternative (? una mera alternativa ?) ? une proc?dure d?expropriation en bonne et due forme.
7. Le R?pertoire des dispositions l?gislatives et r?glementaires en mati?re d?expropriation pour cause d?utilit? publique (? le R?pertoire ?)
46. Le 30 juin 2003 est entr? en vigueur le d?cret pr?sidentiel no 327 du 8 juin 2001, modifi? par le d?cret l?gislatif no 302 du 27 d?cembre 2002, et qui r?git la proc?dure d?expropriation. Le R?pertoire codifie les dispositions et la jurisprudence existantes en la mati?re. En particulier, il codifie le principe de l?expropriation indirecte. Le R?pertoire, qui ne s?applique pas aux cas d?occupation survenus ant?rieurement ? 1996 et n?est donc pas applicable en l?esp?ce, s?est substitu?, ? partir de son entr?e en vigueur, ? l?ensemble de la l?gislation et de la jurisprudence pr?c?dente en mati?re d?expropriation.
47. A son article 43, le R?pertoire pr?voit qu?en l?absence d?un arr?t? d?expropriation, ou en l?absence de d?claration d?utilit? publique, un terrain transform? ? la suite de la r?alisation d?un ouvrage public est acquis au patrimoine de l?autorit? qui l?a transform? ; des dommages-int?r?ts sont accord?s en contrepartie. L?autorit? peut acqu?rir un bien m?me lorsque le plan d?urbanisme ou la d?claration d?utilit? publique ont ?t? annul?s. Le propri?taire peut demander au juge la restitution du terrain. L?autorit? en cause peut s?y opposer. Lorsque le juge d?cide de ne pas ordonner la restitution du terrain, le propri?taire a droit ? un d?dommagement.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALL?GU?E DE L?ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
48. Le requ?rant all?gue avoir ?t? priv? de son terrain dans des circonstances incompatibles avec l?article 1 du Protocole no 1, ainsi libell? :
? Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut ?tre priv? de sa propri?t? que pour cause d?utilit? publique et dans les conditions pr?vues par la loi et les principes g?n?raux du droit international.
Les dispositions pr?c?dentes ne portent pas atteinte au droit que poss?dent les ?tats de mettre en vigueur les lois qu?ils jugent n?cessaires pour r?glementer l?usage des biens conform?ment ? l?int?r?t g?n?ral ou pour assurer le paiement des imp?ts ou d?autres contributions ou des amendes. ?
A. Sur la recevabilit?
49. Le Gouvernement soul?ve une exception de non-?puisement des voies de recours internes, faisant valoir que le requ?rant ne s?est pas pourvu en cassation envers l?arr?t de la cour d?appel de Naples.
50. Le requ?rant s?oppose ? la th?se du Gouvernement.
51. La Cour estime, ? la lumi?re de l?ensemble des arguments des parties, que cette exception est ?troitement li?e au fond de la requ?te et d?cide de la joindre au fond. Elle constate que la requ?te n?est pas manifestement mal fond?e au sens de l?article 35 ? 3 de la Convention. Elle rel?ve par ailleurs que celle-ci ne se heurte ? aucun autre motif d?irrecevabilit?. Il convient donc de la d?clarer recevable.
B. Sur le fond
1. Th?ses des parties
a) Le Gouvernement
52. Dans ces observations, le Gouvernement fait observer qu?il s?agit d?une occupation de terrain dans le cadre d?une proc?dure administrative reposant sur une d?claration d?utilit? publique. Il admet que la proc?dure d?expropriation n?a pas ?t? mise en ?uvre dans les termes pr?vus par la loi, dans la mesure o? aucun d?cret d?expropriation n?a ?t? adopt?.
53. Premi?rement, il y aurait utilit? publique, ce qui n?a pas ?t? remis en cause par les juridictions nationales.
54. Deuxi?mement, la privation du bien telle que r?sultant de l?expropriation indirecte serait ? pr?vue par la loi ?. Le principe de l?expropriation indirecte devrait ?tre consid?r? comme faisant partie du droit positif ? compter au plus tard de l?arr?t de la Cour de cassation no 1464 de 1983. La jurisprudence ult?rieure aurait confirm? ce principe et pr?cis? certains aspects de son application et, en outre, ce principe aurait ?t? reconnu par la loi no 458 du 27 octobre 1988 et par la loi budg?taire no 662 de 1996.
55. Le Gouvernement en conclut qu?? partir de 1983, les r?gles de l?expropriation indirecte ?taient parfaitement pr?visibles, claires et accessibles ? tous les propri?taires de terrains.
