Conclusions : Violation de l’article 8 – Droit au respect de la vie priv?e et familiale (Article 8-1 – Respect de la vie familiale)
PREMI?RE SECTION
AFFAIRE SOLARINO c. ITALIE
(Requ?te no 76171/13)
ARR?T
STRASBOURG
9 f?vrier 2017
Cet arr?t deviendra d?finitif dans les conditions d?finies ? l?article 44 ? 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
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En l?affaire Solarino c. Italie,
La Cour europ?enne des droits de l?homme (premi?re section), si?geant en une chambre compos?e de :
Mirjana Lazarova Trajkovska, pr?sidente,
Ledi Bianku,
Guido Raimondi,
Kristina Pardalos,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Robert Spano,
Armen Harutyunyan, juges,
et de Renata Degener, greffi?re adjointe de section,
Apr?s en avoir d?lib?r? en chambre du conseil le 17 janvier 2017,
Rend l?arr?t que voici, adopt? ? cette date :
PROC?DURE
1. ? l?origine de l?affaire se trouve une requ?te (no 76171/13) dirig?e contre la R?publique italienne et dont un ressortissant italien, M. Giorgio Solarino (? le requ?rant ?), a saisi la Cour le 19 novembre 2013 en vertu de l?article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l?homme et des libert?s fondamentales (? la Convention ?).
2. Le requ?rant a ?t? repr?sent? par Me L. D?Urso, avocate ? Catane. Le gouvernement italien (? le Gouvernement ?) a ?t? repr?sent? par son agente, Mme E. Spatafora.
3. Le 23 mars 2016, la requ?te a ?t? communiqu?e au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L?ESP?CE
4. Le requ?rant est n? en 1972 et r?side ? Catane.
5. Le 5 septembre 2004 naquit A., la fille du requ?rant et de son ?pouse, C.C. ? une date non pr?cis?e en 2006, le couple se s?para. D?s son d?part, C.C. manifesta une forte opposition ? toute relation entre le requ?rant et A., ?g?e alors de deux ans.
6. Le 13 juin 2006, le tribunal de Catane (ci-apr?s ? le tribunal pour enfants ?) confia la garde de l?enfant conjointement aux deux parents, fixa sa r?sidence chez C.C. et accorda au requ?rant un droit de visite et d?h?bergement.
7. Le 26 septembre 2007, C.C. demanda que le requ?rant f?t d?chu de son autorit? parentale car elle le soup?onnait de s??tre livr? ? des attouchements sexuels sur leur fille.
8. Le 3 octobre 2007, C.C. d?posa une plainte contre le requ?rant pour attouchements sexuels sur l?enfant.
9. Le 14 d?cembre 2007, le tribunal pour enfants suspendit les rencontres entre le requ?rant et l?enfant dans l?attente de l?expertise qui devait ?tre men?e sur la mineure et son p?re et de l?aboutissement de l?enqu?te p?nale portant sur les attouchements sexuels all?gu?s.
10. Le 5 d?cembre 2008, le procureur demanda au juge charg? de l?enqu?te pr?liminaire (? le GIP ?) de classer la plainte. Il soulignait en particulier que rien ne pouvait ?tre reproch? au requ?rant et que l?enfant avait ?t? entendue deux fois avec l?aide d?une neuropsychiatre.
11. Par une d?cision du 26 mars 2009, le tribunal pour enfants, en se basant sur l?expertise men?e sur la mineure et le requ?rant, d?cida que celui ci pouvait ? nouveau rencontrer l?enfant et lui t?l?phoner, apr?s avoir relev? que cette derni?re ?tait tr?s contente de voir son p?re.
12. Le 23 avril 2009, C.C. introduisit un recours devant la section des mineurs de la cour d?appel contre la d?cision du tribunal pour enfants du 26 mars 2009. Elle demandait que la tenue des rencontres e?t lieu en milieu prot?g?. Elle r?it?rait ses accusations d?attouchements sexuels sur l?enfant et sollicitait une nouvelle expertise.
13. Le 7 mai 2009, le GIP classa la plainte de C.C.
14. En septembre 2009, la cour d?appel fit droit ? la demande de C.C. Elle ordonna ainsi que les rencontres eussent lieu en milieu prot?g?. Elle demanda ?galement la r?alisation d?une nouvelle expertise technique sur le requ?rant et l?enfant. Enfin, elle chargea les services sociaux d?observer le lien existant entre le p?re et la fillette, de d?poser un rapport ? ce sujet et d??tablir si l?enfant avait des attitudes ou des comportements r?sultant de possibles abus sexuels.
