Conclusion Exception pr?liminaire jointe au fond (non-?puisement) ; Exception pr?liminaire jointe au fond (ratione materiae) ; Exception pr?liminaire rejet?e (non-?puisement) ; Exception pr?liminaire rejet?e (ratione materiae) ; Non-violation de l’art. 13 (acc?s) ; Non-violation de l’art. 6-1 (acc?s) ; Violation de l’art. 6-1 (dur?e) ; Violation de P1-1 ; Non-lieu ? examiner l’art. 14+P1-1 ; Dommage mat?riel – r?paration p?cuniaire ; Pr?judice moral – r?paration p?cuniaire ; Remboursement partiel frais et d?pens – proc?dure nationale ; Remboursement partiel frais et d?pens – proc?dure de la Conventi
En l’affaire M. e S., Lda., et autres c. Portugal (1),
La Cour europe?enne des Droits de l’Homme, constitue?e,
conforme?ment a? l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde
des Droits de l’Homme et des Liberte?s fondamentales (“la Convention”)
et aux clauses pertinentes de son re?glement A (2), en une chambre
compose?e des juges dont le nom suit:
MM. R. Ryssdal, pre?sident,
F. Gölcüklü,
C. Russo,
J. De Meyer,
S.K. Martens,
A.N. Loizou,
M.A. Lopes Rocha,
B. Repik,
P. Kuris,
ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier
adjoint,
Apre?s en avoir de?libe?re? en chambre du conseil les 29 mars et
27 août 1996,
Rend l’arrêt que voici, adopte? a? cette dernie?re date:
_______________
Notes du greffier
1. L’affaire porte le n? 44/1995/550/636. Les deux premiers chiffres
en indiquent le rang dans l’anne?e d’introduction, les deux derniers la
place sur la liste des saisines de la Cour depuis l’origine et sur
celle des requêtes initiales (a? la Commission) correspondantes.
2. Le re?glement A s’applique a? toutes les affaires de?fe?re?es a? la Cour
avant l’entre?e en vigueur du Protocole n? 9 (P9) (1er octobre 1994) et,
depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non lie?s par
ledit Protocole (P9). Il correspond au re?glement entre? en vigueur le
1er janvier 1983 et amende? a? plusieurs reprises depuis lors.
_______________
PROCEDURE
1. L’affaire a e?te? de?fe?re?e a? la Cour par la Commission europe?enne
des Droits de l’Homme (“la Commission”) puis par le gouvernement de la
Re?publique portugaise (“le Gouvernement”), les 20 mai et
4 juillet 1995, dans le de?lai de trois mois qu’ouvrent les articles 32
par. 1 et 47 de la Convention (art. 32-1, art. 47). A son origine se
trouve une requête (n? 15777/89) dirige?e contre le Portugal et dont
deux socie?te?s a? responsabilite? limite?e de droit portugais,
M. e S., L., et T. d. S. G., L., ainsi
qu’une ressortissante portugaise, Mme M. S. M. P. V.,
avaient saisi la Commission le 16 novembre 1989 en vertu de
l’article 25 de la Convention (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48
(art. 44, art. 48) ainsi qu’a? la de?claration portugaise reconnaissant
la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46), la
requête du Gouvernement a? l’article 48 (art. 48). Elles ont pour objet
d’obtenir une de?cision sur le point de savoir si les faits de la cause
re?ve?lent un manquement de l’Etat de?fendeur aux exigences des
articles 6 de la Convention (art. 6) et 1 du Protocole n? 1 (P1-1).
2. En re?ponse a? l’invitation pre?vue a? l’article 33 par. 3 d) du
re?glement A, les reque?rantes ont manifeste? le de?sir de participer a? la
proce?dure et ont de?signe? leurs conseils (article 30).
3. La chambre a? constituer comprenait de plein droit
M. M.A. Lopes Rocha, juge e?lu de nationalite? portugaise (article 43 de
la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, pre?sident de la Cour
(article 21 par. 4 b) du re?glement A). Le 8 juin 1995, celui-ci a tire?
au sort le nom des sept autres membres, a? savoir MM. F. Gölcüklü,
C. Russo, J. De Meyer, S.K. Martens, A.N. Loizou, B. Repik et P. Kuris,
en pre?sence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et
21 par. 5 du re?glement A) (art. 43).
4. En sa qualite? de pre?sident de la chambre (article 21 par. 6 du
re?glement A), M. Ryssdal a consulte?, par l’interme?diaire du greffier,
l’agent du Gouvernement, les conseils des reque?rantes et le de?le?gue? de
la Commission au sujet de l’organisation de la proce?dure
(articles 37 par. 1 et 38). Conforme?ment a? l’ordonnance rendue en
conse?quence, le greffier a reçu le me?moire du Gouvernement le
20 de?cembre 1995 et celui des reque?rantes le 3 janvier 1996. Le
21 fe?vrier, le secre?taire de la Commission l’a informe? que le de?le?gue?
s’exprimerait a? l’audience.
Le 14 mars 1996, les reque?rantes ont de?pose? des documents.
5. Le 23 fe?vrier 1996, la Commission avait produit les pie?ces de
la proce?dure suivie devant elle; le greffier l’y avait invite?e sur les
instructions du pre?sident.
6. Ainsi qu’en avait de?cide? ce dernier, les de?bats se sont
de?roule?s en public le 25 mars 1996, au Palais des Droits de l’Homme a?
Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une re?union pre?paratoire.
Ont comparu:
– pour le Gouvernement
MM. A. Henriques Gaspar, procureur ge?ne?ral
adjoint de la Re?publique, agent,
J.P. Ferreira Ramos de Sousa, assesseur
juridique au cabinet du premier ministre,
Mme L.M. Branco Santos Mota Delgado, adjoint
au cabinet du ministre de l’Environnement,
M. N. Cara d’Anjo Lecoq, directeur du parc naturel
de la Ria Formosa, conseillers;
– pour la Commission
M. J.-C. Soyer, de?le?gue?;
– pour les reque?rantes
Me F. d. Q., professeur a? la faculte?
de droit de Lisbonne et avocat,
MM. R. D., professeur a? la faculte?
de droit de Bonn, conseils,
P. B. H., charge? de cours a? la
faculte? de droit de Lisbonne,
S. C. P., professeur d’ame?nagement du
territoire a? l’universite? technique de Lisbonne,
N.J. C., e?conomiste, conseillers.
La Cour a entendu en leurs de?clarations M. Soyer,
Me de Q., M. Dolzer et M. Henriques Gaspar.
7. Les reque?rantes et le Gouvernement ont produit diverses pie?ces
lors de l’audience. Le 23 avril 1996, les premie?res ont pre?sente? des
observations sur celles de?pose?es par le second, lequel a fait parvenir
des commentaires le 15 mai 1996.
8. Le 15 juillet 1996, les reque?rantes ont communique? un rapport
d’e?valuation de la “Herdade do Ludo” e?tabli par la direction ge?ne?rale
du patrimoine de l’Etat.
EN FAIT
I. Les circonstances particulie?res de l’affaire
9. La premie?re reque?rante, M. e S., Lda. (“la socie?te?
M. e S.”), est une socie?te? a? responsabilite? limite?e, inscrite au
registre du commerce de Loule? (Portugal); elle seule est partie aux
proce?dures internes (paragraphes 13-45 ci-dessous). Les deuxie?me et
troisie?me reque?rantes, Mme M. S. M. P. V. et la
socie?te? T. d. S. G., Lda., sont les seules associe?es et
proprie?taires de la premie?re. La deuxie?me ge?re les deux socie?te?s.
A. La gene?se de l’affaire
10. La socie?te? M. e S. exploite des terrains, situe?s dans la
commune de Loule?. Elle cultive le sol, re?colte du sel, e?le?ve des
poissons.
11. Une partie de ces terrains lui appartient en propre car elle
les a achete?s en diverses occasions.
