Conclusion Violation de l’art. 3 (en cas d’expulsion vers la Tunisie) ; Dommage matériel – demande rejetée ; Préjudice moral – constat de violation suffisant
GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE SAADI c. ITALIE
(Requête no 37201/06)
ARRÊT
STRASBOURG
28 février 2008
Cet arrêt peut subir des retouches de forme
En l’affaire Saadi c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Jean-Paul Costa, président,
Christos Rozakis,
Nicolas Bratza,
Boštjan M. Zupančič,
Peer Lorenzen,
Françoise Tulkens,
Loukis Loucaides,
Corneliu Bîrsan,
Nina Vajić,
Vladimiro Zagrebelsky,
Alvina Gyulumyan,
Khanlar Hajiyev,
Dean Spielmann,
Egbert Myjer,
Sverre Erik Jebens,
Ineta Ziemele,
Isabelle Berro-Lefèvre, juges,
et de Vincent Berger, jurisconsulte,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 11 juillet 2007 et 23 janvier 2008,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 37201/06) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant tunisien, M. N. S.(« le requérant »), a saisi la Cour le 14 septembre 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Mes S. C.et B. M., avocats à Milan. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I.M. Braguglia, et par son coagent adjoint, M. N. Lettieri.
3. Le requérant alléguait que la mise à exécution de la décision de l’expulser vers la Tunisie l’exposerait au risque d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention et à un déni flagrant de justice (article 6 de la Convention). En outre, cette mesure porterait atteinte à son droit au respect de sa vie familiale (article 8 de la Convention) et aurait été prise au mépris des garanties de procédure voulues par l’article 1 du Protocole no 7.
4. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Le 16 octobre 2006, le président de la section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, il a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l’affaire et que la requête serait traitée en priorité (article 41 du règlement).
5. Le 29 mars 2007, une chambre de la troisième section, composée de Boštjan M. Zupančič, Corneliu Bîrsan, Vladimiro Zagrebelsky, Alvina Gyuyulumyan, Egbert Myjer, Ineta Ziemele et Isabelle Berro-Lefèvre, juges, ainsi que de Santiago Quesada, greffier de section, s’est dessaisie au profit de la Grande Chambre, aucune des parties ne s’y étant opposée (articles 30 de la Convention et 72 du règlement).
6. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du règlement.
7. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé un mémoire sur le fond de l’affaire. Les parties ont chacune soumis des commentaires écrits sur le mémoire de l’autre. Des observations ont également été reçues du gouvernement du Royaume-Uni, que le président avait autorisé à intervenir dans la procédure écrite et orale (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 2 du règlement).
8. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 11 juillet 2007 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
– pour le gouvernement défendeur
M. N. Lettieri, magistrat, ministère des
Affaires étrangères, coagent adjoint,
Mme E. Mazzuco, préfet,
M. A. Bella, haut fonctionnaire de police,
M. C. Galzerano, préfet de police adjoint, conseillers ;
– pour le requérant
Me S. C., avocat, conseil ;
– pour le gouvernement du Royaume-Uni
M. D. Walton, agent,
M. J. Swift, avocat, conseil,
M. S. Braviner-Roman, ministère de l’Intérieur,
Mme A. Fitzgerald, ministère de la Justice,
M. E. Adams, ministère de la Justice, conseillers.
La Cour a entendu MM. C., Lettieri et Swift en leurs déclarations, ainsi qu’en leurs réponses aux questions posées par les juges.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
9. Le requérant est né en 1974 et réside à Milan.
10. Le requérant, qui est entré en Italie à une date non précisée entre 1996 et 1999, était titulaire d’un permis de séjour délivré pour « raisons familiales » par la préfecture (Questura) de Bologne le 29 décembre 2001. La date d’expiration de ce permis était fixée au 11 octobre 2002.
A. Les procédures pénales menées contre le requérant en Italie et en Tunisie
11. Le 9 octobre 2002, le requérant, soupçonné, entre autres, de terrorisme international (article 270 bis du code pénal), fut arrêté et placé en détention provisoire. Le requérant et cinq autres personnes furent ensuite renvoyés en jugement devant la cour d’assises de Milan.
12. Le parquet formula quatre chefs d’accusation à l’encontre du requérant. Selon le premier, celui-ci s’était associé avec d’autres personnes afin de commettre des actes de violence (dont des attentats) dans des Etats autres que l’Italie et dans le but de semer la terreur. De décembre 2001 à septembre 2002, le requérant aurait compté parmi les organisateurs et dirigeants de cette association, formulé la doctrine idéologique de celle-ci et donné les ordres nécessaires pour atteindre les objectifs. Le deuxième chef d’accusation concernait la falsification « d’un grand nombre de documents, tels que passeports, permis de conduire, permis de séjour ». Le requérant était également accusé de recel et d’avoir tenté de favoriser l’entrée sur le territoire italien d’un nombre indéterminé d’étrangers au mépris des lois sur l’immigration.
13. Pendant les débats, le représentant du parquet requit la condamnation du requérant à treize ans d’emprisonnement. L’avocat de l’intéressé plaida pour l’acquittement de l’infraction de terrorisme international. Il s’en remit à la sagesse de la cour d’assises quant aux autres chefs d’accusation.
14. Par un arrêt du 9 mai 2005, la cour d’assises de Milan modifia la qualification juridique du premier chef d’accusation. Elle estima que les faits reprochés n’étaient pas constitutifs de l’infraction de terrorisme international mais de celle d’association de malfaiteurs. Elle condamna le requérant à quatre ans et six mois d’emprisonnement pour cette dernière infraction, ainsi que pour faux en écritures et recel. Elle acquitta le requérant de l’accusation de connivence avec l’immigration clandestine car les faits reprochés ne s’étaient pas produits.
15. La cour d’assises infligea au requérant une peine accessoire d’interdiction d’exercer des fonctions publiques pendant cinq ans, et ordonna qu’après avoir purgé sa peine, l’intéressé fût expulsé du territoire italien.
16. Dans la motivation de son arrêt, long de 331 pages, la cour d’assises observa que les preuves à l’encontre du requérant résultaient notamment du contenu de certaines écoutes téléphoniques et hertziennes, des déclarations de certains témoins et de nombreux faux documents saisis. Dans leur ensemble, ces éléments prouvaient que le requérant était intégré au sein d’une association ayant pour but le recel de documents volés et leur falsification, activité dont l’intéressé tirait ses moyens de subsistance. En revanche, il n’avait pas été établi que les documents en question avaient été utilisés par leurs faux titulaires pour pénétrer illégalement sur le territoire italien.
17. Pour ce qui est de l’accusation de terrorisme international, la cour d’assises nota tout d’abord qu’une association avait un caractère « terroriste » lorsqu’elle visait à commettre des actes violents contre des civils ou des personnes ne participant pas activement à un conflit armé dans le but de semer la terreur ou d’obliger un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou omettre un acte, et lorsque le mobile était de nature politique, idéologique ou religieuse. En l’espèce, on ne savait pas si les actes violents que, selon la thèse du parquet, le requérant et ses complices s’apprêtaient à commettre, s’inscrivaient ou non dans le cadre d’un conflit armé.
