TROISI?ME SECTION
AFFAIRE DAKHKILGOV c. RUSSIE
(Requ?te no 34376/16)
ARR?T
Art 1 P1 ? Privation de propri?t? ? Expropriation arbitraire et ill?gale d?une partie du terrain du requ?rant lors de l?installation sur celui-ci d?un stade sportif attenant ? une ?cole publique ? Requ?rant propri?taire l?gitime et incontest? au moment de l?ing?rence ? Expropriation de facto de son bien sans contr?le juridictionnel pr?alable, dans le cadre d?une proc?dure l?galement pr?vue, de l?utilit? publique de la privation de sa propri?t? et en l?absence de toute indemnisation ? Autorit?s nationales ayant tir? b?n?fice de leurs comportement ill?gal
STRASBOURG
8 d?cembre 2020
Cet arr?t deviendra d?finitif dans les conditions d?finies ? l?article 44 ? 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l?affaire Dakhkilgov c. Russie,
La Cour europ?enne des droits de l?homme (troisi?me section), si?geant en une Chambre compos?e de :
Paul Lemmens, pr?sident,
Helen Keller,
Dmitry Dedov,
Georges Ravarani,
Mar?a El?segui,
Anja Seibert-Fohr,
Peeter Roosma, juges,
et de Milan Bla?ko, greffier de section,
Vu :
la requ?te (no 34376/16) dirig?e contre la F?d?ration de Russie et dont un ressortissant de cet ?tat, M. Adsalam Abuyazitovich Dakhkilgov (? le requ?rant ?) a saisi la Cour le 2 juin 2016 en vertu de l?article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l?homme et des libert?s fondamentales (? la Convention ?),
la d?cision de porter ? la connaissance du gouvernement russe une partie de la requ?te et de d?clarer le reste irrecevable,
les observations du Gouvernement et la r?ponse du requ?rant,
Apr?s en avoir d?lib?r? en chambre du conseil le 17 novembre 2020,
Rend l?arr?t que voici, adopt? ? cette date :
INTRODUCTION
1. La pr?sente affaire concerne l?installation d?un stade sportif attenant ? une ?cole publique sur le terrain du requ?rant.
EN FAIT
2. Le requ?rant est n? en 1987 et r?side ? Dolakovo (r?publique d?Ingouchie).
3. Le Gouvernement a ?t? repr?sent? par M. M. Galperine, repr?sentant de la F?d?ration de Russie aupr?s de la Cour europ?enne des droits de l?homme.
LA GEN?SE DE L?AFFAIRE ET LES FAITS RELATIFS AUX BIENS DU REQU?RANT
4. En 1994, le comit? de gestion du patrimoine du district de Nazran (r?publique d?Ingouchie) vendit ? M. K. un ancien d?p?t p?trolier situ? dans le village de Kantychevo (district de Nazran) ainsi que des d?pendances et lui conf?ra un droit d?usage permanent sur le terrain d?implantation mesurant 10 614 m2.
5. Au cours d?une r?union organis?e le 20 juillet 2006, une commission fonci?re du gouvernement de la r?publique d?Ingouchie d?cida de d?signer un terrain pour la reconstruction d?une ?cole en ruine, situ?e dans le village de Kantychevo ? proximit? dudit d?p?t p?trolier. Le 13 septembre 2006, le gouvernement rendit un arr?t? approuvant le proc?s?verbal ?tabli pendant la r?union de la commission fonci?re.
6. Par un d?cret du 27 septembre 2006, pris en application de l?arr?t? susmentionn?, l?administration du district de Nazran d?cida qu?un terrain de 3,9 hectares situ? dans le village de Kantychevo serait affect? (?????) ? la reconstruction et ? l?extension du territoire de l??cole en question.
7. Un plan de situation (????? ??????????) de l??cole[1] pr?voyait l?occupation d?une partie du terrain d?implantation de l?ancien d?p?t p?trolier.
