Conclusions: Partiellement irrecevable Violation de l’article 14+8-1 – Interdiction de la discrimination (Article 14 – Discrimination) (Article 8 – Droit au respect de la vie priv?e et familiale Article 8-1 – Respect de la vie familiale) Pr?judice moral – r?paration (Article 41 – Pr?judice moral
Satisfaction ?quitable)
PREMI?RE SECTION
AFFAIRE TADDEUCCI ET McCALL c. ITALIE
(Requ?te no 51362/09)
ARR?T
STRASBOURG
30 juin 2016
Cet arr?t deviendra d?finitif dans les conditions d?finies ? l?article 44 ? 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l?affaire Taddeucci et McCall c. Italie,
La Cour europ?enne des droits de l?homme (premi?re section), si?geant en une chambre compos?e de :
Mirjana Lazarova Trajkovska, pr?sidente,
Ledi Bianku,
Guido Raimondi,
Kristina Pardalos,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Robert Spano,
Pauliine Koskelo, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,
Apr?s en avoir d?lib?r? en chambre du conseil le 31 mai 2016,
Rend l?arr?t que voici, adopt? ? cette date :
PROC?DURE
1. ? l?origine de l?affaire se trouve une requ?te (no 51362/09) dirig?e contre la R?publique italienne et dont un ressortissant italien et un ressortissant n?o-z?landais, OMISSIS (? les requ?rants ?), ont saisi la Cour le 15 septembre 2009 en vertu de l?article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l?homme et des libert?s fondamentales (? la Convention ?).
2. Devant la Cour, les requ?rants ont ?t? repr?sent?s par OMISSIS, avocat ? Londres. Le gouvernement italien (? le Gouvernement ?) a ?t? repr?sent? par son agente, Mme E. Spatafora, et par sa coagente, Mme P. Accardo.
3. Dans leur requ?te, les requ?rants all?guaient que le refus d?octroyer au deuxi?me requ?rant un permis de s?jour pour raison familiale s?analysait en une discrimination fond?e sur l?orientation sexuelle.
4. Le 10 janvier 2012, la requ?te a ?t? communiqu?e au Gouvernement.
5. Tant les requ?rants que le gouvernement d?fendeur ont d?pos? des observations ?crites. En outre, des commentaires ont ?t? re?us de la part de quatre organisations non gouvernementales (International Commission of Jurists (ICJ), International Lesbian, Gay, Bisexual Trans and Intersex Association (ILGA) Europe, Network of European LGBT Families (NELFA) et European Commission on Sexual Orientation Law (ECSOL)), que le pr?sident avait autoris?es ? intervenir dans la proc?dure ?crite devant la chambre (articles 36 ? 2 de la Convention et 44 ? 3 du r?glement de la Cour (? le r?glement ?)).
6. Le 19 juin 2014, les requ?rants ont demand? ? la Cour de tenir une audience sur la recevabilit? et le fond de l?affaire. La Cour a estim? qu?une telle audience n??tait pas n?cessaire en l?esp?ce (articles 54 ? 5 et 59 ? 3 du r?glement de la Cour).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L?ESP?CE
7. M. Taddeucci (? le premier requ?rant ?) est n? en 1965. M. McCall (? le deuxi?me requ?rant ?) est n? en 1958. Ils r?sident ? Amsterdam.
A. La demande de permis de s?jour pour raison familiale du deuxi?me requ?rant
8. Les requ?rants forment un couple homosexuel depuis 1999. Ils ont r?sid? en Nouvelle-Z?lande, avec le statut de couple non mari?, jusqu?en d?cembre 2003, date ? laquelle ils d?cid?rent de s?installer en Italie en raison de la pr?carit? de l??tat de sant? du premier requ?rant.
9. Pendant leur premi?re p?riode de r?sidence en Italie, le deuxi?me requ?rant b?n?ficia d?une carte de s?jour temporaire pour ?tudiant. Il demanda par la suite l?octroi d?un permis de s?jour pour raison familiale, en vertu du d?cret l?gislatif no 286 du 25 juillet 1998 (paragraphes 26 28 ci dessous).
10. Le 18 octobre 2004, le chef de la police de Livourne rejeta sa demande au motif que les crit?res pr?vus par la loi n??taient pas remplis.
B. La proc?dure civile de premi?re instance
11. Le 27 janvier 2005, les requ?rants introduisirent un recours sur le fondement du d?cret l?gislatif no 286 de 1998. Ils demandaient l?octroi au deuxi?me requ?rant d?un permis de s?jour pour raison familiale.
12. Par un jugement du 4 juillet 2005, le tribunal civil de Florence accueillit le recours des requ?rants.
13. Le tribunal releva que les demandeurs ?taient reconnus en Nouvelle Z?lande en tant que couple, le premier requ?rant ayant b?n?fici? dans ce pays d?un permis de s?jour pour raison familiale en sa qualit? de partenaire non mari?. Selon le tribunal, le statut de couple non mari? des requ?rants n??tait pas contraire ? l?ordre public italien, les couples de facto b?n?ficiant d?une reconnaissance sociale et juridique dans le syst?me italien. De l?avis du tribunal, l?article 30 du d?cret l?gislatif no 286 de 1998 (paragraphe 27 ci-dessous) devait ?tre lu de mani?re conforme aux principes ?tablis par la Constitution, ce qui amenait ? consid?rer le concubin du m?me sexe comme ?tant un ? membre de la famille ? du ressortissant italien et donc comme disposant du droit ? obtenir un permis de s?jour.
14. Selon le tribunal, le droit revendiqu? par le deuxi?me requ?rant d?coulait ?galement des articles 3 et 10 de la directive no 2004/38/CE du 29 mai 2004 du Parlement europ?en et du Conseil (paragraphe 29 ci dessous), reconnaissant au partenaire d?un citoyen de l?Union europ?enne (UE) le droit ? obtenir un permis de s?jour d?s lors que l?existence d?une relation durable ?tait prouv?e.
C. L?appel form? par le ministre des Affaires int?rieures
15. Le ministre des Affaires int?rieures interjeta appel du jugement du tribunal de Florence.
16. Par un arr?t du 12 mai 2006, la cour d?appel de Florence fit droit ? cet appel. Elle indiqua que les autorit?s n?o-z?landaises avaient reconnu aux requ?rants le statut de ? partenaires concubins non mari?s ? et non pas celui de ? membres de la m?me famille ?.
17. D?une part, selon la cour d?appel, une lecture du d?cret l?gislatif no 286 de 1998 telle que pr?conis?e par le tribunal, amenant ? consid?rer le ? concubin ? comme un ? membre de la famille ?, n??tait pas compatible avec le syst?me juridique italien, lequel, d?apr?s lui, donnait ? ces deux concepts juridiques des port?es et des significations diff?rentes. D?autre part, la cour d?appel rappela que la Cour constitutionnelle avait affirm? ? maintes reprises qu?une relation fond?e sur la simple cohabitation, d?pourvue de stabilit? et de certitude juridique, ne pouvait en aucun cas ?tre assimil?e ? la famille l?gitime fond?e sur le mariage.
18. La cour d?appel estima que la loi n?o-z?landaise ne cadrait pas avec l?ordre public italien aux motifs tout d?abord qu?elle consid?rait comme ? concubins ? des personnes de m?me sexe et que, qui plus est, elle pouvait ?tre interpr?t?e comme conf?rant ? ces personnes la qualit? de ? membres de la famille ? aux fins de l?octroi ? celles-ci du permis de s?jour. Enfin, elle ajouta que ni le droit europ?en, notamment la directive no 2004/38/CE (paragraphe 29 ci-dessous), ni les dispositions de la Convention europ?enne des droits de l?homme n?obligeaient les ?tats ? reconna?tre les relations entre personnes de m?me sexe.
D. Le pourvoi en cassation des requ?rants
19. Les requ?rants se pourvurent en cassation.
20. Par un arr?t du 30 septembre 2008, dont le texte fut d?pos? au greffe le 17 mars 2009, la Cour de cassation d?bouta les requ?rants de leur pourvoi.
21. La Cour de cassation exposa d?abord que, aux termes de l?article 29 du d?cret l?gislatif no 286 de 1998 (paragraphe 28 ci-dessous), la notion de ? membre de la famille ? ne comprenait que les ?poux, les enfants mineurs, les enfants majeurs qui n??taient pas autonomes pour raisons de sant? et les parents ? charge ne disposant pas de soutien ad?quat dans leur pays d?origine. Elle indiqua que, en outre, la Cour constitutionnelle ayant exclu la possibilit? d??largir aux concubins la protection reconnue aux membres de la famille l?gitime, la Constitution n?imposait pas une interpr?tation extensive de l?article 29 pr?cit?.