15. Selon le rapport d?expertise d?pos? en 2011, il n?y avait pas d??l?ments qui pouvaient donner lieu ? penser ? des abus sexuels. D?apr?s l?expert, les soup?ons d?attouchements sexuels ?taient attribuables ? des angoisses et craintes de C.C., qui aurait ?t? bless?e apr?s avoir ?t? abandonn?e par le requ?rant. L?expert concluait dans le sens d?un rapprochement entre ce dernier et l?enfant.
16. Par une d?cision du 29 juillet 2011, la cour d?appel, sans prendre en consid?ration l?expertise susmentionn?e, ?tablie dans un sens favorable au requ?rant, d?cida d?interdire tout contact entre l?enfant et les grands-parents paternels et de restreindre le droit de visite du requ?rant, portant le nombre de rencontres ? une par semaine, en milieu prot?g?, jusqu?? ce que l?enfant atteign?t l??ge de dix ans. La d?cision ?tait principalement motiv?e par des soup?ons, exprim?s par la m?re de l?enfant, que le requ?rant et les grands parents paternels s??taient livr?s ? des attouchements sexuels sur la mineure.
17. Le 12 d?cembre 2011, le requ?rant demanda au tribunal pour enfants de r?former la d?cision de la cour d?appel.
18. Par une d?cision du 10 juillet 2012, le tribunal rejeta la demande du requ?rant et se d?clara incomp?tent.
19. Le 6 septembre 2012, le requ?rant demanda ? la cour d?appel de l?autoriser ? rencontrer l?enfant dans un endroit plus proche de son domicile. Cette demande fut rejet?e le 27 novembre 2012.
20. Le 11 novembre 2013, saisi ? nouveau par le requ?rant, le tribunal de Catane reconnut d?abord sa comp?tence pour toutes les questions concernant la garde de l?enfant et le droit de visite. Ensuite, apr?s avoir examin? toutes les expertises d?pos?es depuis 2007 et observ? qu?aucune atteinte ? l??tat psychique de l?enfant ne pouvait ?tre relev?e, il ordonna la reprise de rencontres libres, hors milieu prot?g?, entre le requ?rant et la fillette.
21. Le 18 novembre 2013, C.C. interjeta appel de la d?cision du tribunal.
22. Le 17 d?cembre 2013, la cour d?appel rejeta le recours et ?tablit que le tribunal de Catane ?tait la seule juridiction comp?tente.
23. Par une d?cision du 12 juin 2015, le tribunal de Catane pronon?a la s?paration de corps entre le requ?rant et C.C.
24. En se basant sur le rapport d?expertise d?pos? en 2011, le tribunal d?clara que l?enfant, qui d?sormais avait plus de dix ans, avait subi un pr?judice tr?s grave en raison de l?alt?ration de la relation avec son p?re, ses grands-parents paternels et son demi-fr?re, n? entre-temps. Selon lui, la d?cision de la cour d?appel du 29 juillet 2011 ?tait due ? une appr?ciation erron?e de l?expertise et ?tait bas?e sur des arguments non pertinents. Par cons?quent, le tribunal d?cida de confier la garde de l?enfant conjointement aux deux parents, et il octroya au requ?rant un droit de visite et d?h?bergement. Enfin, le tribunal indiqua que, en cas de non-respect de ces prescriptions par la m?re, il modifierait sa d?cision concernant la garde de l?enfant en fixant la r?sidence principale de celle-ci chez le requ?rant.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
25. Le droit interne pertinent se trouve d?crit dans l?arr?t Strumia c. Italie (no 53377/13, ?? 73-78, 23 juin 2016).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALL?GU?E DE L?ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
26. Le requ?rant se plaint de ne pas avoir pu nouer une relation avec son enfant pendant de longues ann?es. Il indique en outre que, dans sa derni?re d?cision, le tribunal de Catane a reconnu que la mineure avait subi un pr?judice tr?s grave en raison d?une alt?ration de sa relation avec ses grands parents paternels, son demi-fr?re et lui-m?me, ? la suite de la d?cision de la cour d?appel du 29 juillet 2011. Invoquant l?article 6 de la Convention, le requ?rant d?nonce ?galement un d?faut d??quit? de la proc?dure devant les juridictions internes.
