DEUXI?ME SECTION
AFFAIRE MUHARREM G?NE? ET AUTRES c. TURQUIE
(Requ?te no 23060/08)
ARR?T
Article 1 du Protocole no 1 ? Privation de propri?t? ? Rejet de revendications de propri?t? sur des biens enregistr?s comme propri?t? du Tr?sor lors des travaux du cadastre en pr?sence d?un titre de propri?t? d?cern? pr?alablement sur d?cision judiciaire aux requ?rants ? D?lai particuli?rement long, pr?s de quarante-six ans, entre l?annulation d?finitive au profit du Tr?sor public du titre de propri?t? des requ?rants r?guli?rement immatricul? et le jugement qui avait ?tabli leur titre ? Bonne foi des requ?rants ? Rectification d?erreurs des autorit?s publiques ne devant pas se faire au d?triment des requ?rants ? Absence de r?action des autorit?s nationales avec la c?l?rit? requise et conform?ment au principe de bonne gouvernance et de s?curit? juridique ? Juste ?quilibre rompu au d?triment des requ?rants
STRASBOURG
24 novembre 2020
Cet arr?t deviendra d?finitif dans les conditions d?finies ? l?article 44 ? 2 de la Convention . Il peut subir des retouches de forme.
En l?affaire Muharrem G?ne? et autres c. Turquie,
La Cour europ?enne des droits de l?homme (deuxi?me section), si?geant en une Chambre compos?e de :
Jon Fridrik Kj?lbro, pr?sident,
Marko Bo?njak,
Ale? Pejchal,
Egidijus K?ris,
Branko Lubarda,
Pauliine Koskelo,
Saadet Y?ksel, juges,
et de Hasan Bak?rc?, greffier adjoint de section,
Vu :
la requ?te susmentionn?e (no 23060/08) dirig?e contre la R?publique de Turquie et dont 9 ressortissants de cet ?tat, lesquels sont list?s en annexe, (? les requ?rants ?) ont saisi la Cour en vertu de l?article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l?homme et des libert?s fondamentales (? la Convention ?) le 2 mai 2008,
la d?cision de porter la requ?te ? la connaissance du gouvernement turc (? le Gouvernement ?),
les observations des parties,
Apr?s en avoir d?lib?r? en chambre du conseil le 3 novembre 2020,
Rend l?arr?t que voici, adopt? ? cette date :
INTRODUCTION
La requ?te concerne le rejet des revendications de propri?t? des requ?rants sur plusieurs biens enregistr?s comme propri?t? du Tr?sor lors des travaux du cadastre et la non-prise en compte du titre de propri?t? qui avait ?t? d?cern? sur d?cision judiciaire en 1951 et qui reconnaissait le droit de propri?t? des requ?rant sur lesdits biens.
EN FAIT
1. Les noms, ann?es de naissance et lieux de r?sidence des requ?rants sont indiqu?s en annexe. Les int?ress?s ont ?t? repr?sent?s par Mes M. Be?ta? et M.T. Abay, avocats ? Diyarbak?r.
2. Le Gouvernement a ?t? repr?sent? par son agent.
L?enregistrement du bien comme propri?t? du de cujus des requ?rants
3. En 1951, Adem G?ne?, le de cujus du requ?rant, initia devant le tribunal de grande instance d?E?il (? le TGI ?) une action en revendication de propri?t? d?un terrain de 912 d?carres (? le bien ?) fond?e sur la prescription acquisitive.
4. Par un jugement du 24 septembre 1951, apr?s avoir proc?d? ? une visite des lieux et des auditions d?experts, le TGI rejeta les demandes de deux particuliers s??tant constitu?s parties intervenantes et fit droit ? la demande du de cujus. Il constata que l?int?ress? exer?ait une possession paisible et ininterrompue ? titre de propri?taire depuis plus de vingt ans sur le terrain en cause, lequel ?tait un ? champ de ch?nes ? (me?elik tarla). Le TGI ordonna l?enregistrement du bien comme ?tant sa propri?t?.
5. Un titre de propri?t? immatricul? au registre foncier fut d?cern? en cons?quence de ce jugement.
6. Par la suite, le terrain fut volontairement divis? en plusieurs parcelles au sein de l??lot 119.
Le cadastrage de la zone en 1997
7. En 1997, les autorit?s proc?d?rent au cadastrage de la r?gion o? se trouvait le bien.
8. A l?issue des travaux, les parcelles 7, 9, 26, 27 et 40 de l??lot 119 furent enregistr?es comme propri?t? du Tr?sor. D?apr?s les conclusions cadastrales, aucun titre de propri?t? concernant ces biens n?avait pu ?tre trouv? lors de l?examen du registre foncier. M?me si le de cujus des requ?rants exer?ait une possession paisible et ininterrompu depuis plus de vingt ans, ces terrains ?taient insusceptibles d?acquisition par voie de prescription dans la mesure o? il s?agissait de terrains rocheux ne se pr?tant pas ? une activit? agraire. Par ailleurs, la parcelle 8, qui ?tait un ? terrain vierge ? (hali arazi), fut elle aussi enregistr?e comme propri?t? du Tr?sor.
9. Faute d?opposition dans un d?lai de 30 jours apr?s leur affichage, ces conclusions cadastrales devinrent d?finitives le 11 juillet 1997.
L?action judiciaire concernant les parcelles 26, 27 et 40
10. Le 18 mars 2003, dans le d?lai de dix ans pr?vu par la loi relative au cadastre (voir paragraphes 30 et 31 et ci-dessous), les requ?rants initi?rent une action en vue de faire annuler l?inscription des parcelles 26, 27 et 40 comme propri?t? du Tr?sor et les faire inscrire ? leur nom. Ils firent valoir entres autres qu?ils disposaient d?un titre de propri?t? inscrit au registre.