22. La Cour de cassation estima ensuite qu?une telle interpr?tation ne d?coulait pas non plus des articles 8 et 12 de la Convention. En effet, selon elle, ces dispositions laissaient aux ?tats une large marge d?appr?ciation quant au choix des modalit?s d?exercice des droits qu?elles garantissaient, et ce notamment en mati?re de gestion de l?immigration. La Cour de cassation ajouta par ailleurs qu?il n?y avait en l?esp?ce aucune discrimination fond?e sur l?orientation sexuelle des requ?rants. Elle observa ? cet ?gard que l?exclusion des partenaires non mari?s du droit ? obtenir un permis de s?jour pour raison familiale concernait tant les partenaires de m?me sexe que les couples de sexe oppos?.
23. Enfin, elle jugea que la directive europ?enne no 2004/38/CE (paragraphe 29 ci-dessus), qui avait trait ? la libre circulation des citoyens de l?UE sur le territoire d??tats membres autres que leur ?tat d?origine, ne trouvait pas ? s?appliquer au cas d?esp?ce, au motif que celui-ci concernait le regroupement familial avec un ressortissant italien r?sidant dans son propre pays.
E. Le mariage des requ?rants
24. Ayant pris connaissance du texte de l?arr?t de la Cour de cassation, les requ?rants quitt?rent l?Italie en juillet 2009. Ils s?install?rent aux Pays Bas, o?, le 25 ao?t 2009, le deuxi?me requ?rant obtint un permis de s?jour d?une dur?e de cinq ans en tant que partenaire de facto engag? dans une relation durable avec un ressortissant de l?UE.
25. Le 8 mai 2010, les requ?rants se mari?rent ? Amsterdam. Ils ont pr?cis? qu?ils ont choisi de se marier pour des raisons personnelles et non pas pour obtenir un permis de s?jour, les autorit?s n?erlandaises en ayant d?j? d?livr? un au deuxi?me requ?rant. Ils ont ajout? que le mariage contract? aux Pays-Bas ne leur permettait pas de vivre ensemble en Italie. Le 22 ao?t 2014, le deuxi?me requ?rant obtint un deuxi?me permis de s?jour aux Pays-Bas, valable pour une dur?e de cinq ans, soit jusqu?au 22 ao?t 2019.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
26. Le d?cret l?gislatif no 286 du 25 juillet 1998 est le ? Texte unique des dispositions concernant la gestion de l?immigration et [des] normes sur la condition de l??tranger ? (Testo unico delle disposizioni concernenti la disciplina dell?immigrazione e norme sulla condizione dello straniero).
27. Selon l?article 30 c) de ce d?cret, le permis de s?jour pour raison familiale est octroy? au ? membre de la famille, ?tranger et en situation r?guli?re, qui remplit les crit?res pour le regroupement familial avec un ressortissant italien ou d?un ?tat membre de l?UE r?sidant en Italie, ou encore avec un ?tranger qui s?journe en situation r?guli?re en Italie ? (? al familiare straniero regolarmente soggiornante, in possesso dei requisiti per il ricongiungimento con il cittadino italiano o di uno Stato membro dell?Unione europea residenti in Italia, ovvero con straniero regolarmente soggiornante in Italia ?).
28. L?article 29 du d?cret concerne le regroupement familial. Selon son premier alin?a, un ?tranger peut demander le regroupement familial pour les membres de sa famille suivants : ? a) conjoints non l?galement s?par?s ; b) enfants mineurs ? charge (…) ; c) parents ? charge ; d) ascendants ou descendants jusqu?au troisi?me degr?, ? charge, inaptes au travail selon la l?gislation italienne ? (? a) coniuge non legalmente separato; b) figli minori a carico (…); c) genitori a carico; d) parenti entro il terzo grado, a carico, inabili al lavoro secondo la legislazione italiana ?).
III. LE DROIT ET LES DOCUMENTS EUROP?ENS PERTINENTS
A. La directive no 2004/38/CE
29. La directive no 2004/38/CE du 29 mai 2004 du Parlement europ?en et du Conseil, relative au droit des citoyens de l?UE et des membres de leurs familles de circuler et de s?journer librement sur le territoire des ?tats membres, contient les dispositions suivantes :
Article 2
D?finitions
? Aux fins de la pr?sente directive, on entend par :
1) ? citoyen de l?[UE] ? : toute personne ayant la nationalit? d?un ?tat membre ;
2) ? membre de la famille ? :
a) le conjoint ;
b) le partenaire avec lequel le citoyen de l?[UE] a contract? un partenariat enregistr?, sur la base de la l?gislation d?un ?tat membre, si, conform?ment ? la l?gislation de l??tat membre d?accueil, les partenariats enregistr?s sont ?quivalents au mariage, et dans le respect des conditions pr?vues par la l?gislation pertinente de l??tat membre d?accueil ;
c) les descendants directs qui sont ?g?s de moins de vingt et un ans ou qui sont ? charge, et les descendants directs du conjoint ou du partenaire tel que vis? au point b) ;
d) les ascendants directs ? charge et ceux du conjoint ou du partenaire tel que vis? au point b) ;
3) ? ?tat membre d?accueil ? : l??tat membre dans lequel se rend un citoyen de l?[UE] en vue d?exercer son droit de circuler et de s?journer librement. ?
Article 3
B?n?ficiaires
? 1. La pr?sente directive s?applique ? tout citoyen de l?[UE] qui se rend ou s?journe dans un ?tat membre autre que celui dont il a la nationalit?, ainsi qu?aux membres de sa famille, tels que d?finis ? l?article 2, point 2), qui l?accompagnent ou le rejoignent.
2. Sans pr?judice d?un droit personnel ? la libre circulation et au s?jour de l?int?ress?, l??tat membre d?accueil favorise, conform?ment ? sa l?gislation nationale, l?entr?e et le s?jour des personnes suivantes :
a) tout autre membre de la famille, quelle que soit sa nationalit?, qui n?est pas couvert par la d?finition figurant ? l?article 2, point 2), si, dans le pays de provenance, il est ? charge ou fait partie du m?nage du citoyen de l?[UE] b?n?ficiaire du droit de s?jour ? titre principal, ou lorsque, pour des raisons de sant? graves, le citoyen de l?[UE] doit imp?rativement et personnellement s?occuper du membre de la famille concern? ;
b) le partenaire avec lequel le citoyen de l?[UE] a une relation durable, d?ment attest?e. ?
Article 10
D?livrance de la carte de s?jour
? 1. Le droit de s?jour des membres de la famille d?un citoyen de l?[UE] qui n?ont pas la nationalit? d?un ?tat membre est constat? par la d?livrance d?un document d?nomm? ? Carte de s?jour de membre de la famille d?un citoyen de l?[UE] ? au plus tard dans les six mois suivant le d?p?t de la demande. Une attestation du d?p?t de la demande de carte de s?jour est d?livr?e imm?diatement.
2. Pour la d?livrance de la carte de s?jour, les ?tats membres demandent la pr?sentation des documents suivants :
(…)
f) dans les cas relevant de l?article 3, paragraphe 2, point b), une preuve de l?existence d?une relation durable avec le citoyen de l?[UE]. ?
30. Le d?cret l?gislatif no 30 du 6 f?vrier 2007 et la loi no 97 du 6 ao?t 2013 ont transpos? en droit italien les dispositions de la directive no 2004/38/CE.
B. La r?solution du Parlement europ?en du 2 avril 2009
31. Le 2 avril 2009, le Parlement europ?en a adopt? une r?solution concernant l?application de la directive 2004/38/CE. Cette r?solution ?non?ait, entre autres, que les arr?ts rendus par la Cour de justice de l?UE (? la CJUE ?) sur la question de la libre circulation, notamment dans les affaires Metock, Jipa et Huber, avaient confirm? le principe selon lequel ? le ressortissant d?un pays tiers, conjoint d?un citoyen de l?[UE], qui accompagne ou rejoint ce citoyen peut b?n?ficier des dispositions de la directive, quels que soient le lieu et la date de leur mariage et sans obligation de s?jour l?gal pr?alable ?.
32. Par ailleurs, consid?rant comme probl?matique ? l?interpr?tation restrictive par les ?tats membres de la notion de ? membre de la famille ? (article 2), de ? tout autre membre de la famille ? et de ? partenaire ? (article 3), notamment par rapport aux partenaires de m?me sexe, et de leur droit ? la libre circulation conform?ment ? la directive 2004/38/CE ?, le Parlement engageait les ?tats membres :
? ? mettre pleinement en ?uvre les droits octroy?s au titre des articles 2 et 3 de la directive 2004/38/CE, non seulement pour les conjoints de sexe oppos?, mais ?galement pour le partenaire enregistr?, membre du m?nage ou partenaire, y compris dans les couples de m?me sexe reconnus par un ?tat membre, ind?pendamment de leur nationalit? et sans pr?judice de leur non-reconnaissance par le droit civil d?un autre ?tat membre, sur la base des principes de reconnaissance mutuelle, d??galit? et de non-discrimination, et dans le respect de la dignit? et de la vie priv?e et familiale ; (…) ? tenir compte du fait que la directive impose l?obligation de reconna?tre la libert? de circulation ? tous les citoyens de l?[UE] (y compris aux partenaires de m?me sexe) sans imposer la reconnaissance du mariage entre personnes du m?me sexe. ?
