Conclusion Radiation partielle du r?le ; Exception pr?liminaire rejet?e (non-?puisement) ; Violation de P1-1 ; Non-lieu ? examiner l’art. 6-1 ; Dommage mat?riel – d?cision r?serv?e ; Remboursement partiel frais et d?pens – proc?dure nationale ; Remboursement partiel frais et d?pens – proc?dure de la Convention
En l’affaire Pressos Compania Naviera S.A. et autres
c. Belgique (1),
La Cour europe?enne des Droits de l’Homme, constitue?e,
conforme?ment a? l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde
des Droits de l’Homme et des Liberte?s fondamentales (“la Convention”)
et aux clauses pertinentes de son re?glement A (2), en une chambre
compose?e des juges dont le nom suit:
MM. R. Ryssdal, pre?sident,
Tho?r Vilhja?lmsson,
C. Russo,
J. De Meyer,
R. Pekkanen,
M.A. Lopes Rocha,
L. Wildhaber,
D. Gotchev,
U. Lohmus,
ainsi que de M. H. Petzold, greffier,
Apre?s en avoir de?libe?re? en chambre du conseil les 26 mai et
28 octobre 1995,
Rend l’arrêt que voici, adopte? a? cette dernie?re date:
_____________
Notes du greffier
1. L’affaire porte le n? 38/1994/485/567. Les deux premiers chiffres
en indiquent le rang dans l’anne?e d’introduction, les deux derniers la
place sur la liste des saisines de la Cour depuis l’origine et sur
celle des requêtes initiales (a? la Commission) correspondantes.
2. Le re?glement A s’applique a? toutes les affaires de?fe?re?es a? la Cour
avant l’entre?e en vigueur du Protocole n? 9 (P9) et, depuis celle-ci,
aux seules affaires concernant les Etats non lie?s par ledit Protocole
(P9). Il correspond au re?glement entre? en vigueur le 1er janvier 1983
et amende? a? plusieurs reprises depuis lors.
_______________
PROCEDURE
1. L’affaire a e?te? de?fe?re?e a? la Cour par la Commission europe?enne
des Droits de l’Homme (“la Commission”) le 9 septembre 1994, puis par
le gouvernement du Royaume de Belgique (“le Gouvernement”) le
21 octobre 1994, dans le de?lai de trois mois qu’ouvrent les articles 32
par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se
trouve une requête (n? 17849/91) dirige?e contre la Belgique et dont
vingt-six reque?rants (paragraphe 6 ci-dessous) avaient saisi la
Commission le 4 janvier 1991 en vertu de l’article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48
(art. 44, art. 48) ainsi qu’a? la de?claration belge reconnaissant la
juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46), la requête
du Gouvernement aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48). Elles ont
pour objet d’obtenir une de?cision sur le point de savoir si les faits
de la cause re?ve?lent un manquement de l’Etat de?fendeur aux exigences
des articles 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention et 1 du
Protocole n? 1 (P1-1).
2. En re?ponse a? l’invitation pre?vue a? l’article 33 par. 3 d) du
re?glement A, vingt-cinq des vingt-six reque?rants qui avaient saisi la
Commission ont exprime? le de?sir de participer a? l’instance et de?signe?
leurs conseils (article 30).
Ceux-ci ont pre?sente? le 27 fe?vrier 1995 un me?moire pour lesdits
vingt-cinq reque?rants; le 18 mai 1995, ils ont indique? qu’ils e?taient
sans instructions de la sixie?me reque?rante.
3. La chambre a? constituer comprenait de plein droit M. J. De Meyer,
juge e?lu de nationalite? belge (article 43 de la Convention) (art. 43),
et M. R. Ryssdal, pre?sident de la Cour (article 21 par. 3 b) du
re?glement A). Le 24 septembre 1994, celui-ci a tire? au sort le nom des
sept autres membres, a? savoir MM. Tho?r Vilhja?lmsson, N. Valticos,
R. Pekkanen, M.A. Lopes Rocha, L. Wildhaber, D. Gotchev et U. Lohmus,
en pre?sence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21
par. 4 du re?glement A) (art. 43). Ulte?rieurement, M. C. Russo,
supple?ant, a remplace? M. Valticos, empêche? (articles 22 par. 1 et 24
par. 1 du re?glement A).
4. En sa qualite? de pre?sident de la chambre (article 21 par. 5 du
re?glement A), M. Ryssdal a consulte?, par l’interme?diaire du greffier,
l’agent du Gouvernement, les avocats des reque?rants et le de?le?gue? de
la Commission au sujet de l’organisation de la proce?dure (articles 37
par. 1 et 38). Conforme?ment a? l’ordonnance rendue en conse?quence, les
me?moires du Gouvernement et des reque?rants sont parvenus au greffier
les 24 et 27 fe?vrier 1995.
5. Ainsi qu’en avait de?cide? le pre?sident, les de?bats se sont
de?roule?s en public le 22 mai 1995, au Palais des Droits de l’Homme a?
Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une re?union pre?paratoire.
Ont comparu:
– pour le Gouvernement
M. J. Lathouwers, conseiller adjoint,
chef du service des droits de l’homme,
ministe?re de la Justice, agent,
Me J.-M. Nelissen-Grade, avocat, conseil,
Me G. Michaux, avocat,
M. J. Van de Velde, directeur d’administration,
ministe?re des Communications
et de l’Infrastructure, conseillers;
– pour la Commission
M. I. Cabral Barreto, de?le?gue?;
– pour les reque?rants
Me L. S., avocat,
Me R.O. D., avocat, conseils,
Me D. L., avocat,
Me N. C., avocat, conseillers.
La Cour a entendu en leurs de?clarations, et en leurs re?ponses a?
ses questions, MM. Cabral Barreto, S., D. et Nelissen-Grade.
EN FAIT
I. Les circonstances de l’espe?ce
A. Les sinistres et leurs conse?quences judiciaires
6. Les reque?rants sont proprie?taires, mutuelles d’armement ou, dans
un cas, curateur de navires implique?s dans des sinistres qui se sont
produits dans les eaux territoriales belges ou ne?erlandaises a? une date
ante?rieure au 17 septembre 1988.
Attribuant ces accidents a? des fautes commises par des pilotes
belges a? bord des navires en question, ils ont intente?, tantôt contre
l’Etat belge, tantôt contre une socie?te? prive?e de pilotage, des actions
judiciaires dont l’e?tat actuel, d’apre?s les informations fournies a? la
Cour, se pre?sente comme suit:
La premie?re reque?rante: socie?te? de droit grec P. C.
N. S.A. (navire Angeartic)
11 août 1982: abordage;
24 avril 1985: jugement du tribunal de Middelburg (Pays-Bas) imputant
la responsabilite? a? la premie?re reque?rante;
10 juin 1987: assignation de l’Etat belge en recouvrement devant le
tribunal de premie?re instance de Bruxelles.
La deuxie?me reque?rante: socie?te? de droit libe?rien I.
S. C. (navire Oswego Freedom)
13 de?cembre 1970: abordage dans les eaux ne?erlandaises;
8 novembre 1972 et 16 novembre 1974: jugement du tribunal de
Middelburg, puis arrêt de la cour d’appel de La Haye imputant la
responsabilite? a? la deuxie?me reque?rante;
12 de?cembre 1972: assignation de l’Etat belge en recouvrement devant
le tribunal de premie?re instance de Bruxelles;
9 mars 1988: action de?clare?e non fonde?e a? de?faut de responsabilite?
civile du pilote selon le droit ne?erlandais;
7 avril 1988: appel interjete? par la reque?rante.
La troisie?me reque?rante: socie?te? de droit libe?rien Z.
S.C. (navire Panachaikon)
27 fe?vrier 1971: abordage;
28 avril 1977: arrangement estimant le pre?judice a? supporter par la
troisie?me reque?rante a? 456 798 dollars ame?ricains;
26 fe?vrier 1973: assignation de l’Etat belge en recouvrement devant le
tribunal de premie?re instance de Bruxelles;
18 mars 1988: jugement avant dire droit de?clarant l’action fonde?e en
vertu du principe de la responsabilite? de l’Etat pour les fautes
commises par ses pilotes;
23 fe?vrier 1994: re?formation du jugement par la cour d’appel de
Bruxelles, eu e?gard a? la loi du 30 août 1988 (paragraphe 18
ci-dessous).