11. Le TGI releva qu?une partie de ces parcelles se trouvaient d?sormais sous les eaux d?un barrage et qu?en vertu tant du code civil que de la loi sur le cadastre, les eaux b?n?ficiant au public (yarar? kamuya ait sular) ne pouvaient faire l?objet d?une propri?t? priv?e.
12. Le TGI pr?cisa ensuite qu?en vertu des m?mes codes, les terrains ne pouvant servir ? l?agriculture ?taient insusceptibles de faire l?objet d?une acquisition par voie d?usucapion. En ce qui concerne la partie non-immerg?e de la parcelle 27, il releva qu?il s?agissait, d?apr?s l?expert, d?un terrain agricole de classe 3. Quant aux parties non-immerg?es des parcelles 26 et 40, il observa que l?expert avait conclu que, compte tenu de leur inclinaison, de la structure de leur sol, de leur capacit? ? retenir l?eau et de leurs autres caract?ristiques, ces terrains ne pouvaient se pr?ter ? une activit? agricole.
13. A la lumi?re de ces ?l?ments, le TGI rejeta l?action dans son ensemble par un jugement du 12 d?cembre 2006, sans autre pr?cision au sujet du terrain agricole de classe 3.
14. Le 19 mars 2007, la Cour de cassation rejeta le pourvoi des requ?rants.
L?action judiciaire concernant les parcelles 7, 8 et 9
15. Le 6 juillet 2007, avant la fin du d?lai de dix ans au-del? duquel les droits ant?rieurs au cadastrage s??teignent, les requ?rants initi?rent une action devant le TGI pour obtenir l?inscription des parcelles 7, 8 et 9 ? leur nom au registre foncier. Ils firent valoir que, contrairement ? ce qu?affirmaient les conclusions cadastrales, ils disposaient d?un titre de propri?t? inscrit au registre d?cern? sur d?cision judiciaire en 1951. Ils pr?cis?rent, entre outre, qu?ils avaient continu? ? cultiver et exercer une possession sur les parcelles apr?s le d?c?s de leur de cujus en 2003.
16. Le TGI rejeta l?action par un jugement du 27 d?cembre 2007. Il releva que la totalit? de la parcelle 7 et deux parties de la parcelle 8 se trouvaient immerg?es sous les eaux d?un barrage et qu?en vertu, tant du code civil que de la loi sur le cadastre, les eaux b?n?ficiant au public (yarar? kamuya ait sular) ne pouvaient faire l?objet d?une propri?t? priv?e. Quant ? la parcelle 9 et au restant de la parcelle 8, l?une des expertises avait indiqu? que compte tenu de leur inclinaison, de leur flore, de la structure de leur sol et de leurs autres caract?ristiques, ces terrains devaient ?tre consid?r?s comme des for?ts. Or, les for?ts ne pouvaient elles non plus faire l?objet d?une propri?t? priv?e.
17. La Cour de cassation rejeta le pourvoi par un arr?t du 6 octobre 2008, pr?cisant que la d?cision judiciaire de 1951 n??tait pas opposable au Tr?sor ?tant donn? que celui-ci n?avait pas ?t? partie ? la proc?dure.
18. Le 26 f?vrier 2009, la haute juridiction en fit de m?me au sujet de la demande en rectification d?arr?t des requ?rants.
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
Les inscriptions du registre foncier
19. L?article 633 de l?ancien code civil (loi no 743) (ACC) du 17 f?vrier 1926, qui ?tait en vigueur jusqu?au 1er janvier 2002, ?tait ainsi libell? :
? La propri?t? fonci?re s?acquiert par l?inscription au registre foncier.
Celui qui acquiert un immeuble par occupation, succession, expropriation, ex?cution forc?e ou jugement en devient toutefois propri?taire avant l?inscription, mais il ne peut en disposer dans le registre foncier qu?apr?s que cette formalit? a ?t? remplie. ?
20. La teneur de cette disposition a ?t? reprise ? l?article 705 du nouveau code civil (loi no 4721) (NCC).
21. En vertu de l?article 1020 du NCC, ? nul ne peut pr?tendre ignorer les mentions du registre foncier ?.
22. L?article 1023 du NCC, qui reprend une disposition pr?existante, cr?e une fiction d?exactitude du registre foncier dans les termes suivants :
? Celui qui acquiert la propri?t? ou d?autres droits r?els en se fondant de bonne foi sur une inscription du registre foncier est maintenu dans son acquisition. ?
La prescription acquisitive
23. L?article 639, alin?a 1, de l?ACC disposait :
? Toute personne ayant exerc? une possession continue et paisible ? titre de propri?taire pendant vingt ans sur un bien immeuble pour lequel aucune mention ne figure au registre foncier peut introduire une action [en justice] en vue d?obtenir l?inscription [au registre foncier] de ce bien comme ?tant sa propri?t?. ?
24. Une disposition similaire figure ? l?article 713, alin?a 1, du NCC.
25. L?article 14 de la loi no 3402 du 21 juin 1987 sur le cadastre pr?voit que ? le titre d?un bien immobilier non immatricul? au registre foncier (…) est inscrit au nom de celui qui prouve, au moyen de documents, d?expertises ou de d?clarations de t?moins, l?avoir poss?d?, ? titre de propri?taire, de mani?re ininterrompue pendant plus de vingt ans ?.
26. En vertu de l?article 715 du NCC (article 641 de l?ACC) et de l?article 16 du code du cadastre, les biens sans ma?tre ainsi que les biens d?di?s ? l?usage commun du public rel?vent de la haute police de l??tat et ne peuvent faire l?objet d?une propri?t? priv?e.