C. La Recommandation 1470 (2000) de l?Assembl?e parlementaire du Conseil de l?Europe (APCE)
33. La Recommandation 1470 (2000) relative ? la situation des gays et des lesbiennes et de leurs partenaires en mati?re d?asile et d?immigration dans les ?tats membres du Conseil de l?Europe se lit ainsi dans ses parties pertinentes en l?esp?ce :
? 1. L?Assembl?e rappelle et r?affirme les principes de sa Recommandation 924 (1981) relative ? la discrimination ? l??gard des homosexuels, de sa Recommandation 1236 (1994) relative au droit d?asile et de sa Recommandation 1327 (1997) relative ? la protection et au renforcement des droits de l?homme des r?fugi?s et des demandeurs d?asile en Europe.
2. L?Assembl?e est pr?occup?e par le fait que les politiques de l?immigration de la plupart des ?tats membres du Conseil de l?Europe sont discriminatoires ? l??gard des homosexuels. La majorit? de ces ?tats, par exemple, ne reconnaissent pas la pers?cution pour raison d?orientation sexuelle comme un motif valable d?octroi de l?asile et ne pr?voient aucun type de droit de s?jour pour les membres de nationalit? ?trang?re de couples homosexuels binationaux.
3. De m?me, les r?gles en mati?re de regroupement familial et de prestations sociales ne s?appliquent g?n?ralement pas aux couples homosexuels.
(…)
6. De plus, l?Assembl?e est consciente que le refus de la plupart des ?tats membres d?accorder un droit de s?jour aux membres de nationalit? ?trang?re de couples homosexuels binationaux est ? l?origine de situations tr?s douloureuses pour de nombreux couples homosexuels, qui peuvent se trouver s?par?s de ce fait et contraints de vivre dans deux pays diff?rents. Elle estime que les r?gles applicables aux couples en mati?re d?immigration ne doivent pas ?tablir de distinction entre relations homosexuelles et relations h?t?rosexuelles. Par cons?quent, un document ?tablissant l?existence d?une relation suivie, autre que le certificat de mariage, devrait pouvoir ?tre admis parmi les pi?ces demand?es pour l?admission au b?n?fice du droit de s?jour dans le cas des couples homosexuels.
7. Par cons?quent, l?Assembl?e recommande au Comit? des Ministres :
7.1. de charger ses comit?s comp?tents :
(…)
c. de d?finir des lignes directrices concernant le traitement des homosexuels r?fugi?s ou membres d?un couple binational ;
(…)
7.2. de demander instamment aux ?tats membres :
(…)
d. de revoir leur politique en mati?re de droits sociaux et de protection des migrants de mani?re ? ce que les couples et les familles homosexuels soient trait?s selon les m?mes r?gles que les couples et les familles h?t?rosexuels ;
e. de prendre les mesures requises pour que les couples homosexuels binationaux b?n?ficient des m?mes droits en mati?re de r?sidence que les couples binationaux h?t?rosexuels ;
(…)
h. de veiller ? ce que les agents des services de l?immigration en contact avec des demandeurs d?asile et des couples homosexuels binationaux soient form?s ? prendre en consid?ration la situation sp?cifique des homosexuels et de leurs partenaires. ?
D. La Recommandation 1686 (2004) de l?APCE
34. Dans sa Recommandation 1686 (2004) relative ? la mobilit? humaine et au droit au regroupement familial, l?APCE a recommand? au Comit? des Ministres, entre autres,
? (…) ;
iii. d?adresser entre-temps une recommandation aux ?tats membres les exhortant :
a. ? appliquer, lorsque cela est possible et appropri?, une interpr?tation large de la notion de ? famille ? et en particulier ? inclure dans cette d?finition les membres de la famille naturelle, les concubins, y compris les partenaires du m?me sexe, les enfants naturels, les enfants dont la garde est partag?e, les enfants majeurs ? charge et les parents ? charge ;
(…) ?
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALL?GU?E DE L?ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBIN? AVEC L?ARTICLE 8
35. Les requ?rants all?guent que le refus d?octroyer au deuxi?me requ?rant un permis de s?jour pour raison familiale s?analyse en une discrimination fond?e sur leur orientation sexuelle.
Ils invoquent ? cet ?gard l?article 14 de la Convention combin? avec l?article 8 de celle-ci.
Ces dispositions se lisent comme suit :
Article 14
? La jouissance des droits et libert?s reconnus dans la (…) Convention doit ?tre assur?e, sans distinction aucune, fond?e notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l?origine nationale ou sociale, l?appartenance ? une minorit? nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. ?
Article 8
? 1. Toute personne a droit au respect de sa vie priv?e et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ing?rence d?une autorit? publique dans l?exercice de ce droit que pour autant que cette ing?rence est pr?vue par la loi et qu?elle constitue une mesure qui, dans une soci?t? d?mocratique, est n?cessaire ? la s?curit? nationale, ? la s?ret? publique, au bien ?tre ?conomique du pays, ? la d?fense de l?ordre et ? la pr?vention des infractions p?nales, ? la protection de la sant? ou de la morale, ou ? la protection des droits et libert?s d?autrui. ?
36. Le Gouvernement combat la th?se des requ?rants.
A. Sur la recevabilit?
1. Exception du Gouvernement tir?e de la tardivet? de la requ?te
a) Exception du Gouvernement
37. Le Gouvernement excipe tout d?abord de la tardivet? de la requ?te. Il indique que la d?cision interne d?finitive est l?arr?t de la Cour de cassation du 30 septembre 2008, dont le texte aurait ?t? d?pos? au greffe le 17 mars 2009 (paragraphe 20 ci-dessus). Or, selon lui, les requ?rants ont pour la premi?re fois expos? l?objet de leur requ?te dans une lettre dat?e du 15 septembre 2009, qui ne serait cependant parvenue au greffe de la Cour que le 21 septembre 2009, c?est-?-dire apr?s l?expiration du d?lai de six mois pr?vu ? l?article 35 ? 1 de la Convention. Le Gouvernement ajoute que, de plus, le formulaire de requ?te d?ment compl?t?, qui serait dat? du 26 novembre 2009, n?a ?t? d?pos? ? l?accueil de la Cour que le 30 novembre 2009. D?s lors, aux yeux du Gouvernement, les requ?rants n?ont pas respect? le d?lai de huit semaines qui leur aurait ?t? imparti pour pr?senter ledit formulaire.
b) R?plique des requ?rants
38. Les requ?rants demandent ? la Cour de rejeter l?exception du Gouvernement. Ils d?clarent que leur premi?re communication ? la Cour a ?t? envoy?e par fax le 15 septembre 2009 et que le formulaire de requ?te a ?t? fax? au greffe de la Cour le 26 novembre 2009.
c) Appr?ciation de la Cour
39. La Cour observe que la lettre dat?e du 15 septembre 2009 a ?t? pr?c?d?e d?un fax, parvenu au greffe le m?me jour. La premi?re communication des requ?rants exposant, f?t-ce sommairement, l?objet de leur requ?te est donc parvenue ? la Cour avant l?expiration du d?lai de six mois pr?vu ? l?article 35 ? 1 de la Convention. La Cour rel?ve ensuite que, dans une lettre du 1er octobre 2009, le greffe avait invit? les requ?rants ? soumettre leur formulaire de requ?te avant le 26 novembre 2009, les informant que le non-respect de la date butoir risquait d?avoir pour effet que c?est la date de r?ception du formulaire, et non celle de la premi?re communication, qui pouvait ?tre retenue comme date d?introduction de leur requ?te. Les requ?rants ont fait pr?c?der leur formulaire de requ?te d?un fax, parvenu au greffe le 26 novembre 2009. Ils ont donc respect? le d?lai qui leur avait ?t? imparti dans la lettre du 1er octobre 2009. Qu?une autre copie du formulaire n?ait ?t? d?pos?e ? l?accueil de la Cour que le 30 novembre 2009 importe peu.
40. Dans ces circonstances, l?exception du Gouvernement tir?e de la tardivet? de la requ?te ne saurait ?tre retenue.
2. Autres motifs d?irrecevabilit?
41. Constatant que ce grief n?est pas manifestement mal fond? au sens de l?article 35 ? 3 a) de la Convention et qu?il ne se heurte par ailleurs ? aucun autre motif d?irrecevabilit?, la Cour le d?clare recevable.