56. A cet ?gard, le Gouvernement rappelle que la jurisprudence de la Cour a reconnu que l?id?e de loi recouvre les principes g?n?raux ?nonc?s ou impliqu?s par elle (Winterwerp c. Pays-Bas, arr?t du 24 octobre 1979, s?rie A no 33 ? 45) ainsi que du droit non ?crit (voir l?arr?t Sunday Times c. Royaume-Uni (no 1) du 26 avril 1979, s?rie A no 30, ? 47).
57. Il s?ensuit que la jurisprudence consolid?e de la Cour de cassation ne saurait ?tre exclue de la notion de loi au sens de la Convention.
58. Le Gouvernement rappelle que dans une affaire allemande (Forrer – Niedenthal c. Allemagne, no 47316/99, arr?t du 20 f?vrier 2003) la Cour a consid?r? une loi allemande de 1997 comme suffisante, malgr? son impr?visibilit? manifeste, pour fournir une base l?gale aux d?cisions qui ont priv? la requ?rante de toute protection contre l?atteinte port? ? sa propri?t?. Le Gouvernement demande ? la Cour d?appliquer le m?me crit?re de jugement ? la pr?sente affaire.
59. S?agissant de la qualit? de la loi, le Gouvernement reconna?t que le fait qu?un d?cret d?expropriation n?ait pas ?t? prononc? est en soi un manquement aux r?gles qui pr?sident ? la proc?dure administrative.
60. Toutefois, compte tenu de ce que le terrain a ?t? transform? de mani?re irr?versible en raison de la construction d?une ?uvre d?utilit? publique, la restitution de celui-ci n?est plus possible.
61. Le Gouvernement d?finit l?expropriation indirecte comme le r?sultat d?une interpr?tation syst?matique par les juges de principes existants, tendant ? garantir que l?int?r?t g?n?ral pr?vale sur l?int?r?t des particuliers, lorsque l?ouvrage public a ?t? r?alis? (transformation du terrain) et r?pond ? l?utilit? publique.
62. Quant ? l?exigence de garantir un juste ?quilibre entre le sacrifice impos? aux particuliers et la compensation octroy?e ? ceux-ci, le Gouvernement reconna?t que l?administration est tenue d?indemniser le particulier.
63. Cependant, cette indemnisation peut ?tre inf?rieure au pr?judice subi par l?int?ress?, vu que l?expropriation indirecte r?pond ? un int?r?t collectif et que l?ill?galit? commise par l?administration ne concerne que la forme, ? savoir un manquement aux r?gles qui pr?sident ? la proc?dure administrative.
64. A la lumi?re de ces consid?rations et se referant notamment aux affaires Zubani c. Italie, (arr?t du 7 ao?t 1996, Recueil des arr?ts et d?cisions 1996-IV) et B?ck c. Finlande (no 37598/97, CEDH 2004), le Gouvernement conclut que le juste ?quilibre a ?t? respect?.
b) Le requ?rant
65. Le requ?rant fait observer que l?expropriation indirecte est un m?canisme qui permet ? l?autorit? publique d?acqu?rir un bien en toute ill?galit?.
66. Le requ?rant d?nonce un manque de clart?, pr?visibilit? et pr?cision des principes et des dispositions appliqu?s ? son cas au motif qu?un principe jurisprudentiel, tel que celui de l?expropriation indirecte, ne suffit pas ? satisfaire au principe de l?galit?.
67. Il se plaint en outre de l?impossibilit? d?obtenir la restitution du terrain une fois d?clar?e par les juridictions nationales l?ill?galit? du transfert de la propri?t?.
2. Appr?ciation de la Cour
a) Sur l?existence d?une ing?rence
68. La Cour rappelle d?embl?e qu?elle a joint au fond l?exception du Gouvernement tir?e du non-?puisement des voies de recours internes.
69. La Cour rappelle que, pour d?terminer s?il y a eu ? privation de biens ?, il faut non seulement examiner s?il y a eu d?possession ou expropriation formelle, mais encore regarder au-del? des apparences et analyser la r?alit? de la situation litigieuse. La Convention visant ? prot?ger des droits ? concrets et effectifs ?, il importe de rechercher si cette situation ?quivalait ? une expropriation de fait (Sporrong et L?nnroth c. Su?de, arr?t du 23 septembre 1982, s?rie A no 52, pp. 24-25, ? 63).