8. Par un d?cret du 17 juillet 2009, l?administration du district de Nazran approuva le plan du terrain d?implantation du d?p?t p?trolier (????????? ??????? ?????????? ???????, (…) ????????????? ??? ???) utilis? par M. K. Le 31 d?cembre 2009, le minist?re du Patrimoine de la r?publique d?Ingouchie vendit ? M. K. le terrain en question. Ce dernier enregistra dans le registre unifi? des droits immobiliers (? le registre unifi? ?) son droit de propri?t? sur le terrain et sur les immeubles qui s?y trouvaient.
9. Le 6 d?cembre 2011, le requ?rant acheta ? M. K. le d?p?t p?trolier et le terrain d?implantation. L?usage du terrain ?tait d?fini en tant qu?? exploitation du d?p?t p?trolier ?. Le 16 janvier 2012, le requ?rant enregistra dans le registre unifi? son droit de propri?t? sur les biens en question.
10. ? un moment non pr?cis? dans le dossier, le procureur du district de Nazran, agissant dans l?int?r?t du district et de l??tat f?d?ral, introduisit une demande en justice tendant ? l?annulation du contrat de vente en date du 6 d?cembre 2011 (paragraphe 9 ci-dessus) et ? la radiation dans le registre unifi? des mentions relatives au droit de propri?t? du requ?rant. Parall?lement ? cette action en justice et ? un autre moment, non pr?cis? dans le dossier, l?administration du district de Nazran introduisit une demande similaire devant le m?me tribunal.
11. Par deux d?cisions rendues le 2 avril et le 27 septembre 2012, le tribunal du district de Nazran laissa ces demandes sans examen. Il consid?ra que le contrat litigieux portait atteinte aux int?r?ts de la r?publique d?Ingouchie et du village de Kantychevo, mais qu?il n??tait pas prouv? que les int?r?ts du district de Nazran ou de l??tat f?d?ral aient ?t? affect?s.
12. Le 30 octobre 2012, le gouverneur d?Ingouchie donna mandat (?????????) au minist?re de l??ducation, au minist?re de la Construction, de l?Architecture et de l?Urbanisme de la r?publique d?Ingouchie, ainsi qu?? l?administration et au parquet du district de Nazran d?accomplir pour son compte, jusqu?au 3 novembre 2012, certains actes consistant ? d?placer les biens composant l?ancien d?p?t p?trolier situ? sur le territoire de l??cole (???????? ?? ???????????? ??????? ??? ???????????? ?????? ?????????, ??????????? ?? ?????????? ????? ?????) ? Kantychevo.
13. Le 31 octobre 2012, le d?p?t p?trolier en question et les d?pendances furent d?molis et les biens meubles qui se trouvaient sur le terrain furent enlev?s. Le requ?rant affirme que les personnes ayant agi ainsi ?taient des employ?s camoufl?s de la soci?t? M., assist?s par les policiers et les fonctionnaires des administrations du district et du village.
14. Ult?rieurement, ? un moment non pr?cis? dans le dossier mais apr?s le 31 octobre 2012, un stade sportif attenant ? l??cole fut construit sur une partie du terrain d?implantation de l?ancien d?p?t.
15. Le 31 octobre 2012, le requ?rant porta plainte au p?nal pour destruction des biens composant le d?p?t p?trolier. Par trois d?cisions rendues entre le 12 d?cembre 2012 et le 21 janvier 2013, les policiers et enqu?teurs refus?rent d?ouvrir une enqu?te p?nale. Ces d?cisions furent toutes annul?es par le parquet.
16. ? un moment non pr?cis? dans le dossier, l?administration du district de Nazran introduisit une demande en justice tendant ? annuler le contrat de vente du 31 d?cembre 2009 (paragraphe 8 ci-dessus), car elle s?estimait propri?taire l?gitime du terrain. Par une d?cision du 23 avril 2013, le tribunal du district de Nazran constata l?extinction de l?instance par la d?cision d?finitive du 27 septembre 2012 (paragraphe 11 ci?dessus), laissant sans examen la demande similaire de l?administration.