La quatrie?me reque?rante: socie?te? de droit anglais C. M.
Ltd (navire Pass of Brander)
6 janvier 1983: heurt causant des avaries a? un emplacement lors de
l’accostage;
23 juillet 1984: assignation de l’armement par le proprie?taire de
l’emplacement (BASF), devant le tribunal de commerce d’Anvers;
22 août 1984: appel en garantie de la socie?te? de pilotage B.
(paragraphe 9 ci-dessous);
19 juin 1986: jugement du tribunal de commerce d’Anvers condamnant:
1) la quatrie?me reque?rante a? re?parer les dommages;
2) la socie?te? B.o, de?fendeur en garantie, a? de?dommager la
reque?rante des sommes paye?es par elle;
18 août 1986: appel interjete? par la socie?te? Brabo;
11 fe?vrier 1993: re?glement par l’armement de la re?clamation de BASF,
sous re?serve de l’issue de la proce?dure pendante devant la cour d’appel
d’Anvers.
La cinquie?me reque?rante: socie?te? de droit malaisien M.
I. S. C. B. (navire Bunga Kantan)
23 novembre 1986: heurt causant des dommages au mur d’un quai
appartenant a? l’Etat belge;
8 août 1988: assignation de l’Etat belge par l’armement, devant le
tribunal de premie?re instance d’Anvers, en re?paration du dommage au
navire;
21 novembre 1988: assignation de l’armement et de la socie?te? Brabo par
l’Etat, proprie?taire du quai, devant le tribunal de premie?re instance
d’Anvers, en re?paration du dommage au quai;
23 novembre 1988: assignation de l’armement par la ville d’Anvers,
devant le tribunal de premie?re instance d’Anvers, en remboursement des
frais re?sultant du sinistre.
La sixie?me reque?rante: socie?te? de droit libe?rien C. C.
(paragraphe 2 ci-dessus).
Les septie?me, huitie?me et neuvie?me reque?rantes: socie?te? de droit
sud-core?en K. S. C. Ltd, M. Y. (en sa qualite? de
curateur de la reque?rante n? 7) et la socie?te? de droit anglais The
L. S.-ship Owners’ M. I. A. Ltd (navire
Super star)
27 octobre 1985: abordage;
28 janvier 1986: assignation des reque?rants par l’armement adverse
devant le tribunal de premie?re instance d’Anvers;
24 octobre 1986: appel en garantie de l’Etat belge par les reque?rants;
date inconnue: re?glement transactionnel avec subrogation entre les
armateurs des navires implique?s dans l’abordage.
Les dixie?me et onzie?me reque?rantes: socie?te? de droit libe?rien
O. C. C. C. Ltd et socie?te? de droit japonais K.
K. K.K. (navire Cygnus Ace)
Premier sinistre:
1er octobre 1983: heurt causant des avaries a? un pont dans les bassins
d’Anvers;
22 mai 1984: assignation des reque?rantes par la ville d’Anvers devant
le tribunal de premie?re instance d’Anvers;
21 juin 1984: appel en garantie de la socie?te? de pilotage B. par les
reque?rantes;
26 septembre 1990: appel en garantie du pilote par les reque?rantes.
Deuxie?me sinistre:
23 novembre 1984: heurt causant des dommages a? une e?cluse;
27 mai 1987: assignation des reque?rantes par la ville d’Anvers, devant
le tribunal de premie?re instance d’Anvers;
16 juin 1987: appel en garantie de l’Etat belge par les reque?rantes;
10 septembre 1991: re?glement amiable avec subrogation.
La douzie?me reque?rante: socie?te? de droit anglais F. W.
(S.) Ltd (navire Andes)
31 mars 1988: heurt causant des dommages a? une e?cluse;
29 octobre 1990: assignation de la reque?rante par la ville d’Anvers,
devant le tribunal de premie?re instance d’Anvers;
19 novembre 1990: appel en garantie de la socie?te? de pilotage Brabo par
la reque?rante;
14 janvier 1992: paiement avec subrogation par la reque?rante d’une
re?paration a? la ville d’Anvers.
Les treizie?me et quatorzie?me reque?rantes: socie?te?s de droit
anglais M.H. S. C.Ltd et P. D. S. Ltd
(navire Donnington)
8 de?cembre 1984: heurt causant des dommages a? une e?cluse;
9 de?cembre 1985: assignation des reque?rantes par la ville d’Anvers,
devant le tribunal de commerce de cette ville;
8 de?cembre 1987: appel en garantie de l’Etat belge par les reque?rantes;
9 mars 1989 et 31 mars 1992: condamnation de l’armement, par le
tribunal de commerce puis par la cour d’Anvers, au paiement en
principal de 34 841 522 francs belges (FB);
fe?vrier et juin 1992: paiement de la somme par les reque?rantes, sous
re?serve d’un arrêt de la Cour europe?enne de?clarant “nulle” la loi du
30 août 1988.
La quinzie?me reque?rante: socie?te? de droit français Soci?t? navale
chargeurs D.-V. (navire Marie Delmas)
20 mars 1985: heurt causant des dommages a? une e?cluse;
27 novembre 1986: assignation de la reque?rante et de la socie?te? de
pilotage Brabo, devant le tribunal de premie?re instance d’Anvers;
17 novembre 1992: paiement d’une re?paration par la reque?rante, sous
re?serve des suites a? donner a? l’arrêt de la Cour europe?enne.
La seizie?me reque?rante: socie?te? de droit libe?rien M. Holdings
C. (navire Leandros)
26 juillet 1985: avaries importantes aux installations d’accostage de
la socie?te? E. et aux murs d’un quai dans le port de Gand;
10 mars 1986: assignation de la reque?rante par la socie?te? Eurosilo,
devant le tribunal de premie?re instance de Gand;
18 juillet 1986: appel en garantie de l’Etat par la reque?rante;
17 septembre 1991: condamnation par de?faut de l’armement, de l’Etat et
du pilote au paiement solidaire de divers montants;
24 octobre 1991: opposition contre le jugement.
Les dix-septie?me et dix-huitie?me reque?rantes: socie?te? de droit
bre?silien P. B. et socie?te? du droit des Bermudes The
U. K. M.l S. S. A. A. (Bermuda) Ltd
(navire Quitauna)
30 novembre 1986: heurt avec dommages a? une e?cluse;
27 octobre 1987: devant le tribunal de premie?re instance d’Anvers,
assignation des reque?rantes et de l’Etat belge par la socie?te? R.
et la ville d’Anvers;
8 juin 1989: jugement du tribunal d’Anvers;
17 juin 1991: condamnation des reque?rantes, par la cour d’appel
d’Anvers, a? payer re?paration.
La dix-neuvie?me reque?rante: socie?te? de droit turc K.G.
I. v. Ti. A.S. (navire Fethiye)
27 octobre 1984: avaries cause?es a? deux autres navires, lors de
manoeuvres d’amarrage;
date inconnue: assignation de la reque?rante devant le tribunal de
commerce de Gand;
27 octobre 1986: appel en garantie de l’Etat belge par la reque?rante;
14 janvier 1992: jugement du tribunal de commerce de Gand retenant la
responsabilite? de la reque?rante et de?chargeant l’Etat belge ainsi que
le pilote;
6 mai et 1er septembre 1993: appel interjete? par la reque?rante.
La vingtie?me reque?rante: socie?te? de droit libe?rien I.
M. C. S.A. (navire Acritas)
21 mars 1984: abordage entre trois navires;
14 mars 1986: devant le tribunal de premie?re instance d’Anvers,
assignation par la reque?rante des autres armements implique?s et de
l’Etat belge.
La vingt et unie?me reque?rante: socie?te? de droit paname?en N.