18. De plus, les éléments recueillis pendant les investigations et les débats n’étaient pas de nature à prouver, au-delà de tout doute raisonnable, que les accusés avaient commencé à mettre en pratique leur intention de commettre des actes de violence, ou avaient fourni un soutien logistique ou financier à d’autres personnes ou associations ayant des finalités terroristes. Une telle preuve ne ressortait en particulier pas des écoutes téléphoniques et hertziennes. Celles-ci prouvaient uniquement que le requérant et ses complices entretenaient des rapports avec des personnes et des associations faisant partie de l’univers de l’islamisme intégriste, qu’ils manifestaient une hostilité à l’encontre des « infidèles » (et notamment envers ceux qui se trouvaient dans des territoires considérés comme étant musulmans) et que leur monde relationnel se composait de « frères » unis par des convictions religieuses et idéologiques identiques.
19. Utilisant un langage crypté, les accusés et leurs correspondants avaient mentionné à plusieurs reprises un « match de football », destiné à renforcer leur foi en Dieu. De l’avis de la cour d’assises, il était tout à fait évident qu’il ne s’agissait pas d’une manifestation sportive, mais d’une action répondant aux principes de l’islam le plus radical. Cependant, il n’avait pas été possible de comprendre de quelle « action » il s’agissait ni où elle aurait dû se dérouler.
20. Au demeurant, le requérant avait quitté Milan le 17 janvier 2002 et, faisant escale à Amsterdam, s’était rendu en Iran, d’où il était rentré en Italie le 14 février 2002. Il avait également parlé d’un « responsable des frères » qui se trouvait en Iran. Certains membres du groupe auquel le requérant appartenait s’étaient rendus dans des « camps d’entraînement » en Afghanistan et s’étaient procuré des armes, des explosifs et du matériel d’observation et d’enregistrement visuel. Dans l’appartement du requérant et dans ceux de ses coïnculpés, la police avait saisi du matériel de propagande sur le djihad – ou guerre sainte – mené au nom de l’islam. En outre, dans des conversations téléphoniques effectuées depuis son lieu de détention en Italie, le requérant, parlant avec des membres de sa famille en Tunisie, avait fait référence au « martyre » de son frère Fadhal Saadi ; dans d’autres conversations, il avait mentionné son intention de participer à la guerre sainte.
21. Toutefois, aucun élément ultérieur qui aurait permis de préciser l’existence et le but d’une association terroriste n’avait été trouvé. En particulier, il manquait la preuve que le requérant et ses complices avaient décidé de traduire leur foi intégriste en des actions violentes ayant les caractéristiques d’un acte terroriste. Leur désir de se lancer dans le djihad et d’éliminer les ennemis de l’islam pouvait très bien se réaliser par l’accomplissement d’actes de guerre dans le cadre d’un conflit armé, c’est-à-dire d’actes ne rentrant pas dans la notion de « terrorisme ». Il n’avait pas été établi si le frère du requérant était réellement décédé dans un attentat-suicide et si ce dernier était le « match de football » auquel les accusés avaient, à plusieurs reprises, fait référence.
22. Le requérant et le parquet interjetèrent appel. Le premier sollicita un acquittement de tous les chefs d’accusation, alors que le second demanda la condamnation du prévenu aussi pour terrorisme international et connivence avec l’immigration clandestine.
23. Dans son appel, le parquet observa qu’aux termes de la jurisprudence de la Cour de cassation, les éléments constitutifs de l’infraction de terrorisme international étaient réunis même en l’absence d’acte de violence, l’existence d’un projet visant à la commission d’un tel acte étant suffisante. En outre, une action pouvait avoir un caractère terroriste même si elle était destinée à être accomplie dans le cadre d’un conflit armé, à condition toutefois que ses auteurs ne soient pas membres des « forces armées d’un Etat » ou d’un « groupe d’insurrection ». En l’espèce, il ressortait des pièces du dossier que le requérant et ses associés s’étaient procuré et avaient procuré à des tiers des documents falsifiés, des armes, des explosifs et de l’argent afin de commettre des actions violentes visant à affirmer les valeurs idéologiques de l’islam intégriste. De plus, les accusés gardaient des contacts avec des personnes et organisations faisant partie de l’univers du terrorisme international et avaient planifié une action violente et illicite, qui aurait dû être commise en octobre 2002 dans le cadre de la « guerre sainte » et dans un pays autre que l’Italie. Seule l’arrestation des accusés empêcha l’accomplissement de cet acte. Par ailleurs, à cette époque, le conflit armé en Afghanistan était terminé et celui qui devait avoir lieu en Irak n’avait pas encore commencé.
24. Le parquet observa également que le frère du requérant, M. Fadhal Saadi, avait été détenu en Iran ; le requérant lui avait rendu visite dans ce pays entre janvier et février 2002. Après sa libération, M. F. S. s’était installé en France et avait gardé des contacts avec le requérant. Il était ensuite décédé dans un attentat-suicide, ce dont le requérant et les autres membres de sa famille étaient fiers. Cela ressortait du contenu des conversations téléphoniques interceptées dans l’établissement pénitentiaire où le requérant était détenu.
25. Le parquet demanda enfin la production de nouvelles preuves, à savoir des lettres et déclarations provenant d’une personne soupçonnée d’activités terroristes, d’une part, et des écoutes hertziennes faites à l’intérieur d’une mosquée à Milan, d’autre part.
26. Le 13 mars 2006, la cour d’assises d’appel de Milan souleva une exception d’inconstitutionnalité de l’article 593 § 2 du code de procédure pénale (« le CPP »). Telle que modifiée par la loi no 46 du 20 février 2006, cette disposition prévoyait que l’accusé et le parquet pouvaient interjeter appel contre les verdicts d’acquittement seulement si, après la fin du procès de première instance, de nouvelles preuves décisives étaient apparues ou avaient été découvertes. La cour d’assises d’appel ordonna la suspension de la procédure dans l’attente de la décision de la Cour constitutionnelle.
27. Par l’arrêt no 26 du 6 février 2007, la Cour constitutionnelle déclara les dispositions internes pertinentes inconstitutionnelles en ce qu’elles ne permettaient pas au parquet d’interjeter appel contre tous les jugements d’acquittement et en ce qu’elles prévoyaient que les appels interjetés par le parquet avant l’entrée en vigueur de la loi no 46 du 20 février 2006 étaient irrecevables. La Cour constitutionnelle observa notamment que cette dernière loi ne respectait pas le juste équilibre devant régner, dans le procès pénal, entre les droits de la défense et ceux du ministère public.
28. La première audience devant la cour d’assises d’appel de Milan fut fixée au 10 octobre 2007.
29. Entre-temps, le 11 mai 2005, soit deux jours après le prononcé de l’arrêt de la cour d’assises de Milan, le tribunal militaire de Tunis avait condamné le requérant par défaut à vingt ans d’emprisonnement pour appartenance à une organisation terroriste agissant à l’étranger en temps de paix et pour incitation au terrorisme. Le condamné était en outre privé de ses droits civils et soumis à un « contrôle administratif » pour une durée de cinq ans. Le requérant affirme avoir appris sa condamnation seulement lorsque, le 2 juillet 2005, le dispositif de l’arrêt, devenu définitif, fut notifié à son père.
