Conclusion Dommage mat?riel – r?paration p?cuniaire ; Pr?judice moral – r?paration p?cuniaire ; Remboursement partiel frais et d?pens – proc?dure de la Convention
AFFAIRE IATRIDIS c. GR?CE
(Requ?te no31107/96)
ARR?T
(Satisfaction ?quitable/Just satisfaction)
Strasbourg, 19 octobre/October 2000
En l’affaire Iatridis c. Gr?ce,
La Cour europ?enne des Droits de l’Homme, si?geant en une Grande Chambre compos?e des juges dont le nom suit :
Mme E. Palm, pr?sidente,
MM. L. Ferrari Bravo,
Gaukur J?rundsson,
G. Bonello,
L. Caflisch,
I. Cabral Barreto,
K. Jungwiert,
M. Fischbach,
J. Casadevall,
B. Zupančič,
Mme N. Vajić,
M. J. Hedigan,
Mmes W. Thomassen,
M. Tsatsa-Nikolovska,
MM. E. Levits,
K. Traja,
C. Yeraris, juge ad hoc,
ainsi que de M. P.J. Mahoney, greffier adjoint,
Apr?s en avoir d?lib?r? en chambre du conseil les 21 juin et 27 septembre 2000,
Rend l’arr?t que voici, adopt? ? cette derni?re date :
PROC?DURE
1. L’affaire a ?t? d?f?r?e ? la Cour, telle qu’?tablie en vertu de l’ancien article 19 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libert?s fondamentales (? la Convention ?), par le gouvernement grec (? le Gouvernement ?) le 30 juillet 1998, dans le d?lai de trois mois qu’ouvraient les anciens articles 32 ? 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requ?te (no 31107/96) dirig?e contre la R?publique hell?nique et dont un ressortissant de cet Etat, M. G. I., avait saisi la Commission europ?enne des Droits de l’Homme (? la Commission ?) le 28 mars 1996, en vertu de l’ancien article 25.
2. Dans son arr?t du 25 mars 1999 (? l’arr?t au principal ?), la Cour a conclu ? la violation des articles 1 du Protocole no 1 (? l’unanimit?) et 13 de la Convention (par seize voix contre une). Plus pr?cis?ment, en ce qui concerne l’article 1 du Protocole no 1, elle a estim? que l’ing?rence litigieuse ?tait manifestement ill?gale sur le plan du droit interne et, par cons?quent, incompatible avec le droit au respect des biens du requ?rant (arr?t Iatridis c. Gr?ce [GC], no 31107/96, ? 62, CEDH 1999-II).
3. En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, le requ?rant r?clamait une satisfaction ?quitable de l’ordre de plusieurs millions de drachmes pour les pr?judices subis ainsi que pour frais et d?pens. Toutefois, le Gouvernement n’ayant pas pr?sent? de conclusions pr?cises quant aux pr?tentions du requ?rant, la Cour avait r?serv? en entier la question de l’application de cet article et invit? les parties ? lui adresser par ?crit, dans les trois mois, leurs observations en la mati?re et notamment ? lui donner connaissance de tout accord auquel elles pourraient aboutir (ibidem, ? 73, et point 6 du dispositif).
4. Le requ?rant d?posa ses observations le 23 juin 1999 et le Gouvernement en fit de m?me le 15 juillet 1999.
5. Le 21 juillet 1999, le requ?rant introduisit une nouvelle requ?te devant la Cour. Il all?guait une nouvelle violation des articles 1 du Protocole no 1 et 13 de la Convention, en raison du refus des autorit?s de lui restituer le cin?ma en cause apr?s l’arr?t de la Cour du 25 mars 1999. Il souligna que l’attitude du Gouvernement, depuis cette date, d?montrait que celui-ci consid?rait que l’arr?t en question ne produisait aucun effet quant au statut futur du cin?ma.
La pr?sidente de la Grande Chambre r?pondit qu’il appartiendrait ? la Cour de d?cider si cette question pouvait ?tre consid?r?e comme une nouvelle requ?te ou si elle devait ?tre trait?e comme faisant partie de l’application de l’article 41 de la Convention. Elle invita, en outre, le Gouvernement ? inclure, dans ses observations compl?mentaires ? venir, ses arguments sur la question de la non-restitution du cin?ma.
6. Le 27 octobre 1999, le requ?rant d?posa ses observations en r?ponse ? celles du Gouvernement du 15 juillet 1999. Le 5 novembre 1999, le Gouvernement pr?senta des observations compl?mentaires.