Quant a? l’autre partie, une concession d’exploitation avait e?te?
accorde?e a? B. d. C. par un de?cret royal du
21 juillet 1884, dont l’article 2 pre?voyait que les terrains auxquels
la concession se rapportait pouvaient être exproprie?s sans droit a?
indemnisation pour les concessionnaires. En 1886,
B. d. C. transfe?ra la concession a? la
C. E. d. T. S. . Al.. A la
dissolution de cette dernie?re, certains de ses anciens associe?s
acquirent la concession. Ils constitue?rent la socie?te? M. e S.
dont le but social e?tait notamment d’acque?rir et d’exploiter une partie
des terrains sale?s, objet de la concession. Le 12 août 1899, ladite
socie?te? conclut devant notaire un contrat d’achat-vente portant sur
lesdits terrains. Le 16 septembre, elle fit inscrire ce transfert au
registre foncier de Loule? dans les termes suivants: “1899 –
16 septembre (…) Est inscrite en faveur de la socie?te? M. e S.
(…) la transmission du domaine utile de la troisie?me gle?be de la
parcelle [prazo] du Ludo (…) de même que des terrains de?nomme?s du
Ludo et Marchil (…) pour les avoir achete?s (…) pour un prix total
de 79 500 $ 000 reis [sic] (…)” Depuis cette date, en ce qui concerne
ces terrains, la socie?te? M. e S. agit uti dominus, en payant les
impôts et taxes pre?vus par la loi portugaise sur la proprie?te?.
12. Le 2 mai 1978, par le de?cret n? 45/78, le gouvernement cre?a une
re?serve de protection des animaux (Reserva Natural da Ria Formosa) sur
le territoire du littoral de l’Algarve (communes de Loule?, Olha?o et
Faro), y compris sur les terrains de la socie?te? M. e S. de?nomme?s
“Herdade do Muro do Ludo” ou “Quinta do Ludo” ou encore
“Herdade do Ludo”. Dans cette perspective, il adopta diverses mesures,
dont les cinq combattues par les reque?rantes.
B. Les cinq actes litigieux et les proce?dures y affe?rentes
1. Le de?cret-loi n? 121/83 du 1er mars 1983
13. Par un de?cret-loi n? 121/83 du 1er mars 1983, le gouvernement
de?clara d’utilite? publique la moitie? des terrains de la socie?te?
M. e S., de?claration pre?alable a? leur expropriation en vue d’y
construire une station d’aquaculture.
14. Le 18 avril 1983, la socie?te? M. e S. attaqua cette
de?cision devant la section du contentieux administratif de la Cour
suprême administrative. Le recours, interjete? devant la pre?sidence du
conseil des ministres conforme?ment a? l’article 2 du de?cret-loi
n? 256-A/77, applicable a? l’e?poque (paragraphe 49 ci-dessous), fut
transmis a? ladite juridiction le 9 mai.
15. Le 17 avril 1985, apre?s un e?change de me?moires, la socie?te?
M. e S., se fondant sur l’article 9 par. 2 du code des
expropriations (paragraphe 47 ci-dessous), demanda l’extinction de
l’instance, celle-ci ayant perdu son objet en raison de la caducite? de
la de?claration d’utilite? publique contenue dans le de?cret-loi
n? 121/83.
Elle re?ite?ra cette requête les 21 mai 1986, 20 juillet 1987 et
19 avril 1988.
16. Le 6 mai 1988, la Cour suprême administrative de?cida de ne pas
se prononcer sur la question de la caducite? sans connaître le contenu
du recours, entre-temps interjete? par la socie?te? M. e S. contre
le de?cret-loi n? 173/84 et dont l’examen e?tait pendant devant la
pre?sidence du conseil des ministres (paragraphe 32 ci-dessous).
En conse?quence, la Cour suprême administrative pria le
premier ministre de lui faire parvenir la requête introductive
(petiçao do recurso). Ses rappels des 11 mai 1988, 23 septembre 1988
et 13 de?cembre 1988 reste?rent sans suite.
17. Le 16 mai 1989, le ministe?re public sollicita la suspension de
l’instance jusqu’a? ce qu’il soit statue? sur le recours en annulation
contre le de?cret-loi n? 173/84. La socie?te? M. e S. s’y opposa
et re?ite?ra sa demande d’extinction de l’instance.
18. Par un arrêt du 28 septembre 1989, la Cour suprême
administrative de?cida de suspendre l’instance et rejeta la demande de
la socie?te?. Elle estimait que l’article 9 par. 2 du code des
expropriations ne s’appliquait pas en l’espe?ce, puisque le
de?cret-loi n? 173/84 avait suspendu l’effet de la de?claration d’utilite?
publique du de?cret-loi n? 121/83. Or la caducite? ne peut pas frapper
un acte qui n’existe pas dans l’ordre juridique. Par ailleurs, il y
avait lieu d’attendre l’issue du recours contre le
de?cret-loi n? 173/84. Au demeurant, la de?claration d’utilite? publique
contenue dans le de?cret-loi n? 121/83 pourrait reprendre ses effets en
cas d’annulation du de?cret-loi n? 173/84.
19. Le 8 fe?vrier 1990, la socie?te? M. e S. interjeta un appel
de cette de?cision devant la cour ple?nie?re de la section du contentieux
administratif de la Cour suprême administrative. Cette dernie?re le
repoussa par un arrêt du 17 octobre 1992. Se fondant sur l’existence
d’arrêts contradictoires portant sur la même question de droit, la
socie?te? attaqua cette de?cision le 1er avril 1993. Le juge-rapporteur
de?clara l’appel irrecevable le 23 avril 1993. La socie?te? fit, sans
succe?s, une re?clamation contre cette de?cision.
20. La proce?dure demeure pendante.
2. L’ordonnance du 4 août 1983
21. Par une ordonnance conjointe du premier ministre et des
ministres des Finances et de l’Environnement (Qualidade de Vida) du
4 août 1983, le gouvernement de?clara d’utilite? publique l’autre moitie?
des terrains en vue de leur expropriation pour cre?er une re?serve
inte?grale destine?e a? la protection des oiseaux migrateurs et d’autres
espe?ces importantes. L’ordonnance autorisait “la prise de possession
imme?diate” des terrains par l’Etat.
22. Le 15 novembre 1983, la socie?te? M. e S. forma un recours
contentieux contre cette ordonnance. La Cour suprême administrative
enregistra le recours le 20 de?cembre, apre?s sa transmission le
15 de?cembre 1983 par la pre?sidence du conseil des ministres
(paragraphe 49 ci-dessous).
23. Le 9 octobre 1985, la socie?te? M. e S. pre?senta une
demande d’extinction de l’instance identique a? celle formule?e dans la
proce?dure pre?ce?dente (paragraphe 15 ci-dessus). Elle renouvela sa
requête les 7 juillet 1986 et 15 juin 1989, mais en vain.
24. La Cour suprême administrative estima e?galement ne pas pouvoir
se prononcer sur le recours sans connaître le contenu de celui
interjete? entre-temps contre le de?cret-loi n? 173/84 (paragraphes 16
ci-dessus et 32 ci-dessous) et pendant devant la pre?sidence du conseil
des ministres.
Afin de recevoir la requête introductive de ladite instance,
la Cour suprême administrative adressa au premier ministre, entre le
23 avril 1987 et le 26 janvier 1989, huit injonctions, reste?es sans
suite.
Le 18 mai 1989, le premier ministre re?pondit a? une neuvie?me
injonction formule?e le 24 avril 1989. Il informait la Cour suprême
administrative que l’original de la requête introductive du recours
avait disparu et qu’il ne disposait que d’une copie. Il ne joignait
aucune pie?ce a? son courrier.
25. Le 10 juillet 1989, la socie?te? M. e S. fournit elle-même
une copie de ladite requête a? la Cour suprême administrative.
26. Le 3 de?cembre 1989, le ministe?re public pria la Cour suprême
administrative de suspendre l’instance pour la même raison que celle
indique?e a? l’occasion du recours pre?ce?dent (paragraphe 17 ci-dessus).