27. Il en va ainsi des for?ts et de la bande littorale qui ?chappent ? la prescription acquisitive.
28. Les biens ne pouvant faire l?objet d?un usage agricole, tels que les terrains rocheux, ne peuvent eux non plus faire l?objet d?une acquisition par usucapion.
Le cadastrage
29. En vertu de l?article 12 de la loi no 3402 du 21 juin 1987 relative au cadastre (? la loi sur le cadastre ?), les conclusions ?tablies ? l?issue des travaux de cadastrage font l?objet d?un affichage public pendant une dur?e de trente jours. En l?absence de contestation durant cette p?riode, les proc?s-verbaux de cadastrage deviennent d?finitifs et sont retranscrits au registre foncier dans un d?lai de trois mois.
30. Cette retranscription ne fait cependant pas obstacle ? une proc?dure judiciaire visant ? faire valoir des droits qui n?auraient pas ?t? pris en compte lors du cadastrage. Une telle action doit ?tre exerc? avant la fin du d?lai de la prescription extinctive d?cennale pr?vu ? l?alin?a 3 de l?article 12 en ces termes :
? Au-del? d?un d?lai de dix ans ? partir de la date ? laquelle les proc?s-verbaux sont devenus d?finitifs, aucun recours fond? sur des droits ant?rieurs au cadastrage ne peut ?tre form? contre les constatations, droits et d?limitations que [lesdits proc?s-verbaux] contiennent ?.
31. En vertu de l?alin?a 4 de la m?me disposition, ? l?issue du d?lai de dix ans, tous les titres ant?rieurs relatifs aux biens situ?s dans la zone de cadastrage perdent leur ? qualit? de titre en circulation ? (i?leme tabi kay?t niteli?ini kaybeder) et ne peuvent plus permettre aucune d?marche aupr?s des services du cadastre ou du registre foncier.
L?article 1007 du NCC
32. L?article 1007 du NCC, qui reprend l?article 917 de l?ACC, pose le principe selon lequel l??tat est responsable de tout dommage r?sultant d?erreurs dans la tenue des registres fonciers.
33. En vertu d?une jurisprudence bien ?tablie depuis un arr?t du 26 novembre 1980 de l?Assembl?e des chambres civiles de la Cour de cassation, la responsabilit? ainsi pr?vue par le code civil exigeait l?existence d?un lien entre le pr?judice dont l?indemnisation ?tait r?clam?e et la tenue des registres. Toutefois, les actes qui rel?vent des travaux de cadastrage et qui peuvent, de ce fait, faire l?objet de contestation par l?usage de voies de droit sp?cifiques (voir paragraphes 29 ? 31 ci-dessus) n??taient pas consid?r?s comme entrant dans la notion de ? tenue des registres ?.
34. Ainsi, conform?ment ? cette jurisprudence, les personnes dont les titres de propri?t? avaient ?t? annul?s ? l?issue de travaux de cadastrage au motif que lesdits biens relevaient du domaine forestier ou ?taient situ?s sur la bande littorale ne pouvaient obtenir d?indemnisation sur le fondement de l?article 1007.
35. La Cour de cassation a par la suite modifi? sa jurisprudence, d?abord dans les affaires concernant le littoral puis dans celles concernant le domaine forestier.
36. L?infl?chissement jurisprudentiel qui est intervenu au sujet du littoral apr?s les arr?ts rendus par la Cour dans les affaires N.A. et autres c. Turquie (no 37451/97, CEDH 2005?X) et Do?rus?z et Aslan c. Turquie (no 1262/02, 30 mai 2006), est d?crit dans l?arr?t H?seyin Ak et autres c. Turquie (nos 15523/04 et 15891/04, ? 18, 7 d?cembre 2010) en ces termes :
? (…) la Cour de cassation turque a d?velopp? une jurisprudence qui permet ? une personne priv?e de son droit de propri?t? portant sur un bien situ? sur le littoral d?obtenir une indemnisation sur le fondement de l?article 1007 du code civil. ? cet ?gard, on peut citer plusieurs arr?ts rendus par la 1?re chambre civile de la Cour de cassation :
? arr?t du 2 juillet 2007 (E. 2007/6353 ? K. 2007/7497) : pour confirmer le jugement rendu le 26 juillet 2005 par le tribunal de grande instance de Mudanya qui avait ordonn? l?annulation du titre de propri?t? (dans le cadre de l?action principale) et le paiement d?une indemnit? au propri?taire priv? de son bien sur le littoral (dans le cadre d?une demande reconventionnelle), la Cour de cassation a relev? que l?int?ress? avait acquis de bonne foi le bien en question en se fiant au registre foncier, et qu?il y avait lieu de l?indemniser en raison de l?annulation de son titre de propri?t? ;
? arr?ts du 23 octobre 2007 (E. 2007/6214 ? K. 2007/9985), du 1er novembre 2007 (E. 2007/8538 ? K. 2007/10353) et du 12 novembre 2007 (E. 2007/9403 ? K. 2007/10807) : statuant sur des jugements de premi?re instance relatifs ? l?annulation de titres de propri?t?, la Cour de cassation a soulign? le droit ? r?paration des personnes priv?es de leurs biens situ?s sur le littoral. Se r?f?rant ? l?affaire Do?rus?z et Aslan pr?cit?e, la chambre a relev? que le droit de propri?t? fond? sur un titre valide, d?livr? par les autorit?s, jouissait sans conteste d?une protection. Selon elle, le fait pour l??tat d?invoquer l?absence de validit? d?un titre de propri?t? d?livr? par lui et de demander l?annulation de ce titre sans indemnisation ?tait non seulement incompatible avec le respect du droit de propri?t?, mais aussi de nature ? porter atteinte ? la respectabilit? de l??tat. Apr?s avoir confirm? l?existence d?une utilit? publique dans l?annulation des titres de propri?t? portant sur des biens situ?s sur le littoral, elle a soulign? la n?cessit? d?indemniser les personnes ainsi priv?es de leur droit de propri?t? pour ne pas rompre le juste ?quilibre devant r?gner entre les int?r?ts en jeu ;
? arr?ts du 13 mars 2008 (E. 2008/1113 ? K. 2008/3238) et du 27 mars 2008 (E. 2008/1596 ? K. 2008/3880) : statuant sur des jugements relatifs ? l?annulation du titre de propri?t?, la 1?re chambre a encore soulign? le droit ? une indemnisation tout en pr?cisant que celle-ci devait faire l?objet d?une action principale distincte ou d?une demande reconventionnelle.