R. O. S.A. (navire Federal Huron)
26 avril 1986: abordage;
14 mai 1986: devant le tribunal de commerce d’Anvers, assignation par
la reque?rante de l’armement adverse et de l’Etat belge;
25 avril 1988: devant le même tribunal, assignation par l’armement
adverse de la reque?rante et de l’Etat belge.
La vingt-deuxie?me reque?rante: socie?te? de droit libe?rien F.
P. (Liberia) Ltd (navire Federal St Laurent)
29 septembre 1985: abordage;
4 septembre 1986: assignation par la reque?rante de l’armement adverse
et de l’Etat belge, devant le tribunal de premie?re instance d’Anvers;
10 de?cembre 1987: re?glement amiable.
La vingt-troisie?me reque?rante: socie?te? du droit des îles Caïman
C.s (3) Ltd (navire Cast Otter)
6 fe?vrier 1987: e?chouement;
6 avril 1987: assignation de l’Etat belge par la reque?rante, devant le
tribunal de premie?re instance de Bruxelles.
La vingt-quatrie?me reque?rante: socie?te? de droit belge Compagnie
belge d’affre?tement (C.) S.A. (navires Belvaux et Clervaux)
Navire Belvaux:
18 juin 1979: e?chouement;
10 juin 1986: assignation de l’Etat par la reque?rante, devant le
tribunal de premie?re instance de Bruxelles.
Navire Clervaux:
5 octobre 1981: e?chouement;
10 juillet 1986: assignation de l’Etat par la reque?rante, devant le
tribunal de premie?re instance de Bruxelles.
La vingt-cinquie?me reque?rante: socie?te? de droit espagnol Naviera
U. S.A. (navire Uralar Cuarto)
11 de?cembre 1983: heurt causant des dommages a? une estacade dans le
port d’Anvers;
18 juillet 1985: assignation de la reque?rante par la socie?te? R.,
qui avait la garde provisoire de l’estacade, devant le tribunal de
premie?re instance d’Anvers;
14 août 1985: appel en garantie de l’Etat belge par la reque?rante;
26 octobre 1988: rejet de l’appel en garantie par la cour d’appel
d’Anvers, eu e?gard a? l’effet re?troactif de la loi du 30 août 1988;
19 avril 1991: rejet du pourvoi par la Cour de cassation (paragraphe 8
ci-dessous).
La vingt-sixie?me reque?rante: socie?te? de droit anglais B.P. T.
C. Ltd (navire British Dragoon)
24 janvier 1977: e?chouement dans l’Escaut;
21 janvier 1982: assignation de l’Etat belge par la reque?rante, devant
le tribunal de premie?re instance de Bruxelles.
La vingt-sixie?me reque?rante n’intenta pas d’action judiciaire
contre la loi du 30 août 1988.
B. Proce?dures devant la Cour d’arbitrage et devant la Cour de
cassation
7. En mars 1989, vingt-quatre des reque?rants saisirent la Cour
d’arbitrage de recours en annulation de la loi du 30 août 1988
“modifiant la loi du 3 novembre 1967 sur le pilotage des bâtiments de
mer” (“la loi de 1988”), dont ils de?nonçaient en particulier l’effet
re?troactif (paragraphe 18 ci-dessous).
La cour rejeta les recours le 5 juillet 1990, conside?rant
notamment:
“Il peut être admis que le le?gislateur estime que les
cate?gories auxquelles s’adresse la loi incrimine?e sont,
principalement en raison de leur inte?gration dans l’activite?
maritime, assez spe?cifiques pour justifier un re?gime de
responsabilite? particulier.
En l’espe?ce, le le?gislateur a donne? effet re?troactif a? la loi.
L’e?le?ment re?troactif que comporte le syste?me spe?cial de
responsabilite? instaure? en matie?re de pilotage porte atteinte au
principe fondamental de la se?curite? juridique, selon lequel le
contenu du droit doit en principe être pre?visible et accessible
de sorte que le sujet de droit puisse pre?voir, a? un degre?
raisonnable, les conse?quences d’un acte de?termine? au moment ou?
cet acte se re?alise.
Cette atteinte au principe n’est pas, dans les circonstances
de l’espe?ce, disproportionne?e par rapport a? l’objectif ge?ne?ral
vise? par la le?gislation attaque?e. Le le?gislateur a entendu
maintenir dans la le?gislation sur le pilotage le syste?me de
responsabilite? qu’il n’avait pas voulu modifier en 1967 et que
la jurisprudence ante?rieure a? 1983 ainsi que la doctrine
de?duisaient de l’article 5 de la loi de 1967 sur le pilotage
ainsi que des articles 64 et 251 de la loi maritime (Livre II,
titre II, du Code de commerce); de plus, il a pris en compte les
conse?quences budge?taires importantes de?coulant de façon impre?vue
pour les pouvoirs publics concerne?s de la modification de la
jurisprudence.
Compte tenu de tous ces e?le?ments, l’exone?ration de
responsabilite? pour les organisateurs d’un service de pilotage
et la limitation de la responsabilite? personnelle des pilotes ne
peuvent être conside?re?es, même en tant que la loi re?troagit,
comme ne satisfaisant pas aux exigences des articles 6 et 6 bis
de la Constitution.
(…)
Les reque?rants affirment que la loi incrimine?e introduit une
distinction injustifie?e entre, d’une part, les litiges termine?s
(causae finitae) qui ne tombent pas dans le champ d’application
de la loi et, d’autre part, les litiges en cours (causae
pendentes) qui tombent, eux, dans le champ d’application de la
loi.
L’octroi d’un effet re?troactif a? une re?gle de droit signifie
en principe que cette re?gle s’applique aux rapports juridiques
ne?s et non de?finitivement accomplis avant son entre?e en vigueur;
cette re?gle ne peut alors être applicable qu’a? des litiges en
cours et futurs et n’a aucune influence sur des litiges termine?s.
Selon un principe fondamental de notre ordre juridique, les
de?cisions judiciaires ne peuvent être modifie?es que par la mise
en oeuvre de voies de recours. En limitant selon la distinction
critique?e l’effet de la loi dans le passe?, le le?gislateur a voulu
respecter ce principe et n’a donc pas e?tabli de distinction
contraire aux articles 6 et 6bis de la Constitution.
Les reque?rants invoquent encore la violation de l’article 11
de la Constitution et de l’article 1er du premier Protocole
additionnel (P1-1) a? la Convention europe?enne des Droits de
l’Homme.
(…)
En modifiant un re?gime le?gal d’indemnisation de dommages sans
remettre en cause les cre?ances dont le titre est une de?cision
judiciaire, le le?gislateur n’introduit aucune distinction
injustifie?e, la protection assure?e par les dispositions pre?cite?es
ne couvrant que la proprie?te? de?ja? acquise.”
8. La vingt-cinquie?me reque?rante, quant a? elle, se pourvut devant
la Cour de cassation contre l’arrêt du 26 octobre 1988 par lequel la
cour d’appel d’Anvers l’avait de?boute?e, en vertu de la loi de 1988, de
son action en garantie contre l’Etat belge (paragraphe 6 ci-dessus).
Le 26 janvier 1990, la Cour de cassation soumit a? la Cour
d’arbitrage une question pre?judicielle relative a? la constitutionnalite?
de la loi de 1988 et en particulier de sa re?troactivite?. Le
22 novembre 1990, cette dernie?re juridiction confirma en substance son
arrêt du 5 juillet 1990 (paragraphe 7 ci-dessus).