30. Le requérant allègue que sa famille et son avocat ne sont pas en mesure d’obtenir une copie de l’arrêt de condamnation prononcé par le tribunal militaire de Tunis. Ces allégations sont confirmées par les déclarations de l’avocat tunisien du requérant. Par une lettre du 22 mai 2007, adressée au président de la République tunisienne et au ministre tunisien de la Justice et des Droits de l’Homme, ses représentants devant la Cour ont sollicité la transmission de l’arrêt en question. L’issue de cette démarche n’est pas connue.
B. L’arrêté d’expulsion pris à l’encontre du requérant et les recours exercés par ce dernier afin d’empêcher l’exécution de cette mesure et d’obtenir un permis de séjour et/ou l’octroi du statut de réfugié
31. Le 4 août 2006, le requérant, qui avait été détenu sans interruption depuis le 9 octobre 2002, fut remis en liberté.
32. Le 8 août 2006, le ministre de l’Intérieur ordonna son expulsion vers la Tunisie, et ce en application des dispositions du décret-loi no 144 du 27 juillet 2005 (intitulé « mesures urgentes pour combattre le terrorisme international » et devenu la loi no 155 du 31 juillet 2005). Il observa qu’il « ressortait des pièces du dossier » que le requérant avait joué un « rôle actif » dans le cadre d’une organisation chargée de fournir un support logistique et financier à des personnes appartenant à des cellules intégristes islamistes en Italie et à l’étranger. Dès lors, son comportement troublait l’ordre public et mettait en danger la sûreté nationale.
33. Le ministre précisa que le requérant ne pourrait revenir en Italie que sur la base d’une autorisation ministérielle ad hoc.
34. Le requérant fut transféré dans un centre de détention provisoire (centro di permanenza temporanea) de Milan. Le 11 août 2006, l’arrêté d’expulsion fut validé par le juge de paix de Milan.
35. Le 11 août 2006, le requérant demanda l’asile politique. Il allégua avoir été condamné par contumace en Tunisie pour des raisons de nature politique et craindre d’être soumis à la torture ainsi qu’à des « représailles politiques et religieuses ». Par une décision du 16 août 2006, le préfet (Questore) de Milan déclara cette demande irrecevable au motif que le requérant était dangereux pour la sécurité de l’Etat.
36. Le 6 septembre 2006, le directeur d’une organisation non gouvernementale, l’Organisation mondiale contre la torture (« l’OMCT »), adressa une lettre au président du conseil italien. Dans ce courrier, l’OMCT se déclara « vivement préoccupée » par la situation du requérant, craignant qu’en cas d’expulsion vers la Tunisie, l’intéressé soit à nouveau jugé pour les mêmes faits que ceux qui lui étaient reprochés en Italie. L’OMCT rappela également qu’aux termes de l’article 3 de la Convention de l’ONU contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, « aucun Etat partie n’expulsera, ne refoulera, ni n’extradera une personne vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture ».
37. Le 12 septembre 2006, le président d’une autre organisation non gouvernementale, le Collectif de la communauté tunisienne en Europe, adressa un appel au gouvernement italien « pour qu’il mette fin à sa politique d’expulsion en masse des immigrés tunisiens religieux pratiquants ». Il allégua que les pouvoirs publics italiens étaient en train d’utiliser des méthodes inhumaines et reprochaient à plusieurs Tunisiens leurs convictions religieuses. De l’avis du président du collectif, il était « évident » qu’à leur arrivée en Tunisie, les Tunisiens concernés allaient être « torturés et condamnés à de lourdes peines de prison, et ce à cause des autorités italiennes qui les soupçonnent faussement de terrorisme ». Le nom du requérant figurait sur une liste de personnes risquant une expulsion imminente vers la Tunisie qui était annexée à la lettre du 12 septembre 2006.
38. La décision du préfet du 16 août 2006 (paragraphe 35 ci-dessus) fut notifiée au requérant le 14 septembre 2006. L’intéressé ne tenta aucun recours. Cependant, le 12 septembre 2006, il avait produit des documents, parmi lesquels la lettre de l’OMCT du 6 septembre 2006 et les rapports d’Amnesty International et du Département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique relatifs à la Tunisie, en demandant qu’ils fussent transmis à la commission territoriale pour l’octroi du statut de réfugié. Le 15 septembre 2006, la préfecture de Milan indiqua oralement au requérant que, vu le rejet de sa demande d’asile, les documents en question ne pouvaient être pris en considération.
39. Le 14 septembre 2006, le requérant, invoquant l’article 39 du règlement, avait demandé à la Cour de suspendre ou annuler la décision de l’expulser vers la Tunisie. Le 15 septembre 2006, la Cour décida de demander au Gouvernement italien de lui fournir des informations sur la question de savoir, notamment, si la condamnation prononcée à l’encontre du requérant par le tribunal militaire de Tunis était définitive et s’il existait, en droit tunisien, des recours permettant de rouvrir la procédure ou de tenir un nouveau procès.
40. La réponse du Gouvernement parvint au greffe le 2 octobre 2006. Selon les autorités italiennes, lorsqu’une condamnation est prononcée par défaut, la loi tunisienne confère au condamné le droit d’obtenir la réouverture de la procédure. Le Gouvernement se référa notamment à une télécopie de l’ambassadeur d’Italie à Tunis du 29 septembre 2006 précisant que, selon les informations fournies par le directeur de la coopération internationale du ministère de la Justice tunisien, la condamnation du requérant n’était pas définitive, le condamné jugé par défaut pouvant faire opposition à l’arrêt rendu à son encontre.
41. Le 5 octobre 2006, la Cour décida d’appliquer l’article 39 de son règlement. Elle demanda au Gouvernement de suspendre l’expulsion du requérant jusqu’à nouvel ordre.
42. Le délai maximal de détention en vue de son expulsion expirant le 7 octobre 2006, le requérant fut remis en liberté à cette date. Cependant, le 6 octobre 2006, un nouvel arrêté d’expulsion avait été pris à son encontre. Le 7 octobre 2006, cet arrêté fut notifié au requérant, qui fut reconduit au centre de détention provisoire de Milan. Etant donné que le requérant avait déclaré être entré en Italie depuis la France, le nouvel arrêté d’expulsion indiquait que le pays de destination était la France, et non la Tunisie. Le 10 octobre 2006, le nouvel arrêté d’expulsion fut validé par le juge de paix de Milan.
43. Le 3 novembre 2006, le requérant fut remis en liberté car de nouveaux éléments indiquaient qu’il était impossible de l’expulser vers la France. Le même jour, la cour d’assises d’appel de Milan ordonna que, dès sa libération, le requérant fût soumis à des mesures de précaution, à savoir l’interdiction de quitter le territoire italien et l’obligation de se rendre dans un bureau de police tous les lundis, mercredis et vendredis.