27. Le 3 avril 1990, la Cour suprême rendit un arrêt prononçant la
suspension de l’instance, par des motifs identiques a? ceux mentionne?s
dans son arrêt du 28 septembre 1989 (paragraphe 18 ci-dessus).
Le 24 avril 1990, la socie?te? M. e S. interjeta un appel
de cette de?cision devant la cour ple?nie?re de la section du contentieux
administratif de la Cour suprême administrative, qui le repoussa le
17 juin 1993.
28. La proce?dure est toujours pendante.
3. Le de?cret-loi n? 173/84 du 24 mai 1984
29. Par le de?cret-loi n? 173/84 du 24 mai 1984, “en vue de la
re?alisation d’un ouvrage d’utilite? publique, plus particulie?rement de
la cre?ation d’une re?serve inte?grale (…)”, le gouvernement “re?voqua
la concession d’exploitation de tous les terrains mentionne?s a?
l’article 1 [du de?cret du 21 juillet 1884]”. Cette re?vocation
“[devait] s’ope?rer de la manie?re dont ledit texte [admettait]
l’expropriation” (paragraphe 11 ci-dessus). Aux termes des
articles 3 et 4 du de?cret-loi n? 173/84, l’Etat entrait imme?diatement
en possession des terrains, sans aucune formalite? ni indemnisation,
sauf celle due au titre des ame?liorations, ne?cessaires et utiles,
apporte?es a? la proprie?te?.
30. Le 25 juin 1984, la socie?te? M. e S. saisit le conseil des
ministres d’un recours gracieux dont on ignore l’issue.
31. Paralle?lement, elle adressa une demande de suspension des
effets (eficacia) de cet acte a? la section du contentieux administratif
de la Cour suprême administrative. Par un arrêt du 18 juillet 1985,
confirme? par la cour ple?nie?re, la Cour suprême administrative
accueillit la demande et de?cida de suspendre les effets de l’acte
attaque? jusqu’a? la de?cision sur le fond.
32. Enfin, le 9 juillet 1984, la socie?te? M. e S. forma un
recours en annulation de l’acte devant la même juridiction, lequel
recours fut pre?sente? a? la pre?sidence du conseil des ministres
(paragraphe 49 ci-dessous).
Elle faisait valoir notamment:
a) qu’il n’y avait encore eu aucune indemnisation au titre des
deux expropriations pre?ce?dentes;
b) que les motifs indique?s par le gouvernement pour justifier
les expropriations e?taient chaque fois diffe?rents et contradictoires,
une re?serve d’oiseaux et une station d’aquaculture n’e?tant pas
compatibles, et le de?cret-loi n? 173/84 pre?tendait installer sur les
terrains une re?serve inte?grale;
c) que l’acte d’expropriation e?tait discriminatoire puisqu’il
concernait presque exclusivement les terrains de la socie?te?
M. e S. et non d’autres terrains appartenant a? d’autres personnes
ou socie?te?s, situe?s dans la même zone et posse?dant les mêmes conditions
et caracte?ristiques.
33. La pre?sidence du conseil des ministres de?cida d’envoyer le
dossier au ministe?re de l’Environnement. Le nouveau ministre de?cida
par une ordonnance du 9 août 1984 (paragraphe 53 ci-dessous) de
constituer une commission charge?e de formuler, dans un de?lai de
trente-sept jours, une proposition tendant notamment a? la re?vocation
du de?cret-loi n? 173/84.
34. Toutefois, en octobre 1985, un nouveau gouvernement fut
constitue? et le projet de re?vocation n’aboutit pas.
35. Au vu de la lettre du premier ministre du 18 mai 1989
(paragraphe 24 ci-dessus) et a? la suite de la communication d’une copie
de la requête par la socie?te? M. e S. (paragraphe 25 ci-dessus),
cette dernie?re, en application des articles 1074 et suivants du code
civil, demanda la reconstitution (reforma) du dossier administratif.
Dans une de?cision interlocutoire du 18 octobre 1990, le juge-rapporteur
de?clara que la copie de la requête introductive avait e?te? communique?e
par le gouvernement. Sur demande en rectification de la socie?te?, il
admit, dans une de?cision du 31 octobre 1991, que cette communication
avait e?te? faite par celle-ci. La reconstitution n’eut toutefois pas
lieu.
36. Le 17 fe?vrier 1992, la socie?te? M. e S. pre?senta une
demande d’extinction de l’instance pour les mêmes motifs que ceux qui
avaient e?te? invoque?s dans la proce?dure concernant le de?cret-loi
n? 121/83 (paragraphe 15 ci-dessus).
37. Le 17 septembre 1992, la Cour suprême administrative de?cida
qu’il y avait lieu d’attendre l’envoi du dossier administratif
(processo gracioso). Dans ce but, les 26 janvier et 23 avril 1993,
elle enjoignit au gouvernement de lui adresser ledit dossier.
Le gouvernement le fit le 25 octobre 1993, mais la requête
introductive ne figurait pas dans le dossier en question.
38. Au de?but de l’anne?e 1994, la socie?te? M. e S. de?posa un
me?moire et un avis. Le 8 mars 1995, le ministe?re public pre?senta ses
re?quisitions finales proposant l’annulation de l’acte attaque?. Dans
une ordonnance du 26 avril 1995, le juge-rapporteur conside?ra que
toutes les questions souleve?es dans le recours de?pendaient
essentiellement de celle de savoir si la socie?te? e?tait proprie?taire des
terrains. Dans ces conditions, la Cour suprême administrative devait
surseoir a? statuer jusqu’a? ce que le tribunal civil compe?tent tranche
au cours d’une proce?dure relative a? la question du droit de proprie?te?.
Par conse?quent, en application de l’article 4 du de?cret-loi n? 129/84
portant statut des juridictions administratives et fiscales
(paragraphe 51 ci-dessous), elle suspendit l’instance.
Sur appel de la socie?te?, la premie?re section de la Cour suprême
administrative annula, le 19 de?cembre 1995, l’ordonnance au motif que
le juge-rapporteur n’e?tait pas compe?tent pour la prendre. Examinant
elle-même la question, elle suspendit l’instance afin de permettre a?
la socie?te? de saisir la juridiction civile, e?tant donne? qu’en cas
d’inertie des parties pendant plus de trois mois, la question devrait
être de?cide?e sur la base des e?le?ments figurant au dossier
(paragraphe 50 ci-dessous).
La socie?te? attaqua cette de?cision devant la cour ple?nie?re,
laquelle, a? la date d’adoption de l’arrêt, n’avait pas encore statue?.
4. Le de?cret-loi n? 373/87 du 9 de?cembre 1987
39. Par un de?cret-loi n? 373/87 du 9 de?cembre 1987, le gouvernement
de?cida de la cre?ation sur le littoral de l’Algarve du parc naturel de
la Ria Formosa et de l’adoption d’une se?rie de re?gles tendant a? la
protection de l’e?cosyste?me de la zone. Ainsi ont e?te? notamment
pre?vues, outre l’interdiction de bâtir, l’interdiction de modifier
l’usage actuel du sol, d’introduire, sans autorisation, de nouvelles
activite?s agricoles et piscicoles.
40. Le 8 fe?vrier 1988, la socie?te? M. e S. forma un recours
contre ce de?cret devant la section du contentieux administratif de la
Cour suprême administrative. Elle alle?guait que par rapport aux
limitations frappant les terrains voisins, le de?cret pre?voyait un
statut plus restrictif quant a? l’exercice de son droit de proprie?te? sur
ses terrains. Elle ajoutait que l’acte incrimine? s’analysait en une
expropriation compte tenu de la quantite? de restrictions impose?es.
41. Le 18 avril 1994, la Cour suprême administrative de?cida de
surseoir a? statuer dans l’attente de la de?cision sur le fond concernant
le recours en annulation du de?cret-loi n? 173/84. La proce?dure demeure
donc pendante.