On peut ?galement citer les arr?ts adopt?s par la 4?me chambre civile de la Cour de cassation le 18 septembre 2008 (E. 2007/14851 ? K. 2008/10543) et le 29 novembre 2007 (E. 2007/1940 ? K. 2007/15047) : la chambre y a cass? le jugement de premi?re instance ayant refus? l?indemnisation ; elle a consid?r? que la personne priv?e de son bien devait ?tre indemnis?e sur le fondement de l?article 1007 du code civil. ?
37. Le r?gime de responsabilit? mis en place par cette nouvelle jurisprudence est celui de la responsabilit? sans faute.
38. Le d?lai d?introduction de la demande fond?e sur l?article 1007 a ?t? port? ? dix ans par voie pr?torienne (voir arr?t de la 1?re chambre civile de la Cour de cassation du 15 juillet 2011 – E. 2011/4662 K. 2011/8363 – cit? dans la d?cision Altunay c. Turquie (d?c.), no 42936/07, ? 27, 17 avril 2012).
39. Par la suite, un revirement de jurisprudence a ?galement ?t? op?r? en ce qui concerne le domaine forestier par la 20?me chambre civile de la Cour de cassation, laquelle a comp?tence en cette mati?re.
40. Ce changement semble ?tre intervenu pour la premi?re fois dans un arr?t du 11 octobre 2011 (E. 2011/9173- K. 2011/12065), ?galement mentionn? dans la d?cision Altunay (pr?cit?e).
41. D?autres arr?ts dans le m?me sens ont ?t? rendus par la 20?me chambre les 12 d?cembre 2011 et 18 d?cembre 2012.
42. Il est ? noter que parmi les ?l?ments pr?sent?s par le Gouvernement figure un arr?t de l?Assembl?e des chambres civiles du 18 novembre 2009 rendu dans une affaire concernant une demande d?indemnisation pour l?annulation d?un titre relatif ? un bien relevant du domaine forestier. Si la question tranch?e dans l?arr?t concernait celle de la comp?tence entre les juridictions judiciaires et administratives, l?Assembl?e a n?anmoins rappel?, dans un obiter dictum, la jurisprudence relative ? l?article 1007 dans les affaires relatives au littoral.
Les comp?tences de la commission d?indemnisation
43. Dans le cadre de la proc?dure d?arr?t pilote ?mm?han Kaplan c. Turquie (no 24240/07, ?? 29 et 74-75, 20 mars 2012), le gouvernement d?fendeur avait pris l?engagement d??tablir une voie de recours ad hoc pour rem?dier au probl?me structurel concernant les d?lais excessifs de proc?dure en se conformant ? la jurisprudence de la Cour en la mati?re.
44. Dans ce contexte, est entr?e en vigueur, le 19 janvier 2013, la loi no 6384 relative au r?glement, par l?octroi d?une indemnit?, de certaines requ?tes introduites devant la Cour europ?enne des droits de l?homme (Avrupa ?nsan Haklar? Mahkemesine yap?lm?? baz? ba?vurular?n tazminat ?denmek suretiyle ??z?m?ne dair kanun). Cette loi a mis en place une commission d?indemnisation et a ?nonc? les principes ainsi que la proc?dure ? suivre relativement ? l?indemnisation dans les affaires de dur?e de la proc?dure ainsi que dans celles relatives ? la non-ex?cution ou ? l?ex?cution partielle ou tardive de d?cisions judiciaires nationales.
45. Par la suite, les comp?tences de la commission ont ?t? ?tendues ? d?autres mati?res et notamment au domaine forestier. Ainsi, par un d?cret du 9 mars 2016, le Conseil des ministres a ?tendu le champ de comp?tence ratione materiae de la commission aux requ?tes concernant des all?gations de violation du droit de propri?t? en raison de l?annulation de titre de propri?t? au motif que le bien en cause faisait partie du domaine forestier (voir Demir c. Turquie (d?c.), no 9161/07, ? 36 in fine, 15 octobre 2019).
46. Par l?ordonnance pr?sidentielle no 809 du 7 mars 2019, la commission a vu sa comp?tence s??largir ? nouveau. Elle peut d?sormais octroyer une indemnisation lorsque la Cour lui d?l?gue la question du pr?judice mat?riel et/ou moral sur le terrain de l?article 41 apr?s avoir constat? une violation de l?article 1 du Protocole no 1 (voir Kaynar et autres c. Turquie, nos 21104/06 et 2 autres, ? 24, 7 mai 2019).
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALL?GU?E DE L?ARTICLE 1 DU PROTOCOLE NO 1 A LA CONVENTION
47. Les requ?rants se plaignent d?une atteinte ? leur droit au respect de leurs biens. Ils invoquent l?article 1 du Protocole no 1 ? la Convention, qui est ainsi libell? :
? Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut ?tre priv? de sa propri?t? que pour cause d?utilit? publique et dans les conditions pr?vues par la loi et les principes g?n?raux du droit international.