44. Entre-temps, le 27 septembre 2006, le requérant avait sollicité l’octroi d’un permis de séjour. Par une note du 4 décembre 2006, la préfecture de Milan avait répondu que cette demande ne pouvait pas être accueillie. En effet, un permis « pour raisons de justice » pouvait être octroyé seulement à la demande des autorités judiciaires, lorsque celles-ci estimaient que la présence d’un étranger en Italie était nécessaire au bon déroulement d’une enquête pénale. Le requérant était de toute manière frappé par une interdiction de quitter le territoire italien et était donc obligé de rester en Italie. De plus, pour obtenir un permis de séjour, il était nécessaire de produire un passeport ou autre document similaire.
45. Devant la Cour, le requérant allégua que les autorités tunisiennes avaient refusé de renouveler son passeport, ce qui avait fait échouer toute autre tentative de régularisation de sa situation.
46. A une date non précisée, le requérant introduisit également devant le tribunal administratif régional (« le TAR ») de Lombardie un recours visant à obtenir l’annulation de l’arrêté d’expulsion du 6 octobre 2006 ainsi que la suspension de l’exécution de cet acte.
47. Par une décision du 9 novembre 2006, le TAR de Lombardie déclara qu’il n’y avait pas lieu à statuer sur la demande de suspension et ordonna la transmission du dossier au TAR du Latium, juridiction compétente ratione loci.
48. Le TAR de Lombardie observa notamment que la Cour européenne des droits de l’homme avait déjà sollicité la suspension de l’exécution de l’arrêté litigieux et avait par conséquent remédié à tout préjudice pouvant être allégué par le requérant.
49. Selon les informations fournies par le requérant le 29 mai 2007, la procédure devant le TAR du Latium était, à cette date, encore pendante.
50. Le 18 janvier 2007, le requérant adressa un mémoire à la préfecture de Milan. Il souligna que la Cour européenne des droits de l’homme avait demandé de suspendre l’exécution de son expulsion en raison d’un risque concret qu’il ne subisse des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Dès lors, le requérant demanda à être entendu par la commission territoriale pour l’octroi du statut de réfugié en vue de se voir accorder l’asile politique. Selon les informations fournies par le requérant le 11 juillet 2007, à cette date aucune suite n’avait été donnée à son mémoire. Dans une note du 20 juillet 2007, le ministère italien de l’Intérieur précisa que le mémoire du 18 janvier 2007 ne pouvait s’analyser ni en une nouvelle demande d’asile ni en un appel contre la décision de rejet rendue par le préfet de Milan le 16 août 2006 (paragraphe 35 ci-dessus).
C. Les assurances diplomatiques demandées par l’Italie à la Tunisie
51. Le 29 mai 2007, l’ambassade d’Italie à Tunis adressa une note verbale au gouvernement tunisien pour demander des assurances diplomatiques selon lesquelles, en cas d’expulsion vers la Tunisie, le requérant ne serait pas soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention et ne subirait aucun déni flagrant de justice.
52. La note en question, rédigée en français, se lit comme suit :
« L’ambassade d’Italie présente ses compliments au ministère des Affaires étrangères et, suite à l’entretien entre l’ambassadeur d’Italie M. Arturo Olivieri et S.E. le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme M. Béchir Tekkari, en marge de la visite du ministre italien de la Justice M. Clemente Mastella, le 28 mai 2007, a l’honneur de demander la précieuse collaboration des autorités tunisiennes pour un développement positif du cas suivant.
Le ressortissant tunisien N. Si, né à Haidra (Tunisie) le 30.11.1974, a fait l’objet d’un décret d’expulsion de l’Italie vers la Tunisie, prononcé par le ministère de l’Intérieur le 08.08.2006.
Après l’émanation du susdit décret, ce dernier a fait recours devant la Cour européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg le 14.09.2006, lui demandant et obtenant la décision de suspension de l’expulsion en question.
Ce recours est basé sur la thèse selon laquelle il aurait été condamné par contumace à une peine de 20 ans de réclusion pour des crimes liés au terrorisme, à travers une sentence émanant du tribunal militaire de Tunis le 11.05.2005, notifiée au père du condamné le 02.07.2005. A cause de cette condamnation, en cas d’application du décret d’expulsion vers son pays d’origine, M. Saadi soutient qu’il risquerait d’être incarcéré, une fois expulsé en Tunisie, sur la base d’un jugement inéquitable et d’être soumis à torture et traitements dégradants et inhumains (ci-joint copie de la notification de la sentence exhibée par l’intéressé).
Afin de réunir tous les éléments nécessaires pour évaluer ce cas, la Cour européenne des Droits de l’Homme a adressé une requête au gouvernement italien, en vue d’obtenir une copie de la sentence de condamnation et de connaître si le gouvernement italien a bien l’intention avant de procéder à l’expulsion de demander des garanties diplomatiques au gouvernement tunisien.
A la lumière de ce qui précède, l’ambassade d’Italie, tout en comptant sur la sensibilité des autorités tunisiennes en matière, a l’honneur de formuler, dans le respect des prérogatives juridictionnelles de l’Etat tunisien, la suivante urgente demande de garanties, en tant qu’élément formel indispensable pour la solution du cas en suspens :
– dans le cas où l’information fournie par M. S. quant à l’existence d’une condamnation émanant du tribunal militaire de Tunis à son égard datant du 11.05.2005 correspond à la vérité, transmettre une copie intégrale de ladite sentence (avant le 11.07.2007, date de l’audience auprès de la Cour) et confirmer qu’il pourra y faire opposition, et être jugé par un tribunal indépendant et impartial, selon une procédure qui soit, dans l’ensemble, conforme aux principes d’un procès équitable et public ;
– démentir les craintes exprimées par M. Saadi d’être soumis à la torture et à des peines ou des traitements inhumains et dégradants à son retour en Tunisie ;
– qu’au cas où il serait emprisonné, il pourra recevoir la visite de ses avocats ainsi que des membres de sa famille.
L’ambassade d’Italie saurait en outre gré aux autorités tunisiennes de bien vouloir la tenir informée de l’état de détention du nommé Nassim Saadi, au cas où il serait emprisonné.
La solution du cas susindiqué a des implications importantes sur les futurs aspects de la sécurité.
Les précisions susmentionnées, que la Cour européenne des Droits de l’Homme a demandées au gouvernement italien, sont indispensables pour pouvoir procéder à l’expulsion.
Dans une certaine mesure, ce cas constitue un précédent (par rapport à des nombreux autres cas en suspens) et la réponse positive – on en est persuadé – des autorités tunisiennes rendra plus facile de procéder à d’éventuelles ultérieures expulsions dans l’avenir.
Tout en étant parfaitement consciente de la délicatesse de cet argument, l’ambassade d’Italie compte sur la compréhension des autorités tunisiennes en vue d’une réponse dans l’esprit d’une lutte efficace contre le terrorisme international, dans le cadre des relations d’amitié entre nos deux pays. »
53. Le gouvernement italien précisa que des assurances semblables n’avaient jamais auparavant été demandées aux autorités tunisiennes.