70. La Cour rel?ve que, en appliquant le principe de l?expropriation indirecte, les juridictions nationales ont consid?r? le requ?rant comme ?tant priv? de son bien ? compter de l?expiration du d?lai d?occupation autoris?e. A d?faut d?un acte formel d?expropriation, le constat d?ill?galit? de la part du juge est l??l?ment qui consacre le transfert au patrimoine public du bien occup?. Dans ces circonstances, la Cour conclut que l?arr?t de la cour d?appel de Naples a eu pour effet de priver le requ?rant de son bien au sens de la deuxi?me phrase de l?article 1 du Protocole no 1 (Carbonara et Ventura, pr?cit?, ? 61, et Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, ? 77, CEDH 1999-VII).
71. Pour ?tre compatible avec l?article 1 du Protocole no 1 une telle ing?rence doit ?tre op?r?e ? pour cause d?utilit? publique ? et ? dans les conditions pr?vues par la loi et les principes g?n?raux de droit international ?. L?ing?rence doit m?nager un ? juste ?quilibre ? entre les exigences de l?int?r?t g?n?ral de la communaut? et les imp?ratifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l?individu (Sporrong et L?nnroth, pr?cit?, p. 26, ? 69). En outre, la n?cessit? d?examiner la question du juste ?quilibre ? ne peut se faire sentir que lorsqu?il s?est av?r? que l?ing?rence litigieuse a respect? le principe de l?galit? et n??tait pas arbitraire ? (Iatridis c. Gr?ce [GC], no 31107/96, ? 58, CEDH 1999-II, et Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, ? 107, CEDH 2000-I).
72. D?s lors, la Cour n?estime pas opportun de fonder son raisonnement sur la simple ?valuation du montant de la r?paration accord?e au requ?rant (Carbonara, pr?cit?, ? 62).
b) Sur le respect du principe de l?galit?
73. L?article 1 du Protocole no 1 exige, avant tout et surtout, qu?une ing?rence de l?autorit? publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit l?gale. La pr??minence du droit, l?un des principes fondamentaux d?une soci?t? d?mocratique, est inh?rente ? l?ensemble des articles de la Convention (Iatridis pr?cit?, ? 58). Le principe de l?galit? signifie l?existence de normes de droit interne suffisamment accessibles, pr?cises et pr?visibles (Hentrich c. France, arr?t du 22 septembre 1994, s?rie A no 296 – A, pp. 19-20, ? 42, et Lithgow et autres c. Royaume-Uni, arr?t du 8 juillet 1986, s?rie A no 102, p. 47, ? 110).
74. Dans les arr?ts Belvedere Alberghiera srl et Carbonara et Ventura pr?cit?s, la Cour n?avait pas estim? utile de juger in abstracto si le r?le qu?un principe jurisprudentiel, tel que celui de l?expropriation indirecte, occupe dans un syst?me de droit continental est assimilable ? celui occup? par des dispositions l?gislatives, ce qui compte ?tant ? en tout ?tat de cause -que la base l?gale r?ponde aux crit?res de pr?visibilit?, accessibilit? et pr?cision ?nonc?s plus haut. La Cour est toujours convaincue que l?existence en tant que telle d?une base l?gale ne suffit pas ? satisfaire au principe de l?galit? et estime utile de se pencher sur la question de la qualit? de la loi.
75. La Cour prend note de l??volution jurisprudentielle qui a conduit ? l??laboration du principe de l?expropriation indirecte. Elle rel?ve ?galement que ce principe a ?t? transpos? dans des textes de loi, tels que la loi no 458 de 1988 et la loi no 662 de 1996, et, tout derni?rement, dans le R?pertoire des dispositions en mati?re d?expropriation. Cela ?tant, la Cour ne perd pas de vue les applications contradictoires qui ont lieu dans le d?veloppement de la jurisprudence. Ce point de vue a d?ailleurs ?t? adopt? par le Conseil d?Etat (paragraphe 45 ci-dessus) qui, dans son arr?t no 2 de 2005 rendu en s?ance pl?ni?re, a reconnu que l?expropriation indirecte n?a jamais donn? lieu ? une r?glementation stable, compl?te et pr?visible.
76. La Cour rel?ve ?galement des contradictions entre la jurisprudence et les textes de loi ?crits susmentionn?s. A titre d?exemple, elle note que s?il est vrai que la jurisprudence a exclu, ? compter de 1996-1997, que l?expropriation indirecte puisse intervenir lorsque la d?claration d?utilit? publique a ?t? annul?e, il est ?galement vrai que le R?pertoire a tout derni?rement pr?vu qu?en l?absence de d?claration d?utilit? publique, tout terrain peut ?tre acquis au patrimoine public si le juge d?cide de ne pas ordonner la restitution du terrain occup? et transform? par l?administration.