En conse?quence, la Cour de cassation rejeta le 19 avril 1991 le
pourvoi de la vingt-cinquie?me reque?rante. Reprenant la re?ponse de la
Cour d’arbitrage a? sa question pre?judicielle, elle e?carta un premier
moyen tire? de ce que la re?troactivite? de la loi de 1988 violerait les
articles 6 et 6 bis anciens de la Constitution. Elle de?clara ensuite
irrecevable le moyen tire? d’une infraction a? l’article 1 du Protocole
n? 1 (P1-1), apre?s avoir observe? que la vingt-cinquie?me reque?rante
n’avait pas invoque? cette disposition devant la cour d’appel. Enfin,
elle repoussa le grief de?duit de ce qu’en intervenant dans les proce?s
en cours, la loi de 1988 empêcherait le juge de trancher les litiges
tels qu’ils lui avaient e?te? soumis, au me?pris de l’inde?pendance des
tribunaux et de l’e?galite? des armes entre les parties. A cet e?gard,
elle conside?ra:
“Attendu que la mission et l’obligation du juge est d’appliquer
la loi au litige dont il est saisi; que la circonstance que telle
est sa mission et son devoir est sans influence sur son
inde?pendance; qu’une loi re?troactive applicable a? des litiges en
cours, même si l’Etat est partie a? la cause, n’entrave pas
l’inde?pendance du juge dans l’accomplissement de sa mission et
dans l’exe?cution de son devoir; que l’e?ventuelle pression exerce?e
sur le juge par une telle loi n’est autre que la pression que
toutes les lois exercent sur lui; que le fait que l’arrêt
applique une telle loi ne constitue pas une violation du droit
a? une instruction e?quitable de la cause par un tribunal
inde?pendant.”
II. Le droit interne pertinent
A. Le pilotage des bâtiments de mer
9. En Belgique, le pilotage des bâtiments de mer est un service
public organise? par l’Etat dans l’inte?rêt de la navigation. Il se
trouve re?gi par la loi du 3 novembre 1967 sur le pilotage des bâtiments
de mer (“la loi de 1967”). En pratique, il est assume? soit par l’Etat
lui-même, pour le pilotage de mer et de rivie?re, soit par des socie?te?s
prive?es dote?es d’une concession, telle la socie?te? Brabo qui de?tient le
monopole du pilotage a? l’inte?rieur du port d’Anvers.
10. En vertu de la loi de 1967 et des traite?s conclus entre la
Belgique et les Pays-Bas, les navires de commerce qui pe?ne?trent dans
l’estuaire de l’Escaut doivent obligatoirement avoir a? leur bord un
pilote disposant d’une licence accorde?e par l’un ou l’autre de ces
Etats. Le capitaine de navire qui contrevient a? cette obligation
n’encourt toutefois aucune autre sanction que l’obligation d’acquitter
le droit de pilotage, lequel est dû en tout e?tat de cause.
11. Aux termes de l’article 5 par. 1 de la loi de 1967,
“(…) le pilotage consiste dans l’assistance donne?e aux
capitaines des bâtiments de mer par des pilotes nomme?s par le
Ministre qui a le service de pilotage dans ses attributions. Le
pilote ope?re comme le conseiller du capitaine. Ce dernier est
seul maître de la conduite et des manoeuvres du bâtiment.”
12. Au sujet de cette disposition, l’expose? des motifs du projet de
la loi de 1967 pre?cise:
“L’article 5 de?finit le pilotage et, partant, de?termine la
nature du rôle du pilote dans cette ope?ration. Il re?gle donc une
question juridique importante. Puisqu’il s’agit d’assistance,
le pilote ne se substitue pas au capitaine qui demeure seul
maître de la direction et des manoeuvres de son navire. Le
pilote n’est que son conseiller pour la route a? suivre. Il
s’agit en l’occurrence d’une confirmation de la re?gle qui est
actuellement en vigueur et que l’on retrouve entre autres dans
un arrêt [de la Cour de cassation] du 19 mars 1896 (…)”
13. Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’Etat a conside?re?
que celui-ci “consacr[ait] par un texte expre?s une interpre?tation
ancienne selon laquelle le pilote n’est que le conseiller du
capitaine”. Comme le projet disposait initialement que “le capitaine
est seul responsable de la conduite et des manoeuvres du navire”, le
Conseil d’Etat a sugge?re? que le mot “responsable” fût remplace? par le
terme “maître”, puisqu’il semblait que “l’intention du Gouvernement ne
[fût] pas de de?roger par ce texte au droit commun de la
responsabilite?”.
14. L’article 64 de la loi maritime (livre II, titre II, du code de
commerce) pre?voit que “[l]e capitaine est tenu d’être en personne dans
son navire, a? l’entre?e et a? la sortie des ports, havres ou rivie?res”.
B. La responsabilite? en cas d’abordage
15. Aux termes de l’article 251 de la loi maritime,
” (…)
Si l’abordage a e?te? cause? par la faute de l’un des navires, la
re?paration du dommage incombe a? celui qui l’a commise.
(…)
La responsabilite? e?tablie par les dispositions qui pre?ce?dent
subsiste dans le cas ou? l’abordage est cause? par la faute d’un
pilote, même lorsque celui-ci est obligatoire.”
16. Selon deux arrêts, rendus par la Cour de cassation respectivement
le 24 avril 1840 (Pasicrisie, 1839-1840, I, 375) et le 19 mars 1896
(Pasicrisie, 1896, I, 132), le pilote devait être conside?re? comme le
pre?pose? du capitaine, du proprie?taire ou de l’armateur. Ceci
entraînait l’application de l’article 1384 du code civil, qui dispose:
“On est responsable non seulement du dommage que l’on cause de
son propre fait, mais encore de celui qui est cause? par le fait
des personnes dont on doit re?pondre, ou des choses que l’on a
sous sa garde.
Le pe?re et la me?re sont responsables du dommage cause? par leurs
enfants mineurs;
Les maîtres et les commettants, du dommage cause? par leurs
domestiques et pre?pose?s dans les fonctions auxquelles ils les ont
employe?s;
(…)”
Il en re?sultait l’exclusion de la responsabilite? de l’Etat pour
les fautes de pilotage. Quant aux pilotes, ils ne re?pondaient que des
fautes commises a? l’insu du capitaine.
17. Par un arrêt du 15 de?cembre 1983 (Pasicrisie, 1983, I, 418),
rendu sur conclusions conformes de Mme Liekendael, avocat ge?ne?ral, la
Cour de cassation mit fin a? ce re?gime en conside?rant notamment ce qui
suit a? propos des deux aline?as pre?cite?s (paragraphe 15 ci-dessus) de
l’article 251 de la loi maritime:
“Attendu qu’il ressort de ces dispositions le?gales que, en cas
d’abordage cause? par la faute d’un navire, le proprie?taire de ce
navire est tenu de re?parer les dommages que ladite faute a cause?s
aux victimes de l’abordage; qu’il ne se de?duit toutefois, ni de
l’article 251 de la loi maritime, ni de l’article 64 de cette
loi, aux termes duquel le capitaine est tenu d’être en personne
dans son navire, a? l’entre?e et a? la sortie des ports, havres ou
rivie?res, que le proprie?taire ne puisse exercer de recours contre
les tiers dont la responsabilite? pourrait être engage?e sur la
base d’autres dispositions le?gales, notamment des articles 1382
ou 1384 du Code civil;
Attendu que le capitaine, seul maître de la conduite et des
manoeuvres du bâtiment conforme?ment a? l’article 5 de la loi du
3 novembre 1967 sur le pilotage des bâtiments de mer, n’est
investi d’aucune autorite? a? l’e?gard du pilote qui, suivant le
même texte le?gal, ope?re comme son conseiller;
Attendu qu’en omettant d’examiner si le pilote d’un navire
ayant cause? l’abordage n’avait pas commis une faute, si le?ge?re
fût-elle, ayant contribue? a? la re?alisation des dommages re?sultant
de cet abordage, et en excluant que, dans l’affirmative, la
responsabilite? de l’Etat puisse être engage?e, bien que le pilote
appartienne a? un service organise? par l’Etat et relevant de la
compe?tence exclusive de celui-ci, l’arrêt ne justifie pas
le?galement sa de?cision;”
Il en de?coulait que le pilote ne pouvait pas passer pour le
pre?pose? du capitaine et qu’il engageait donc sa propre responsabilite?
aquilienne ainsi que celle de l’organisateur du service de pilotage.
Cette nouvelle jurisprudence, confirme?e peu apre?s par un arrêt
du 17 mai 1985 (Pasicrisie, 1985, I, 1159), se situait dans la ligne
de l’arrêt “La Flandria” du 5 novembre 1920 (Pasicrisie, 1920, I, 193),
par lequel la Cour de cassation avait reconnu que l’Etat et les autres
personnes de droit public sont soumis au droit commun de la
responsabilite?.