17. ? un autre moment non pr?cis? dans le dossier, l?administration du village de Kantychevo introduisit une demande en justice tendant ? annuler le contrat de vente du terrain conclu par M. K. Par une d?cision du 17 mai 2013, le tribunal du district de Nazran constata l?extinction de l?instance.
LES CONTENTIEUX CIVILS ENGAG?S PAR LE REQU?RANT
Le recours contre la destruction des biens
18. ? une date non pr?cis?e dans le dossier, le requ?rant assigna en justice le gouverneur d?Ingouchie, l?administration et le parquet du district de Nazran. Il saisit le tribunal du district de Magas d?une demande tendant ? faire d?clarer ill?gal le mandat donn? le 30 octobre 2012 (paragraphe 12 ci?dessus) et par cons?quent la destruction et l?enl?vement de ses biens composant le d?p?t p?trolier, consid?r? selon lui comme un vol, commis en ex?cution dudit mandat.
19. Dans son jugement du 23 juin 2013, le tribunal du district de Magas rejeta l?action. Se r?f?rant aux r?sultats des v?rifications au p?nal (paragraphe 15 ci-dessus), il estima qu?il n??tait pas prouv? que les personnes camoufl?es ayant d?truit les biens du requ?rant ?taient des fonctionnaires. Il trouva qu?? en m?me temps, il n?y a[vait] pas de raisons de d?clarer illicite (?????????????) le mandat donn? par le gouverneur d?Ingouchie ?.
20. Le 24 octobre 2013, la cour supr?me d?Ingouchie rejeta l?appel du requ?rant en faisant siennes les conclusions du tribunal. Le 10 janvier 2014, statuant en formation de juge unique, la cour supr?me d?Ingouchie refusa de transmettre le pourvoi en cassation du requ?rant pour examen ? son pr?sidium. Le 1er avril 2014, statuant en formation de juge unique, la Cour supr?me de Russie refusa de transmettre le pourvoi en cassation form? par le requ?rant pour examen ? sa chambre civile.
La demande tendant ? d?monter le stade sportif
21. ? une date non pr?cis?e dans le dossier, le requ?rant assigna en justice le minist?re de la Construction, de l?Architecture et de l?Urbanisme de la r?publique d?Ingouchie, ainsi que la soci?t? M. Il sollicitait une injonction afin de faire d?monter par les d?fendeurs ? en tant que construction ill?gale ? le stade sportif install? sur son terrain.
22. Le 22 avril 2015, le tribunal du district de Nazran rejeta l?action du requ?rant. D?un c?t?, il prit en consid?ration le fait que le d?cret du 27 septembre 2006 pr?voyant la reconstruction de l??cole (paragraphe 6 ci?dessus) avait ?t? adopt? ant?rieurement ? l?acquisition du terrain par le requ?rant. D?un autre c?t?, il tint compte du mandat donn? le 30 octobre 2012 dont la lic?it? aurait ?t? confirm?e dans le jugement du 23 juin 2013 (paragraphes 12 et 19 ci-dessus). Eu ?gard ? ces motifs, le tribunal conclut qu?il n??tait pas d?montr? que l?installation du stade violait les droits et int?r?ts l?gitimes du requ?rant. L?int?ress? fit appel du jugement.
23. En appel, la cour supr?me d?Ingouchie appela en cause le gouvernement d?Ingouchie, le minist?re du Patrimoine r?publicain et l?administration du district de Nazran.