54. Le 4 juillet 2007, le ministère tunisien des Affaires étrangères adressa une note verbale à l’ambassade italienne à Tunis. Ce courrier se lit comme suit :
« Le ministère des Affaires étrangères présente ses compliments à l’ambassade d’Italie à Tunis et se référant à sa note verbale no 2533 en date du 2 juillet 2007, relative au détenu Nassim Saadi se trouvant actuellement en Italie, a l’honneur de faire part que le gouvernement tunisien confirme sa disposition à accepter le transfert en Tunisie de détenus tunisiens à l’étranger une fois leur identité confirmée et ce dans le cadre du strict respect de la législation nationale en vigueur et sous la seule garantie des lois tunisiennes pertinentes.
Le ministère des Affaire étrangères saisit cette occasion pour renouveler à l’ambassade d’Italie à Tunis les assurances de sa haute considération. »
55. Une deuxième note verbale, du 10 juillet 2007, est ainsi rédigée :
« Le ministère des Affaire étrangères présente ses compliments à l’ambassade d’Italie à Tunis et, se référant à sa note verbale no 2588 du 5 juillet 2007, a l’honneur de lui confirmer la teneur de la note verbale du ministère no 511 du 4 juillet 2007.
Le ministère des Affaires étrangères réaffirme par la présente que les lois tunisiennes en vigueur garantissent et protègent les droits des détenus en Tunisie et leur assurent des procès justes et équitables et rappelle que la Tunisie a adhéré volontairement aux traités et conventions internationaux pertinents.
Le ministère des Affaires étrangères saisit cette occasion pour renouveler à l’ambassade d’Italie à Tunis les assurances de sa haute considération. »
D. La situation familiale du requérant
56. Le requérant affirme qu’en Italie il vit avec une Italienne, Mme V., qu’il a épousée selon le rite islamique. Le couple a un enfant de huit ans (né le 22 juillet 1999), de nationalité italienne, qui fréquente l’école en Italie. Mme V. est au chômage et ne bénéficie actuellement d’aucune allocation familiale. Elle est atteinte d’une forme d’ischémie.
57. Il ressort d’une note du ministère de l’Intérieur du 10 juillet 2007 que, le 10 février 2007, le requérant a épousé, selon le rite islamique, une autre femme, Mme G. T. en résidant officiellement rue Cefalonia, à Milan, où habite Mme V., le requérant serait cependant de facto séparé de ses deux épouses. En effet, depuis la fin de 2006, il résiderait de manière stable rue Ulisse Dini, à Milan, où il partagerait un appartement avec d’autres Tunisiens.
II. LES DROITS INTERNES PERTINENTS
A. Les recours contre un arrêté d’expulsion en Italie
58. Un arrêté d’expulsion peut être attaqué devant le TAR, juridiction compétente pour examiner la légalité de tout acte administratif et l’annuler pour méconnaissance des droits fondamentaux de l’individu (voir, par exemple, Sardinas Albo c. Italie (déc.), no 56271/00, CEDH 2004-I). Un appel peut être interjeté devant le Conseil d’Etat contre les décisions du TAR.
59. Dans la procédure devant le TAR, la suspension de l’acte administratif litigieux n’est pas automatique, mais peut être octroyée sur demande (Sardinas Albo, décision précitée). Cependant, lorsque, comme dans le cas du requérant, l’expulsion est ordonnée aux termes du décret-loi no 144 de 2005, les recours au TAR ou au Conseil d’Etat ne peuvent en aucun cas suspendre l’exécution de l’arrêté d’expulsion (article 4 §§ 4 et 4bis du décret-loi en question).
B. La réouverture d’un procès par défaut en Tunisie
60. Dans leur traduction française produite par le Gouvernement, les dispositions pertinentes du code de procédure pénale tunisien se lisent comme suit :
Article 175
« Faute pour le prévenu touché personnellement de comparaître à la date qui lui est fixée, le tribunal passe outre et rend une décision qui est réputée contradictoire. Si le prévenu non comparant a été régulièrement cité, quoique non touché personnellement, il est jugé par défaut. La signification du jugement par défaut est faite par le greffier du tribunal qui a rendu la sentence.
L’opposition au jugement par défaut est faite par l’opposant en personne ou son représentant, au greffe du tribunal qui a rendu la décision dans les dix jours de la signification de ce jugement.
Si l’opposant demeure hors du territoire de la République, le délai est porté à trente jours.
Si l’opposant est détenu, l’opposition est reçue par le surveillant-chef de la prison qui la communique, sans délai, au greffe du tribunal.
L’opposition est faite, soit par déclaration verbale dont il est dressé acte séance tenante, soit par déclaration écrite. L’opposant doit signer et, s’il ne veut ou ne peut signer, il en est fait mention.
Le greffier fixe aussitôt la date d’audience et en avise l’opposant ; dans tous les cas cette audience doit avoir lieu dans le délai d’un mois au maximum de la date de l’opposition.
L’opposant ou son représentant avise de l’opposition et cite par huissier-notaire les parties intéressées, à l’exception du représentant du ministère public, trois jours au moins avant la date de l’audience, à défaut de quoi l’opposition est rejetée. »
Article 176
« Si la signification n’a pas été faite à personne ou s’il ne résulte pas des actes d’exécution du jugement que le prévenu en a eu connaissance, l’opposition est recevable jusqu’à l’expiration des délais de prescription de la peine. »
Article 180 (tel que modifié par la loi no 2004-43 du 17 avril 2000)
« L’opposition est suspensive d’exécution. Lorsque la peine prononcée est la peine capitale, l’opposant est incarcéré et la peine ne peut être exécutée avant que le jugement ne soit définitif. »
Article 213
« L’appel n’est plus recevable, sauf cas de force majeure, s’il n’a été fait dix jours au plus tard après le prononcé du jugement contradictoire au sens de l’alinéa premier de l’article 175, ou après l’expiration du délai d’opposition si le jugement a été rendu par défaut ou après la signification du jugement rendu par itératif défaut.
Pour le procureur général de la République et les avocats généraux près les cours d’appel, le délai d’appel est de soixante jours à compter du jour du prononcé du jugement. Ils doivent en outre, à peine de déchéance, notifier leurs recours dans ledit délai au prévenu et aux personnes civilement responsables. »
III. TEXTES ET DOCUMENTS INTERNATIONAUX
A. L’accord de coopération en matière de lutte contre la criminalité signé par l’Italie et la Tunisie et l’accord d’association entre la Tunisie, l’Union européenne et ses Etats membres
61. Le 13 décembre 2003, les gouvernements italien et tunisien ont signé à Tunis un accord en matière de lutte contre la criminalité par lequel les Parties contractantes se sont engagées à échanger des informations (notamment en ce qui concerne les activités de groupes terroristes, les flux migratoires et la production et l’usage de faux documents) et à favoriser l’harmonisation de leurs législations nationales. Les articles 10 et 16 de cet accord se lisent comme suit :
Article 10
« Les Parties contractantes, en conformité avec leurs législations nationales, s’accordent sur le fait que la coopération en matière de lutte contre la criminalité, comme prévu par les dispositions du présent accord, s’étendra à la recherche de personnes qui se sont soustraites à la justice et sont responsables de faits délictueux, ainsi qu’à l’utilisation de l’expulsion, lorsque les circonstances le requièrent et sauf application des dispositions en matière d’extradition. »
Article 16
« Le présent accord ne préjuge pas des droits et obligations découlant d’autres accord internationaux, multilatéraux ou bilatéraux, souscrits par les Parties contractantes. »
62. La Tunisie a également signé à Bruxelles, le 17 juillet 1995, un accord d’association avec l’Union européenne et ses Etats membres. Ce texte, qui porte pour l’essentiel sur la coopération dans les secteurs commercial et économique, précise dans son article 2 que les relations entre les Parties contractantes, tout comme les dispositions de l’accord lui-même, doivent se fonder sur le respect des droits de l’homme et des principes démocratiques, qui constituent un « élément essentiel » de l’accord.