18. Par une loi du 30 août 1988, publie?e au Moniteur belge du
17 septembre 1988, le le?gislateur a inse?re? dans la loi de 1967 un
article 3 bis qui se lit ainsi:
“par. 1er. L’organisateur d’un service de pilotage ne peut
être rendu, directement ou indirectement, responsable d’un
dommage subi ou cause? par le navire pilote?, lorsque ce dommage
re?sulte d’une faute de l’organisateur lui-même ou d’un membre de
son personnel agissant dans l’exercice de ses fonctions, que
cette faute consiste en un fait ou une omission.
L’organisateur d’un service de pilotage ne peut non plus être
rendu, directement ou indirectement, responsable du dommage qui
re?sulte d’une de?faillance ou d’un vice des appareils destine?s a?
fournir des informations ou des directives aux bâtiments de mer,
appartenant ou utilise?s par le service de pilotage.
Pour l’application du pre?sent article, on entend par:
1? organisateur: l’autorite? publique et l’administration
portuaire qui organisent le service de pilotage ou le donnent en
concession, ainsi que le concessionnaire dudit service;
2? service de pilotage:
a) le service qui met a? la disposition du capitaine d’un
bâtiment de mer un pilote qui ope?rera aupre?s de celui-ci en
qualite? de conseiller;
b) tout service qui, notamment par observations radar ou par
sondage des eaux accessibles aux bâtiments de mer, fournit des
informations ou des directives a? un bâtiment de mer, même
lorsqu’il n’y a pas de pilote a? bord;
3? navire pilote?: tout bâtiment de mer qui fait appel au
service de pilotage au sens du 2? a) et/ou b) ci-dessus.
Le navire est responsable du dommage vise? a? l’aline?a 1er.
Le membre du personnel qui, par son fait ou son omission, a
cause? le dommage vise? a? l’aline?a 1er, n’est responsable que s’il
a commis une faute intentionnelle ou une faute grave.
Le membre du personnel n’est tenu de re?parer le dommage qu’il
a cause? par sa faute grave qu’a? concurrence de cinq cent mille
francs par e?ve?nement dommageable. Le Roi peut adapter ce montant
en tenant compte de la situation e?conomique.
par. 2. Le paragraphe pre?ce?dent entre en vigueur le jour de
sa publication au Moniteur belge. Il a un effet re?troactif dans
le temps pour une pe?riode de trente ans a? compter de ce jour.”
C. La compe?tence de la Cour d’arbitrage
19. En vertu de l’article 107 ter (ancien, actuellement 142) de la
Constitution et des articles 1 et 26 de la loi spe?ciale du
6 janvier 1989 sur la Cour d’arbitrage, celle-ci statue notamment:
1) sur les recours en annulation de lois, de de?crets ou
d’ordonnances pour cause de violation, soit des re?gles relatives a? la
re?partition des compe?tences entre l’Etat, les communaute?s et les
re?gions, soit des articles 6 et 6 bis (anciens, actuellement 10 et 11)
de la Constitution, qui consacrent l’e?galite? devant la loi et prohibent
la discrimination dans l’exercice des droits et liberte?s;
2) sur les questions pre?judicielles relatives a? la violation de
ces re?gles ou de ces articles par des lois, des de?crets ou des
ordonnances.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
20. Les reque?rants ont saisi la Commission le 4 janvier 1991. Ils
alle?guaient que le re?gime de responsabilite? institue? par la loi du
30 août 1988 viole les articles 1 du Protocole n? 1 (P1-1), 6 par. 1
(art. 6-1) de la Convention et 14 de la Convention combine? avec
l’article 1 du Protocole n? 1 (art. 14+P1-1).
21. Le 6 septembre 1993, la Commission a retenu les griefs relatifs
aux articles 1 du Protocole n? 1 (P1-1) et 6 par. 1 (art. 6-1) de la
Convention, et rejete? la requête (n? 17849/91) pour le surplus. Dans
son rapport du 4 juillet 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut a?
la non-violation de l’article 1 du Protocole n? 1 (P1-1) (unanimite?)
et a? la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention
(onze voix contre six), sauf en ce qui concerne les deuxie?me
(quatorze voix contre trois) et douzie?me reque?rants (seize voix
contre une).
Le texte inte?gral de son avis et des cinq opinions se?pare?es dont
il s’accompagne figure en annexe au pre?sent arrêt (1).
_______________
1. Note du greffier: pour des raisons d’ordre pratique il n’y figurera
que dans l’e?dition imprime?e (volume 332 de la se?rie A des publications
de la Cour), mais on peut se le procurer aupre?s du greffe.
_______________
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
22. Dans son me?moire, le Gouvernement demande a? la Cour
“en ordre principal, de de?clarer la requête n? 17849/91 non
recevable et, en ordre subsidiaire, de dire pour droit que les
faits de la pre?sente cause ne re?ve?lent, de la part de l’Etat
belge, aucune violation des obligations qui lui incombent aux
termes de la Convention europe?enne des Droits de l’Homme.”
23. Quant aux reque?rants, ils invitent la Cour a?
“1. dire que la loi du 30 août 1988 a viole? les articles 6
par. 1 (art. 6-1) de la Convention et 1 du Protocole n? 1 (P1-1);
2. dire que l’Etat belge doit rembourser, a? titre de frais et
de?pens, 51 380 253 francs belges (FB);
3. dire qu’il y a lieu de re?server a? statuer sur la satisfaction
e?quitable qui revient aux reque?rantes.”
EN DROIT
I. QUANT A LA SIXIEME REQUERANTE
24. La Cour note que des vingt-six reque?rants qui avaient saisi la
Commission, vingt-cinq ont e?te? repre?sente?s devant elle. Les avocats
de?signe?s par ceux-ci n’ont pas reçu d’instructions de la sixie?me
reque?rante (paragraphes 1-2 ci-dessus). La Cour y voit une
circonstance permettant de conclure que ladite reque?rante n’entend plus
maintenir ses griefs (article 49 par. 2, second aline?a, du
re?glement A).
D’autre part, la Cour n’aperçoit aucun motif d’ordre public de
poursuivre l’instance de la sixie?me reque?rante, dont la cause est
similaire a? celle des autres (article 49 par. 4 du re?glement A).
En conse?quence, il e?chet de disjoindre la cause de la socie?te?
C. C. de celles des autres reque?rants et de la rayer du
rôle.
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE N? 1 (P1-1)
25. Les reque?rants de?noncent la loi du 30 août 1988 modifiant la loi
du 3 novembre 1967 sur le pilotage des bâtiments de mer (paragraphes
9 et 18 ci-dessus). Elle violerait l’article 1 du Protocole n? 1
(P1-1), ainsi libelle?:
“Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses
biens. Nul ne peut être prive? de sa proprie?te? que pour cause
d’utilite? publique et dans les conditions pre?vues par la loi et
les principes ge?ne?raux du droit international.
Les dispositions pre?ce?dentes ne portent pas atteinte au droit
que posse?dent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils
jugent ne?cessaires pour re?glementer l’usage des biens
conforme?ment a? l’inte?rêt ge?ne?ral ou pour assurer le paiement des
impôts ou d’autres contributions ou des amendes.”
A. Sur l’exception pre?liminaire du Gouvernement
26. Comme de?ja? devant la Commission, le Gouvernement excipe de
l’irrecevabilite? de la requête pour non-e?puisement des voies de recours
internes. D’apre?s lui, les vingt-quatre premiers reque?rants auraient
dû saisir aussi les tribunaux ordinaires de la question de la
compatibilite? de la loi litigieuse avec l’article 1 du Protocole n? 1
(P1-1). Le recours en annulation introduit devant la Cour d’arbitrage
ne rendait pas superflue pareille proce?dure, car les griefs tire?s de
la violation de dispositions de droit international prises isole?ment
e?chappent a? la compe?tence de cette juridiction (paragraphe 19
ci-dessus). Aussi l’arrêt de la Cour d’arbitrage du 5 juillet 1990
(paragraphe 7 ci-dessus) ne s’imposait-il nullement aux tribunaux de
l’ordre judiciaire, qui auraient donc pu refuser d’appliquer la loi de
1988 s’ils l’estimaient contraire a? la Convention.