Les dispositions pr?c?dentes ne portent pas atteinte au droit que poss?dent les ?tats de mettre en vigueur les lois qu?ils jugent n?cessaires pour r?glementer l?usage des biens conform?ment ? l?int?r?t g?n?ral ou pour assurer le paiement des imp?ts ou d?autres contributions ou des amendes. ?
48. Le Gouvernement s?oppose ? cette th?se.
Sur la recevabilit?
49. Le Gouvernement soul?ve deux exceptions d?irrecevabilit? tir?es de l?obligation d??puiser les voies de recours internes.
50. Premi?rement, il expose que les requ?rants peuvent saisir la commission d?indemnisation, dont les comp?tences ont ?t? ?largies aux pr?judices li?s ? l?annulation des titres de propri?t? portant sur des terrains relevant du domaine forestier.
51. Deuxi?mement, il soutient que les int?ress?s auraient pu introduire une action en indemnisation fond?e sur l?article 1007 du NCC.
52. En ce qui concerne la premi?re branche du grief, la Cour observe qu?elle a d?j? d?clar? irrecevables des griefs similaires dans l?affaire Savas??n et autres c. Turquie (no 15661/07, 7 juin 2016) en les redirigeant vers la commission d?indemnisation cr??e par loi no 6384 visant le r?glement des affaires pendantes devant la Cour par le versement d?une indemnit?.
53. Elle n?aper?oit aucune raison de d?cider autrement en l?esp?ce et d?clare irrecevable le grief pour autant qu?il concerne les parties du bien qui ont ?t? consid?r?es comme relevant du domaine forestier.
54. En ce qui concerne l?exception relative ? l?article 1007, la Cour observe que la Cour de cassation a modifi? son interpr?tation de cette disposition par ?tapes. Dans un premier temps, ? partir du deuxi?me semestre de l?ann?e 2007 (voir paragraphe 36 ci-dessus), elle a permis l?indemnisation des personnes dont le titre avait ?t? annul? ou rendu caduque au motif qu?il portait sur un bien situ? sur la bande littorale, avant d??largir, dans un second temps, cette possibilit? aux biens relevant du domaine forestier, et ce, ? partir de fin 2011 (voir paragraphes 39 ? 41 ci?dessus). La haute juridiction a ?galement ?tendu ? 10 ans le d?lai dans lequel l?action en indemnisation devait ?tre introduite (voir paragraphe 38 ci-dessus).
55. La Cour observe, qu?en l?esp?ce, les autorit?s nationales ont consid?r? que les parties du bien litigieux situ?es en dehors du domaine forestier ne pouvaient faire l?objet d?une propri?t? priv?e en raison de leur nature et relevaient de ce fait de la haute police de l??tat.
56. Elle constate que la jurisprudence pr?sent?e par le Gouvernement concerne le domaine forestier et le littoral et que celui-ci n?a pas pr?sent? de d?cision judiciaire correspondant au cas des requ?rants.
57. Elle estime qu?il ne lui est pas ais?e, et qu?il ne lui appartient de toute fa?on pas, de se livrer ? une interpr?tation des ?volutions jurisprudentielles mentionn?es plus haut pour d?terminer si l?on peut en d?duire une r?gle g?n?rale selon laquelle toutes les annulations de titres reposant sur la circonstance que le bien en question ne pouvait faire l?objet d?une propri?t? priv?e ? et pas uniquement celles relatives au littoral ou domaine forestier – doivent donner lieu ? une indemnisation sur le fondement de l?article 1007 du NCC.
58. ? supposer qu?une telle interpr?tation soit permise au vu de l?ensemble des d?veloppements jurisprudentiels relatif ? l?article 1007 du NCC, la Cour observe que les requ?rants ont introduit leur requ?te le 2 mai 2008, ? l??poque o? lesdits d?veloppements jurisprudentiels en ?taient encore ? leur d?but : seul deux arr?ts semblent avoir ?t? rendus ? cette ?poque, et ils ne concernaient que le littoral. D?s lors, faute d?exemple de d?cision concernant sp?cifiquement des situations similaires ? celle des requ?rants, la Cour ne saurait conclure que ce recours avait acquis, au moment de l?introduction de la requ?te, un degr? de certitude juridique suffisant pour pouvoir et devoir ?tre utilis? aux fins de l?article 35 ? 1 de la Convention.
59. En outre, la Cour rappelle que l??puisement des voies de recours internes s?appr?cie, en principe, ? la date d?introduction de la requ?te (Baumann c. France, no 33592/96, ? 47, CEDH 2001-V (extraits)). Il est vrai que la Cour a d?j? fait des exceptions ? cette r?gle g?n?rale notamment en ce qui concerne la cr?ation de recours sp?cifiques se r?f?rant explicitement aux requ?tes d?j? introduites aupr?s de la Cour et visant ? les faire tomber dans le champ de comp?tence des instances nationales, telle que, par exemple, la commission d?indemnisation mentionn?e plus haut. Toutefois, toujours ? supposer que l?article 1007 du NCC puisse aujourd?hui ?tre interpr?t? de mani?re ? permettre une indemnisation, la Cour observe que le d?lai de dix ans pour engager l?action est forclos (les d?cisions judiciaires ?tant devenues d?finitives en 2007 et 2009) ; de sorte que la question de savoir si l?on doit s??carter en l?esp?ce de la r?gle g?n?rale ne se pose m?me pas.
60. A la lumi?re de ces ?l?ments, la Cour rejette l?exception du Gouvernement fond?e sur l?article 1007 du NCC.
61. Constatant qu?il ne se heurte ? aucun autre motif d?irrecevabilit? et qu?il n?est pas manifestement mal fond?, la Cour d?clare le grief recevable pour autant qu?il concerne les parties des parcelles en cause ne relevant pas du domaine forestier, et irrecevable pour le surplus.