B. Sur le fond
1. Sur l?applicabilit? de l?article 14 de la Convention combin? avec l?article 8
a) Arguments des parties
i. Le Gouvernement
42. Le Gouvernement consid?re que l?article 14 ne trouve pas ? s?appliquer en l?esp?ce. Selon lui, dans les affaires S. c. Royaume-Uni (no 11716/85, d?cision de la Commission du 14 mai 1986, D?cisions et rapports (DR) 47, p. 274) et R??sli c. Allemagne (no 28318/95, d?cision de la Commission du 15 mai 1996), la Commission avait indiqu? que la d?fense de la famille ?tait un but l?gitime pouvant justifier une diff?rence de traitement et que des relations homosexuelles durables entre deux hommes ne relevaient pas du droit au respect de la vie familiale prot?g? par l?article 8 de la Convention. La Commission aurait ?galement consid?r? que l?expulsion d?un ?tranger li?, dans l??tat d?accueil, par une relation avec une personne du m?me sexe n??tait pas constitutive d?une ing?rence dans le droit garanti par cette disposition (X et Y c. Royaume-Uni, no 9369/81, d?cision de la Commission du 3 mai 1983, DR 32, p. 223, W.J. et D.P. c. Royaume-Uni, no 12513/86, d?cision de la Commission du 13 juillet 1987, et C. et L.M. c. Royaume-Uni, no 14753/89, d?cision de la Commission du 9 octobre 1989).
43. Le Gouvernement expose ensuite que, tout en reconnaissant la marge d?appr?ciation dont jouissent les ?tats en ce qui concerne la protection de la famille traditionnelle, la Cour a commenc?, en 2010, ? consid?rer sous l?angle de l?article 8 de la Convention des formes de cohabitation affective entre personnes du m?me sexe (voir, notamment, Kozak c. Pologne, no 13102/02, 2 mars 2010). Dans l?affaire Schalk et Kopf c. Autriche (no 30141/04, CEDH 2010-IV), la Cour aurait reconnu que les couples de m?me sexe pouvaient invoquer leur droit au respect de leur vie familiale, mais que la Convention ne leur garantissait pas le droit au mariage. Elle aurait ?galement estim? que, lorsque les ?tats d?cident d?offrir aux couples homosexuels un mode de reconnaissance juridique autre que le mariage, ils b?n?ficient d?une certaine marge d?appr?ciation pour d?cider de la nature exacte du statut conf?r? (voir, notamment, Gas et Dubois c. France, no 25951/07, ? 66, CEDH 2012).
44. Le Gouvernement indique que, en l?esp?ce, les requ?rants ont r?clam? l?octroi d?un permis de s?jour pour raison familiale. Il estime que la discrimination dont ils disent avoir fait l?objet devrait ?tre examin?e ? la lumi?re de la l?gislation italienne pertinente ? ses yeux, ? savoir les articles 29 et 30 du d?cret l?gislatif no 286 de 1998 (paragraphes 28 et 27 ci dessus). Il est d?avis que, aux termes de ces articles, la condition de partenaire de facto ne donne pas ? celui-ci la qualit? de ? membre de la famille ?. Il indique de surcro?t que le d?cret l?gislatif no 30 du 6 f?vrier 2007 a donn? ex?cution ? la directive europ?enne no 2004/38/CE (paragraphes 29-30 ci dessus), selon laquelle le ? membre de la famille ? est, entre autres, ? le partenaire avec lequel le citoyen de l?[UE] a contract? un partenariat enregistr?, sur la base de la l?gislation d?un ?tat membre, si, conform?ment ? la l?gislation de l??tat membre d?accueil, les partenariats enregistr?s sont ?quivalents au mariage, et dans le respect des conditions pr?vues par la l?gislation pertinente de l??tat membre d?accueil ?. Or, aux yeux du Gouvernement, le partenariat des requ?rants ayant ?t? contract? en Nouvelle-Z?lande, soit en dehors de l?UE, il ne pouvait pas ?tre reconnu aux termes de cette disposition.
45. Le Gouvernement indique encore que, aux termes de l?article 3 ? 1 de la directive susmentionn?e, qui a ?t? transpos? en droit italien par la loi no 97 du 6 ao?t 2013 (paragraphe 30 ci-dessus), l??tat d?accueil doit favoriser le s?jour des personnes suivantes. Il cite ce qui suit : ? a) tout autre membre de la famille, quelle que soit sa nationalit?, (…) lorsque, pour des raisons de sant? graves, le citoyen de l?[UE] doit imp?rativement et personnellement s?occuper du membre de la famille concern? ?, et ? b) le partenaire avec lequel le citoyen de l?[UE] a une relation durable, d?ment attest?e ?. Il consid?re que ces dispositions ne conf?raient gu?re un droit ? l?obtention du permis de s?jour demand? : selon lui, d?une part, la personne malade ?tait le premier requ?rant, citoyen italien ; d?autre part, il appartenait aux ?tats qui, comme l?Italie, ne garantissent pas aux couples homosexuels un mode de reconnaissance juridique, de d?cider si les conditions d?obtention du permis de s?jour ?taient remplies. Le Gouvernement conclut sur ce point que les d?cisions adopt?es par les autorit?s italiennes en l?esp?ce ?taient conformes au droit de l?UE. En tout ?tat de cause, le deuxi?me requ?rant n?aurait pr?sent? aucune demande au sens de la loi no 97 de 2013 et il ne se serait pas inscrit au registre de la population r?sidente de Cecina (Livourne) en tant que personne cohabitant avec le premier requ?rant.
46. Le Gouvernement souhaite ?galement indiquer que, aux termes de l?article 9 de la Charte des droits fondamentaux de l?UE, ? le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en r?gissent l?exercice ? (italique ajout?). ? ses yeux, il d?coule de cette disposition que c?est aux ?tats membres qu?est attribu?e la comp?tence en mati?re de r?glementation de ces droits.
47. ? la lumi?re de ce qui pr?c?de, le Gouvernement consid?re que les articles 8 et 14 de la Convention ne trouvent pas ? s?appliquer en l?esp?ce, soit en raison de l?absence des conditions l?gales requises pour la reconnaissance au deuxi?me requ?rant du statut de ? membre de la famille ?, soit en raison de l?ampleur, en mati?re sociale, de la marge d?appr?ciation de l??tat. Ce dernier demeurerait notamment libre de d?cider si les couples homosexuels doivent ou non jouir des m?mes droits que ceux reconnus ? la famille traditionnelle.
ii. Les requ?rants
48. Les requ?rants combattent la th?se du Gouvernement. Ils estiment que, dans son arr?t Schalk et Kopf (pr?cit?, ? 94), la Cour a clairement op?r? un revirement de jurisprudence par rapport ? la Commission en affirmant que la relation qu?entretient un couple homosexuel cohabitant de facto et de mani?re stable rel?ve de la notion de ? vie familiale ?. Or, selon eux, le refus d?octroyer un permis de s?jour au deuxi?me requ?rant les a priv?s de toute possibilit? de vivre en Italie en tant que couple et a entra?n? l?obligation l?gale, pour le deuxi?me requ?rant, de quitter le pays. ? leurs yeux, il s?ensuit que les faits de l?esp?ce tombent dans le champ d?application de l?article 8 de la Convention, ce qui rendrait l?article 14 ?galement applicable.
49. Les requ?rants expliquent en outre que, en 2003, lorsqu?ils ont quitt? la Nouvelle-Z?lande, les lois de ce pays ne leur permettaient pas encore d?obtenir un certificat attestant l?enregistrement de leur cohabitation, dont ils auraient pu, ? leurs dires, demander la transcription en Italie. Ils auraient par cons?quent demand? l?octroi d?un permis de s?jour pour raison familiale en tant que concubins engag?s dans une relation durable. Cependant, selon eux, l?article 29 ? 1 du d?cret l?gislatif no 286 de 1998 (paragraphe 28 ci dessus) pr?cisait que seul l??poux, et non le concubin, ?tait un ? membre de la famille ? ; quant au d?cret l?gislatif no 30 de 2007, qui a transpos? en droit italien la directive no 2004/38/EC (paragraphes 29-30 ci-dessus), les requ?rants estiment qu?il trouve ? s?appliquer uniquement aux cas, non pertinents en l?esp?ce, de citoyens de l?UE r?sidant en Italie ou de citoyens italiens qui seraient retourn?s dans leur pays d?origine apr?s avoir r?sid? dans un autre ?tat de l?UE. Ils soutiennent que l?inapplicabilit? de la directive en question ? la situation ? interne ? du premier requ?rant, citoyen italien ayant r?sid? en Italie de 2003 ? 2009 sans avoir pr?alablement v?cu dans un autre ?tat de l?UE, a ?t? confirm?e par la CJUE et par la communication de la Commission au Parlement europ?en et au Conseil concernant les lignes directrices destin?es ? am?liorer la transposition et l?application de la directive no 2004/38/CE (COM/2009/0313 final).