27. Ma?tresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour ne se consid?re pas comme li?e par celle que leur attribuent les requ?rants ou les gouvernements d?fendeurs. En vertu du principe jura novit curia, elle a, par exemple, examin? d?office des griefs sous l?angle d?une disposition de la Convention, article ou paragraphe, qui n?avait pas ?t? invoqu?e par les parties. En effet, un grief se caract?rise par les faits qu?il d?nonce, et non par les simples moyens ou arguments de droit invoqu?s (voir, mutatis mutandis, Guerra et autres c. Italie, 19 f?vrier 1998, ? 44, Recueil des arr?ts et d?cisions 1998 I). ? la lumi?re de ces principes, la Cour estime que le pr?sent grief se pr?te ? ?tre analys? sous l?angle de l?article 8 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Fourkiotis c. Gr?ce, n 74758/11, ? 44, 16 juin 2016), qui est ainsi libell? :
? 1. Toute personne a droit au respect de sa vie priv?e et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ing?rence d?une autorit? publique dans l?exercice de ce droit que pour autant que cette ing?rence est pr?vue par la loi et qu?elle constitue une mesure qui, dans une soci?t? d?mocratique, est n?cessaire ? la s?curit? nationale, ? la s?ret? publique, au bien ?tre ?conomique du pays, ? la d?fense de l?ordre et ? la pr?vention des infractions p?nales, ? la protection de la sant? ou de la morale, ou ? la protection des droits et libert?s d?autrui. ?
28. Le Gouvernement conteste la th?se du requ?rant.
A. Sur la recevabilit?
29. Constatant que la requ?te n?est pas manifestement mal fond?e au sens de l?article 35 ? 3 a) de la Convention et qu?elle ne se heurte par ailleurs ? aucun autre motif d?irrecevabilit?, la Cour la d?clare recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
30. Le requ?rant argue avoir ?t? dans l?impossibilit? de nouer une relation avec son enfant entre 2007 et 2013 en raison d?une divergence des d?cisions prononc?es par les juridictions italiennes. Il indique que ses contacts avec la mineure ont d?abord ?t? limit?s ? la suite de la plainte d?pos?e par C.C. Il dit que, une fois la plainte class?e, ? la suite d?une expertise ayant conclu ? une absence d?abus sexuels, le tribunal pour enfants a jug?, le 26 mars 2009, qu?il pouvait rencontrer librement la fillette.
31. Le requ?rant expose ensuite que, en septembre 2009, ? la demande de C.C., la cour d?appel a limit? son droit de visite et a d?cid? qu?il pouvait rencontrer l?enfant exclusivement en la pr?sence des agents des services sociaux. Il ajoute que, le 19 juillet 2011, la cour d?appel a confirm? cette d?cision et a interdit tout contact entre les grands-parents paternels et l?enfant jusqu?aux dix ans de celle-ci.
32. Le requ?rant indique aussi que, par la suite, le 12 juin 2015, le tribunal pour enfants a d?cid? de confier la garde de la fillette conjointement aux deux parents et lui a octroy? un droit de visite et d?h?bergement. Selon lui, les juridictions internes ont pris des d?cisions divergentes pendant plusieurs ann?es, d?abord en lui permettant d?exercer son droit de visite et ensuite en le restreignant.
33. Le requ?rant fait enfin observer que, dans sa d?cision de 2015, le tribunal de Catane a reconnu que l?enfant avait subi un pr?judice en raison d?une restriction des contacts avec lui-m?me. Par cons?quent, il demande ? la Cour de conclure ? la violation de l?article 8 de la Convention.
34. Apr?s avoir ?nonc? les principes qui se d?gagent de la jurisprudence de la Cour, le Gouvernement soutient que les juridictions nationales ont toujours agi dans l?int?r?t sup?rieur de l?enfant. Il pr?cise qu?il n?y a jamais eu d?interruptions dans les contacts entre le requ?rant et la mineure depuis 2006, ni de rupture du lien familial. Il indique que les autorit?s judiciaires ont d? proc?der ? une appr?ciation de la situation de la mineure, situation qu?il qualifie de sensible et complexe.
35. Le Gouvernement dit ?galement qu?en 2015, en se basant sur une expertise ayant mis en lumi?re l?existence de liens ?troits entre l?enfant et son p?re, le tribunal pour enfants a confi? la garde de la mineure conjointement aux deux parents et a octroy? au requ?rant un droit de visite et d?h?bergement.