B. Les articles 1, 32 et 33 de la Convention des Nations unies de 1951 relative au statut des réfugiés
63. L’Italie est partie à la Convention des Nations unies de 1951 relative au statut des réfugiés. Les articles 1, 32 et 33 de cette Convention disposent :
Article 1
« Aux fins de la présente Convention, le terme “réfugié” s’appliquera à toute personne (…) qui, (…) craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. »
Article 32
« 1. Les Etats contractants n’expulseront un réfugié se trouvant régulièrement sur leur territoire que pour des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public.
2. L’expulsion de ce réfugié n’aura lieu qu’en exécution d’une décision rendue conformément à la procédure prévue par la loi (…). »
Article 33
« 1. Aucun des Etats contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.
2. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays. »
C. Les lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe
64. Le 11 juillet 2002, lors de la 804e réunion des Délégués des Ministres, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté des lignes directrices sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme. Le point IV de ce texte, intitulé « Interdiction absolue de la torture », est ainsi libellé :
« Le recours à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants est prohibé en termes absolus, en toutes circonstances, notamment lors de l’arrestation, de l’interrogatoire et de la détention d’une personne soupçonnée d’activités terroristes ou condamnée pour de telles activités, et quels qu’aient été les agissements dont cette personne est soupçonnée ou pour lesquels elle a été condamnée. »
Aux termes du point XII § 2 de ce même document,
« L’Etat qui fait l’objet d’une demande d’asile a l’obligation de s’assurer que le refoulement éventuel du requérant dans son pays d’origine ou dans un autre pays ne l’exposera pas à la peine de mort, à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Il en va de même en cas d’expulsion. »
D. Le rapport d’Amnesty International relatif à la Tunisie
65. Dans un rapport concernant la situation en Tunisie en 2006, Amnesty International relève qu’à l’issue de procès inéquitables, au moins douze personnes poursuivies pour activités terroristes ont été condamnées à de lourdes peines d’emprisonnement. De nouveaux cas de torture et de mauvais traitements ont été signalés. Des centaines de prisonniers politiques restent incarcérés depuis plus de dix ans et leur état de santé se serait dégradé. Par ailleurs, cent trente-cinq prisonniers ont été remis en liberté à la suite d’une amnistie ; ils étaient incarcérés depuis plus de quatorze ans, après avoir été jugés de manière inéquitable pour appartenance à l’organisation islamiste interdite En-Nahda. Certains étaient en mauvaise santé du fait des conditions carcérales extrêmement pénibles et des tortures subies avant leur procès.
66. En décembre 2006, des fusillades ont eu lieu au sud de Tunis entre la police et des membres présumés du Groupe salafiste pour la prédication et le combat. Plusieurs dizaines de personnes ont été tuées et des policiers ont été blessés.
67. En juin 2006, le Parlement européen a réclamé l’organisation d’une session Union européenne-Tunisie, afin de débattre de la situation des droits de l’homme dans le pays. En octobre 2006, l’Union européenne a critiqué le gouvernement tunisien pour avoir annulé une conférence internationale sur le droit au travail.
68. En ce qui concerne la « guerre contre le terrorisme », Amnesty International souligne que les autorités tunisiennes n’ont pas répondu à la demande du rapporteur spécial des Nations Unies sur la protection des droits de l’homme, qui souhaitait se rendre dans le pays. Des personnes soupçonnées d’activités terroristes ont été arrêtées et jugées en vertu d’une loi antiterrorisme, estimée « controversée », de 2003. Cette loi et le code de justice militaire ont été utilisés contre des Tunisiens rapatriés contre leur gré de Bosnie-Herzégovine, de Bulgarie et d’Italie et qui étaient accusés d’appartenance à des organisations terroristes opérant à l’étranger. Dans ce genre d’affaires, parfois tranchées par les tribunaux militaires, les contacts des avocats avec leurs clients sont soumis à des restrictions de plus en plus nombreuses. Des cas de détention en isolement et de torture pendant la garde à vue ont été relatés ; on cite, notamment, les vicissitudes de M. Hicham Saadi et de M. Badreddine Ferchichi (expulsé de Bosnie-Herzégovine), ainsi que de six membres d’un « groupe de Zarzis ».
69. Amnesty International dénonce en outre d’importantes limitations au droit à la liberté d’expression et un risque de harcèlement et de violence à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme, de leurs proches, des femmes portant le voile islamique ainsi que des opposants et détracteurs du gouvernement.
70. Pour ce qui est de l’indépendance de la justice, Amnesty International note que les avocats ont publiquement protesté contre un projet de loi instaurant un institut supérieur des avocats qui sera chargé de la formation des futurs avocats (une mission qui incombait auparavant à l’ordre des avocats et à l’association des magistrats). En octobre 2006, le chef de la délégation de la Commission européenne à Tunis a déploré publiquement la lenteur des réformes politiques et réclamé une amélioration de la formation des juges et des avocats afin de renforcer l’indépendance de la justice. Les juges doivent obtenir l’autorisation du secrétaire d’Etat à la Justice pour se rendre à l’étranger.
71. Le 19 juin 2007, Amnesty International a émis une déclaration concernant le requérant. Ce document se lit comme suit :
« Amnesty international craint que N. S. soit torturé et subisse d’autres graves violations des droits humains s’il est renvoyé en Tunisie par les autorités italiennes. Cette préoccupation se fonde sur le suivi continu des violations des droits humains en Tunisie que nous assurons, notamment les violations commises à l’encontre de ceux qui sont renvoyés de force dans le cadre de la « guerre contre la terreur ».
Nassim Saadi a été condamné par contumace à vingt ans d’emprisonnement par le tribunal militaire permanent de Tunis pour appartenance à une organisation terroriste opérant à l’étranger en temps de paix et incitation au terrorisme. Bien qu’il doive être rejugé par la même juridiction militaire, les tribunaux militaires de Tunisie violent un certain nombre de garanties du droit à un procès équitable. Le tribunal militaire se compose de quatre conseillers et d’un président, qui, seul, est un juge civil. La procédure prévoit des restrictions au droit à une audience publique. L’emplacement du tribunal dans un terrain militaire limite l’accès du grand public. Les personnes condamnées par un tribunal militaire peuvent interjeter appel uniquement devant la Cour militaire de cassation. Les prévenus civils ont fréquemment fait savoir qu’ils n’avaient pas été informés de leur droit à un défenseur ou, notamment en l’absence d’un avocat, ils n’ont pas compris qu’ils étaient interrogés par un juge d’instruction, car celui-ci portait un uniforme militaire.