7. Compte tenu des positions diam?tralement oppos?es des parties et afin de permettre ? la Cour de disposer d’?l?ments objectifs sur lesquels fonder sa d?cision, la pr?sidente de la Grande Chambre et le juge rapporteur d?cid?rent, le 21 f?vrier 2000, d’inviter les parties ? produire les pi?ces et informations suivantes :
? a) une estimation de la valeur du terrain sur lequel se situe le cin?ma du requ?rant, accompagn?e dans la mesure du possible des pi?ces justificatives officielles ;
b) les extraits des d?clarations fiscales du requ?rant ? non encore communiqu?s par le Gouvernement ? qui prouveraient, d’apr?s le requ?rant, que ses revenus nets provenant de la vente des billets ainsi que des publicit?s et des consommations au bar, seraient sup?rieurs ? ceux avanc?s par le Gouvernement dans ses observations ? la Cour. ?
8. Requ?rant et Gouvernement d?pos?rent leurs observations et les documents pertinents le 24 mars et le 6 avril 2000 respectivement.
EN DROIT
9. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
? Si la Cour d?clare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les cons?quences de cette violation, la Cour accorde ? la partie l?s?e, s’il y a lieu, une satisfaction ?quitable. ?
A. Dommage mat?riel
1. Th?ses du requ?rant et du Gouvernement contenues dans leurs observations du 23 juin et du 15 juillet 1999 respectivement
a) Th?se du requ?rant
10. Au titre du dommage mat?riel, le requ?rant sollicite 317 190 000 drachmes (GRD) pour manque ? gagner sur la vente des billets d’entr?e, la publicit? et les consommations au bar, ainsi que pour la valeur du mat?riel usurp? lors de l’expulsion.
11. Pour le manque ? gagner sur les billets d’entr?e, il r?clame 173 320 000 GRD. Il ressortirait des livres comptables du requ?rant, certifi?s par le fisc, que le nombre annuel des billets d’entr?e avant son expulsion et jusqu’en 1988 ?tait de 24 520 par saison ; avec une augmentation annuelle moyenne de 5 %, le nombre de billets s’?tablirait ? 312 800 pour la d?cennie 1988-1998.
12. Le requ?rant souligne que les revenus hypoth?tiques de l’exploitation du seul cin?ma pendant cette d?cennie doivent ?tre estim?s sur la base de l’exploitation du cin?ma par lui-m?me et non sur celle de l’exploitation par un tiers, comme la municipalit? d’Ilioupolis. Son cin?ma ?tait une entreprise familiale et, avec l’aide de sa femme et de ses enfants, il pouvait s’acquitter de toutes les t?ches n?cessaires ? son fonctionnement sauf celles accomplies par le projectionniste.
13. Pour le manque ? gagner sur la publicit?, le requ?rant demande 100 000 000 GRD. Ces pr?tentions s’appuieraient sur des factures certifi?es par le fisc et jointes au dossier devant la Cour.
14. Pour le manque ? gagner sur les consommations au bar, le requ?rant sollicite 33 870 000 GRD. Tout en admettant qu’il serait impossible d’?tablir de mani?re fiable les revenus d’un tel bar, en raison de l’absence de comptabilit?, il part de l’hypoth?se qu’un spectateur sur trois consomme au bar, que le prix de la consommation moyenne est le tiers du prix d’entr?e et que la marge de profit est au moins de 50 %.
15. En outre, il estime la valeur du mat?riel qu’il n’aurait pas r?cup?r? apr?s l’expulsion ? 10 000 000 GRD. Il pr?tend que les services de la mairie d’Ilioupolis continuent ? refuser de lui restituer le mat?riel usurp?.
16. Enfin, il soutient que le refus de la mairie d’Ilioupolis de lui rendre le cin?ma pour la saison 1999 aurait eu pour effet de le priver des revenus d’une ann?e suppl?mentaire, qu’il ?value ? 10 % du total r?clam?.
b) Th?se du Gouvernement
17. En premier lieu, le Gouvernement soutient que la violation de l’article 1 du Protocole no 1 n’aurait pas priv? le requ?rant de la possibilit? de continuer ? faire fonctionner son entreprise en utilisant un autre local dans le m?me quartier. De plus, les cin?mas de plein air auraient connu un d?clin radical entre 1975 et 1995, ce qui aurait entra?n? une diminution spectaculaire de leur nombre et incit? l’Etat ? les soutenir en raison de leur valeur culturelle. Cela expliquerait ?ventuellement la r?ticence du requ?rant ? transf?rer son entreprise ailleurs.
18. Quant aux pr?tentions du requ?rant, le Gouvernement all?gue que celui-ci n’a droit ? aucune indemnit? car il n’a pas transf?r? son entreprise ailleurs. M?me s’il ?tait rest? dans les lieux, l’exploitation du cin?ma aurait ?t? d?ficitaire et le cin?ma aurait probablement ferm? ; ? supposer m?me qu’il y ait simplement eu manque ? gagner au cas o? le requ?rant aurait pu continuer d’exploiter le cin?ma, celui-ci n’aurait pu d?passer
11 401 727 GRD.