36. Par cons?quent, le Gouvernement estime qu?il n?y a pas eu violation de l?article 8 de la Convention.
2. Appr?ciation de la Cour
37. La Cour rappelle que, pour un parent et son enfant, ?tre ensemble repr?sente un ?l?ment fondamental de la vie familiale (Kutzner c. Allemagne, no 46544/99, ? 58, CEDH 2002) et que des mesures internes qui les en emp?chent constituent une ing?rence dans le droit prot?g? par l?article 8 de la Convention (K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, ? 151, CEDH 2001 VII).
38. La Cour rappelle que l?article 8 de la Convention tend pour l?essentiel ? pr?munir l?individu contre des ing?rences arbitraires des pouvoirs publics et qu?il peut engendrer de surcro?t des obligations positives inh?rentes ? un ? respect ? effectif de la vie familiale. La fronti?re entre les obligations positives et les obligations n?gatives de l??tat au titre de cette disposition ne se pr?te pas ? une d?finition pr?cise ; les principes applicables sont n?anmoins comparables. Dans les deux cas, il faut avoir ?gard au juste ?quilibre ? m?nager entre les int?r?ts concurrents de l?individu et de la soci?t? dans son ensemble en tenant compte toutefois de ce que l?int?r?t sup?rieur de l?enfant doit constituer la consid?ration d?terminante (Gnahor? c. France, no 40031/98, ? 59 CEDH 2000 IX) pouvant, selon sa nature et sa gravit?, l?emporter sur celui des parents (Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, ? 66, CEDH 2003 VIII).
39. La Cour rappelle ?galement que l?obligation des autorit?s nationales de prendre des mesures pour faciliter des rencontres entre un parent et son enfant n?est pas absolue. Le point d?cisif consiste ? savoir si les autorit?s nationales ont pris, pour faciliter les visites, toutes les mesures n?cessaires que l?on pouvait raisonnablement exiger d?elles en l?occurrence (idem, ? 58). Dans ce genre d?affaire, le caract?re ad?quat d?une mesure se juge ? la rapidit? de sa mise en ?uvre, car le passage du temps peut avoir des cons?quences irr?m?diables sur les relations entre l?enfant et le parent qui ne vit pas avec lui (Maumousseau et Washington c. France, no 39388/05 ? 83, 6 d?cembre 2007 ; Zhou c. Italie, no 33773/11, ? 48, 21 janvier 2014 ; Kuppinger c. Allemagne, no 62198/11, ? 102, 15 janvier 2015). Le facteur temps rev?t donc une importance particuli?re car tout retard proc?dural risque de trancher en fait le probl?me en litige (H. c. Royaume-Uni, arr?t du 8 juillet 1987, s?rie A no 120, pp. 63-64, ?? 89-90 ; P.F. c. Pologne, no 2210/12, ? 56, 16 septembre 2014).
40. Par ailleurs, les autorit?s nationales b?n?ficiant de rapports directs avec tous les int?ress?s, la Cour r?p?te qu?elle n?a point pour t?che de r?glementer les questions de garde et de visite. Toutefois, il lui incombe d?appr?cier sous l?angle de la Convention les d?cisions que ces instances ont rendues dans l?exercice de leur pouvoir d?appr?ciation. La marge d?appr?ciation laiss?e aux autorit?s nationales comp?tentes varie selon la nature des questions en litige et l?importance des int?r?ts en jeu.
41. La Cour reconna?t que les autorit?s jouissent d?une grande latitude en particulier en mati?re de droit de garde. Il faut en revanche exercer un contr?le plus rigoureux sur les restrictions suppl?mentaires, comme celles apport?es par les autorit?s au droit de visite des parents, et sur les garanties juridiques destin?es ? assurer la protection effective du droit des parents et des enfants au respect de leur vie familiale. Ces restrictions suppl?mentaires comportent le risque d?amputer les relations familiales entre un jeune enfant et l?un de ses parents ou les deux (Sommerfeld c. Allemagne [GC], no 31871/96, ?? 62-63, CEDH 2003-VIII).
42. En l?esp?ce, la Cour rel?ve que les d?cisions par lesquelles les autorit?s nationales ont d?cid? de restreindre le droit de visite du requ?rant ont effectivement constitu? une ing?rence dans le droit de ce dernier au respect de sa vie familiale et qu?il en r?sultait une obligation positive pour l??tat de maintenir les relations personnelles entre les int?ress?s (T. c. R?publique tch?que, no 19315/11, ? 105, 17 juillet 2014).