De leur côte?, les vingt-cinquie?me et vingt-sixie?me reque?rantes
ne sauraient, elles non plus, passer pour avoir e?puise? les voies de
recours internes. La premie?re ne?gligea de soulever devant le juge du
fond le moyen tire? de l’incompatibilite? de la loi de 1988 avec
l’article 1 du Protocole n? 1 (P1-1), empêchant ainsi la Cour de
cassation d’en connaître. Quant a? la seconde, elle n’intenta aucun
recours contre la loi de 1988.
27. La Cour rappelle que l’article 26 (art. 26) de la Convention
exige l’e?puisement des seules voies de recours effectives et propres
a? redresser la violation alle?gue?e (voir, entre autres, l’arrêt Keegan
c. Irlande du 26 mai 1994, se?rie A n? 290, p. 17, par. 39).
Elle rele?ve que devant la Cour d’arbitrage, les vingt-quatre
premiers reque?rants ont invoque? en substance, sous l’angle des
articles 6 et 6 bis (anciens) de la Constitution belge, des arguments
pratiquement identiques a? ceux qu’ils ont de?veloppe?s devant les organes
de la Convention et alle?guant explicitement la violation des
articles 11 (ancien, actuellement 16) de la Constitution et 1 du
Protocole n? 1 (P1-1). La Cour d’arbitrage estima que la protection
assure?e par ces dispositions ne couvrait que la proprie?te? de?ja? acquise
(paragraphe 7 ci-dessus).
Selon la Cour europe?enne, ce raisonnement autorisait tous les
reque?rants a? conside?rer que, d’apre?s la Cour d’arbitrage, les faits
de?nonce?s devant celle-ci par vingt-quatre d’entre eux e?chappaient au
champ d’application de l’article 1 du Protocole n? 1 (P1-1). Eu e?gard
au rang et a? l’autorite? de cette cour dans le syste?me juridictionnel
du Royaume, de tels motifs pouvaient passer pour vouer a? l’e?chec tout
autre recours que les reque?rants auraient pu engager (voir, mutatis
mutandis, les arrêts Hauschildt c. Danemark du 24 mai 1989, se?rie A
n? 154, p. 19, par. 41, et Les saints monaste?res c. Gre?ce du
9 de?cembre 1994, se?rie A n? 301-A, p. 29, par. 51).
Il e?chet donc d’e?carter l’exception.
B. Sur le bien-fonde? du grief
28. Les reque?rants de?noncent a? un double titre la loi de 1988.
En exone?rant l’organisateur d’un service de pilotage de sa
responsabilite? pour les fautes de son personnel et en limitant celle
des membres de celui-ci, elle leur imposerait une charge exorbitante
qui romprait le juste e?quilibre entre les exigences de l’inte?rêt
ge?ne?ral et les impe?ratifs de sauvegarde de leur droit au respect de
leurs biens. Elle violerait ainsi le second aline?a ou, tout au moins,
la premie?re phrase du premier aline?a de l’article 1 du Protocole n? 1
(P1-1).
De surcroît, la re?troactivite? de la loi de?posse?derait les
reque?rants de leurs cre?ances en re?paration des dommages subis et
violerait ainsi la deuxie?me phrase du premier aline?a de cet article
(P1-1).
1. Sur l’existence d’un “bien” au sens de l’article 1 (P1-1)
29. Selon le Gouvernement, les pre?tendues cre?ances des reque?rants ne
peuvent passer pour des “biens” au sens de l’article 1 (P1-1). Aucune
n’aurait e?te? constate?e et liquide?e par une de?cision judiciaire ayant
force de chose juge?e. Telle serait pourtant la condition pour qu’une
cre?ance soit certaine, actuelle, exigible et, partant, prote?ge?e par
l’article 1 (P1-1).
Compte tenu du caracte?re inattendu et manifestement contestable
de la solution adopte?e par la Cour de cassation dans son arrêt du
15 de?cembre 1983 (paragraphe 17 ci-dessus), les reque?rants ne
pourraient pas non plus se pre?valoir d’une “espe?rance le?gitime”
d’obtenir une indemnisation a? la charge de l’Etat (voir l’arrêt Pine
Valley Developments Ltd et autres c. Irlande du 29 novembre 1991,
se?rie A n? 222, p. 23, par. 51). Ce serait confondre le droit de
proprie?te? avec un droit a? la proprie?te?.
La Commission adhe?re en substance a? cette the?se.
30. Les reque?rants soulignent que d’apre?s le droit commun belge de
la responsabilite? civile, une cre?ance d’indemnite? naît, dans son
principe, avec la re?alisation du dommage, la de?cision juridictionnelle
ne faisant qu’en confirmer l’existence et en de?terminer le montant.
Le Gouvernement re?pond que les notions de “bien” et de
“proprie?te?” au sens de l’article 1 (P1-1) revêtent une signification
autonome, non tributaire des qualifications du droit interne de l’Etat
en cause.
31. Pour juger en l’espe?ce de l’existence d’un “bien”, la Cour peut
avoir e?gard au droit interne en vigueur lors de l’inge?rence alle?gue?e,
rien ne lui permettant de penser que celui-ci contrevenait a? l’objet
ou au but de l’article 1 du Protocole n? 1 (P1-1).
Il s’agissait d’un re?gime aquilien, faisant naître les cre?ances
en re?paration de?s la survenance du dommage.
Une cre?ance de ce genre “s’analysait en une valeur patrimoniale”
et avait donc le caracte?re d'”un bien au sens de la premie?re phrase de
l’article 1 (P1-1), lequel s’appliquait de?s lors en l’espe?ce” (voir,
mutatis mutandis, l’arrêt Van Marle et autres c. Pays-Bas du
26 juin 1986, se?rie A n? 101, p. 13, par. 41).
Compte tenu des arrêts de la Cour de cassation du
5 novembre 1920, du 15 de?cembre 1983 et du 17 mai 1985 (paragraphe 17
ci-dessus), les reque?rants pouvaient pre?tendre avoir une “espe?rance
le?gitime” de voir concre?tiser leurs cre?ances quant aux accidents en
cause conforme?ment au droit commun de la responsabilite? (voir, mutatis
mutandis, l’arrêt Pine Valley Developments et autres pre?cite?,
loc. cit.).
32. Telle e?tait en effet la situation pour les accidents en cause qui
se sont tous produits avant le 17 septembre 1988, date d’entre?e en
vigueur de la loi de 1988 (paragraphes 6 et 18 ci-dessus).
2. Sur l’existence d’une inge?rence
33. Selon la jurisprudence de la Cour, l’article 1 (P1-1), qui
garantit en substance le droit de proprie?te?, contient trois normes
distinctes: la premie?re, qui s’exprime dans la premie?re phrase du
premier aline?a et revêt un caracte?re ge?ne?ral, e?nonce le principe du
respect de la proprie?te?; la deuxie?me, figurant dans la seconde phrase
du même aline?a, vise la privation de proprie?te? et la subordonne a?
certaines conditions; quant a? la troisie?me, consigne?e dans le second
aline?a, elle reconnaît aux Etats contractants le pouvoir, entre autres,
de re?glementer l’usage des biens conforme?ment a? l’inte?rêt ge?ne?ral. La
deuxie?me et la troisie?me, qui ont trait a? des exemples particuliers
d’atteinte au droit de proprie?te?, doivent s’interpre?ter a? la lumie?re
du principe consacre? par la premie?re (voir, parmi d’autres, l’arrêt Les
saints monaste?res pre?cite?, p. 31, par. 56).
34. La loi de 1988 – la Cour le note – a affranchi l’Etat et les
autres organisateurs de services de pilotage de leur responsabilite?
pour les fautes dont ils auraient pu devoir re?pondre. Elle a entraîne?
une inge?rence dans l’exercice des droits de cre?ance en re?paration qu’on
pouvait faire valoir en vertu du droit interne en vigueur jusqu’alors
et, partant, du droit de toute personne, et notamment de chacun des
reque?rants, au respect de ses biens (paragraphe 31 ci-dessus).