19. Le Gouvernement dresse une comparaison entre les r?sultats du cin?ma lorsqu’il ?tait exploit? par le requ?rant et lorsqu’il fonctionnait sous le contr?le de la mairie. Les ?l?ments concernant les premiers seraient tir?s des d?clarations fiscales du requ?rant. Il en ressort que, pour la p?riode 1983-1988, les b?n?fices nets r?alis?s par l’exploitation du cin?ma s’?levaient ? 1 795 983 GRD et que le revenu net annuel du requ?rant ?tait de 359 196 GRD. Il est ?vident que m?me si le requ?rant avait continu? ? exploiter son cin?ma apr?s 1988, il n’aurait pu ? au mieux ? que maintenir ces recettes, compte tenu de la crise du cin?ma de plein air pendant cette p?riode. A supposer m?me que le requ?rant e?t pu augmenter ses recettes, cette augmentation n’aurait pas d?pass? 10 % par an.
20. Pour calculer les revenus que le requ?rant aurait per?us pendant la p?riode 1989-1998, le Gouvernement prend comme point de d?part la recette la plus favorable du requ?rant, celle de 1988 (566 069 GRD), en l’augmentant de 10 %. Il arrive ? la conclusion que les revenus du requ?rant de 1989 ? 1998 se seraient ?lev?s ? 9 929 064 GRD, somme qui, apr?s r?ajustement sur la base de l’indice des prix ? la consommation, mais aussi apr?s d?ductions fiscales, atteindrait 11 401 727 GRD. Toutefois, les r?sultats financiers de l’exploitation du cin?ma, en tant qu’entreprise municipale pendant la p?riode 1989-1998, d?montrent que l’entreprise ? si elle avait ?t? dirig?e par le requ?rant ? aurait ?t? d?ficitaire pendant cette p?riode. En effet, le cin?ma municipal avait fait un b?n?fice net de 17 065 097 GRD pendant cette p?riode. Si le cin?ma avait ?t? exploit? par le requ?rant, il aurait fallu d?duire aussi les loyers dus par celui-ci ; son bilan aurait alors pr?sent? un passif de 7 109 424 GRD.
21. Enfin, le Gouvernement souligne les diff?rences importantes entre les sommes que le requ?rant a sollicit?es devant les tribunaux nationaux et plus tard devant la Cour.
2. Th?ses du requ?rant et du Gouvernement contenues dans leurs observations compl?mentaires du 27 octobre et du 5 novembre 1999 respectivement
a) Th?se du requ?rant
22. Le requ?rant qualifie les arguments du Gouvernement de fallacieux, voire de malhonn?tes. Il souligne que le fait pour le Gouvernement de produire ses d?clarations d’imp?ts constitue une violation de la loi grecque, qui impose le secret ? cet ?gard. Il lui reproche en outre d’en produire seulement des extraits afin de faire croire, par exemple, que ses revenus pour l’ann?e 1988 se limitaient ? 566 069 GRD, et de ne fournir qu’un seul des trois feuillets de la d?claration, celui concernant les recettes provenant de la vente des billets. Si le Gouvernement avait pris en compte la d?claration dans son int?gralit?, il aurait constat? que les revenus nets du requ?rant pour l’ann?e 1988 s’?levaient ? 3 344 624 GRD. Ce montant devrait aussi ?tre ajust?, d’une part, pour tenir compte de l’augmentation du prix du billet d’entr?e, qui ?tait de 200 GRD en 1988 et de 1 400 GRD en 1998, ce qui impose une multiplication par sept de la somme pr?cit?e, d’autre part, parce que le manque ? gagner s’?tend sur une p?riode de onze ans, c’est-?-dire de 1989 ? 1999. Ainsi, la somme pr?cit?e atteindrait 257 536 048 GRD.
23. Quant aux ?l?ments comparatifs tir?s de l’exploitation du cin?ma par la municipalit?, le requ?rant nie cat?goriquement que son cin?ma ait ?t? affect? par la crise. En outre, et surtout, le fonctionnement d’une entreprise municipale ne saurait nullement servir de mod?le de comparaison pour le fonctionnement d’une entreprise priv?e. Le nombre de billets vendus lorsque le requ?rant dirigeait le cin?ma aurait ?t? nettement sup?rieur au nombre de billets vendus par l’entreprise municipale. La cession du cin?ma ? la municipalit? aurait entra?n? une augmentation des frais d’exploitation de plus de 100 %, une baisse du prix du billet d’entr?e de 20 % ? 25 % par rapport ? la moyenne et l’institution d’une pratique selon laquelle deux jours par semaine auraient ?t? consacr?s ? des films non commerciaux. De plus, le cin?ma aurait fonctionn? sans concurrence ? la suite de la fermeture de deux autres cin?mas de plein air dans le quartier. Enfin, le bilan de l’exploitation du cin?ma par la mairie omettait d’indiquer les revenus provenant du bar et de la publicit?.