5. Le de?cret re?glementaire n? 2/91 du 24 janvier 1991
42. Par le de?cret “re?glementaire” n? 2/91 du 24 janvier 1991, le
gouvernement approuva un “Plan ordonnateur et re?glementaire du parc
naturel de la Ria Formosa” (Plano de ordenamento e Regulamento do
Parque natural da Ria Formosa).
43. Le 23 mars 1991, alle?guant la violation des principes d’e?galite?
et de proportionnalite?, la socie?te? M. e S. attaqua ce de?cret
devant la section du contentieux administratif de la Cour suprême
administrative. Elle conside?rait que ledit de?cret constituait un
nouvel acte d’expropriation.
44. Apre?s un e?change de me?moires, la Cour suprême administrative
demanda le 7 avril 1992 des informations sur le de?roulement de la
proce?dure concernant le de?cret-loi n? 173/84.
45. Le 9 juin 1993, elle suspendit la proce?dure pour les motifs
susmentionne?s.
II. Le droit interne pertinent
A. La Constitution
46. L’article 62 de la Constitution dispose:
“1. Le droit a? la proprie?te? prive?e, ainsi que la
transmission de biens entre vifs ou par succession, est
garanti a? chacun, conforme?ment a? la Constitution.
2. La re?quisition et l’expropriation pour cause d’utilite?
publique ne peuvent être effectue?es que dans le cadre de la
loi et moyennant le versement d’une juste indemnite?.”
B. Le code des expropriations
47. Le code des expropriations de 1976, tel qu’il s’appliquait a?
l’e?poque des faits, contenait les dispositions suivantes:
Article 1 par. 1
“Les biens immeubles et les droits y affe?rents peuvent être
exproprie?s pour cause d’utilite? publique rentrant dans les
attributions de l’entite? expropriante, moyennant le versement
d’une juste indemnite?.”
Article 9 par. 2
“L’acte de de?claration d’utilite? publique devient caduc si
les biens n’ont pas e?te? acquis dans un de?lai de deux ans ou si
la constitution d’une commission d’arbitrage n’a pas eu lieu
dans ce même de?lai.”
Article 27 par. 1
“L’expropriation pour cause d’utilite? publique d’un bien ou
droit confe?re a? l’exproprie? le droit de recevoir une juste
indemnite?.”
48. Les articles 1 et 22 par. 1 du code des expropriations de 1991,
de?sormais applicable, sont ainsi libelle?s:
Article 1
“Les biens immeubles et les droits y affe?rents peuvent être
exproprie?s pour cause d’utilite? publique rentrant dans les
attributions de l’entite? expropriante, moyennant le versement
imme?diat d’une juste indemnite?.”
Article 22 par. 1
“L’expropriation pour cause d’utilite? publique d’un bien ou
droit quelconque ouvre a? l’exproprie? le droit au versement
imme?diat d’une juste indemnite?.”
C. Les de?crets-lois relatifs a? la proce?dure des juridictions
administratives
49. L’article 2 du de?cret-loi n? 256-A/77 du 17 juin 1977
pre?voyait:
“1. Les actes administratifs de?finitifs et exe?cutoires sont
susceptibles d’être attaque?s au moyen d’un recours
contentieux, lequel doit être interjete? moyennant acte adresse?
au tribunal compe?tent et pre?sente? devant l’autorite?
responsable de l’acte en cause.
2. L’autorite? administrative peut, dans un de?lai de trente
jours, abroger ou confirmer, en tout ou partie, l’acte objet
du recours.
3. Pendant le même de?lai, l’autorite? administrative
transmettra, en tout e?tat de cause, au tribunal respectif le
dossier administratif contenant les documents pertinents.
4. A de?faut de production, le reque?rant pourra demander au
tribunal de se saisir du dossier et des documents le
concernant, afin que la proce?dure puisse suivre son cours.
5. (…)”
50. Cette disposition a e?te? modifie?e par le de?cret-loi n? 267/85
du 16 juillet 1985, dont il y a lieu de citer les articles suivants:
Article 7
“L’inertie des inte?resse?s relative, pendant plus de trois
mois, a? l’introduction ou a? la bonne marche de la proce?dure
concernant une question pre?judicielle entraîne la poursuite de
la proce?dure, la question pre?judicielle e?tant de?cide?e sur la
base des e?le?ments de preuve recevables dans ladite proce?dure
et la de?cision ayant uniquement des effets limite?s a? la
proce?dure en cause.”
Article 11
“1. A de?faut de communication, sans justification valable,
des pie?ces pertinentes pour l’issue de la proce?dure, le
tribunal peut ordonner toute mesure ade?quate, notamment celle
pre?vue a? l’article 4 du de?cret-loi n? 227/77 du 31 mai, et
adressera une injonction a? l’autorite? administrative
de?faillante, aux termes de l’article 84.
2. Si un tel de?faut de communication se re?ite?re, le
tribunal appre?ciera librement cette conduite aux fins de
preuve.”
Article 84
“1. Dans sa de?cision, le juge fixe le de?lai d’exe?cution de
l’injonction.
2. Le refus d’obtempe?rer a? l’injonction engage la
responsabilite? civile, disciplinaire et pe?nale, conforme?ment
a? l’article 11 du de?cret-loi n? 256-A/77 du 17 juin.”
D. Les autres dispositions pertinentes
1. Le de?cret-loi n? 129/84 du 27 avril 1984
51. L’article 4 par. 2 du de?cret-loi n? 129/84 du 27 avril 1984
portant statut des juridictions administratives et fiscales est ainsi
libelle?:
“Lorsque la connaissance de l’objet de l’action ou du
recours de?pend de la de?cision sur une question relevant de la
compe?tence d’autres tribunaux, le juge peut s’abstenir de
statuer jusqu’a? ce que le tribunal compe?tent se prononce; la
loi de proce?dure fixe les effets de l’inertie des inte?resse?s
pour ce qui est de l’introduction et du de?roulement de la
proce?dure concernant la question pre?judicielle.”
2. Le de?cret-loi n? 227/77 du 31 mai 1977
52. L’article 4 du de?cret-loi n? 227/77 du 31 mai 1977 pre?voit:
“1. A de?faut de communication, a? l’expiration d’un de?lai de
trente jours, sans justification, du dossier administratif
[processo gracioso] ou d’autres pie?ces requises par le
tribunal aux fins de l’instruction de la proce?dure
contentieuse, le juge-rapporteur transmet le dossier au
ministe?re public afin que ce dernier puisse pre?senter ses
re?quisitions dans le de?lai de trente jours, sous peine de la
sanction pre?vue au paragraphe suivant.
2. Lorsqu’un de?lai de trente jours s’est e?coule? a? compter
de l’avis du ministe?re public, tel qu’il est pre?vu au premier
paragraphe, et que les pie?ces requises n’ont pas e?te?
produites, sans excuse raisonnable, la proce?dure reprend son
cours et le juge appre?ciera librement la conduite de
l’autorite? mise en cause.”