Les avocats de la défense se heurtent à des restrictions en matière d’accès au dossier de leurs clients et leur action est entravée, parce qu’ils ne reçoivent pas d’informations concernant la procédure, comme les dates des audiences. A la différence des juridictions pénales ordinaires, les tribunaux militaires ne donnent pas aux avocats d’accès à un registre des affaires en cours (pour plus d’informations, voir le rapport d’Amnesty International : « Tunisie : le cycle de l’injustice », index d’AI MDE 30/001/2003).
Les autorités tunisiennes continuent aussi d’appliquer la loi antiterroriste très controversée de 2003 pour arrêter, détenir et juger des suspects de terrorisme. Ceux qui sont reconnus coupables sont condamnés à de lourdes peines de prison. La loi antiterroriste et des dispositions du Code de justice militaire ont aussi servi à l’encontre de ressortissants tunisiens qui ont été renvoyés en Tunisie contre leur volonté par les autorités d’autres pays, notamment la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie et l’Italie. Les personnes renvoyées ont été arrêtées à leur arrivée par les autorités tunisiennes et, pour beaucoup d’entre elles, accusées d’avoir des liens avec des « organisations terroristes » opérant à l’étranger. Certaines ont été traduites devant le système de justice militaire.
Ceux qui ont récemment été renvoyés en Tunisie ont été mis au secret. Ils ont alors été soumis à la torture et à d’autres mauvais traitements. Ils ont aussi été condamnés à de lourdes peines de prison à la suite de procès inéquitables. A cet égard, citons, à titre d’exemples, les renseignements ci-après sur d’autres affaires :
– le 3 juin 2007, H. T. a été renvoyé de force de France en Tunisie et arrêté à son arrivée. Il a été maintenu au secret à la Direction de la Sécurité d’Etat du ministère de l’Intérieur à Tunis pendant dix jours au cours desquels il aurait été torturé ou aurait subi d’autres mauvais traitements. Il est actuellement détenu à la prison de Momaguia dans l’attente de la suite de l’enquête.
Il avait quitté la Tunisie en 1999 et avait vécu ensuite en Allemagne et, entre 2000 et 2006, en Italie. Il a été arrêté le 5 mai 2007 à la frontière franco-allemande en tant que migrant clandestin et maintenu au centre de détention de la ville française de Metz sous le coup d’une ordonnance d’expulsion. Le 6 mai, il a été présenté à un juge, qui a prolongé sa détention de quinze jours et qui l’a informé qu’il faisait l’objet d’une enquête de la police française, car celle-ci le soupçonnait « d’apporter un soutien logistique » à un réseau qui aide des particuliers à se rendre en Irak pour participer au conflit armé contre les forces de la coalition dirigée par les Etats-Unis, allégation qu’il nie. Aucun chef d’accusation n’a été retenu contre lui en France. Le même jour, il a fait une demande d’asile et le 7 mai 2007, il a été conduit au centre de rétention de Mesnil-Amelot pour y séjourner pendant que sa demande d’asile était traitée. Celle-ci a fait l’objet d’une procédure d’évaluation accélérée (« procédure prioritaire ») et a été rejetée le 25 mai. Bien que H. T. ait fait appel devant la Commission des recours des réfugiés (CRR), l’appel n’a pas d’effet suspensif pour les décisions prises au titre de la procédure prioritaire et les intéressés peuvent être reconduits à la frontière avant qu’une décision ait été prononcée au sujet de leur recours. H. T. a aussi fait appel de la décision devant le tribunal administratif, en vain.
– En mai 2004, T. B., un ressortissant tunisien, a été renvoyé contre sa volonté de France en Tunisie après le rejet de sa demande d’asile. Il a été arrêté à son arrivée en Tunisie et accusé au titre de la loi antiterroriste de 2003. En février 2005, le Conseil d’Etat, qui est la plus haute juridiction administrative de France, a annulé l’ordonnance d’expulsion de T. B.. En mars 2006, celui-ci a été condamné au terme d’un procès inéquitable en Tunisie à dix ans d’emprisonnement pour appartenance au Front islamiste tunisien, chef d’accusation pour lequel il a déjà purgé 36 mois de prison en France. La condamnation a été réduite à cinq ans en appel en octobre 2005. Il est toujours détenu en Tunisie.
– A. R., un ressortissant tunisien qui avait travaillé pendant plus de dix ans en Europe, a été expulsé d’Irlande en Tunisie en avril 2004 après le rejet de sa demande d’asile. Il a été arrêté à son arrivée en Tunisie et conduit à la Direction de la sécurité d’Etat du ministère de l’Intérieur, où il a été maintenu au secret pendant plusieurs jours et où il aurait été frappé, suspendu au plafond et menacé de mort. Il a été accusé au titre de la loi antiterroriste de 2003 d’appartenance à une organisation terroriste opérant à l’étranger. Aucune enquête n’a été menée au sujet des allégations de tortures qu’il aurait subies, bien que son avocat ait déposé plainte. En mars 2005, Adil Rahali a été reconnu coupable sur la base d’« aveux » obtenus sous la torture et condamné à dix ans d’emprisonnement au titre de la législation antiterroriste. Sa condamnation a été réduite à cinq ans en appel en septembre 2005. Il est toujours en prison en Tunisie.
– En avril 2004, sept jeunes gens ont été condamnés, à l’issue d’un procès inéquitable, pour appartenance à une organisation terroriste, possession ou fabrication d’explosifs, vol, consultation de sites Web interdits et organisation de réunions non autorisées. Deux autres ont été condamnés par contumace. Ils faisaient partie des dizaines de personnes arrêtées en février 2003 à Zarzis dans le sud de la Tunisie, qui ont été libérés, pour la plupart, au cours du même mois. La procédure n’a pas respecté les normes internationales relatives à un procès équitable. Selon les avocats de la défense, la plupart des dates d’arrestation indiquées dans les rapports de police ont été falsifiées et dans un cas, le lieu de l’arrestation l’a aussi été. Il n’y a pas eu d’enquête sur les allégations des défendeurs selon lesquelles les accusés auraient été frappés, suspendus au plafond et menacés de viol. Les condamnations reposaient presque entièrement sur les aveux obtenus sous la contrainte. Les prévenus ont nié l’ensemble des chefs d’accusation qui étaient portées contre eux au tribunal. En juillet 2004, la cour d’appel de Tunis a réduit les condamnations de six d’entre eux de dix-neuf ans et trois mois à treize ans d’emprisonnement. Leur pourvoi a été rejeté par la Cour de cassation en décembre 2004. Un autre prévenu, qui était mineur au moment de l’arrestation a vu sa condamnation réduite à vingt-quatre mois de prison. Ils ont tous été libérés en mars 2006 en vertu d’une grâce présidentielle.