77. A vu de ces ?l?ments, la Cour n?exclut pas que le risque d?un r?sultat impr?visible ou arbitraire pour les int?ress?s subsiste.
78. La Cour note ensuite que le m?canisme de l?expropriation indirecte permet en g?n?ral ? l?administration de passer outre les r?gles fix?es en mati?re d?expropriation, avec le risque d?un r?sultat impr?visible ou arbitraire pour les int?ress?s, qu?il s?agisse d?une ill?galit? depuis le d?but ou d?une ill?galit? survenue par la suite. En effet, dans tous les cas, l?expropriation indirecte tend ? ent?riner une situation de fait d?coulant des ill?galit?s commises par l?administration, ? r?gler les cons?quences pour le particulier et pour l?administration, au b?n?fice de celle-ci. Que ce soit en vertu d?un principe jurisprudentiel ou d?un texte de loi comme l?article 43 du R?pertoire, l?expropriation indirecte ne saurait donc constituer une alternative ? une expropriation en bonne et due forme (voir, sur ce point ?galement, le point de vue du Conseil d??tat, au paragraphe 45 ci-dessus).
79. A cet ?gard, la Cour note que l?expropriation indirecte permet ? l?administration d?occuper un terrain et de le transformer irr?versiblement, de telle sorte qu?il soit consid?r? comme acquis au patrimoine public, sans qu?en parall?le un acte formel d?clarant le transfert de propri?t? ne soit adopt?. En l?absence d?un acte formalisant l?expropriation et intervenant au plus tard au moment o? le propri?taire a perdu toute disponibilit? du bien, l??l?ment qui permettra de transf?rer au patrimoine public le bien occup? et d?atteindre une s?curit? juridique est le constat d?ill?galit? de la part du juge, valant d?claration de transfert de propri?t?. Il incombe ? l?int?ress? – qui continue d??tre formellement propri?taire – de solliciter du juge comp?tent une d?cision constatant, le cas ?ch?ant, l?ill?galit? assortie de la r?alisation d?un ouvrage d?int?r?t public, conditions n?cessaires pour qu?il soit d?clar? r?troactivement priv? de son bien.
80. Au vu de ces ?l?ments, la Cour estime que le m?canisme de l?expropriation indirecte n?est pas apte ? assurer un degr? suffisant de s?curit? juridique.
81. La Cour note ensuite que l?expropriation indirecte permet en outre ? l?administration d?occuper un terrain et de le transformer sans pour autant verser d?indemnit? en m?me temps. L?indemnit? doit ?tre r?clam?e par l?int?ress? et cela dans un d?lai de prescription de cinq ans, commen?ant ? compter de la date ? laquelle le juge estime que la transformation irr?versible du terrain a eu lieu. Ceci peut entra?ner des cons?quences n?fastes pour l?int?ress?, et rendre vain tout espoir de r?paration (Carbonara et Ventura, pr?cit?, ? 71).
82. En tout ?tat de cause, la Cour est appel?e ? v?rifier si la mani?re dont le droit interne est interpr?t? et appliqu? produit des effets conformes aux principes de la Convention.
83. Dans la pr?sente affaire, la Cour rel?ve qu?en appliquant le principe de l?expropriation indirecte, les juridictions italiennes ont consid?r? le requ?rant priv? de son bien ? compter de l?expiration du d?lai d?occupation autoris?e, les conditions d?ill?galit? de l?occupation et d?int?r?t public de l?ouvrage construit ?tant r?unies. Or, en l?absence d?un acte formel d?expropriation, la Cour estime que cette situation ne saurait ?tre consid?r?e comme ? pr?visible ?, puisque ce n?est que par la d?cision d?finitive ? l?arr?t de la cour d?appel de Naples ayant acquis force de chose jug?e ? que l?on peut consid?rer le principe de l?expropriation indirecte comme ayant effectivement ?t? appliqu? et que l?acquisition du terrain au patrimoine public a ?t? sanctionn?e. Par cons?quent, le requ?rant n?a eu la ? s?curit? juridique ? concernant la privation du terrain qu?? partir du 13 d?cembre 2004, date ? laquelle l?arr?t de la cour d?appel de Naples est devenu d?finitif.
84. La Cour observe ensuite que la situation en cause a permis ? l?administration de tirer parti d?une occupation de terrain ill?gale. En d?autres termes, l?administration a pu s?approprier d?un terrain au m?pris des r?gles r?gissant l?expropriation en bonne et due forme, et, entre autres, sans qu?une indemnit? soit mise en parall?le ? la disposition de l?int?ress?.