3. L’ordonnance n? 77/84 du ministe?re de l’Environnement du
9 août 1984
53. L’ordonnance n? 77/84 du ministe?re de l’Environnement du
9 août 1984 est ainsi libelle?e:
“1. Prenant note du de?cret-loi n? 173/84, du 24 mai, dont
la teneur porte sur la totalite? des terrains ayant fait
l’objet d’une concession royale par de?cret du Gouvernement
n? 165, du 21 juillet 1884, sans aucune limitation ou
discrimination a? leur e?gard;
2. Constatant que beaucoup de ces terrains repre?sentant
plusieurs milliers d’hectares sont aujourd’hui des proprie?te?s
prive?es qui n’ont rien a? voir avec les buts e?cologiques et de
pre?servation des richesses naturelles que l’on pre?tend
atteindre moyennant la re?vocation de la concession, entraînant
une immense cascade d’e?ventuels conflits juridiques et
d’indemnite?s a? payer par l’Etat;
3. Constatant que la disposition le?gale se re?fe?re
expresse?ment a? la “Herdade do Ludo” ou, en d’autres termes,
“Herdade do Muro do Ludo”, qui ne constitue qu’une petite
partie de ce qui fit l’objet de la concession royale de 1884;
4. Constatant, e?galement, que même la
“Herdade do Muro do Ludo” ne pre?sente que partiellement un
inte?rêt particulier du point de vue de la protection de
l’avifaune;
5. Il est institue? une commission (…) charge?e de formuler
une proposition visant a? la:
– Re?vocation du de?cret-loi n? 173/84 et de toute autre
le?gislation en la matie?re;
– Pre?sentation d’une proposition d’un nouveau de?cret-loi
destine? a? transfe?rer dans le domaine public tous les
terrains qui, inte?gre?s dans la de?nomme?e
“Herdade do Ludo” ou en dehors de celle-ci, revêtent
de l’inte?rêt pour la re?serve de l’avifaune que l’on
pre?tend prote?ger;
– Proposition d’indemnisations, ou d’un mode juste de
proce?der au calcul de ces indemnisations, en raison
des ame?liorations [benfeitorias] apporte?es aux
terrains de?sormais transfe?re?s a? l’Etat;
– Proposition tendant a? la le?galisation de?finitive des
terrains qui se trouvent sous le domaine prive?
[dominio particular], ne pre?sentant pas d’inte?rêt pour
la re?serve et qui ont fait l’objet de la concession
royale de 1884.
6. La commission ainsi nomme?e a jusqu’au 15 septembre 1984
pour s’acquitter de la tâche qui lui est assigne?e; cependant,
la proposition de re?vocation du de?cret-loi n? 173/84, dûment
motive?e, sera soumise au ministre de l’Environnement avant le
21 août, de façon a? pouvoir être inscrite dans le prochain
ordre du jour du Conseil des ministres, et comportera les
clauses qui s’ave?reront ne?cessaires pour rendre e?vident que
l’Etat est toujours inte?resse? a? la re?serve, et de?termine? a?
transfe?rer dans le domaine public les terrains devant
l’inte?grer.”
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
54. Dans leur requête du 16 novembre 1989 a? la Commission
(n? 15777/89), les socie?te?s M. e S. et T. d. S. G.
ainsi que Mme P. V. de?nonçaient une violation de l’article 6
par. 1 de la Convention (art. 6-1) en raison de la dure?e des proce?dures
administratives. Elles invoquaient aussi l’article 13 de la Convention
(art. 13) car aucun recours effectif devant une instance nationale ne
s’offrirait a? elles pour se plaindre des atteintes cause?es a? leurs
droits par les actes du gouvernement. Elles alle?guaient en outre une
violation de leur droit au respect des biens, tel que le garantit
l’article 1 du Protocole n? 1 (P1-1). Enfin, elles s’appuyaient sur
l’article 14 de la Convention (art. 14), combine? avec cette dernie?re
disposition (P1-1), pour de?noncer une discrimination par rapport aux
autres proprie?taires posse?dant des terrains dans la même zone.
55. Le 29 novembre 1993, la Commission a de?clare? la requête
recevable. Dans son rapport du 21 fe?vrier 1995 (article 31) (art. 31),
elle conclut:
a) qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 de la
Convention (art. 6-1) en raison du de?faut d’acce?s effectif a? un
tribunal (dix-neuf voix contre trois);
b) qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de
l’article 6 de la Convention (art. 6) en raison de la dure?e de la
proce?dure (vingt voix contre deux);
c) qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole n? 1
(P1-1) (vingt et une voix contre une);
d) qu’il ne s’impose pas d’examiner le grief tire? de la
violation de l’article 14 de la Convention combine? avec l’article 1 du
Protocole n? 1 (art. 14+P1-1) (vingt et une voix contre une).
Le texte inte?gral de son avis et de l’opinion partiellement
dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au pre?sent arrêt (1).
_______________
Note du greffier
1. Pour des raisons d’ordre pratique il n’y figurera que dans
l’e?dition imprime?e (Recueil des arrêts et de?cisions 1996-IV), mais
chacun peut se le procurer aupre?s du greffe.
_______________
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT
56. Dans son me?moire, le Gouvernement
“prie la Cour de dire qu’en l’espe?ce, il n’y a eu violation
ni de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) (droit
d’acce?s) ni de l’article 1 du Protocole n? 1 (P1-1)”.
EN DROIT
I. SUR LES EXCEPTIONS PRELIMINAIRES DU GOUVERNEMENT
57. Le Gouvernement soutient que les reque?rantes n’ont pas e?puise?
les voies de recours internes et que la Cour est incompe?tente ratione
materiae. Sur l’un et l’autre point, il tire argument de ce que la
question du droit de proprie?te? sur les terrains en cause demeure
pendante devant les juridictions internes.
58. Selon les reque?rantes, dans la mesure ou? la proce?dure est
bloque?e depuis treize ans, la question de l’e?puisement des voies de
recours internes ne se pose pas. Par ailleurs, la proprie?te? des
terrains en cause ne prêterait a? aucune controverse (paragraphe 73
ci-dessous).
59. La Cour remarque que, devant la Commission, l’exception de
non-e?puisement des voies de recours internes n’a e?te? souleve?e qu’au
sujet de l’article 1 du Protocole n? 1 (P1-1). Avec le de?le?gue? de la
Commission, elle estime cependant que les exceptions pre?liminaires sont
e?troitement lie?es a? l’examen au fond des griefs de?duits des articles 6
de la Convention et 1 du Protocole n? 1 (art. 6, P1-1). Elle les joint
donc au fond.
II. SUR LES VIOLATIONS ALLEGUEES DES ARTICLES 13 ET 6 PAR. 1 DE LA
CONVENTION (art. 13, art. 6-1)
60. Les reque?rantes se plaignent d’abord de l’absence d’un recours
effectif devant une instance nationale et ensuite de la dure?e des
cinq proce?dures engage?es a? l’encontre des actes litigieux. Elles se
disent victimes d’un manquement aux exigences des articles 13 et
6 par. 1 de la Convention (art. 13, art. 6-1), ainsi libelle?s:
Article 13 (art. 13)
“Toute personne dont les droits et liberte?s reconnus dans la
pre?sente Convention ont e?te? viole?s, a droit a? l’octroi d’un
recours effectif devant une instance nationale, alors même que
la violation aurait e?te? commise par des personnes agissant
dans l’exercice de leurs fonctions officielles.”
Article 6 par. 1 (art. 6-1)
“Toute personne a droit a? ce que sa cause soit entendue
e?quitablement, (…) et dans un de?lai raisonnable, par un
tribunal (…) qui de?cidera (…) des contestations sur ses
droits et obligations de caracte?re civil (…)”
A. Sur le grief tire? du de?faut d’acce?s a? un tribunal
61. Selon les inte?resse?es, le de?faut d’acce?s effectif a? un tribunal
se caracte?rise par le blocage total des proce?dures litigieuses. Quatre
des cinq proce?dures seraient suspendues dans l’attente d’une de?cision
sur le fond dans la proce?dure relative au de?cret-loi n? 173/84, dont
l’objet aurait passe? pour une question pre?judicielle par rapport aux
autres. Or, dans cette proce?dure, la Cour suprême administrative
aurait attendu plus de dix ans l’envoi par le gouvernement du dossier
administratif et, a? ce jour, n’aurait toujours pas reçu la requête
introductive, ni statue?. En l’absence d’un tel envoi, elle aurait
ne?anmoins e?te? tenue, en vertu du droit portugais, de prendre une
de?cision en se fondant sur les e?le?ments disponibles.
62. La Commission souscrit a? cette the?se. Les entraves en cause
porteraient atteinte a? l’essence même du droit des reque?rantes a?
l’acce?s a? un tribunal.