Dans la mesure ou? cette loi concerne les accidents survenus avant
le 17 septembre 1988, seuls en cause dans la pre?sente affaire, cette
inge?rence s’analyse en une privation de proprie?te? au sens de la seconde
phrase du premier aline?a de l’article 1 (P1-1).
3. Sur la justification de l’inge?rence
35. La Cour doit rechercher a? pre?sent si cette inge?rence a eu lieu
“pour cause d’utilite? publique” et dans le respect du principe de
proportionnalite?.
a) “Pour cause d’utilite? publique”
36. Pour justifier l’inge?rence litigieuse, le Gouvernement avance
trois types de “conside?rations importantes lie?es a? l’inte?rêt ge?ne?ral”:
la pre?servation des inte?rêts budge?taires de l’Etat, le re?tablissement
de la se?curite? juridique dans le domaine de la responsabilite?, et
l’harmonisation de la le?gislation belge en la matie?re avec celle des
pays voisins et spe?cialement des Pays-Bas.
37. La Cour rappelle que les autorite?s nationales disposent d’une
certaine marge d’appre?ciation pour de?terminer ce qui est “d’utilite?
publique”, car, dans le syste?me de la Convention, il leur e?choit de se
prononcer les premie?res tant sur l’existence d’un proble?me d’inte?rêt
public justifiant des privations de proprie?te? que sur les mesures a?
prendre pour les re?soudre.
De plus, la notion d'”utilite? publique” est ample par nature.
En particulier, la de?cision d’adopter des lois portant privation de
proprie?te? implique d’ordinaire l’examen de questions politiques,
e?conomiques et sociales sur lesquelles de profondes divergences
d’opinions peuvent raisonnablement re?gner dans un Etat de?mocratique.
Estimant normal que le le?gislateur dispose d’une grande latitude pour
mener une politique e?conomique et sociale, la Cour respecte la manie?re
dont il conçoit les impe?ratifs de l'”utilite? publique” sauf si son
jugement se re?ve?le manifestement de?pourvu de base raisonnable (voir,
mutatis mutandis, l’arrêt James et autres c. Royaume-Uni du
21 fe?vrier 1986, se?rie A n? 98-B, p. 32, par. 46), ce qui, a?
l’e?vidence, n’est pas le cas en l’espe?ce.
b) Proportionnalite? de l’inge?rence
38. Une mesure d’inge?rence dans le droit au respect des biens doit
me?nager un “juste e?quilibre” entre les exigences de l’inte?rêt ge?ne?ral
de la communaute? et les impe?ratifs de la sauvegarde des droits
fondamentaux de l’individu. Le souci d’assurer un tel e?quilibre se
refle?te dans la structure de l’article 1 (P1-1) tout entier, donc aussi
dans la seconde phrase qui doit se lire a? la lumie?re du principe
consacre? par la premie?re (paragraphe 33 ci-dessus). En particulier,
il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalite? entre les
moyens employe?s et le but vise? par toute mesure privant une personne
de sa proprie?te?.
Afin de de?terminer si la mesure litigieuse respecte le juste
e?quilibre voulu et, notamment, si elle ne fait pas peser sur un
reque?rant une charge disproportionne?e, il y a lieu de prendre en
conside?ration les modalite?s d’indemnisation pre?vues par la le?gislation
interne. A cet e?gard, sans le versement d’une somme raisonnablement
en rapport avec la valeur du bien, une privation de proprie?te? constitue
normalement une atteinte excessive, et un manque total d’indemnisation
ne saurait se justifier sur le terrain de l’article 1 (P1-1) que dans
des circonstances exceptionnelles (voir, en dernier lieu, l’arrêt Les
saints monaste?res pre?cite?, pp. 34-35, paras. 70-71).
39. En l’espe?ce, la loi de 1988 a purement et simplement supprime?,
avec effet re?troactif a? trente ans et sans contrepartie, les cre?ances
en re?paration, de montants tre?s e?leve?s, que les victimes d’accidents
de pilotage avaient pu faire valoir contre l’Etat belge ou contre les
socie?te?s prive?es responsables, parfois même dans des proce?dures de?ja?
pendantes.
40. Le Gouvernement invoque les conse?quences budge?taires a? la fois
e?normes et impre?visibles de l’arrêt de la Cour de cassation du
15 de?cembre 1983: lors des travaux pre?paratoires a? la loi de 1988,
l’impact financier des actions alors en instance contre l’Etat belge
avait e?te? e?value? a? 3,5 milliards de francs belges. Le le?gislateur
aurait e?te? fonde? a? vouloir pre?server le Tre?sor public de cette charge,
car elle re?sultait d’une interpre?tation a? ce point contestable et
impre?visible des dispositions le?gales concerne?es que les reque?rants ne
pouvaient raisonnablement croire que le le?gislateur s’y rangerait. La
Cour d’arbitrage l’aurait du reste confirme? en substance (paragraphe 7
ci-dessus).
Le Gouvernement insiste aussi sur la ne?cessite? qui aurait existe?
de mettre fin a? “l’inse?curite? juridique” provoque?e par l’arrêt du
15 de?cembre 1983. Selon lui, le le?gislateur de 1988 avait dû
re?affirmer un principe admis depuis pre?s de cent cinquante ans par le
droit belge et battu en bre?che par une interpre?tation contestable de
la Cour de cassation.
Enfin, le Gouvernement fait valoir que la loi de 1988 tendait en
outre a? l’harmonisation de la le?gislation belge avec celle des pays
voisins.
41. Les reque?rants soulignent d’abord que la loi de 1988 ne profite
pas seulement a? l’Etat belge, mais aussi a? la socie?te? prive?e de
pilotage mise en cause dans plusieurs litiges (paragraphe 6 ci-dessus).
Ils soutiennent ensuite que les motifs budge?taires invoque?s par le
Gouvernement ne sauraient justifier une atteinte aussi massive a? leurs
droits fondamentaux, de?s lors surtout que, loin d’être impre?visible,
l’arrêt de la Cour de cassation du 15 de?cembre 1983 s’inscrivait dans
le droit fil de l’arrêt “La Flandria” rendu en 1920 par la même Cour
(paragraphe 17 ci-dessus). L’Etat aurait donc eu tout le loisir
d’anticiper, par des mesures respectueuses de la Convention, ce qui
n’e?tait que le de?veloppement d’une tendance jurisprudentielle amorce?e
il y a bien longtemps. Au lieu de cela, il a non seulement annule?
re?troactivement des cre?ances de?ja? acquises, mais il s’est donne?
jusqu’en 1988 pour le faire, aggravant ainsi l’atteinte a? la confiance
des reque?rants, dont un bon nombre avaient en effet attendu au moins
jusqu’en 1986 pour assigner l’Etat.
42. La Cour rappelle que la Cour de cassation avait reconnu, par son
arrêt “La Flandria” du 5 novembre 1920, que l’Etat et les autres
personnes de droit public sont soumis au droit commun de la
responsabilite? (paragraphe 17 ci-dessus).
Sans doute n’avait-elle pas eu a? connaître depuis lors d’affaires
relatives a? la responsabilite? de l’Etat en matie?re de pilotage, mais
il n’e?tait certainement pas impre?visible qu’elle appliquerait en cette
matie?re, a? la premie?re occasion, les principes qu’elle avait de?finis
en termes ge?ne?raux dans cet arrêt de 1920. On pouvait s’y attendre
d’autant plus qu’en lisant la loi de 1967 a? la lumie?re de l’avis du
Conseil d’Etat, on pouvait le?gitimement croire que celle-ci ne
de?rogeait pas au droit commun de la responsabilite? (paragraphes 11-13
ci-dessus).
L’arrêt de 1983 n’a donc pas porte? atteinte a? la se?curite?
juridique.
43. Les conside?rations financie?res invoque?es par le Gouvernement et
son souci d’harmoniser le droit belge avec celui des pays voisins
pouvaient justifier, pour l’avenir, une le?gislation de?rogeant, en cette
matie?re, au droit commun de la responsabilite?.