Sur le fond
Th?ses des parties
62. Les requ?rants se plaignent d?avoir ?t? priv?s de leur bien sans aucune indemnit?, malgr? une d?cision de justice leur reconnaissant la propri?t? du bien en cause.
63. Le Gouvernement conteste cette th?se.
64. Apr?s avoir expos? son importance pour le d?veloppement ?conomique et social du pays, il pr?cise que le cadastre et le registre foncier requi?rent la confiance du public et la s?curit? juridique. Selon le Gouvernement, cette derni?re est assur?e par la r?gle de la prescription extinctive d?cennale en vertu de laquelle tout droit ant?rieur s??teint dans un d?lai de dix ans apr?s le cadastrage (voir paragraphes 30 et 31 ci-dessus).
65. Compte tenu des cons?quences particuli?rement importantes de cette prescription, les travaux de cadastrage ne pourraient se restreindre ? une simple mise en ?uvre des titres sur le terrain afin d?en d?terminer les limites physiques, mais n?cessiteraient ?galement une v?rification de la validit? des titres.
66. Le Gouvernement affirme qu?un titre ?tabli de mani?re non valable ne pourrait conf?rer un quelconque droit ? son titulaire. ? cet ?gard, il pr?cise que, dans certains cas, m?me un titre ?tabli sur d?cision judiciaire pourrait ne pas ?tre valable si ladite d?cision devait s?av?rer ne pas refl?ter la situation r?elle du bien.
67. Par ailleurs, le Gouvernement ajoute qu?il en va de m?me des titres ?tablis sur la base de d?cisions rendues ? l?issue d?une proc?dure non-contentieuse, c?est-?-dire sans partie adverse.
68. Or, le titre dont se pr?valent les requ?rants ayant ?t? d?cern? ? l?issue d?une proc?dure de ce type, le jugement de 1951 n?aurait pas conf?r? aux int?ress?s de droit opposable aux tiers.
69. Le Gouvernement indique que c?est en tenant compte du fait que ce titre ne pouvait ?tre opposable au Tr?sor que les juridictions nationales auraient consid?r? le bien comme un bien non inscrit au registre. Elles ont en cons?quence examin? les pr?tentions des requ?rants sur la seule base des r?gles relatives ? l?usucapion. Les conditions de la prescription acquisitive n??tant cependant pas remplies, elles ont rejet? les actions des int?ress?s.
Appr?ciation de la Cour
70. La Cour observe que les jugements du TGI du 12 d?cembre 2006 et du 27 d?cembre 2007 qui ont confirm? les conclusions cadastrales ont eu pour cons?quence d?annuler d?finitivement – en le rendant caduque – le titre de propri?t? des requ?rants sur le bien en cause ?tabli par le jugement du 24 septembre 1951 (voir paragraphe 4 ci-dessus). Cette situation s?analyse en une privation de propri?t? au sens de la deuxi?me phrase du premier paragraphe de l?article 1 du Protocole no 1.
71. Il n?y pas de controverse sur la question de savoir si la mesure r?pondait ? un int?r?t g?n?ral. Il reste donc ? d?terminer si l?invalidation des titres de propri?t? des requ?rants a respect? le juste ?quilibre entre l?int?r?t g?n?ral et les droits des int?ress?s.
72. La Cour rappelle que la proportionnalit? d?une ing?rence dans le droit de propri?t? implique l?existence d?un juste ?quilibre entre les exigences de l?int?r?t g?n?ral de la collectivit? et les imp?ratifs de la sauvegarde des droits fondamentaux des individus. Cet ?quilibre est rompu si la personne concern?e a eu ? subir ? une charge sp?ciale et exorbitante ?.
73. La v?rification de l?existence d?un juste ?quilibre exige un examen global des diff?rents int?r?ts en cause et peut appeler une analyse du comportement des parties, des moyens employ?s par l??tat et leur mise en ?uvre (Bidzhiyeva c. Russie, no 30106/10, ? 64, 5 d?cembre 2017).
74. Dans le contexte de la protection de la propri?t?, une importance particuli?re doit ?tre accord?e au principe de bonne gouvernance (Nekvedavi?ius c. Lituanie, no 1471/05, ? 87, 10 d?cembre 2013). Ce principe exige que lorsqu?une question d?int?r?t g?n?ral est en jeu, et en particulier lorsque l?affaire porte sur des droits fondamentaux, les autorit?s publiques doivent agir en temps utile et de mani?re appropri?e, et surtout coh?rente (Ioannis Anastasiadis c. Gr?ce (d?c.), no 51391/09, ? 46, 17 octobre 2017 ; Bogdel c. Lituanie, no 41248/06, ? 65, 26 novembre 2013).
75. Si ce principe de bonne gouvernance n?exclut pas que les autorit?s puissent rectifier des irr?gularit?s, m?me lorsque celles-ci r?sultent de leur propre n?gligence, la n?cessit? de corriger une ? erreur ? ancienne ne doit pas constituer une ing?rence disproportionn?e dans le droit acquis par le requ?rant en se fiant de bonne foi ? l?action des autorit?s publiques (Beinarovi? et autres c. Lituanie, nos 70520/10 et 2 autres, ? 140, 12 juin 2018). C?est ? l??tat qu?il incombe d?assumer le risque d?une faute des pouvoirs publics et il convient de ne pas y rem?dier aux d?pens de la personne touch?e, surtout lorsqu?aucun autre int?r?t priv? concurrent n?est en jeu (Gashi c. Croatie, no 32457/05, ? 40, 13 d?cembre 2007 ; Gladysheva c. Russie, no 7097/10, ? 80, 6 d?cembre 2011). Dans le cadre de l?annulation d?un titre de propri?t? attribu? par erreur, le principe de bonne gouvernance n?impose pas aux autorit?s uniquement une obligation d?agir rapidement pour corriger leurs erreurs mais peut aussi impliquer le paiement d?une indemnisation ad?quate au d?tenteur de bonne foi ou une autre forme de r?paration appropri?e (Beinarovi? et autres, ? 140; Lelas c. Croatie, no 55555/08, ? 74, 20 mai 2010; Maksymenko et Gerasymenko c. Ukraine, no 49317/07, ? 64, 16 mai 2013; et Bogdel, pr?cit?, no 41248/06, ? 66, 26 novembre 2013).