50. Aux yeux des requ?rants, s?il est vrai que, aux termes du droit de l?UE, l?Italie demeure libre de r?glementer les ? situations internes ? comme la leur, il n?en demeure pas moins que ces m?mes situations devraient ?tre trait?es de mani?re conforme aux articles 8 et 14 de la Convention. L??mergence d?un consensus europ?en quant aux droits en mati?re d?immigration des partenaires homosexuels r?sulterait par ailleurs de l?article 3 ? 2 b) de la directive no 2004/38/CE (paragraphe 29 ci-dessus), aux termes duquel ? l??tat membre d?accueil favorise, conform?ment ? sa l?gislation nationale, l?entr?e et le s?jour [du] partenaire avec lequel le citoyen de l?[UE] a une relation durable, d?ment attest?e ?. Les requ?rants ajoutent que dans sa communication COM/2009/0313, pr?cit?e, la Commission europ?enne a pr?cis? que cette attestation pouvait ?tre fournie par ? tout moyen appropri? ?.
51. Selon eux, la loi no 97 de 2013 (paragraphe 30 ci-dessus) a effectivement transpos? en droit italien l?article 3 de la directive no 2004/38/CE. Cependant, cet article ne conf?rerait pas clairement au deuxi?me requ?rant un droit ? l?obtention du permis de s?jour litigieux. En tout ?tat de cause, ? supposer m?me qu?un tel permis aurait pu ?tre octroy? ? partir de septembre 2013, il n?en reste pas moins, selon eux, que le deuxi?me requ?rant s?est vu refuser la possibilit? de r?sider en Italie ? partir de 2004 et qu?il a ?t? victime des cons?quences de ce refus pendant de longues ann?es.
52. Les requ?rants affirment ?galement qu?un permis de s?jour pour raison familiale a ?t? octroy? par le tribunal de Reggio Emilia ? un ressortissant uruguayen qui avait ?pous? un citoyen italien en Espagne. Ils ajoutent que, apr?s cette d?cision, trente autres permis de s?jour analogues ont ?t? d?livr?s ? d?autres ressortissants extracommunautaires formant des couples homosexuels avec des citoyens italiens sur la base de mariages ou de partenariats civils conclus dans des pays de l?UE autres que l?Italie.
b) Appr?ciation de la Cour
53. La Cour rappelle que l?article 14 de la Convention compl?te les autres clauses normatives de la Convention et de ses Protocoles. Il n?a pas d?existence ind?pendante, puisqu?il vaut uniquement pour ? la jouissance des droits et libert?s ? qu?elles garantissent. Certes, il peut entrer en jeu m?me sans un manquement ? leurs exigences et, dans cette mesure, il poss?de une port?e autonome, mais il ne saurait trouver ? s?appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l?empire de l?une au moins desdites clauses (E.B. c. France [GC], no 43546/02, ? 47, 22 janvier 2008, Vallianatos et autres c. Gr?ce [GC], nos 29381/09 et 32684/09, ? 72, CEDH 2013, et H?m?l?inen c. Finlande [GC], no 37359/09, ? 107, CEDH 2014).
54. En l?esp?ce, les requ?rants all?guent que le rejet de la demande du deuxi?me requ?rant visant ? l?obtention d?un permis de s?jour pour raison familiale a fait obstacle ? leur souhait de continuer ? vivre ensemble en Italie. La Cour doit donc d?terminer si ces faits tombent dans le champ d?application de l?article 8 de la Convention.
55. ? cet ?gard, elle rappelle que, suivant un principe de droit international bien ?tabli, les ?tats peuvent, sans pr?judice des engagements d?coulant pour eux de trait?s, contr?ler l?entr?e et le s?jour des non nationaux sur leur sol. La Convention ne garantit pas le droit pour un ?tranger d?entrer ou de r?sider dans un pays particulier (voir, par exemple, Nunez c. Norv?ge, no 55597/09, ? 66, 28 juin 2011). Le corollaire du droit pour les ?tats de contr?ler l?immigration est que les ?trangers ? et donc, en l?esp?ce, le deuxi?me requ?rant ? ont l?obligation de se soumettre aux contr?les et aux proc?dures d?immigration et de quitter le territoire de l??tat contractant concern? lorsqu?ils en re?oivent l?ordre si l?entr?e ou le s?jour sur ce territoire leur sont valablement refus?s (Jeunesse c. Pays-Bas [GC], no 12738/10, ? 100, 3 octobre 2014).
56. L?article 8 de la Convention ne saurait s?interpr?ter comme comportant pour un ?tat contractant une obligation g?n?rale de respecter le choix, par une famille, de son domicile commun et d?accepter l?installation de conjoints non nationaux dans le pays ou d?autoriser le regroupement familial sur son territoire (Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, ? 68, s?rie A no 94, Bouhadef c. Suisse (d?c.), no 14022/02, 12 novembre 2002, Kumar et Seewoochurn c. France (d?c.), nos 1892/06 et 1908/06, 17 juin 2008, et Baltaji c. Bulgarie, no 12919/04, ? 30, 12 juillet 2011). N?anmoins, les d?cisions prises par les ?tats en mati?re d?immigration peuvent, dans certains cas, constituer une ing?rence dans l?exercice du droit au respect de la vie priv?e et familiale prot?g? par l?article 8 de la Convention notamment lorsque les int?ress?s ont, dans l??tat d?accueil, des liens personnels ou familiaux suffisamment forts qui risquent d??tre gravement compromis en cas d?application de la mesure en question (voir, par exemple, Moustaquim c. Belgique, 18 f?vrier 1991, ? 36, s?rie A no 193, Dalia c. France, 19 f?vrier 1998, ? 52, Recueil des arr?ts et d?cisions 1998-I, et Hamidovic c. Italie, no 31956/05, ? 37, 4 d?cembre 2012).
57. En l?esp?ce, la Cour note que les requ?rants, qui forment un couple homosexuel depuis 1999, se sont install?s en Italie en d?cembre 2003 (paragraphe 8 ci-dessus). Le deuxi?me requ?rant a pu initialement y r?sider gr?ce ? une carte de s?jour temporaire pour ?tudiant (paragraphe 9 ci dessus). Lorsque, le 18 octobre 2004, le chef de la police de Livourne a refus? de lui octroyer un permis de s?jour pour raison familiale (paragraphe 10 ci-dessus), les requ?rants cohabitaient d?j? en Italie depuis environ dix mois.
58. La Cour rappelle que, dans son arr?t Schalk et Kopf (pr?cit?, ? 94), elle a jug? qu?il ?tait artificiel de continuer ? consid?rer que, au contraire d?un couple h?t?rosexuel, un couple homosexuel ne saurait conna?tre une ? vie familiale ? aux termes de l?article 8. Elle a donc estim? que la relation qu?entretenaient MM. Schalk et Kopf, un couple homosexuel cohabitant de facto de mani?re stable, relevait de la notion de ? vie familiale ? au m?me titre que celle d?un couple h?t?rosexuel se trouvant dans la m?me situation (voir ?galement X et autres c. Autriche [GC], no 19010/07, ? 95, CEDH 2013). Elle ne voit aucune raison de parvenir ? des conclusions diff?rentes en ce qui concerne les requ?rants en la pr?sente affaire.
59. Elle rel?ve de surcro?t que le Gouvernement ne conteste pas que le refus d?octroyer au deuxi?me requ?rant un permis de s?jour, refus qui a ?t? confirm? par la Cour de cassation, a impliqu? pour l?int?ress? l?obligation l?gale de quitter l?Italie (paragraphe 48 ci-dessus). Cette circonstance a donc emp?ch? les int?ress?s de continuer ? vivre ensemble dans ce pays. Elle a ainsi constitu? une ing?rence dans l?un des ?l?ments essentiels de leur ? vie familiale ? telle qu?ils avaient souhait? l?organiser et donc dans leur droit au respect de celle-ci tel que garanti par l?article 8 de la Convention.
60. Pour ce qui est de l?argument du Gouvernement selon lequel les articles 8 et 14 de la Convention ne trouvent pas ? s?appliquer en raison de l?absence, tant en droit italien qu?en droit de l?UE, des conditions l?gales requises pour la reconnaissance au deuxi?me requ?rant du statut de ? membre de la famille ? (paragraphes 44 ? 47 ci-dessus), la Cour observe que l?existence ?ventuelle d?une base l?gale justifiant le refus d?octroyer le permis de s?jour n?implique pas forc?ment qu?il n?y a pas eu ing?rence dans le droit au respect de la vie priv?e et familiale des int?ress?s. Cette base l?gale ne permet pas non plus ? l??tat d?fendeur de d?cliner toute responsabilit? au regard de la Convention (voir, par exemple et mutatis mutandis, Thlimmenos c. Gr?ce [GC], no 34369/97, ? 48, CEDH 2000-IV).