24. En pr?tendant que le requ?rant aurait pu transf?rer son entreprise sur n’importe quel autre terrain, le Gouvernement tenterait en fait de d?placer sur le requ?rant la responsabilit? de l’ill?galit? commise par les autorit?s grecques. Il n’est pas du tout certain que le requ?rant aurait pu trouver un terrain appropri? pour y transf?rer son entreprise, d’autant plus que, depuis que l’Etat a class? monuments historiques les cin?mas de plein air, les propri?taires de terrains ne les louent plus ? des entreprises de ce genre. Enfin, la municipalit? aurait tr?s bien pu installer un cin?ma sur un des nombreux terrains qu’elle poss?de.
b) Th?se du Gouvernement
25. Le Gouvernement souligne que le requ?rant ne conteste pas, dans ses observations compl?mentaires, la m?thode de calcul utilis?e par lui-m?me. Le manque ? gagner pour 1999 invoqu? par le requ?rant devrait ?tre calcul? aussi sur la base de la m?thode propos?e, et les int?r?ts moratoires ? partir de l’expiration du d?lai de trois mois suivant le prononc? de l’arr?t sur l’article 41, en appliquant un taux de 6 % et non de 21 % comme le propose le requ?rant.
26. Quant aux observations que le requ?rant a d?pos?es sous la forme d’une nouvelle requ?te, elles devraient ?tre d?clar?es irrecevables ratione materiae, car elles ne constitueraient pas de nouvelles all?gations par rapport ? celles contenues dans sa requ?te initiale. De plus, dans la mesure o? ces all?gations pourraient ?tre consid?r?es comme se r?f?rant ? l’ex?cution de l’arr?t du 25 mars 1999, la Cour ne serait pas comp?tente pour les examiner car cette t?che incombe au Comit? des Ministres du Conseil de l’Europe.
27. La restitution du cin?ma ne saurait faire partie de la satisfaction ?quitable ? accorder au requ?rant au titre de l’article 41. Une indemnit? ?ventuelle ne pourrait que r?parer les dommages mat?riel et moral r?sultant de l’impossibilit? de faire fonctionner le cin?ma ? la suite de l’?viction du requ?rant du local litigieux.
28. Enfin, quant au caract?re secret des d?clarations d’imp?ts invoqu? par le requ?rant, il n’existerait qu’? l’?gard des tiers et non ? l’?gard de l’int?ress? (article 85 ? 2 de la loi no 2238/1994). Un tel secret n’existerait pas du tout pour les entreprises commerciales (article 85 ? 3 de la m?me loi).
3. Th?ses du requ?rant et du Gouvernement contenues dans leurs observations compl?mentaires du 24 mars et du 6 avril 2000 respectivement
a) Th?se du requ?rant
29. Quant aux d?clarations fiscales, le requ?rant pr?cise que le revenu net provenant de la vente des billets pour 1988 ?tait de 1 224 516 GRD et non de 566 069 GRD, comme l’affirme le Gouvernement, car ce dernier chiffre constituerait le revenu (apr?s certaines d?ductions fiscales) imposable et non le revenu r?el. De m?me, en ce qui concerne le bar, si le revenu imposable ?tait de 68 578 GRD, le revenu net r?el se montait ? 130 649 GRD. Le revenu r?el provenant de l’entreprise de publicit? d?passerait les 7 000 000 GRD, dont 1 084 970 GRD r?sulteraient des seuls emplacements publicitaires du cin?ma Ilioupolis. Enfin, le revenu net devrait ?tre major? du montant du loyer que le requ?rant versait et qui s’?levait, pour 1988, ? 904 489 GRD. Par cons?quent, le revenu r?el net du requ?rant pour l’ann?e 1988, tel qu’il r?sulterait de la d?claration fiscale compl?te de celui-ci, serait l’addition des sommes susmentionn?es, soit 3 344 624 GRD.