63. Selon le Gouvernement, les inte?resse?es ont eu un acce?s effectif
a? un tribunal en exerçant toutes les voies de recours que leur offrait
le droit interne. Elles auraient ainsi saisi la juridiction
compe?tente. Dans les cinq recours, elles auraient fait valoir leurs
droits en utilisant les me?canismes mis a? leur disposition par le droit
portugais. La proce?dure relative au de?cret-loi n? 173/84 se
poursuivrait, certes avec des retards dus a? des incidents de proce?dure
et a? des circonstances lie?es au fonctionnement du tribunal lui-même.
Toutefois, seule la dure?e de la proce?dure serait en jeu, et non un
de?faut d’acce?s effectif.
64. D’apre?s la Cour, on ne saurait parler d’entraves a? l’acce?s a?
un tribunal lorsqu’un justiciable, repre?sente? par un avocat, saisit
librement le tribunal, pre?sente devant lui ses arguments et exerce
contre les de?cisions rendues les recours qu’il estime utiles. Comme
le Gouvernement le rele?ve a? juste titre, la socie?te? M. e S. a
fait usage des recours disponibles en droit portugais. La circonstance
que les proce?dures traînent ne concerne pas l’acce?s a? un tribunal. Les
difficulte?s rencontre?es sont donc de de?roulement et non d’acce?s.
Bref, il n’y a eu violation ni de l’article 13 (art. 13) ni,
a? cet e?gard, de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), les exigences du premier
(art. 13) e?tant d’ailleurs moins strictes que celles du second
(art. 6-1) et entie?rement absorbe?es par elles en l’espe?ce.
B. Sur le grief tire? de la dure?e des proce?dures
65. Selon les reque?rantes, les proce?dures ont enfreint, par leur
longueur, l’article 6 par. 1 (art. 6-1). La dure?e excessive de
celles-ci produirait les mêmes effets que le de?faut d’acce?s effectif
a? un tribunal.
66. Le Gouvernement reconnaît de?sormais que la proce?dure relative
au recours contre le de?cret-loi n? 173/84 s’est de?roule?e jusqu’a? ce
jour avec des retards, sa dure?e, et par conse?quent celle des
quatre autres proce?dures, de?passant les attentes le?gitimes.
67. La Commission ayant conclu a? la violation de l’article 6
par. 1 (art. 6-1) en raison du de?faut d’acce?s effectif a? un tribunal,
elle a estime? qu’aucune question se?pare?e ne se posait en raison de la
longueur des proce?dures.
68. La Cour constate que les proce?dures litigieuses ont de?bute?
respectivement les 18 avril 1983, 15 novembre 1983, 9 juillet 1984,
8 fe?vrier 1988 et 23 mars 1991, et demeurent pendantes. Leur dure?e
s’e?tend donc, a? la date d’adoption du pre?sent arrêt, sur respectivement
treize ans et quatre mois, douze ans et neuf mois, douze ans et un mois
et demi, huit ans et demi et, enfin, sur cinq ans et cinq mois environ.
69. Le Gouvernement conce?dant qu’il y a eu manquement, la Cour ne
juge pas ne?cessaire d’examiner le caracte?re raisonnable de la dure?e de
chacune des proce?dures en cause a? l’aide des crite?res qui se de?gagent
de sa jurisprudence. Il ne fait aucun doute que la dure?e des
proce?dures, envisage?e globalement, ne peut passer pour “raisonnable”
en l’espe?ce.
70. Eu e?gard a? l’ensemble de ces conside?rations, la Cour rejette
les exceptions pre?liminaires du Gouvernement quant a? cette partie de
l’affaire et estime qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1
(art. 6-1) sur ce point.
III. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE N? 1
(P1-1)
71. Les reque?rantes se plaignent aussi de trois actes
d’expropriation et de deux actes analogues a? l’expropriation. Elles
y voient une infraction a? l’article 1 du Protocole n? 1 (P1-1), ainsi
libelle?:
“Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses
biens. Nul ne peut être prive? de sa proprie?te? que pour cause
d’utilite? publique et dans les conditions pre?vues par la loi
et les principes ge?ne?raux du droit international.
Les dispositions pre?ce?dentes (P1-1) ne portent pas atteinte
au droit que posse?dent les Etats de mettre en vigueur les lois
qu’ils jugent ne?cessaires pour re?glementer l’usage des biens
conforme?ment a? l’inte?rêt ge?ne?ral ou pour assurer le paiement
des impôts ou d’autres contributions ou des amendes.”
A. Sur l’existence d’un “bien”
72. Le Gouvernement consacre l’essentiel de son argumentation a?
soutenir que les reque?rantes ne disposaient d’aucun “bien” au sens de
l’article 1 du Protocole n? 1 (P1-1). La situation juridique de la
socie?te? M. e S. en tant que proprie?taire des terrains litigieux
serait controverse?e sur le plan interne. En conse?quence, les
inte?resse?es ne pourraient alle?guer la violation d’un droit de proprie?te?
qui n’est pas e?tabli.
73. Les reque?rantes nient l’existence en droit portugais d’une
controverse. Elles soulignent qu’une partie des terrains n’a jamais
de?pendu de la concession royale. Le droit de proprie?te? sur les
terrains autrefois objet de ladite concession de 1884 de?coulerait de
la pre?somption le?gale re?sultant de l’inscription au registre foncier
de leur achat en 1899, inscription dont la validite? n’aurait jamais e?te?
conteste?e. En tout e?tat de cause, la concession de 1884 elle-même
aurait de?ja? ope?re? le transfert de la proprie?te? au concessionnaire de
l’e?poque. L’Etat aurait d’ailleurs toujours conside?re? la socie?te?
M. e S. comme proprie?taire desdits terrains puisque notamment il
en aurait acquis, en 1969, a? titre one?reux, une vaste parcelle pour y
installer l’ae?roport de Faro et n’aurait cesse? de percevoir les impôts
fonciers sur l’ensemble des terrains. De toute manie?re, la socie?te?
M. e S. en serait devenue proprie?taire par usucapion. Enfin, le
ministe?re public lui-même dans ses conclusions du 8 mars 1995 sur le
recours contre le de?cret-loi n? 173/84 aurait reconnu le droit de
proprie?te? de la socie?te? sur la “Quinta do Ludo”.
74. La Commission estime que pour les besoins du pre?sent litige,
il y a lieu de conside?rer la socie?te? M. e S. comme proprie?taire
des terrains en cause.
75. A l’instar de la Commission, la Cour souligne que le droit de
proprie?te? sur une partie des terrains n’est pas conteste?.
Quant a? l’autre partie (paragraphe 11 ci-dessus), la Cour
convient avec le Gouvernement qu’il ne lui appartient pas de trancher
la question de savoir s’il y a ou non droit de proprie?te? au niveau
interne. Elle rappelle cependant que la notion de “biens” (en
anglais “possessions”) de l’article 1 du Protocole n? 1 (P1-1) a une
porte?e autonome (voir l’arrêt Gasus Dosier- und Fördertechnik GmbH
c. Pays-Bas du 23 fe?vrier 1995, se?rie A n? 306-B, p. 46, par. 53).
Dans la pre?sente affaire, les droits inconteste?s des reque?rantes
pendant pre?s d’un sie?cle sur les terrains litigieux et les profits
qu’elles tirent de leur exploitation peuvent passer pour des “biens”
aux fins de l’article 1 (P1-1).
B. Sur l’existence d’une inge?rence
76. Selon les reque?rantes, l’inge?rence dans leur droit au respect
des biens ne fait aucun doute. Les terrains en cause se trouveraient
frappe?s de plusieurs limitations. Outre une interdiction de bâtir et
l’existence de servitudes ainsi que de restrictions touchant
l’ame?nagement des terrains, la rentabilite? de ceux-ci serait a? l’heure
actuelle infe?rieure de 40 % environ par rapport a? 1983. Par ailleurs,
toute possibilite? de vente de terrains serait exclue puisque les
e?ventuels acheteurs seraient de?courage?s par leur situation juridique.