24. Le 8 octobre 2015, la cour supr?me d?Ingouchie rejeta l?action du requ?rant. Ayant analys? les documents indiqu?s aux paragraphes 5 ? 7 ci?dessus, elle estimait que l?emprise d?une partie du terrain d?implantation de l?ancien d?p?t p?trolier pour l?extension du territoire de l??cole avait ?t? d?cid?e par le d?cret du 27 septembre 2006 et qu?elle pr?c?dait l?achat du terrain par le requ?rant et l?enregistrement par lui de son droit de propri?t? dans le registre unifi?. Selon la cour supr?me, la construction du stade avait ?t? faite dans le respect des r?gles d?urbanisme, d?hygi?ne et de s?curit?, et donc ne pouvait ?tre qualifi?e de construction ill?gale. Enfin, la juridiction d?appel s?exprima comme suit :
? Ayant donn? une appr?ciation aux faits (…), la chambre conclut que la demande tendant ? la d?molition n?est pas fond?e en droit.
En tirant une telle conclusion, la juridiction d?appel tient compte ?galement du jugement du 23 juin 2013 (…) rejetant le recours [du requ?rant] contre les actes et d?cisions (…) concernant l?affectation du terrain ? la construction de l??cole no 1 ? Kantychevo. ?
25. Le 15 f?vrier 2016, statuant en formation de juge unique, la cour supr?me d?Ingouchie refusa de transmettre ? son pr?sidium le pourvoi en cassation du requ?rant pour examen. Elle ajouta que l?int?ress? ne pouvait pas valablement exiger le d?montage du stade sportif, car la construction de celui-ci avait ?t? d?ment pr?vue par le d?cret du 27 septembre 2006 adopt? avant l?acquisition du terrain par le requ?rant.
26. Le 13 avril 2016, statuant en formation de juge unique, la Cour supr?me de Russie refusa de transmettre ? la chambre civile le pourvoi en cassation du requ?rant pour examen.
AUTRES FAITS SURVENUS APR?S L?INTRODUCTION DE LA REQU?TE
27. Dans ses observations, le Gouvernement a fourni les informations suivantes relatives aux poursuites p?nales en l?affaire (paragraphe 15 ci?dessus). ? la suite de diff?rentes plaintes d?pos?es par le requ?rant et M. K., le 3 avril 2018, le d?partement de l?int?rieur dans le district de Nazran ouvrit une enqu?te p?nale contre X pour destruction volontaire de propri?t?. Le 2 juin 2018, l?enqu?te fut suspendue en raison de l?impossibilit? d?identifier les suspects. Les 4 avril et 31 mai 2019, ? l?issue de v?rifications compl?mentaires, deux d?cisions de classement sans suite furent rendues pour prescription de l?action publique. Le 1er juillet 2019, l?enqu?te reprit son cours.
28. Dans ses observations formul?es le 16 septembre 2019, le Gouvernement indique que le terrain d?implantation de l?ancien d?p?t p?trolier, qui reste la propri?t? du requ?rant, n?a jamais ?t? arpent? et donc ses fronti?res n?ont pas ?t? d?limit?es. Ce terrain existe toujours sur papier, avec le m?me num?ro cadastral, mais de fait, il a ?t? inclus dans deux parcelles cr??es et arpent?es en 2015, qui servent respectivement ? l??cole et ? une cr?che.
LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT
29. Selon l?article 35 ? 3 de la Constitution russe, nul ne peut ?tre priv? de sa propri?t? si ce n?est par d?cision de justice. La privation forc?e de biens pour les besoins de l??tat ne peut ?tre exerc?e qu?apr?s une indemnisation pr?alable et ?quivalente ? la valeur des biens en question.
30. Dans un arr?t du 24 f?vrier 2004 no 3-P, la Cour constitutionnelle a dit que, dans tous les cas de privation forc?e de propri?t?, un contr?le judiciaire effectif ?tait n?cessaire, a priori ou a posteriori.
31. Les dispositions pertinentes en l?esp?ce relatives ? la privation forc?e des biens et ? l?expropriation sont expos?es dans l?arr?t Tkachenko c. Russie (no 28046/05, ?? 19-25, 20 mars 2018).