61. Quant ? la dur?e de l?ing?rence litigieuse, la Cour rel?ve qu?elle a d?but? le 18 octobre 2004, date du premier rejet de la demande de permis de s?jour (paragraphe 10 ci-dessus), et qu?elle a pris fin au plus tard en juillet 2009, lorsque, ? la suite du d?p?t au greffe, le 17 mars 2009, de l?arr?t d?finitif de la Cour de cassation d?boutant les requ?rants de leur pourvoi, ces derniers ont d?cid? de quitter l?Italie et de s?installer aux Pays-Bas (paragraphe 24 ci-dessus). Cette ing?rence a donc dur? quatre ans et neuf mois environ.
62. La Cour ayant ainsi d?limit? la p?riode ? prendre en consid?ration en l?esp?ce, toute sp?culation visant ? ?tablir si des circonstances survenues apr?s juillet 2009 auraient ouvert au deuxi?me requ?rant la possibilit? d?obtenir le permis de s?jour litigieux est ainsi inutile. La Cour n?estime donc pas n?cessaire de se pencher sur la question de savoir si, en vertu du mariage contract? ? Amsterdam le 8 mai 2010 (paragraphe 25 ci-dessus), le deuxi?me requ?rant pourrait b?n?ficier de la jurisprudence italienne, cit?e au paragraphe 52 ci-dessus, tendant ? reconna?tre le droit au permis de s?jour pour raison familiale ? des ressortissants extracommunautaires formant des couples homosexuels avec des citoyens italiens sur la base de mariages conclus dans des pays de l?UE autres que l?Italie, ou encore si ce m?me droit pourrait surgir de la transposition en droit italien, par la loi no 97 du 6 ao?t 2013, de l?article 3 ? 1 de la directive europ?enne no 2004/38/CE pr?voyant que l??tat d?accueil doit favoriser le s?jour, entre autres, du ? partenaire avec lequel le citoyen de l?[UE] a une relation durable, d?ment attest?e ? (paragraphes 29-30, 45 et 51 ci-dessus).
63. Il s?ensuit que les faits du litige, ?tant av?r?s entre le 18 octobre 2004 et juillet 2009, tombent sous l?empire de l?article 8 de la Convention et que l?article 14, combin? avec cette disposition, trouve ? s?appliquer.
2. Sur l?observation de l?article 14 combin? avec l?article 8
a) Arguments des parties
i. Le Gouvernement
64. Le Gouvernement consid?re que les requ?rants n?ont pas fait l?objet, en Italie, d?une discrimination prohib?e par la Convention. Il cite tout d?abord l?arr?t no 138 du 15 avril 2010, o? la Cour constitutionnelle a affirm? que l?union homosexuelle, c?est-?-dire la cohabitation entre deux personnes du m?me sexe, doit ?tre consid?r?e comme une ? formation sociale ? au sens de l?article 2 de la Constitution. D?s lors, selon le Gouvernement, afin de prot?ger des situations sp?cifiques, les couples homosexuels ont le droit de demander un ? traitement paritaire ?, c?est ? dire comparable ? celui du couple mari? (l?arr?t no 138 de 2010 est d?crit dans l?arr?t Oliari et autres c. Italie, nos 18766/11 et 36030/11, ?? 15 ? 18, 21 juillet 2015). Les droits civils des couples homosexuels et des couples h?t?rosexuels non mari?s feraient par ailleurs l?objet d?un d?bat dans plusieurs ?tats europ?ens et au sein du Parlement italien, ? la lumi?re, entre autres, de la jurisprudence de la Cour et des documents ?manant du Conseil de l?Europe.
65. Cependant, selon le Gouvernement, qu?un certain nombre d?autres ?tats aient adopt? des lois en mati?re d?unions civiles n?oblige en rien l?Italie ? faire de m?me, le Parlement national pouvant toujours jouir de sa marge d?appr?ciation. Le Gouvernement pr?cise que la Cour constitutionnelle l?a reconnu dans son arr?t no 138 de 2010, prononc? apr?s la pr?sentation par le deuxi?me requ?rant de sa demande de permis de s?jour pour raison familiale.
66. Le Gouvernement indique en outre que, dans son arr?t no 4184 du 15 mars 2012, la Cour de cassation a affirm? que les couples homosexuels pouvaient invoquer devant les tribunaux internes les droits reconnus aux couples h?t?rosexuels et, le cas ?ch?ant, exciper de l?inconstitutionnalit? des lois pertinentes. Il ajoute que, dans le cas des requ?rants, la Cour de cassation ne s?est pas fond?e sur l?orientation sexuelle des int?ress?s pour rendre sa d?cision, mais qu?elle a pris en compte uniquement la loi italienne en mati?re d?immigration telle que modifi?e par les dispositions europ?ennes pertinentes.
67. Enfin, le Gouvernement tient ? confirmer son engagement en faveur de la protection des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) et contre l?homophobie, qui aurait conduit ? la cr?ation du Bureau national contre les discriminations raciales (UNAR ? Ufficio Nazionale Antidiscriminazioni Razziali). Il ajoute que cet organe a ?t? accueilli favorablement par la Commission europ?enne contre le racisme et l?intol?rance (ECRI) ? voir le rapport sur l?Italie publi? le 21 avril 2012 (CRI(2012)2) ? et par le Commissaire aux droits de l?homme (voir le rapport du 18 septembre 2012, CommDH(2012)26, relatif ? la visite du Commissaire en Italie du 3 au 6 juillet 2012).
ii. Les requ?rants
68. Les requ?rants soutiennent avoir ?t? victimes d?une discrimination fond?e sur leur orientation sexuelle. Se r?f?rant ? l?arr?t Schalk et Kopf (pr?cit?, ? 103), dans lequel la Cour aurait estim? qu?il n??tait pas n?cessaire d?examiner la question de savoir si l?absence de reconnaissance juridique des couples homosexuels en Autriche avant le 1er janvier 2010 avait emport? violation de l?article 14 de la Convention combin? avec l?article 8, ils indiquent que, cependant, dans leur opinion dissidente commune, les juges Rozakis, Spielmann et Jebens avaient r?pondu par l?affirmative. Selon les requ?rants, cet avis s?applique a fortiori ? l?un des droits d?coulant d?un mariage, ? savoir la possibilit?, pour le concubin ressortissant d?un ?tat non membre de l?UE, d?obtenir un permis de s?jour pour raison familiale.
69. Les requ?rants exposent ensuite que les arr?ts no 138 de 2010 de la Cour constitutionnelle (paragraphe 64 ci-dessus) et no 4184 de 2012 de la Cour de cassation (paragraphe 66 ci-dessus) ont ?tabli, en faveur des couples homosexuels stables, un droit ? un traitement comparable ? celui des couples mari?s. Ils d?plorent que, en d?pit de ces progr?s jurisprudentiels, le l?gislateur italien ne soit pas intervenu pour r?glementer ce droit dans le cadre de ? situations internes ? comme la leur.
70. ? l?instar des tiers intervenants (paragraphes 74-80 ci-dessous), les requ?rants expliquent que r?server, dans des pays o? le mariage n?est pas ouvert aux couples homosexuels, certains droits aux seuls couples h?t?rosexuels mari?s s?analyse en principe en une discrimination indirecte bas?e sur l?orientation sexuelle. Cette conclusion a, selon eux, ?t? confirm?e par le rapport intitul? ? Homophobie et discrimination fond?e sur l?orientation sexuelle dans les ?tats membres de l?UE, Partie I ? Analyse juridique ?, publi? en juin 2008 par l?Agence pour les droits fondamentaux de l?UE (FRA) ; selon cette agence, les dispositions internationales en mati?re de droits de l?homme recommandent soit que les couples de m?me sexe puissent avoir acc?s ? une forme de partenariat enregistr? leur donnant les m?mes avantages que le mariage, soit que leur relation de facto durable leur donne acc?s ? ces avantages.
71. Les requ?rants invoquent ?galement l?arr?t rendu le 14 d?cembre 2009 par le Judicial Committee of the Privy Council du Royaume-Uni dans l?affaire Rodriguez v. Minister of Housing ([2009] UKPC 52 ? Privy Council Appeal no 0028 de 2009) qualifiant de discriminatoire une politique qui exclurait les couples de m?me sexe ayant une relation stable de longue dur?e de l?acc?s aux contrats de location joints (joint tenancies). Ils indiquent en outre que, dans son opinion du 15 juillet 2010 dans l?affaire R?mer c. Freie und Hansestadt Hamburg (affaire C-147/08), l?avocat g?n?ral de la CJUE a estim? que le fait de n?admettre aucune forme d?union l?galement reconnue ouverte aux personnes de m?me sexe pourrait ?tre consid?r? comme constitutif d?une discrimination li?e ? l?orientation sexuelle. Ils soutiennent qu?un consensus ?merge dans les soci?t?s d?mocratiques qui veut, selon eux, qu?un gouvernement ne puisse pas r?server un certain droit ou avantage aux couples mari?s et en nier l?acc?s aux couples homosexuels sous pr?texte que les personnes en question ne sont pas mari?es.