43. Elle note que les mesures prises, fond?es sur les dispositions pertinentes en la mati?re du code civil, ?taient pr?vues par la loi. Il ressort des motifs retenus par les juridictions internes que leur application avait pour objectif la sauvegarde des int?r?ts de l?enfant. Les mesures incrimin?es poursuivaient donc un but l?gitime au regard du second paragraphe de l?article 8 de la Convention, ? savoir la protection des droits et libert?s d?autrui. Il convient encore d?examiner, ? la lumi?re de l?ensemble de l?affaire, si les motifs invoqu?s pour justifier les mesures litigieuses ?taient pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 in fine de l?article 8 de la Convention.
44. ? cet ?gard, la Cour constate tout d?abord que, en 2006, le requ?rant b?n?ficiait d?un droit de visite ?largi en vertu de la d?cision prononc?e par le tribunal de Catane le 13 juin 2006 et que, ? la suite de la plainte pour abus sexuels d?pos?e par la m?re de l?enfant, ledit tribunal a suspendu l?exercice de ce droit dans l?attente de l?aboutissement de l?enqu?te p?nale. Aussi la Cour estime t-elle que, en attendant l?issue de l?enqu?te p?nale, l?int?r?t de l?enfant justifiait la suspension et la restriction du droit parental et du droit de visite du requ?rant et qu?il l?gitimait l?ing?rence dans le droit de ce dernier au respect de sa vie familiale. L?ing?rence ?tait donc, jusqu?? l?issue de l?enqu?te pr?liminaire, ? n?cessaire ? la protection des droits d?autrui ?, en l?esp?ce les droits de l?enfant.
45. La Cour rappelle cependant que ce m?me int?r?t de l?enfant exigeait aussi de permettre au lien familial de se d?velopper ? nouveau d?s que les mesures prises ne seraient plus apparues comme n?cessaires (Olsson c. Su?de (no 2), 27 novembre 1992, ? 90, s?rie A no 250).
46. En l?esp?ce, la Cour constate que, ? la suite du classement de la plainte p?nale, le tribunal pour enfants a d?cid?, par une d?cision du 26 mars 2009, en se basant sur l?expertise men?e sur la mineure et le requ?rant, que celui-ci pouvait ? nouveau rencontrer l?enfant, apr?s avoir relev? que cette derni?re ?tait tr?s contente de voir son p?re.
47. La Cour note toutefois que, ? la demande de la m?re, ? partir de septembre 2009, le droit de visite a ? nouveau ?t? limit? et que, le 29 juillet 2011, la cour d?appel, sans prendre en consid?ration l?expertise ?tablie dans un sens favorable au requ?rant, et nonobstant le classement de la plainte p?nale, a d?cid? d?interdire tout contact entre l?enfant et les grands-parents paternels et de restreindre le droit de visite du requ?rant, portant le nombre de rencontres ? une par semaine, en milieu prot?g?, jusqu?? ce que la mineure atteign?t l??ge de dix ans. Elle rel?ve que la d?cision de la cour d?appel ?tait principalement motiv?e par des soup?ons, exprim?s par la m?re de l?enfant, que le requ?rant et les grands parents paternels s??taient livr?s ? des attouchements sexuels sur la fillette.
48. La Cour observe ensuite que ce n?est qu?en novembre 2013 que le requ?rant a pu recommencer ? rencontrer librement la mineure, hors milieu prot?g?, deux fois par semaine, ? la suite de la d?cision du tribunal de Catane qui avait soulign? qu?aucune atteinte ? l?int?grit? de l?enfant ne pouvait ?tre relev?e.
49. La Cour constate ?galement que, en se basant sur le rapport d?expertise d?pos? en 2011, le tribunal de Catane a d?clar? en juin 2015 que l?enfant, qui ?tait alors ?g?e de plus de dix ans, avait subi un pr?judice tr?s grave en raison de l?alt?ration de la relation avec son p?re, ses grands parents paternels et son demi-fr?re, n? entre-temps. Selon le tribunal, la d?cision prise par la cour d?appel le 29 juillet 2011 ?tait la cons?quence d?une appr?ciation erron?e de l?expertise et ?tait bas?e sur des arguments non pertinents.
50. La Cour rel?ve ? cet ?gard que la cour d?appel n?a pas pris en consid?ration l?expertise men?e sur l?enfant et le requ?rant et que, en outre, les soup?ons pesant sur ce dernier et sur les grands-parents paternels de s??tre livr?s ? des attouchements sexuels sur la mineure ?taient le motif principal pour lequel le droit de visite de l?int?ress? avait ?t? limit?.