76. La Cour observe que les requ?rants disposaient d?un titre de propri?t? inscrit au registre foncier. Leur de cujus s?est vu reconna?tre la propri?t? des parcelles litigieuses en 1951 par le TGI d?E?il, qui a estim?, apr?s une visite des lieux et des auditions d?experts, que l?int?ress? r?unissait les conditions de la prescription acquisitive dans la mesure o? il exer?ait une possession paisible et ininterrompue sur le bien en cause depuis plus de vingt ans.
77. Elle rappelle que, en droit turc, c?est l?inscription au registre qui op?re tant le transfert de propri?t? que la constitution d?un droit r?el (Avyidi c. Turquie, no 22479/05, ? 88, 16 juillet 2019) et qu?un titre immatricul? audit registre constitue la preuve incontestable de l?existence d?un droit de propri?t? (Avyidi c. Turquie, no 22479/05, ? 88, 16 juillet 2019; Rimer et autres c. Turquie, no 18257/04, ? 36, 10 mars 2009, B?l?kba? et autres c. Turquie, no 29799/02, ? 36, 9 f?vrier 2010, Usta c. Turquie, no 32212/11, ? 29, 27 novembre 2012, et Do?ancan c. Turquie (d?c.), no 17934/10, ? 22, 15 octobre 2013).
78. Elle rel?ve que les requ?rants ont pu jouir de leur bien de fa?on normale pendant une tr?s longue p?riode jusqu?? l?annulation de leur titre de propri?t? au profit du Tr?sor public et qu?ils pouvaient l?gitimement se croire en situation de ? s?curit? juridique ? compte tenu de ce titre.
79. Il est vrai que les requ?rants avaient obtenu le titre ? l?issue d?une proc?dure ? laquelle l?administration n??tait pas partie et que les tribunaux internes ont consid?r? que le jugement en question (de 1951) ne pouvait lier le Tr?sor. Mais ce point n?est pas d?cisif aux yeux de la Cour, ?tant donn? que ce jugement d?finitif qui concernait la propri?t? du bien a ?t? transcrit au registre et que les requ?rants disposaient d?un titre de propri?t? r?guli?rement immatricul? lequel est opposable aux tiers (comparer avec Basa c. Turquie, nos 18740/05 et 19507/05, ?? 33 et 92, 15 janvier 2019 o? le jugement en cause, qui avait ?t? rendu dans le cadre d?une proc?dure en partage et qui contenait, ? titre incident, des constatations non pas sur la propri?t? mais sur la superficie du bien, n?avait pas ?t? transcrit au registre). La Cour observe ? cet ?gard que la seule inscription au registre suffit pour rendre le droit opposable aux tiers. En effet, en vertu de l?article 1020 du NCC, nul ne peut pr?tendre ignorer les mentions du registre foncier. Il s?agit d?ailleurs l? de l?un des objectifs m?me de la publicit? fonci?re, ?tablir une pr?somption de connaissance du contenu du registre foncier et ?viter, en rendant les inscriptions et mentions du registre opposable ? tous, que quiconque puisse se pr?valoir de son ignorance.
80. Au demeurant, tant le titre des requ?rants que le jugement sur lequel il se fonde ?mane d?autorit?s publiques. Rien n?indique – et le Gouvernement n?a jamais ?mis d?all?gations en ce sens – que les requ?rants se soient livr?s ? des man?uvres frauduleuses, qu?ils aient fait de fausses d?clarations ou qu?ils aient autrement cherch? ? tromper et ? induire en erreur lesdites autorit?s, dont le tribunal. Si ces derni?res ont commis des erreurs, la rectification de celles-ci ne doit se faire au d?triment des requ?rants dont la bonne foi n?a jamais ?t? mise en cause.
81. En outre, compte tenu du d?lai particuli?rement long (pr?s de quarante-six ans) qui s?pare l?annulation de l?inscription au registre et du jugement, il est difficile d?affirmer que les autorit?s ont r?agi avec la c?l?rit? requise et de mani?re conforme tant au principe de bonne gouvernance qu?? celui de s?curit? juridique.
82. A la lumi?re de ces ?l?ments, la Cour estime que le juste ?quilibre a ?t? rompu au d?triment des requ?rants.
83. Partant, il y a eu violation de l?article 1 du Protocole no 1.
SUR LA VIOLATION ALL?GU?E DE L?ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
84. Les requ?rants se plaignent d?une atteinte ? leur droit ? un jugement obligatoire et d?finitif en raison de l?annulation de leur titre de propri?t?. Ils invoquent l?article 6 de la Convention.
85. Le Gouvernement s?oppose ? cette th?se.
86. Eu ?gard ? la conclusion ? laquelle elle est parvenue sur le terrain de l?article 1 du Protocole no 1, la Cour estime qu?il n?est pas utile d?examiner ni la recevabilit? ni le bien-fond? de ce grief.
SUR L?APPLICATION DE L?ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
87. Aux termes de l?article 41 de la Convention :
? Si la Cour d?clare qu?il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d?effacer qu?imparfaitement les cons?quences de cette violation, la Cour accorde ? la partie l?s?e, s?il y a lieu, une satisfaction ?quitable. ?