Ils ne pouvaient pas le?gitimer une re?troactivite? dont le but et
l’effet e?taient de priver les reque?rants de leurs cre?ances en
indemnisation.
Une atteinte aussi radicale aux droits des inte?resse?s ne respecte
pas un juste e?quilibre entre les inte?rêts en pre?sence.
44. La loi de 1988 a donc viole?, dans la mesure ou? elle concerne les
faits ante?rieurs au 17 septembre 1988, date de sa publication et de son
entre?e en vigueur, l’article 1 du Protocole n? 1 (P1-1).
III. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1) DE LA
CONVENTION
45. Les reque?rants alle?guent aussi une violation de l’article 6
par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
46. La Cour note que leurs griefs a? cet e?gard se confondent avec ceux
qu’ils soule?vent sous l’angle de l’article 1 du Protocole n? 1 (P1-1).
Eu e?gard a? la conclusion formule?e au paragraphe 44 ci-dessus, elle
n’estime pas ne?cessaire de les examiner se?pare?ment sous l’angle de
l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50) DE LA CONVENTION
47. Aux termes de l’article 50 (art. 50) de la Convention,
“Si la de?cision de la Cour de?clare qu’une de?cision prise ou une
mesure ordonne?e par une autorite? judiciaire ou toute autre
autorite? d’une Partie Contractante se trouve entie?rement ou
partiellement en opposition avec des obligations de?coulant de la
(…) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne
permet qu’imparfaitement d’effacer les conse?quences de cette
de?cision ou de cette mesure, la de?cision de la Cour accorde, s’il
y a lieu, a? la partie le?se?e une satisfaction e?quitable.”
A. Dommage mate?riel
48. Les reque?rants re?clament la re?paration inte?grale des dommages
mate?riels cumule?s, e?value?s a? 1 598 367 385 (un milliard cinq cent
quatre-vingt-dix-huit millions trois cent soixante-sept mille trois
cent quatre-vingt-cinq) FB. Ils prient toutefois la Cour de re?server
cette question, afin de leur permettre d’examiner, le cas e?che?ant avec
le Gouvernement, les possibilite?s que leur offre le droit interne
d’obtenir compensation.
49. Le Gouvernement marque son accord sur ce dernier point,
soulignant qu’a? son avis, il appartient d’abord aux juridictions belges
d’e?tablir les dommages et les responsabilite?s respectives dans chacun
des litiges en cause.
50. Quant au de?le?gue? de la Commission, il ne se prononce pas.
51. Dans les circonstances de la cause, la Cour estime que la
question ne se trouve pas en e?tat. Il incombe en effet aux tribunaux
nationaux de de?terminer les titulaires et les montants des cre?ances en
re?paration ne?es a? l’occasion des accidents a? l’origine de l’affaire
(paragraphe 6 ci-dessus). Il e?chet par conse?quent de re?server le point
relatif au dommage mate?riel, en tenant compte de l’e?ventualite? d’un
accord entre l’Etat de?fendeur et les inte?resse?s (article 54 paras. 1
et 4 du re?glement A).
B. Frais et de?pens
52. Les reque?rants sollicitent en outre le versement de 51 380 253
(cinquante et un millions trois cent quatre-vingt mille deux cent
cinquante-trois) FB au titre des frais et de?pens entraîne?s par les
proce?dures devant les juridictions internes et les organes de la
Convention.
53. D’apre?s le Gouvernement, les proce?dures devant les juridictions
du fond ne concernaient pas directement la Convention, en sorte que les
frais y affe?rents ne peuvent être re?clame?s au titre de l’article 50
(art. 50). S’agissant de ceux expose?s devant les Cours d’arbitrage et
de cassation ainsi qu’a? Strasbourg, ils se rapporteraient a? des causes
qui, selon lui, se sont re?ve?le?es identiques, a? des points mineurs pre?s;
aussi les reque?rants ne pourraient-ils pas pre?tendre a? plus de
2 000 000 FB de ce chef.
54. Le de?le?gue? de la Commission ne formule pas d’observations.
55. La Cour rele?ve que jusqu’au 17 septembre 1988, le respect des
droits garantis par la Convention n’e?tait pas en cause devant les
juridictions du fond et que, des 38 017 101 FB re?clame?s du chef de
l’ensemble des proce?dures devant celles-ci, plus de 22 millions le sont
au titre des interventions de la socie?te? de commissaires d’avaries
L. & C..
Quant aux 13 363 152 FB demande?s pour les instances devant les
Cours d’arbitrage et de cassation ainsi que les organes de la
Convention, la Cour note que plus de 9,5 millions FB le sont par
L. & C. pour frais et de?pens.
Statuant en e?quite?, la Cour alloue, 8 000 000 FB au titre des
frais et de?pens.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Disjoint, a? l’unanimite?, la cause de la sixie?me reque?rante de
celles des autres et de?cide de la rayer du rôle;
2. Rejette, a? l’unanimite?, l’exception pre?liminaire du Gouvernement;
3. Dit, par huit voix contre une, qu’il y a eu violation de
l’article 1 du Protocole n? 1 (P1-1);
4. Dit, par huit voix contre une, qu’il n’y a pas lieu d’examiner
aussi l’affaire sous l’angle de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de
la Convention;
5. Dit, a? l’unanimite?, que l’Etat de?fendeur doit verser aux
reque?rants, dans les trois mois, 8 000 000 (huit millions) francs
belges, pour frais et de?pens;
6. Dit, a? l’unanimite?, que la question de l’application de
l’article 50 (art. 50) de la Convention ne se trouve pas en e?tat
pour le dommage mate?riel;
en conse?quence,
a) la re?serve sur ce point;
b) invite le Gouvernement et les reque?rants a? lui adresser par
e?crit, dans les six mois, leurs observations sur ladite question
et notamment a? lui donner connaissance de tout accord auquel ils
pourraient aboutir;
c) re?serve la proce?dure ulte?rieure et de?le?gue a? son pre?sident le
soin de la fixer au besoin.
Fait en français et en anglais, puis prononce? en audience
publique au Palais des Droits de l’Homme, a? Strasbourg, le
20 novembre 1995.
Signe?: Rolv RYSSDAL
Pre?sident
Signe?: Herbert PETZOLD
Greffier
Au pre?sent arrêt se trouve joint, conforme?ment aux articles 51
par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 53 par. 2 du re?glement A,
l’expose? des opinions se?pare?es suivantes:
– opinion dissidente de M. Tho?r Vilhja?lmsson;
– opinion se?pare?e de M. De Meyer.
Paraphe?: R. R.
Paraphe?: H. P.
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE THO?R VILHJA?LMSSON
(Traduction)
Je me suis prononce? pour l’absence de violation de l’article 1
du Protocole n? 1 (P1-1) a? notre Convention. Je reconnais, avec la
majorite? de la Cour, que les cre?ances pre?sente?es par les reque?rants
e?taient des biens au sens de cette disposition (P1-1). En revanche,
je ne suis pas d’accord sur la conclusion tire?e de l’application du
crite?re de proportionnalite?.
Il est re?ve?lateur, a? mon sens, que le droit maritime soit, avec
ses re?gles d’indemnisation, une branche du droit a? laquelle
s’appliquent de nombreuses conside?rations bien pre?cises. Dans ce
domaine, des sommes tre?s e?leve?es sont souvent en jeu et le rôle des
assurances y est tre?s important. Les armateurs s’y trouvent sous la
protection des re?gles de la responsabilite? limite?e. D’une manie?re
ge?ne?rale, il n’y a rien d’inhabituel ni d’abusif a? fixer des normes
juridiques qui font endosser aux armateurs la responsabilite? des
erreurs de pilotage, même lorsque c’est l’Etat qui assure ou autorise
ledit pilotage. De?s lors, le seul proble?me qui, dans cette affaire,
se pose au regard de l’article 1 du Protocole n? 1 (P1-1) est la clause
de re?troactivite? figurant dans la loi de 1988.
La Cour de cassation, semble-t-il, n’a jamais statue? sur la
responsa