85. A la lumi?re de ces consid?rations, la Cour estime que l?ing?rence litigieuse n?est pas compatible avec le principe de l?galit? et qu?elle a donc enfreint le droit au respect des biens du requ?rant.
86. D?s lors, l?exception tir?e du non-?puisement des voies de recours internes ne saurait ?tre retenue et il y a eu violation de l?article 1 du Protocole no 1.
II. SUR L?APPLICATION DE L?ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
87. Aux termes de l?article 41 de la Convention,
? Si la Cour d?clare qu?il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d?effacer qu?imparfaitement les cons?quences de cette violation, la Cour accorde ? la partie l?s?e, s?il y a lieu, une satisfaction ?quitable. ?
88. A titre de pr?judice mat?riel, le requ?rant prend acte de l?impossibilit? d?obtenir la restitution du terrain en raison des travaux y effectu?s et demande d?abord la somme de 418 075 EUR, ?gale ? la valeur v?nale actuelle du terrain, comme d?dommagement pour la perte du terrain, ainsi que la somme de 611 919 EUR comme indemnisation pour la perte de valeur de la partie restante du terrain.
89. En outre, le requ?rant sollicite le versement des sommes de 650 000 EUR ? titre de plus-value d?coulant de la construction de l?ouvrage public, de 937 507,50 EUR ? titre d?indemnisation pour les dommages ? l?activit? d?agriculteur, et de 87 000 EUR pour non-jouissance du terrain.
90. A titre de pr?judice moral, le requ?rant sollicite le versement de 279 000 EUR.
91. Enfin, le requ?rant demande 14 270,43 EUR pour frais de proc?dure devant les juridictions internes et 80 618,50 EUR pour frais de proc?dure devant la Cour, taxe sur la valeur ajout?e (TVA) et contributions ? la caisse de pr?voyance des avocats (CPA) en sus.
92. Quant au pr?judice mat?riel, le Gouvernement
conteste d?embl?e les modalit?s de calcul du dommage mat?riel employ?es dans les arr?ts Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie (satisfaction ?quitable, no 31524/96, 30 octobre 2003) et Carbonara et Ventura c. Italie (satisfaction ?quitable, no 24638/94, 11 d?cembre 2003).
93. En outre, le Gouvernement conteste l??valuation de la valeur v?nale du terrain et du montant des autres indemnisations effectu?es par le requ?rant et estime qu?en tout ?tat de cause les sommes r?clam?es par le requ?rant seraient excessives.
94. S?agissant du dommage moral, le Gouvernement fait valoir qu?un tel dommage d?pend de la dur?e excessive de la proc?dure devant les juridictions nationales. Par cons?quent, le Gouvernement soutient que le versement d?une quelconque somme au titre d?indemnisation du dommage moral est subordonn? ? l??puisement du rem?de Pinto.
95. Quant aux frais de la proc?dure devant les juridictions nationales, le Gouvernement soutient que ceux-ci doivent ?tre rembours?s dans le cadre de cette derni?re proc?dure et non pas de celle devant la Cour.
96. S?agissant des frais de la proc?dure ? Strasbourg, le Gouvernement soutient que le requ?rant a quantifi? ceux-ci de mani?re vague et impr?cise.
97. La Cour estime que la question de l?application de l?article 41 ne se trouve pas en ?tat. En cons?quence, elle la r?serve et fixera la proc?dure ult?rieure, compte tenu de la possibilit? que le Gouvernement et le requ?rant parviennent ? un accord.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, ? L?UNANIMIT?,
1. Joint au fond l?exception du Gouvernement et la rejette ;
2. D?clare la requ?te recevable ;
3. Dit qu?il y a eu violation de l?article 1 du Protocole no 1 ;
4. Dit que la question de l?application de l?article 41 de la Convention ne se trouve pas en ?tat ;
en cons?quence,
a) la r?serve en entier ;
b) invite le Gouvernement et le requ?rant ? lui adresser par ?crit, dans les trois mois ? compter du jour o? l?arr?t sera devenu d?finitif conform?ment ? l?article 44 ? 2 de la Convention, leurs observations sur cette question et notamment ? lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;
c) r?serve la proc?dure ult?rieure et d?l?gue le pr?sident de la chambre le soin de la fixer au besoin.
Fait en fran?ais, puis communiqu? par ?crit le 22 juin 2006 en application de l?article 77 ?? 2 et 3 du r?glement.
Claudia Westerdiek Peer Lorenzen
Greffi?re Pr?sident
ARR?T UCCI c. ITALIE
ARR?T UCCI c. ITALIE