88. Les requ?rants r?clament 3 000 000 de livres turques (TRY) au titre du dommage mat?riel et 1 800 000 TRY au titre du pr?judice moral qu?ils ont subi. Ils demandent en outre 12 000 TRY au titre des frais et d?pens. Sur cette derni?re partie de la demande, ils pr?sentent un d?compte des heures de travail et du montant des travaux de leur avocat.
89. Le Gouvernement invite la Cour ? renvoyer la question de la r?paration du dommage ? la Commission d?indemnisation et se r?f?re ? l?arr?t Kaynar et autres (pr?cit?).
90. La Cour rappelle que l?initiative du Gouvernement turc d??largir les comp?tences de la commission d?indemnisation renforce le caract?re subsidiaire du m?canisme de protection des droits de l?homme instaur? par la Convention et facilite pour la Cour et le Comit? des Ministres l?accomplissement des t?ches que leur confient respectivement l?article 41 et l?article 46 de la Convention (Kaynar et autres, pr?cit?, ? 73).
91. Elle rel?ve que l??valuation du pr?judice subi par le requ?rant est complexe et que la Cour ne dispose pas de tous les outils qui lui permettraient raisonnablement de r?gler cette question. Elle rappelle avoir d?j? constat? dans de nombreuses affaires contre la Turquie relatives au droit de propri?t? qu?une telle ?valuation est presque objectivement impossible dans la mesure o? elle est tr?s ?troitement li?e aux contextes nationaux, voire locaux, et n?cessite une expertise certaine (ibidem, ? 76).
92. La Cour estime que les instances nationales sont, sans conteste, les mieux plac?es pour ?valuer le pr?judice subi et disposent de moyens juridiques et techniques ad?quats pour mettre un terme ? une violation de la Convention et d?en effacer les cons?quences, notamment, comme dans le cas d?esp?ce, lorsqu?il s?agit de d?terminer la valeur d?un bien immobilier dans un ?tat contractant ? une date donn?e (Avyidi c. Turquie, no 22479/05, ? 129, 16 juillet 2019).
93. Dans ces conditions, elle estime qu?un recours devant la commission d?indemnisation dans un d?lai d?un mois ? compter de la date de la notification de son arr?t final est susceptible de donner lieu ? l?indemnisation par l?administration et que ce recours repr?sente un moyen appropri? de redresser la violation constat?e au regard de l?article 1 du Protocole no 1 ? la Convention (ibidem, ? 127).
94. ? la lumi?re de ce qui pr?c?de, la Cour conclut que le droit national permet dor?navant d?effacer les cons?quences de la violation constat?e et estime d?s lors qu?il n?est pas n?cessaire de se prononcer sur les demandes pr?sent?es par le requ?rant ? ce titre. Elle estime par cons?quent qu?il ne se justifie plus de poursuivre l?examen de la requ?te (article 37 ? 1 c) de la Convention). Elle est en outre d?avis qu?il n?existe, en l?esp?ce, pas de circonstances sp?ciales touchant au respect des droits de l?homme garantis par la Convention et ses Protocoles qui exigeraient la poursuite de l?examen de la requ?te (article 37 ? 1 in fine). Par ailleurs, pour parvenir ? cette conclusion, elle a tenu compte de l?article 37 ? 2 de la Convention qui lui permet de r?inscrire une requ?te au r?le lorsqu?elle estime que les circonstances le justifient (ibidem, ? 130).
95. Il y a donc lieu de rayer du r?le la partie de l?affaire relative ? la question de l?article 41 de la Convention, concernant les demandes au titre des dommages mat?riel et moral.
96. Quant aux frais et d?pens, selon la jurisprudence de la Cour, un requ?rant ne peut en obtenir le remboursement que dans la mesure o? se trouvent ?tablis leur r?alit?, leur n?cessit? et le caract?re raisonnable de leur taux. En l?esp?ce, compte tenu des documents en sa possession et des crit?res susmentionn?s, la Cour juge raisonnable d?allouer aux requ?rants la somme de 1 720 EUR tous frais confondus.
97. La Cour juge appropri? de calquer le taux des int?r?ts moratoires sur le taux d?int?r?t de la facilit? de pr?t marginal de la Banque centrale europ?enne major? de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, ? L?UNANIMIT?,
D?clare, le grief tir? de l?article 1 du Protocole no 1 recevable pour autant qu?il concerne les parties du bien ne relevant pas du domaine forestier et irrecevable pour le surplus;
Dit, qu?il y a eu violation de l?article 1 du Protocole no 1 de la Convention ;
Dit, qu?il n?y a pas lieu d?examiner ni la recevabilit? ni le bien fond? du grief formul? sur le terrain de l?article 6 de la Convention ;
D?cide, de rayer du r?le la partie de l?affaire relative ? la question de l?article 41 de la Convention, concernant la demande du dommage mat?riel et moral;
Dit,
a) que l??tat d?fendeur doit verser au requ?rant, dans les trois mois ? compter du jour o? l?arr?t sera devenu d?finitif conform?ment ? l?article 44 ? 2 de la Convention, la somme de 1 720 EUR (mille sept cent vingt euros) ? convertir dans la monnaie de l??tat d?fendeur au taux applicable ? la date du r?glement;
b) qu?? compter de l?expiration dudit d?lai et jusqu?au versement, ce montant sera ? majorer d?un int?r?t simple ? un taux ?gal ? celui de la facilit? de pr?t marginal de la Banque centrale europ?enne applicable pendant cette p?riode, augment? de trois points de pourcentage ;
Rejette le surplus de la demande de satisfaction ?quitable.
Hasan Bak?rc? Jon Fridrik Kj?lbro
Greffier adjoint Pr?sident