30. Le requ?rant soutient cependant que les d?clarations fiscales ne constituent pas une base de calcul appropri?e pour ?valuer le manque ? gagner en raison de l’inefficacit? du syst?me fiscal en Gr?ce et du fait que les autorit?s cl?turent souvent les exercices non contr?l?s contre paiement par les int?ress?s d’un montant forfaitaire, ce qui est un aveu implicite que les revenus d?clar?s sont inf?rieurs aux revenus r?els.
b) Th?se du Gouvernement
31. Le Gouvernement souligne que le requ?rant poss?dait, ? l’?poque des faits, trois cin?mas de plein air et une entreprise publicitaire ind?pendante des cin?mas. L’all?gation du requ?rant selon laquelle le Gouvernement aurait omis de d?poser l’int?gralit? de la d?claration fiscale du requ?rant serait mensong?re. Les formulaires que le Gouvernement a pris en compte ? et d?pos?s devant la Cour ? concerneraient exclusivement le cin?ma Ilioupolis et pr?senteraient les revenus bruts et nets, le requ?rant ?tant oblig? de d?clarer dans ces formulaires tous ses revenus provenant de l’exploitation du cin?ma (billets, bar et publicit?). Les autres formulaires invoqu?s par le requ?rant concerneraient les autres activit?s de celui-ci et n’auraient aucun rapport avec le cas d’esp?ce. En particulier, le formulaire contenant les revenus tir?s de la publicit?, mentionn? par le requ?rant, se rapporterait aux activit?s de l’entreprise de publicit? et n’aurait aucune relation avec les revenus du cin?ma Ilioupolis.
Le Gouvernement affirme, en outre, qu’il ressort d’un des formulaires remplis par le requ?rant que celui-ci avait d?clar?, comme revenus annuels provenant de l’ensemble de ses entreprises, un montant inf?rieur ? celui d?clar? comme provenant exclusivement de l’exploitation du cin?ma. De plus, dans ses observations ? la Cour du 29 octobre 1999, le requ?rant all?gue que ses revenus pour 1988 r?sultant de la d?claration fiscale compl?te s’?levaient ? 3 344 624 GRD, alors que, dans le formulaire E1 de sa d?claration fiscale (table 8, page 2) pour la m?me ann?e, il d?clarait la somme de 2 483 360 GRD comme revenu net provenant de trois de ses entreprises (entreprise de publicit?, cin?ma Ilioupolis et cin?ma Alkyon).
4. D?cision de la Cour
32. La Cour rappelle qu’un arr?t constatant une violation entra?ne pour l’Etat d?fendeur l’obligation juridique au regard de la Convention de mettre un terme ? la violation et d’en effacer les cons?quences de mani?re ? r?tablir autant que faire se peut la situation ant?rieure ? celle-ci.
33. Les Etats contractants parties ? une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer ? un arr?t constatant une violation. Ce pouvoir d’appr?ciation quant aux modalit?s d’ex?cution d’un arr?t traduit la libert? de choix dont est assortie l’obligation primordiale impos?e par la Convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libert?s garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe ? l’Etat d?fendeur de la r?aliser, la Cour n’ayant ni la comp?tence ni la possibilit? pratique de l’accomplir elle-m?me. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les cons?quences de la violation, l’article 41 habilite la Cour ? accorder, s’il y a lieu, ? la partie l?s?e la satisfaction qui lui semble appropri?e (arr?t Papamichalopoulos et autres c. Gr?ce du 31 octobre 1995 (article 50), s?rie A no 330-B, pp. 58-59, ? 34).
34. Dans son arr?t au principal, la Cour s’est exprim?e ainsi : ? (…) le 23 octobre 1989, le tribunal de grande instance d’Ath?nes, statuant selon la proc?dure en r?f?r? et par une d?cision ayant force de chose jug?e, a annul? l’arr?t? d’expulsion au motif que les conditions requises pour son adoption n’?taient pas r?unies. Ainsi, et ? partir de ce moment, l’expulsion du requ?rant a perdu toute base l?gale et la municipalit? d’Ilioupolis est devenue un occupant sans titre. Celle-ci se trouvait alors dans l’obligation de rendre le cin?ma au requ?rant, ce qui fut recommand? du reste par tous les organes charg?s de donner au ministre des Finances leur avis en la mati?re, ? savoir le minist?re des Finances, le Conseil juridique de l’Etat et la Soci?t? des biens immobiliers de l’Etat. ? (? 61)
35. En cons?quence, la Cour estime que le caract?re manifestement ill?gal en droit interne de l’ing?rence litigieuse justifierait l’octroi au requ?rant d’une indemnisation enti?re. En effet, seule la restitution de l’usage du cin?ma au requ?rant placerait celui-ci, le plus possible, dans une situation ?quivalente ? celle o? il se trouverait s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de l’article 1 du Protocole no 1. Quant aux documents d?pos?s par le requ?rant le 21 juillet 1999 sous la forme d’une nouvelle requ?te (paragraphe 5 ci-dessus), la Cour les traitera comme faisant partie du dossier relatif ? l’application de l’article 41 de la Convention.