32. Les dispositions pertinentes en l?esp?ce relatives ? la port?e de l?enregistrement du droit de propri?t? dans le registre unifi? ainsi qu?aux constructions ill?gales sont expos?es dans l?arr?t Zhidov et autres c. Russie (nos 54490/10 et 3 autres, ?? 49-50 et 54, 16 octobre 2018).
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALL?GU?E DE L?ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 ? LA CONVENTION
33. Le requ?rant d?nonce une violation de son droit de propri?t? en raison de la destruction de ses biens composant le d?p?t p?trolier et de l?occupation de son terrain par les autorit?s sans respecter la proc?dure d?expropriation et sans la moindre indemnisation. Il invoque l?article 1 du Protocole no 1 ? la Convention, qui est ainsi libell? en sa partie pertinente :
? Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut ?tre priv? de sa propri?t? que pour cause d?utilit? publique et dans les conditions pr?vues par la loi et les principes g?n?raux du droit international. (…) ?
Sur la recevabilit?
34. En soulevant des arguments relatifs au fond des griefs (paragraphes 37-40 ci-dessous), le Gouvernement invite la Cour ? rejeter la requ?te pour d?faut manifeste de fondement, au sens de l?article 35 ?? 1 et 3 a). Le requ?rant maintient ses griefs.
35. La Cour observe que le requ?rant soul?ve deux griefs dans sa requ?te : i) la destruction de ses biens et ii) l?occupation de son terrain. Or le premier de ces griefs a ?t? d?clar? irrecevable pour tardivet?, en application de l?article 35 ? 1 de la Convention, au moment de la communication de la pr?sente requ?te.
36. Elle observe en m?me temps que la destruction des biens composant l?ancien d?p?t p?trolier, quel qu?en soit l?auteur, a ?t? un pr?alable n?cessaire pour l?installation du stade sportif sur le terrain du requ?rant. Elle estime que la tardivet? du premier grief est sans pr?judice de l?examen du second grief. Constatant que ce dernier n?est pas manifestement mal fond? au sens de l?article 35 ? 3 a) de la Convention et qu?il n?est pas irrecevable pour d?autres motifs, la Cour le d?clare recevable.
Sur le fond
Th?ses des parties
37. S?agissant de la l?galit? de l?ing?rence, le Gouvernement soutient que les mesures visant ? l?extension du territoire de l??cole et au d?placement des biens composant le d?p?t p?trolier avaient comme base l?gale respectivement le d?cret adopt? le 27 septembre 2006 et le mandat donn? par le gouverneur d?Ingouchie le 30 octobre 2012 (paragraphes 6 et 12 ci-dessus). Il indique qu?aucune d?cision relative ? l?expropriation des biens du requ?rant n?a ?t? adopt?e.
38. Selon le Gouvernement, l?ing?rence a donc poursuivi un but d?utilit? publique visant ? la construction urbaine.
39. S?agissant de la proportionnalit? de l?ing?rence, il argue qu?en achetant l?ancien d?p?t p?trolier, les d?pendances et le terrain d?implantation, le requ?rant savait pertinemment que ce terrain avait ?t? destin? ? l?extension du territoire de l??cole, et que les autorit?s ont r?agi en temps utile. En outre, l?ing?rence a ?t? assortie selon le Gouvernement d?un contr?le judiciaire effectif, dans le respect de la Constitution et de l?arr?t susmentionn? de la Cour constitutionnelle (paragraphes 29-30 ci-dessus). Il se r?f?re, d?un c?t?, aux tentatives des autorit?s et collectivit?s publiques tendant ? annuler en justice les ventes du terrain litigieux pour d?montrer qu?en 2009 la vente ? M. K. du terrain destin? ? la reconstruction et ? l?extension du territoire de l??cole avait ?t? illicite, et qu?en outre, le minist?re du patrimoine r?publicain ne pouvait pas disposer du terrain. D?un autre c?t?, le Gouvernement se r?f?re aux d?cisions judiciaires rendues dans les deux litiges initi?s par le requ?rant pour arguer que l?affectation du terrain ? la construction et ? l?extension du territoire de l??cole avait ?t? l?gale et ant?rieure ? l?acquisition des biens par l?int?ress?.