51. La Cour est d?avis, ? l?instar du tribunal de Catane, que les motifs de la d?cision incrimin?e montrent que la juridiction nationale en cause, qui n?a pris en consid?ration ni l?expertise ayant exclu les abus sexuels ni le classement de la plainte, n?a pas examin? avec soin la situation de l?enfant. Elle observe que la cour d?appel a en revanche estim?, sur la base de simples soup?ons, que le maintien de contacts avec le requ?rant et les grands-parents paternels pouvait ?tre pr?judiciable au d?veloppement de l?enfant.
52. La Cour estime que, eu ?gard ? l?importance de la question en jeu ? ? savoir la relation entre un parent et son enfant ?, cette juridiction n?aurait pas d? se baser sur de simples soup?ons pour restreindre le droit de visite du requ?rant et consid?rer, en d?pit des conclusions de l?expertise susmentionn?e et du classement de la plainte p?nale, que le maintien de contacts avec le p?re et les grands parents paternels pouvait nuire au d?veloppement de la mineure.
53. ? la lumi?re de ce qui pr?c?de, la Cour consid?re que la cour d?appel n?a pas fait ?tat de motifs suffisants et pertinents pour justifier sa d?cision, ult?rieurement r?form?e par deux d?cisions successives du tribunal de Catane, de restreindre le droit de visite du requ?rant pour la p?riode comprise entre septembre 2009 et novembre 2013.
54. D?s lors, la Cour conclut que les autorit?s nationales ont outrepass? leur marge d?appr?ciation et qu?elles ont donc enfreint, dans le chef du requ?rant, les droits garantis par l?article 8 de la Convention.
II. SUR L?APPLICATION DE L?ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
55. Aux termes de l?article 41 de la Convention,
? Si la Cour d?clare qu?il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d?effacer qu?imparfaitement les cons?quences de cette violation, la Cour accorde ? la partie l?s?e, s?il y a lieu, une satisfaction ?quitable. ?
A. Dommage
56. Le requ?rant r?clame 50 000 euros (EUR) au titre du pr?judice mat?riel qu?il dit avoir subi. Il sollicite ?galement une r?paration du dommage moral qu?il estime avoir subi, sans toutefois chiffrer sa demande.
57. Le Gouvernement conteste les pr?tentions du requ?rant.
58. La Cour n?aper?oit pas de lien de causalit? entre la violation constat?e et le dommage mat?riel all?gu?, et elle rejette la demande y aff?rente. En revanche, elle consid?re qu?il y a lieu d?octroyer au requ?rant 7 000 EUR au titre du pr?judice moral.
B. Frais et d?pens
59. Le requ?rant demande ?galement 14 474,47 EUR pour les frais et d?pens engag?s devant la Cour, pour lesquels il fournit des justificatifs.
60. Le Gouvernement conteste cette pr?tention.
61. Selon la jurisprudence de la Cour, un requ?rant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et d?pens que dans la mesure o? se trouvent ?tablis leur r?alit?, leur n?cessit? et le caract?re raisonnable de leur taux. En l?esp?ce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 6 000 EUR pour la proc?dure devant elle et l?accorde au requ?rant.
C. Int?r?ts moratoires
62. La Cour juge appropri? de calquer le taux des int?r?ts moratoires sur le taux d?int?r?t de la facilit? de pr?t marginal de la Banque centrale europ?enne major? de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, ? L?UNANIMIT?,
1. D?clare la requ?te recevable ;
2. Dit qu?il y a eu violation de l?article 8 de la Convention ;
3. Dit
a) que l??tat d?fendeur doit verser au requ?rant, dans les trois mois ? compter du jour o? l?arr?t sera devenu d?finitif conform?ment ? l?article 44 ? 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 7 000 EUR (sept mille euros), plus tout montant pouvant ?tre d? ? titre d?imp?t, pour dommage moral,
ii. 6 000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant ?tre d? par le requ?rant ? titre d?imp?t, pour frais et d?pens ;
b) qu?? compter de l?expiration dudit d?lai et jusqu?au versement, ces montants seront ? majorer d?un int?r?t simple ? un taux ?gal ? celui de la facilit? de pr?t marginal de la Banque centrale europ?enne applicable pendant cette p?riode, augment? de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction ?quitable pour le surplus.
Fait en fran?ais, puis communiqu? par ?crit le 9 f?vrier 2017, en application de l?article 77 ?? 2 et 3 du r?glement de la Cour.
Renata Degener Mirjana Lazarova Trajkovska
Greffi?re adjointe Pr?sidente