72. Les requ?rants d?clarent en outre que 24 ?tats membres du Conseil de l?Europe ont adopt? des lois permettant aux couples de m?me sexe d?enregistrer leur relation (une ?tude sur ce point, qui aurait ?t? actualis?e au 30 juin 2015, figure dans l?arr?t Oliari et autres, pr?cit?, ?? 53 ? 55), et que la possibilit? d?obtenir un permis de s?jour, pour un partenaire homosexuel non ressortissant de l?UE, existe dans 31 ?tats au moins. Ils estiment que le consensus europ?en sur ce point est donc aujourd?hui sup?rieur ? celui qui avait ?t? constat? ? l??poque de l?adoption des arr?ts Schalk et Kopf et Gas et Dubois (pr?cit?s).
73. Les requ?rants pr?cisent enfin que le but de leur requ?te n?est d?obtenir ni un droit au mariage ni l?acc?s ? une forme de partenariat enregistr?. Ils expliquent qu?ils demandent simplement ? la Cour de d?velopper la jurisprudence Karner c. Autriche (no 40016/98, CEDH 2003 IX) et d?affirmer qu?exclure les couples de m?me sexe du droit au permis de s?jour pour raison familiale est discriminatoire. Ils consid?rent que, en ce qui concerne d?autres droits reconnus aux couples mari?s, la Cour pourra d?cider au cas par cas, distinguant, par exemple, le droit ? l?obtention du permis de s?jour du droit ? l?adoption. Ainsi, selon eux, conclure ? une violation de l?article 14 de la Convention en l?esp?ce ne serait pas incompatible avec les conclusions auxquelles la Cour est parvenue dans son arr?t Gas et Dubois (pr?cit?).
iii. Les tiers intervenants
?) International Commission of Jurists (ICJ), International Lesbian, Gay, Bisexual Trans and Intersex Association (ILGA) Europe et Network of European LGBT Families (NELFA)
74. L?ICJ, l?ILGA-Europe et le NELFA ont produit des informations tendant ? d?montrer que plusieurs juridictions dans le monde consid?rent le partenaire d?un couple de m?me sexe engag? dans une relation stable et durable comme un ? membre de la famille ?, et ce ind?pendamment du fait que le couple a ou non la possibilit? de se marier ou d?obtenir une autre forme de reconnaissance l?gale.
75. Les tiers intervenants d?clarent avoir d?abord examin? la l?gislation et la pratique de plusieurs ?tats non europ?ens (Afrique du Sud, Australie, Br?sil, Canada, Colombie, Isra?l et Nouvelle-Z?lande) qui permettent aux partenaires de m?me sexe d??migrer et de r?sider dans leurs pays d?origine respectifs, avant d?aborder le concept de ? familles fonctionnelles ? (functional families). Ce concept, au lieu de se focaliser sur l?identit? et le genre des individus engag?s dans une relation, viserait ? ?tablir si cette relation rev?t ou non certaines caract?ristiques essentielles (coop?ration ?conomique, participation aux responsabilit?s domestiques, existence de liens affectifs). Selon eux, gr?ce ? ce concept, les juridictions de certains pays (Afrique du Sud, Australie, Canada, Colombie, ?tats-Unis, Isra?l et Royaume-Uni) ont reconnu les couples homosexuels non mari?s comme ?tant des ? familles ? ou des ? ?poux de facto ? afin de leur donner acc?s ? certains b?n?fices (de nature ?conomique ou autre).
76. Enfin, l?ICJ, l?ILGA-Europe et le NELFA ont indiqu? que la diff?rence de traitement entre les couples homosexuels n?ayant pas acc?s au mariage et les couples mari?s a ?t? consid?r?e par les juridictions sud-africaines, canadiennes et am?ricaines comme une forme de discrimination indirecte (c?est-?-dire une discrimination d?coulant des r?percussions n?gatives que des lois d?apparence neutre peuvent avoir pour un groupe d?termin? m?ritant protection). Ils pr?cisent que, en particulier lorsque les couples de m?me sexe ne peuvent pas se marier, leur situation ne doit pas ?tre compar?e ? celle des couples h?t?rosexuels non mari?s mais ? celle des couples h?t?rosexuels mari?s. Cela ressortirait ?galement de la pratique du Comit? des droits de l?homme des Nations unies, qui a soulign? que les couples h?t?rosexuels peuvent librement d?cider de se marier.
77. ? la lumi?re de ce qui pr?c?de, l?ICJ, l?ILGA-Europe et le NELFA estiment qu?il existe, au niveau mondial, une ? tendance significative ? (? significant trend ?) en faveur de la reconnaissance aux partenaires de m?me sexe de la qualit? de ? membres de la famille ?, de leur droit de vivre ensemble ainsi que des autres droits et b?n?fices dont jouissent les couples h?t?rosexuels.
?) European Commission on Sexual Orientation Law (ECSOL)
78. L?ECSOL indique tout d?abord qu?une analyse du droit de l?UE montre l?importance qu?il y a ? accorder priorit? aux relations et ? la r?unification familiales au motif que la libert? de mouvement doit ?tre exerc?e selon des conditions objectives de libert? et de dignit?. Ainsi, selon l?ESCOL, les ?tats membres doivent au moins faciliter l?entr?e et le s?jour dans le pays d?accueil du partenaire du m?me sexe, en s?effor?ant d?identifier les r?percussions qu?un ?ventuel refus d?octroyer un permis de s?jour pourrait avoir in concreto sur la vie priv?e et familiale des individus concern?s.
79. L?ECSOL a ensuite pr?sent? une ?tude de droit compar? quant ? la possibilit?, pour des partenaires homosexuels, d?obtenir un permis de s?jour dans des pays d?accueil. Cette ?tude portait sur la l?gislation de 32 ?tats membres du Conseil de l?Europe (Allemagne, Autriche, Belgique, Bosnie-Herz?govine, Bulgarie, Chypre, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, G?orgie, Gr?ce, Hongrie, Islande, Irlande, Italie, Lettonie, Liechtenstein, Luxembourg, Malte, Norv?ge, Pays-Bas, Pologne, Portugal, R?publique tch?que, Royaume-Uni, Roumanie, Russie, Serbie, Su?de et Suisse). Il en ressort :
? qu?au moins 24 ?tats n?op?rent aucune discrimination fond?e sur l?orientation sexuelle dans l?octroi des permis de s?jour et pr?voient des m?canismes ? cet effet (tout en laissant, dans certains cas, une marge d?appr?ciation aux autorit?s internes comp?tentes) ;
? que 22 ?tats reconnaissent, au moins dans une certaine mesure, le droit au permis de s?jour aux partenaires de m?me sexe non mari?s et n?ayant pas conclu un partenariat civil enregistr? ;
? que certaines juridictions ont estim? que, lorsqu?une union formelle, notamment un mariage, ne peut pas ?tre enregistr?e dans le pays d?origine, une relation stable d?ment prouv?e peut conduire ? l?octroi par les autorit?s du permis de s?jour ;
? qu?une discrimination indirecte peut r?sulter de l?absence de traitement diff?renci? de situations diff?rentes (par exemple, le refus de reconna?tre l?existence d?obstacles l?gaux au mariage pour les couples de m?me sexe) ;
? que les tribunaux de certains ?tats ont reconnu que, en mati?re d?immigration du partenaire de facto du m?me sexe, la Convention jouait un r?le dans la protection de la vie priv?e et familiale des personnes concern?es ;
? qu?un consensus europ?en ?merge en mati?re d?immigration, qui veut que l?union entre personnes de m?me sexe soit consid?r?e comme une ? vie familiale ?.
80. De l?avis de l?ECSOL, un refus g?n?ralis? et aprioriste de reconna?tre ? un couple homosexuel binational le droit de r?sider dans le pays d?accueil viole l?article 8 de la Convention pris isol?ment ou combin? avec l?article 14. En outre, pour l?ESCOL, les couples de m?me sexe subissent une discrimination fond?e sur leur orientation sexuelle, au motif que, dans plusieurs ?tats membres du Conseil de l?Europe, il leur est interdit de se marier.