36. La Cour rappelle que le requ?rant n’?tait pas propri?taire du terrain sur lequel est situ? le cin?ma qu’il exploitait. Il louait ce terrain ? un tiers, en vertu d’un contrat de bail valable jusqu’au 30 novembre 2002. La question du droit de propri?t? sur ce terrain faisait, ? l’?poque des faits, et fait encore aujourd’hui, l’objet d’une proc?dure devant les juridictions nationales. La Cour prend par ailleurs note des informations fournies par le conseil du requ?rant sur l’?ge et l’?tat de sant? de ce dernier.
37. Dans ces circonstances, la Cour estime devoir accorder au requ?rant seulement une indemnit? pour couvrir le manque ? gagner sur l’exploitation du cin?ma jusqu’au terme du contrat de bail en cours (le 30 novembre 2002) et dont le montant sera calcul? selon la m?me m?thode que celle employ?e pour l’indemnisation du pr?judice mat?riel subi de 1989 ? 1999 (paragraphes 42-43 ci-dessous).
38. Parmi les ?l?ments constitutifs du dommage invoqu?s par le requ?rant, seul entre en ligne de compte, aux yeux de la Cour, le manque ? gagner sur la vente de billets et la publicit?. Plus particuli?rement, concernant cette derni?re, la Cour ne perd pas de vue que le requ?rant avait cr?? une entreprise distincte ? cette fin ? qui regroupait les activit?s publicitaires des trois entreprises, dont le cin?ma Ilioupolis ? et que les revenus de la publicit? diffus?e dans le cin?ma Ilioupolis faisaient partie des b?n?fices de cette entreprise.
39. La Cour ne prendra en consid?ration ni la valeur du mat?riel pr?tendument usurp? lors de l’?viction du requ?rant, ni le manque ? gagner relatif au bar. Quant au mat?riel pr?cit?, la Cour rappelle que dans sa d?cision sur la recevabilit? de la requ?te la Commission avait d?clar? irrecevable pour non-?puisement des voies de recours internes le grief tir? de la non-restitution au requ?rant des meubles retenus par les autorit?s. Au sujet des revenus provenant des consommations au bar, il ressort des pi?ces du dossier que le bar ?tait en fait exploit? par la fille du requ?rant et que les revenus y relatifs figuraient sur la d?claration fiscale de celle-ci.
40. Reste alors ? ?valuer le dommage caus? par le manque ? gagner sur la vente de billets et la publicit?. A cet ?gard, la Cour rel?ve l’importance de l’?cart qui s?pare les m?thodes de calcul et les th?ses des parties. Concernant la publicit? notamment, le Gouvernement nie l’existence de tout dommage. Toutefois, la Cour rel?ve que l’entreprise de publicit? susmentionn?e ?tait une petite entreprise familiale appartenant exclusivement au requ?rant et dont les b?n?fices ?taient d?clar?s sur la feuille d’imp?ts de celui-ci. Or elle estime que l’?viction litigieuse a d? causer un dommage mat?riel au requ?rant, qui s’ajoute ? celui caus? par la perte des entr?es au cin?ma.
41. Concernant la m?thode de calcul, la Cour consid?re que celle propos?e par le Gouvernement est la seule ? se fonder sur une donn?e financi?re concr?te, ? savoir les d?clarations fiscales du requ?rant, et ? pouvoir servir comme point de d?part ? la Cour afin de chiffrer la perte financi?re subie par celui-ci. Quant au caract?re secret de ces d?clarations, invoqu? par le requ?rant, la Cour note que celui-ci a d?pos? lui-m?me, quoiqu’apr?s le Gouvernement, ses d?clarations de revenus pour l’ann?e 1988 et a consenti de la sorte ? la divulgation de celles-ci, qui constituaient, d’ailleurs, les seules pi?ces justificatives de nature ? ?tablir la v?racit? de ses all?gations.
42. Pour le dommage caus? par la perte de revenus provenant de la vente de billets, la Cour tiendra alors compte d’une p?riode de onze ans (1989-1999) ainsi que du revenu net d?clar? en 1988 (566 069 GRD) qui serait, d’apr?s la d?claration fiscale de cette ann?e, le plus ?lev? dans les cinq ans ayant pr?c?d? l’?viction. Elle l’augmentera, comme le sugg?re le Gouvernement, de 10 % par an (pour y inclure toute augmentation ?ventuelle et raisonnablement pr?visible de recettes pendant cette p?riode), puis le r?ajustera en fonction de l’indice annuel moyen des prix ? la consommation ; enfin, elle le r?duira de 20 %, afin de tenir compte de l’imp?t qu’aurait d? verser le requ?rant sur ce montant.