La suspension des effets du de?cret-loi n? 173/84 n’aurait pas
d’influence sur les limitations au droit de proprie?te? re?sultant des
actes successifs du gouvernement depuis le 1er mars 1983. Enfin,
l’Etat n’aurait jamais verse? ni propose? une quelconque compensation.
77. D’apre?s le Gouvernement, il n’y a pas eu privation de
proprie?te?. La proce?dure d’expropriation n’aurait jamais e?te?
de?clenche?e, de même qu’il n’y aurait eu aucune intervention concernant
les terrains, lesquels seraient dans la même situation qu’auparavant.
Aux termes des articles 9 et suivants du code des expropriations de
1976, la de?claration d’utilite? publique constituerait un acte pre?alable
a? la proce?dure d’expropriation. A elle seule, elle n’affecterait pas
le contenu du droit de proprie?te? et n’entraînerait aucune
indisponibilite?, d’autant plus qu’elle deviendrait caduque apre?s
deux ans. De ce fait, pendant ladite pe?riode, les actes n’auraient
produit ni inge?rence, ni transfert, ni modification du titre sur la
base duquel les reque?rantes exploitent les terrains. En outre, le
de?cret-loi n? 173/84 aurait vide? les actes ante?rieurs de tout contenu
et les aurait prive?s de toute possibilite? de produire des effets a?
l’avenir. Il aurait uniquement entraîne? une re?vocation de la
concession et non une expropriation. Ledit de?cret, dont la Cour
suprême administrative a suspendu les effets par un arrêt du
18 juillet 1985, n’aurait produit aucune inge?rence. En conclusion, on
ne constaterait aucune modification re?elle, ni du titre juridique en
vertu duquel les reque?rantes cultivent les terrains en question, ni des
conditions mate?rielles de l’exploitation.
78. La Commission conside?re que les actes litigieux constituent une
inge?rence dans le droit au respect des biens. Plus particulie?rement,
l’exercice concret de la maîtrise des reque?rantes sur les terrains
litigieux se trouverait fortement limite?, car les activite?s agricoles,
piscicoles et salinie?res des inte?resse?es ne pourraient se de?velopper
et une interdiction de construire pe?serait sur les terrains.
79. Comme la Commission, la Cour note que si les actes en cause
laissent juridiquement intact le droit des inte?resse?es de disposer et
d’user de leurs biens, ils n’en re?duisent pas moins, dans une large
mesure, la possibilite? pratique de l’exercer. Ils touchent aussi a? la
substance même de la proprie?te? en ce que trois d’entre eux
reconnaissent par avance la le?galite? d’une expropriation. Les deux
autres mesures, l’une cre?ant et l’autre organisant la re?serve naturelle
de la Ria Formosa, limitent e?galement sans conteste le droit a? user des
biens. Durant environ treize ans, les reque?rantes sont ainsi demeure?es
dans l’incertitude quant au sort de leurs biens. L’ensemble des
de?cisions litigieuses a eu pour re?sultat que depuis 1983, leur droit
sur lesdits biens est devenu pre?caire. Malgre? l’existence d’un recours
contre les actes litigieux, la situation e?tait, en pratique, la même
que s’il n’en existait aucun.
En conclusion, les reque?rantes ont subi une inge?rence dans leur
droit au respect de leurs biens dont les conse?quences ont e?te?, sans nul
doute, aggrave?es par l’utilisation combine?e des de?clarations d’utilite?
publique et de la cre?ation d’une re?serve naturelle pendant une longue
dure?e (voir l’arrêt Sporrong et Lönnroth c. Sue?de du 23 septembre 1982,
se?rie A n? 52, pp. 23-24, par. 60).
C. Sur la justification de l’inge?rence
80. Reste a? rechercher si l’inge?rence ainsi constate?e enfreint ou
non l’article 1 (P1-1).
1. La re?gle applicable
81. L’article 1 (P1-1) garantit en substance le droit de proprie?te?.
Il contient trois normes distinctes: la premie?re, qui s’exprime dans
la premie?re phrase et revêt un caracte?re d’ordre ge?ne?ral, e?nonce le
principe du respect des biens; la deuxie?me, figurant dans la
seconde phrase du même aline?a, vise la privation de proprie?te? et la
soumet a? certaines conditions; quant a? la troisie?me, consigne?e dans le
second aline?a, elle reconnaît aux Etats contractants le pouvoir, entre
autres, de re?glementer l’usage des biens conforme?ment a? l’inte?rêt
ge?ne?ral en mettant en vigueur les lois qu’ils jugent ne?cessaires a?
cette fin. Il ne s’agit pas pour autant de re?gles de?pourvues de
rapport entre elles: la deuxie?me et la troisie?me ont trait a? des
exemples particuliers d’atteinte au droit de proprie?te?; de?s lors, elles
doivent s’interpre?ter a? la lumie?re du principe consacre? par la premie?re
(voir, entre autres, l’arrêt Phocas c. France du 23 avril 1996,
Recueil des arrêts et de?cisions 1996-II, pp. 541-542, par. 51).
82. D’apre?s les reque?rantes, les effets combine?s des cinq actes ont
entraîne? une expropriation de fait de leurs biens. Les deux premiers
desdits actes seraient de ve?ritables mesures d’expropriation puisque,
en droit portugais, la de?claration d’utilite? publique de?clenche le
processus d’expropriation et serait suivie d’un simple acte exe?cutoire.
Le troisie?me s’intitulerait lui-même expropriation. Pourtant, aucune
indemnite? n’aurait e?te? verse?e aux reque?rantes. Le proprie?taire
perdrait tout droit de vendre sa proprie?te? en l’e?tat pre?ce?dent; il ne
pourrait transmettre que des droits pre?caires. En tout e?tat de cause,
il ne serait plus possible d’exploiter normalement des terrains frappe?s
de trois de?clarations d’utilite? publique, de plusieurs interdictions,
y inclus celle de construire, de plusieurs servitudes et d’une
autorisation permettant a? l’Etat de prendre possession imme?diatement
des terrains.
83. Selon le Gouvernement, on ne saurait parler d’une privation de
proprie?te? ni de droit ni de fait, ou d’une atteinte au mode
d’exploitation des terrains en cause.
84. La Commission estime que l’inge?rence ne s’analyse pas en une
expropriation de fait. Les limitations apporte?es par les actes
litigieux, a? l’exception du de?cret-loi n? 173/84, visaient la
re?glementation de l’usage des biens. Il s’imposerait d’examiner les
diffe?rentes mesures a? la lumie?re des dispositions combine?es de la
premie?re phrase du premier aline?a de l’article 1 du Protocole n? 1
(P1-1-1) et du deuxie?me aline?a de cette disposition (P1-1-2).
85. D’apre?s la Cour, il n’y a eu en l’espe?ce ni expropriation
formelle ni expropriation de fait. Les effets des mesures ne sont pas
tels qu’on puisse les assimiler a? une privation de proprie?te?. Comme
le de?le?gue? de la Commission le souligne, la situation n’est pas
irre?versible comme elle l’e?tait dans l’affaire
Papamichalopoulos et autres c. Gre?ce (arrêt du 24 juin 1993, se?rie A
n? 260-B, p. 70, paras. 44-45). Les limitations au droit de proprie?te?
de?rivent de la diminution de la disponibilite? des biens ainsi que des
pre?judices subis en raison du fait qu’une expropriation e?tait
envisage?e. Quoiqu’il ait perdu de sa substance, le droit en cause n’a
pas disparu. La Cour note ainsi que toute manie?re raisonnable
d’exploiter le bien-fonds n’a pas disparu car les reque?rantes ont
continue? a? exploiter les terrains. La seconde phrase du premier aline?a
ne trouve donc pas a? s’appliquer en l’espe?ce.
Bien que les mesures n’aient pas toutes la même porte?e
juridique et visent des buts diffe?rents, il faut les examiner ensemble
au regard de la premie?re phrase du premier aline?a de l’article 1 du
Protocole n? 1 (P1-1-1).