Les violations des droits humains qui ont été commises dans ces cas sont typiques de celles qui sont monnaie courante en Tunisie et qui touchent les personnes arrêtées dans le pays comme celles qui sont renvoyées de l’étranger en relation à des allégations d’infractions de nature politique ou touchant à la sécurité. Nous estimons en conséquence que Nassim Saadi s’exposerait à un risque sérieux de torture et de procès inéquitable s’il était remis aux autorités tunisiennes. »
72. Une déclaration similaire a été émise par Amnesty International le 23 juillet 2007.
E. Le rapport de Human Rights Watch relatif à la Tunisie
73. Dans son rapport paru en 2007 concernant la Tunisie, Human Rights Watch affirme que le gouvernement tunisien utilise la menace du terrorisme et de l’extrémisme religieux comme prétexte pour réprimer ses opposants. Il y a des allégations constantes et crédibles d’utilisation de la torture et de mauvais traitements à l’encontre des suspects pour obtenir des aveux. Les condamnés seraient également soumis à des mauvais traitements infligés volontairement.
74. Malgré l’octroi d’une amnistie à de nombreux membres du parti islamiste illégal En-Nahda, le nombre de prisonniers politiques dépasse les 350 personnes. Il y a eu des arrestations en masse de jeunes hommes, qui ont été par la suite poursuivis aux termes de la loi antiterrorisme de 2003. Les anciens prisonniers politiques libérés sont contrôlés de près par les autorités, qui refusent de renouveler leurs passeports et de leur donner accès à la plupart des emplois.
75. Selon Human Rights Watch, le système judiciaire manque d’indépendance. Les juges d’instruction interrogent les suspects sans la présence de leurs avocats, et le parquet et les juges ferment les yeux sur les allégations de torture, même si elles sont formulées par l’intermédiaire d’un avocat. Les prévenus sont souvent condamnés sur la base d’aveux extorqués ou de déclarations de témoins qu’ils n’ont pas pu interroger ni faire interroger.
76. Même si le Comité international de la Croix-Rouge continue son programme de visites dans les prisons tunisiennes, les autorités refusent l’accès aux lieux de détention à des organisations indépendantes de défense des droits de l’homme. L’engagement pris en avril 2005 de permettre des visites de Human Rights Watch est resté lettre morte.
77. La loi dite « antiterrorisme » de 2003 donne une définition très ample de la notion de « terrorisme », qui peut être utilisée pour accuser des personnes ayant simplement exercé leur droit de critique politique. Depuis 2005, plus de 200 personnes ont été accusées de vouloir rejoindre des mouvements djihadistes à l’étranger ou d’organiser des activités terroristes. Les arrestations ont été effectuées par des policiers en civil et les familles des accusés sont restées sans nouvelles de leurs proches pendant des jours ou des semaines. Pendant les procès, la grande majorité des accusés a affirmé que leurs aveux avaient été obtenus sous la torture ou sous la menace de la torture. Ces accusés ont été condamnés à de lourdes peines de prison sans qu’il soit établi qu’ils avaient commis un acte spécifique de violence ou qu’ils possédaient des armes ou des explosifs.
78. En février 2006, six personnes accusées de faire partie du groupe terroriste « Zarzis » ont bénéficié d’une amnistie présidentielle après avoir purgé trois ans de prison. Elles avaient été condamnées sur la base d’aveux qui leur auraient été arrachés et de la circonstance qu’elles avaient copié sur Internet des instructions pour la fabrication de bombes. En 2005, M. A. R. B. a été condamné à quatre ans d’emprisonnement pour avoir copié et collé sur un forum en ligne la déclaration d’un groupe menaçant de lancer des attaques à l’explosif si le président de la Tunisie acceptait de recevoir la visite du Premier ministre israélien.
79. Enfin, Human Rights Watch signale que le 15 juin 2006 le Parlement européen a adopté une résolution qui déplore la répression des défenseurs des droits de l’homme en Tunisie.
F. Les activités du Comité international de la Croix-Rouge
80. Le Comité international de la Croix-Rouge a signé, le 26 avril 2005, un accord avec les autorités tunisiennes pour visiter les prisons et évaluer les conditions carcérales. Cet accord est intervenu un an après la décision des autorités de permettre de visiter les prisons au seul Comité international de la Croix-Rouge, organisation qualifiée de « strictement humanitaire », tenue par le secret sur l’accomplissement de ses missions. L’accord entre le gouvernement tunisien et le Comité international de la Croix-Rouge concerne tous les établissements pénitentiaires en Tunisie, « y compris les unités de détention provisoire et les lieux de garde à vue ».
81. Le 29 décembre 2005, M. B. P., délégué régional pour la Tunisie/Afrique du Nord du Comité international de la Croix-Rouge, a déclaré que le Comité a pu visiter « sans entraves » une dizaine de prisons et rencontrer des détenus en Tunisie. M. Pfefferlé a indiqué que, depuis le début de la mission, en juin 2005, une équipe du Comité international de la Croix-Rouge s’était rendue dans neuf prisons, à deux reprises pour deux d’entre elles, et avait rencontré la moitié des détenus auxquels elle avait prévu de rendre visite. Se refusant à plus d’indications « en raison de la nature de [leurs] accords », il a néanmoins précisé que ces accords autorisaient le Comité international de la Croix-Rouge à visiter l’ensemble des prisons et à rencontrer les détenus « en toute liberté et selon [son] libre choix ».
G. Le rapport du Département d’Etat américain relatif aux droits de l’homme en Tunisie
82. Dans son rapport « sur les pratiques en matière de droits de l’homme », publié le 8 mars 2006, le Département d’Etat américain dénonce des violations des droits fondamentaux perpétrées par le gouvernement tunisien.
83. Bien qu’il n’y ait pas eu de meurtres commis par les autorités tunisiennes pour des raisons politiques, le rapport dénonce le décès de deux personnes, M. M. B.A. O. et M. B. R., survenus respectivement pendant et après leur détention aux mains de la police.
84. Se référant aux données recueillies par Amnesty International, le Département d’Etat signale les différentes formes de torture et de mauvais traitements infligés par les autorités tunisiennes afin d’obtenir des aveux : décharges électriques, immersion de la tête dans l’eau, coups de poing, de bâton et de matraque, suspension aux barres des cellules provoquant une perte de conscience, brûlures de cigarettes sur le corps. En outre, les policiers abusent sexuellement des épouses des prisonniers islamistes afin d’obtenir des informations ou d’infliger une punition.
85. Ces actes de torture sont toutefois très difficiles à prouver, car les autorités refusent aux victimes l’accès aux soins médicaux jusqu’à la disparition des traces des sévices. De plus, la police et les autorités judiciaires refusent régulièrement de donner suite aux allégations de mauvais traitements, et les aveux extorqués sous la torture sont régulièrement retenus par les tribunaux.
86. Les prisonniers politiques et les intégristes religieux sont les victimes privilégiées de la torture, qui est perpétrée principalement pendant la garde à vue, notamment dans les locaux du ministère de l’Intérieur. Le rapport fait référence à plusieurs cas de torture dénoncés en 2005 par des organisations non gouvernementales, parmi lesquelles le Conseil national pour les libertés en Tunisie et l’Association pour la lutte contre la torture en Tunisie. En dépit des dénonciations des victimes, aucune investigation n’a été engagée par les autorités tunisiennes sur ces abus et aucun agent de l’Etat n’a été poursuivi.
87. Les conditions d’incarcération dans l