43. Pour le dommage caus? par le manque ? gagner sur la publicit?, la Cour se fondera aussi sur le revenu net r?alis? en 1988 par le cin?ma Ilioupolis. Elle calculera ce revenu ? partir de la d?claration fiscale de 1988 faisant ?tat de la totalit? des revenus r?alis?s par l’entreprise de publicit? et, plus sp?cifiquement, tiendra compte des revenus bruts des emplacements publicitaires du cin?ma Ilioupolis, tels qu’ils ressortent des factures que le requ?rant a lui-m?me d?pos?es (1 084 970 GRD). Or le revenu net provenant des publicit?s pour le seul cin?ma Ilioupolis pour cette ann?e s’?l?ve ? 141 823 GRD. Par la suite, la Cour proc?dera de la m?me mani?re que celle expos?e au paragraphe 42 ci-dessus.
44. D?s lors, la Cour ?value le premier dommage (aff?rent ? la vente des billets) ? 12 721 451 GRD et le second (aff?rent ? la publicit?) ?
3 187 207 GRD, soit un total de 15 908 658 GRD.
45. A cela doit s’ajouter une indemnit? pour le dommage et la perte de jouissance subis par le requ?rant ? partir de l’an 2000 et jusqu’? l’expiration de son bail, en raison du refus des autorit?s de restituer le cin?ma, et qui, selon la m?me m?thode de calcul, atteint 5 882 920 GRD.
B. Dommage moral
46. Au titre du dommage moral, le requ?rant r?clame 50 000 000 GRD. Il souligne que son d?sarroi n’a pu qu’augmenter en 1999 en raison du refus de l’Etat de se conformer ? l’arr?t au principal et invite la Cour ? majorer la somme susmentionn?e de 10 %.
47. Le Gouvernement se pr?vaut de la divergence entre les sommes demand?es par le requ?rant aux diff?rents stades de la proc?dure et conclut que si la Cour estimait que le requ?rant avait en fait subi un pr?judice moral, le constat de violation suffirait ? le r?parer.
48. La Cour estime que le caract?re ill?gal de l’ing?rence litigieuse et le refus persistant des autorit?s de restituer le cin?ma, m?me apr?s l’arr?t de la Cour au principal, combin?s avec l’?ge et l’?tat de sant? du requ?rant, ont port? ? celui-ci un tort moral certain. Selon la Cour, le constat figurant dans l’arr?t au principal ne fournit pas en soi une satisfaction ?quitable suffisante ? cet ?gard.
49. Statuant en ?quit?, la Cour alloue au requ?rant 5 000 000 GRD de ce chef.
C. Frais et d?pens
50. Pour ses frais et d?pens aff?rents ? la proc?dure jusqu’au prononc? de l’arr?t sur le fond, le requ?rant r?clame 82 957 000 GRD.
51. D’apr?s lui, ce montant, qui correspondrait ? 20 % de celui qu’il r?clame pour dommage, est parfaitement raisonnable au vu du volume de travail fourni et se trouve en pleine conformit? avec les r?gles en vigueur en Gr?ce. Il soutient qu’on ne pourrait, du reste, lui reprocher d’avoir exag?r? en faisant appel ? trois avocats, car leurs qualifications ont ?t? compl?mentaires et n?cessaires pour cette affaire. D’apr?s le requ?rant, un pourcentage de 20 % du total r?clam? pour dommage serait suffisant, chiffre dont il est d’ailleurs convenu avec ses conseils. Enfin, la seule proc?dure devant la Commission et la Cour, jusqu’au prononc? de l’arr?t de celle-ci, aurait n?cessit? neuf cent trente-six heures de travail pour les trois avocats.
52. Pour la proc?dure ult?rieure ? l’arr?t sur le fond, le requ?rant sollicite 10 500 700 GRD. Il admet que le recours ? un seul avocat est suffisant pour cette proc?dure et que l’accord susmentionn? avec ses conseils (honoraires d’un montant de 20 % du total r?clam?) ne saurait s’appliquer ? celle-ci. En ce qui concerne la proc?dure relative ? la tentative de r?glement amiable, il demande un montant de 2 205 000 GRD (tarif horaire de 200 dollars am?ricains pour trente-cinq heures de travail). Quant ? la proc?dure post?rieure, ? savoir celle qui concerne strictement l’application de l’article 41, il invite la Cour ? fixer les honoraires ? 2 % du montant r?clam? pour dommage, soit ? 8 295 700 GRD par m?moire ou comparution.
53. Le Gouvernement d?clare s’en remettre ? la Cour pour les pr?tentions ? ce titre. Il estime toutefois la somme sollicit?e pour la pr?sente affaire ? exorbitante, au moins par rapport ? la r?alit? grecque ?.
54. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation de frais et d?pens au titre de l’article 41 pr?suppose que se trouvent ?tablis leur r?alit?, leur n?cessit? et, de plus, le caract?re raisonnable de leur taux (arr?t Sunday Times c. Royaume-Uni du 6 novembre 1980 (article 50), s?rie A no 38,
p. 13, ? 23).
55. La Cour note que le requ?rant a conclu avec ses conseils un accord concernant les honoraires de ceux-ci, qui se rapprocherait d’un accord de quota litis. Il s’agit l? d’accords par lesquels le client d’un avocat s’engage ? verser ? ce dernier, en tant qu’honoraires, un certain pourcentage de la somme qu’une juridiction pourrait lui octroyer. Les accords de quota litis peuvent attester, s’ils sont juridiquement valables, que l’int?ress? est effectivement redevable des sommes r?clam?es (arr?ts Dudgeon
c. Royaume-Uni du 24 f?vrier 1983 (article 50), s?rie A no 59, p. 10, ? 22, et Kamasinski c. Autriche du 19 d?cembre 1989, s?rie A no 168, p. 47,
? 115). Pareils accords, qui ne font na?tre des obligations qu’entre l’avocat et son client, ne sauraient lier la Cour, qui doit ?valuer le niveau des frais et d?pens ? rembourser non seulement par rapport ? la r?alit? des frais all?gu?s, mais aussi par rapport ? leur caract?re raisonnable. Ainsi la Cour se fondera pour son appr?ciation sur les autres ?l?ments fournis par le requ?rant ? l’appui de ses pr?tentions, ? savoir le nombre d’heures de travail et le nombre d’avocats qu’a n?cessit?s la pr?sente affaire, ainsi que le tarif horaire r?clam?.
56. La Cour rappelle avoir d?j? jug? que l’emploi de plus d’un avocat peut parfois se justifier par l’importance des questions soulev?es par une affaire (voir, parmi beaucoup d’autres, les arr?ts Sunday Times pr?cit? et Baraona c. Portugal du 8 juillet 1987, s?rie A no 122). Toutefois, elle consid?re que, m?me si la pr?sente affaire rev?tait une certaine complexit?, le concours de trois avocats ? un sp?cialiste de droit europ?en, un sp?cialiste de droit constitutionnel et l’avocat qui avait repr?sent? le requ?rant devant les juridictions nationales ? ne correspondait pas ? une n?cessit?.
57. Le nombre d’heures de travail pour la proc?dure au principal, pour celle relative ? la tentative de r?glement amiable ainsi que pour l’application de l’article 41 ne saurait d?passer, de l’avis de la Cour, trois cents heures. Quant au tarif horaire, elle estime qu’un montant de 40 000 GRD par heure de travail serait suffisant, compte tenu des tarifs pratiqu?s en Gr?ce.
58. Statuant en ?quit? et ? l’aide des crit?res susmentionn?s
(paragraphe 54 ci-dessus), la Cour alloue 12 000 000 GRD de ce chef.
59. Le requ?rant sollicite ?galement 1 226 500 GRD au titre des frais aff?rents ? la comparution de ses deux avocats ? l’audience du 17 d?cembre 1998. Le Gouvernement ne se prononce pas sur ce point.
60. Statuant en ?quit?, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour alloue au requ?rant la somme de 825 000 GRD ? ce titre.
D. Int?r?ts moratoires
61. Selon les informations dont la Cour dispose, le taux d’int?r?t l?gal applicable en Gr?ce ? la date d’adoption du pr?sent arr?t est de 6 % l’an.
par ces motifs, la cour, ? l’unanimit?,
1. Dit
a) que l’Etat d?fendeur doit verser au requ?rant, dans les trois mois, les sommes suivantes, plus tout montant pouvant ?tre d? au titre de la taxe sur la valeur ajout?e :
i. 21 791 578 GRD (vingt et un millions sept cent quatre-vingt-onze mille cinq cent soixante-dix-huit drachmes), pour dommage mat?riel ;
ii. 5 000 000 GRD (cinq millions de drachmes), pour dommage moral ;
iii. 12 825 000 GRD (douze millions huit cent vingt-cinq mille drachmes), pour frais et d?pens ;
b) que ces montants seront ? majorer d’un int?r?t simple de 6 % l’an ? compter de l’expiration dudit d?lai et jusqu’au versement ;
2. Rejette la demande de satisfaction ?quitable pour le surplus.
Fait en fran?ais et en anglais, puis communiqu? par ?crit le 19 octobre 2000, en application de l’article 77 ?? 2 et 3 du r?glement.
Elisabeth Palm
Pr?sidente
Paul Mahoney
Greffier adjoint
ARR?T Iatridis c. Gr?ce (SATISFACTION ?QUITABLE)
ARR?T Iatridis c. Gr?ce (SATISFACTION ?quitable)