2. Le respect de la norme e?nonce?e a? la premie?re phrase du
premier aline?a
86. Aux fins de la premie?re phrase du premier aline?a, la Cour doit
rechercher si un juste e?quilibre a e?te? maintenu entre les exigences de
l’inte?rêt ge?ne?ral de la communaute? et les impe?ratifs de la sauvegarde
des droits fondamentaux de l’individu (arrêt Sporrong et Lönnroth
pre?cite?, p. 26, par. 69).
a) Quant a? l’inte?rêt ge?ne?ral
87. Selon les reque?rantes, l’examen des cinq mesures n’indique
aucunement une strate?gie cohe?rente a? l’e?gard de leurs biens.
88. Même si la destination donne?e aux biens des reque?rantes a
change? a? plusieurs reprises, la Cour admet, avec la Commission, que les
mesures poursuivaient l’inte?rêt public invoque? par le Gouvernement, a?
savoir l’ame?nagement du territoire dans une perspective de protection
de l’environnement.
b) Quant au maintien d’un juste e?quilibre entre les
inte?rêts en pre?sence
89. D’apre?s les reque?rantes, les mesures prises n’ont jamais e?te?
ne?cessaires a? l’inte?rêt public puisque aucune suite n’y a e?te? donne?e.
L’Etat portugais n’aurait pas mis en oeuvre les programmes que les
trois actes d’expropriation devaient permettre de lancer. Il n’aurait
jamais construit de station d’aquaculture, ni ame?nage? de re?serve
inte?grale pour les oiseaux migrateurs, ou de re?serve naturelle
ge?ne?rale.
90. Selon le Gouvernement, les de?cisions en cause respectaient un
e?quilibre ade?quat et raisonnable entre l’inte?rêt public poursuivi et
les divers inte?rêts prive?s quant a? l’usage et au profit individuels du
sol. En l’occurrence, l’Etat se devait d’empêcher les utilisations
abusives et spe?culatives de celui-ci. La dure?e de la proce?dure ne
pourrait entrer en ligne de compte.
91. Quant au rapport de proportionnalite?, la Commission est d’avis
que la longue dure?e des proce?dures, double?e de l’impossibilite?
d’obtenir jusqu’ici un de?dommagement, ne fût-ce que partiel, des
pre?judices subis, a constitue? une rupture de l’e?quilibre devant re?gner
entre la sauvegarde du droit de proprie?te? et les exigences de l’inte?rêt
ge?ne?ral.
92. La Cour reconnaît que les diverses mesures prises a? l’e?gard des
biens dont il s’agit n’e?taient pas de?pourvues de base raisonnable.
Elle observe toutefois que, dans les circonstances de la cause,
elles ont eu pour les reque?rantes des re?percussions se?rieuses et
dommageables entravant la jouissance normale de leur droit depuis plus
de treize ans, pe?riode durant laquelle les proce?dures n’ont gue?re
avance?. La longue incertitude au sujet tant du sort des biens que de
la question de l’indemnisation a encore aggrave? les effets
pre?judiciables des mesures litigieuses.
Il en est re?sulte? que les reque?rantes ont eu a? supporter une
charge spe?ciale et exorbitante qui a rompu le juste e?quilibre devant
re?gner entre, d’une part, les exigences de l’inte?rêt ge?ne?ral et,
d’autre part, la sauvegarde du droit au respect des biens.
93. Eu e?gard a? l’ensemble de ces conside?rations, la Cour rejette
les moyens pre?liminaires du Gouvernement quant a? cette partie de
l’affaire et estime qu’il y a eu violation de l’article 1 du
Protocole n? 1 (P1-1).
IV. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION
COMBINE AVEC L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE N? 1 (art. 14+P1-1)
94. Les reque?rantes alle?guent enfin une violation de l’article 14
de la Convention combine? avec l’article 1 du Protocole n? 1
(art. 14+P1-1): l’atteinte au droit garanti par cette dernie?re
disposition (P1-1) aurait affecte? exclusivement leurs terrains et non
ceux de leurs voisins, alors qu’il n’y aurait entre ces terrains aucune
diffe?rence de nature. En conse?quence, elles n’auraient pu tirer du
potentiel de de?veloppement touristique des terrains un profit analogue
a? celui obtenu par les proprie?taires des terrains contigus.
95. Le Gouvernement explique que la re?serve naturelle inte?gre
d’autres terrains que ceux des reque?rantes et que, si discrimination
il y avait, ce ne serait pas l’Etat qui la cre?erait, mais la nature
elle-même.
96. Eu e?gard a? la conclusion formule?e au paragraphe 93 ci-dessus,
et comme la Commission, la Cour n’estime pas ne?cessaire d’examiner
se?pare?ment la question sous l’angle de l’article 14 de la Convention
combine? avec l’article 1 du Protocole n? 1 (art. 14+P1-1).
V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 DE LA CONVENTION (art. 50)
97. Aux termes de l’article 50 de la Convention (art. 50),
“Si la de?cision de la Cour de?clare qu’une de?cision prise ou
une mesure ordonne?e par une autorite? judiciaire ou toute autre
autorite? d’une Partie Contractante se trouve entie?rement ou
partiellement en opposition avec des obligations de?coulant de
la (…) Convention, et si le droit interne de ladite Partie
ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conse?quences de
cette de?cision ou de cette mesure, la de?cision de la Cour
accorde, s’il y a lieu, a? la partie le?se?e une satisfaction
e?quitable.”
A. Dommage
98. Selon les reque?rantes, la re?paration du dommage mate?riel
alle?gue? devrait les placer dans une situation e?quivalant a? celle ou?
elles se trouveraient si les actes illicites n’avaient pas e?te? pose?s.
La somme alloue?e devrait correspondre a? la re?paration in natura. Elle
devrait tenir compte de la valeur actuelle de l’indemnite? due en raison
des actes litigieux, de la perte de la jouissance subie et du manque
a? gagner re?sultant du fait qu’elles n’auraient pu profiter du
de?veloppement touristique de l’Algarve et auraient perdu des occasions
d’expansion de leurs activite?s.
Pour appre?cier le dommage ainsi de?fini, il y aurait lieu de
de?terminer quelle aurait e?te? leur situation financie?re en l’absence
d’une intervention de l’Etat. A cet effet, les reque?rantes ont produit
une e?valuation de?taille?e du dommage mate?riel, laquelle fixe a?
20 458 463 000 escudos (PTE) la valeur de l’indemnite? due en 1983,
capitalise?e moyennant les taux pre?vus au code des expropriations de
1976.
Un montant identique serait dû au cas ou? la Cour conside?rerait
licite l’expropriation ope?re?e en 1983. En effet, la valeur actuelle
de la proprie?te? serait de 12 687 240 000 PTE qu’il faudrait augmenter
de 7 771 223 000 PTE a? titre de perte re?elle d’occasions de vente.
Les reque?rantes se plaignent e?galement d’un dommage moral: le
litige aurait suscite? dans leur chef des sentiments de frustration,
d’impuissance, de souffrance et de re?volte compte tenu de la manie?re
brutale dont leurs droits auraient e?te? “e?crase?s” et du traitement
discriminatoire dont elles auraient fait l’objet. A ce titre, elles
re?clament 60 000 000 PTE.
Ces montants devraient être augmente?s d’inte?rêts au taux le?gal
de 15 % l’an a? compter du jour du de?pôt de leur me?moire jusqu’au jour
du paiement.
99. D’apre?s le Gouvernement, la re?paration in natura reste un moyen
de redressement ade?quat. Par ailleurs, la demande des reque?rantes
serait de?pourvue de fondement. Les terrains en cause n’auraient eu et
n’auront jamais les potentialite?s qui servent de base a? l’e?valuation
des reque?rantes. Ainsi, ils n’auraient pas les caracte?ristiques les
destinant a? la construction et a? une urbanisation touristique. Les
terrains seraient en outre assujettis depuis trente ans a? une servitude
ae?ronautique. Le Conseil supe?rieur des travaux publics aurait effectue?
re?cemment une e?valuation