b) Appr?ciation de la Cour
i. Sur le point de savoir s?il y a eu diff?rence de traitement entre des personnes se trouvant dans des situations similaires ou traitement ?gal de personnes se trouvant dans des situations sensiblement diff?rentes
81. Selon la jurisprudence bien ?tablie de la Cour, une question ne peut se poser au regard de l?article 14 que lorsqu?il existe une diff?rence dans le traitement de personnes plac?es dans des situations comparables (H?m?l?inen, pr?cit?, ? 108), ou lorsque les ?tats n?appliquent pas un traitement diff?rent ? des personnes dont les situations sont sensiblement diff?rentes (Thlimmenos, pr?cit?, ? 44 in fine). ? ce dernier ?gard, la Cour rappelle que l?article 14 n?interdit pas ? un ?tat membre de traiter des groupes de mani?re diff?renci?e pour corriger des ? in?galit?s factuelles ? entre eux ; de fait, dans certaines circonstances, l?absence d?un traitement diff?renci? pour corriger une in?galit? peut en soi emporter violation de la disposition en cause (Affaire ? relative ? certains aspects du r?gime linguistique de l?enseignement en Belgique ? c. Belgique (fond), 23 juillet 1968, ? 10, s?rie A no 6, Stec et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 65731/01 et 65900/01, ? 51, CEDH 2006 VI, et Mu?oz Diaz c. Espagne, no 49151/07, ? 48, CEDH 2009). De plus, la Cour a d?j? admis qu?une politique ou une mesure g?n?rale qui ont des effets pr?judiciables disproportionn?s sur un groupe de personnes peuvent ?tre consid?r?es comme discriminatoires m?me si elles ne visent pas sp?cifiquement ce groupe et s?il n?y a pas d?intention discriminatoire. Une telle situation s?analyse en une ? discrimination indirecte ?. Il n?en va toutefois ainsi que si cette politique ou cette mesure manquent de justification ? objective et raisonnable ? (voir, entre autres, Baio c. Danemark [GC], no 38590/10, ? 91, 26 mai 2016 ; S.A.S. c. France [GC], no 43835/11, ? 161, CEDH 2014 (extraits) ; D.H. et autres c. R?publique tch?que [GC], no 57325/00, ? 184, CEDH 2007-IV ; et Hugh Jordan c. Royaume-Uni, no 24746/94, ? 154, 4 mai 2001).
82. En l?esp?ce, aux yeux de la Cour, il n?appara?t pas que les requ?rants, un couple homosexuel non mari?, aient ?t? trait?s diff?remment d?un couple h?t?rosexuel non mari?. La qualit? de ? membre de la famille ? ?tant reconnue par le droit interne seulement ? l?? ?poux ?, et non au concubin (paragraphes 27-28 ci-dessus), il est raisonnable de penser que, ? l?instar du deuxi?me requ?rant, un partenaire h?t?rosexuel non ressortissant de l?UE aurait pu lui aussi se voir refuser un permis de s?jour pour raison familiale en Italie. En effet, comme la Cour de cassation l?a soulign? (paragraphe 22 ci dessus), l?exclusion des partenaires non mari?s du droit ? obtenir le permis en question concernait tant les couples de m?me sexe que ceux de sexe oppos?. Les requ?rants ne le contestent d?ailleurs pas.
83. Cela dit, la situation des requ?rants ne saurait cependant ?tre consid?r?e comme analogue ? celle d?un couple h?t?rosexuel non mari?. ? la diff?rence de ce dernier, les int?ress?s n?ont pas, en Italie, la possibilit? de se marier. Ils ne peuvent donc pas ?tre qualifi?s d?? ?poux ? selon le droit national. D?s lors, une interpr?tation restrictive de la notion de ? membre de la famille ? ne constitue un obstacle insurmontable ? l?octroi du permis de s?jour pour raison familiale que pour les couples homosexuels. Ces derniers ne pouvaient pas non plus obtenir un mode de reconnaissance juridique autre que le mariage, ?tant donn? qu?? l??poque des faits, e syst?me juridique italien ne pr?voyait pas, pour les couples homosexuels ou h?t?rosexuels engag?s dans une relation stable, la possibilit? d?avoir acc?s ? une union civile ou ? un partenariat enregistr? attestant leur statut et leur garantissant certains droits essentiels. Par ailleurs, la Cour rappelle avoir indiqu? dans son arr?t Oliari et autres (pr?cit?, ? 170) que, en d?pit des d?veloppements de la jurisprudence interne en la mati?re (expos?s par les parties dans la pr?sente affaire ? paragraphes 64, 66 et 69 ci-dessus), la situation des couples de m?me sexe en Italie demeurait incertaine dans certains domaines. En tout ?tat de cause, la Cour observe que le Gouvernement n?a pas soutenu que les d?veloppements en question allaient jusqu?? reconna?tre, en mati?re d?immigration, un statut analogue ? celui de l?? ?poux ? aux membres d?une relation homosexuelle stable et durable.
84. La Cour note ?galement que les requ?rants avaient obtenu le statut de couple non mari? en Nouvelle-Z?lande (paragraphe 8 ci-dessus) et que, une fois install?s dans un ?tat reconnaissant le droit au mariage entre personnes de m?me sexe (les Pays-Bas), ils ont d?cid? de se marier (paragraphe 25 ci-dessus). D?s lors, leur situation ne saurait pas non plus ?tre compar?e ? celle d?un couple h?t?rosexuel qui, pour des raisons d?ordre personnel, ne souhaite pas s?engager dans un mariage ou dans une union civile.
85. L?ensemble des consid?rations qui pr?c?dent am?nent la Cour ? conclure que les requ?rants, un couple homosexuel, ont ?t? trait?s, en ce qui concerne l?octroi d?un permis de s?jour pour raison familiale, de la m?me fa?on que des personnes se trouvant dans une situation sensiblement diff?rente de la leur ? ? savoir des partenaires h?t?rosexuels ayant d?cid? de ne pas r?gulariser leur situation.
86. Il reste ? ?tablir si le fait ne pas avoir appliqu? un traitement diff?renci? en l?esp?ce pouvait se justifier sous l?angle de l?article 14 de la Convention.
ii. Sur le point de savoir s?il existait une justification objective et raisonnable
?) Principes g?n?raux
87. La Cour rappelle qu?une diff?rence de traitement de situations analogues ou un traitement comparable de situations diff?rentes sont discriminatoires s?ils ne reposent pas sur une justification objective et raisonnable, c?est-?-dire s?ils ne poursuivent pas un but l?gitime ou s?il n?y a pas un rapport raisonnable de proportionnalit? entre les moyens employ?s et le but vis? (voir, mutatis mutandis, H?m?l?inen, pr?cit?, ? 108). De plus, l?interdiction de discrimination consacr?e par l?article 14 de la Convention n?a de sens que si, dans chaque cas particulier, la situation personnelle du requ?rant par rapport aux crit?res ?num?r?s dans cette disposition est prise en compte telle quelle. Une approche contraire viderait l?article 14 de sa substance (Andrejeva c. Lettonie [GC], no 55707/00, ? 91, CEDH 2009).
88. Les ?tats contractants jouissent d?une certaine marge d?appr?ciation pour d?terminer si et dans quelle mesure des distinctions de traitement se justifient (voir, mutatis mutandis, Burden c. Royaume-Uni [GC], no 13378/05, ? 60, CEDH 2008, et Schalk et Kopf, pr?cit?, ? 96). L??tendue de cette marge varie selon les circonstances, le domaine et le contexte ; la pr?sence ou l?absence d?un d?nominateur commun aux syst?mes juridiques des ?tats contractants peut constituer un facteur pertinent ? cet ?gard (Petrovic c. Autriche, 27 mars 1998, ? 38, Recueil 1998 II, et H?m?l?inen, pr?cit?, ? 109).
89. La Cour rappelle encore que l?orientation sexuelle rel?ve du champ d?application de l?article 14. Elle a maintes fois d?clar? que, comme les diff?rences fond?es sur le sexe, celles fond?es sur l?orientation sexuelle doivent ?tre justifi?es par des motifs imp?rieux ou, autre formule parfois utilis?e, par des ? raisons particuli?rement solides et convaincantes ? (X et autres c. Autriche, pr?cit?, ? 99 ; voir, par exemple, Smith et Grady c. Royaume-Uni, nos 33985/96 et 33986/96, ? 90, CEDH 1999 VI, Lustig Prean et Beckett c. Royaume-Uni, nos 31417/96 et 32377/96, ? 82, 27 septembre 1999, L. et V. c. Autriche, nos 39392/98 et 39829/98, ? 45, CEDH 2003 I, E.B. c. France, pr?cit?, ? 91, Karner, pr?cit? ? 37, et Vallianatos et autres, pr?cit?, ? 77), notamment lorsqu?il s?agit de droits tombant sous l?empire de l?article 8. Les diff?rences motiv?es uniquement par des consid?rations tenant ? l?orientation sexuelle sont inacceptables au regard de la Convention (Salgueiro da Silva Mouta c. Portugal, no 33290/96, ? 36, CEDH 1999 IX, E.B. c. France, pr?cit?, ?? 93 et 96, et X et autres c. Autriche, pr?cit?, ? 99).
90. Enfin, en ce qui concerne la charge de la preuve sur le terrain de l?article 14 de la Convention, la Cour consid?re que, lorsqu?un requ?rant a ?tabli l?existence d?un traitement comparable de situations sensiblement diff?rentes, il incombe au Gouvernement de d?montrer que cette approche ?tait justifi?e (voir, mutatis mutandis, D.H. et autres, pr?cit?, ? 177).
?) Application de ces principes en l?esp?ce
91. La Cour doit donc d?abord d?terminer si, dans le cadre de la proc?dure visant ? l?obtention du permis de s?jour pour raison familiale, le fait d