40. Enfin, selon le Gouvernement, la destruction des biens composant le d?p?t p?trolier a ?t? effectu?e par des personnes priv?es inconnues qui doivent ?tre identifi?es dans le cadre de l?enqu?te p?nale, et l??tat ne peut ?tre tenu pour responsable des agissements de ces individus.
41. Le requ?rant maintient ses griefs.
Appr?ciation de la Cour
a) Sur l?existence d?un ? bien ? et sur la nature de l?ing?rence
42. Il n?est pas contest? que le terrain d?implantation du d?p?t p?trolier, mesurant 10 614 m2, ?tait un ? bien ? du requ?rant, au sens de l?article 1 du Protocole no 1 ? la Convention. Il n?est pas non plus contest? que l?occupation de ce terrain ? par l?installation d?un stade sportif attenant ? l??cole sur une partie de celui-ci ? a constitu? une ing?rence dans le droit du requ?rant au respect de ses biens. La Cour note que le requ?rant est rest? formellement propri?taire du terrain occup?. Or, ce terrain non arpent? n?existe plus que sur papier, et il est inclus dans deux autres parcelles appartenant aux autorit?s (paragraphe 28 ci-dessus), avec comme r?sultat l?impossibilit? de faire tout usage de ce terrain pour l?int?ress?. Dans ces circonstances, la Cour estime que l?ing?rence ayant engendr? des cons?quences graves ? telle enseigne qu?elle va au-del? de la ? r?glementation de l?usage des biens ?, au sens du second alin?a de l?article 1 du Protocole no 1, engendrant d?s lors une ? privation des biens ?, au sens de la seconde phrase du premier alin?a dudit article (voir, mutatis mutandis, Papamichalopoulos et autres c. Gr?ce, 24 juin 1993, ?? 44-45, s?rie A no 260?B).
43. La Cour doit rechercher ? pr?sent si l?ing?rence se justifie sous l?angle de cette disposition. Pour ?tre compatible avec celle-ci, la mesure doit remplir trois conditions : elle doit ?tre effectu?e ? dans les conditions pr?vues par la loi ?, ? pour cause d?utilit? publique ? et dans le respect d?un juste ?quilibre entre les droits du propri?taire et les int?r?ts de la communaut?.
b) Sur le respect du principe de l?galit?
44. La Cour rappelle que l?article 1 du Protocole no 1 ? la Convention exige, avant tout et surtout, qu?une ing?rence de l?autorit? publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit l?gale. La pr??minence du droit, l?un des principes fondamentaux d?une soci?t? d?mocratique, est une notion inh?rente ? l?ensemble des articles de la Convention (Visti?? et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, ?? 94-95, 25 octobre 2012). Il en d?coule que la n?cessit? d?examiner la question du juste ?quilibre ? ne peut se faire sentir que lorsqu?il s?est av?r? que l?ing?rence litigieuse a respect? le principe de l?galit? et n??tait pas arbitraire ? (Guiso-Gallisay c. Italie, no 58858/00, ? 80, 8 d?cembre 2005, avec les r?f?rences qui y sont cit?es). L?expression ? dans les conditions pr?vues par la loi ? pr?suppose l?existence et le respect de normes de droit interne suffisamment accessibles et pr?cises (Lithgow et autres c. Royaume-Uni, 8 juillet 1986, ? 110, s?rie A no 102) et offrant des garanties contre l?arbitraire (Visti?? et Perepjolkins, pr?cit?, ? 95).
45. En l?esp?ce, la Cour rel?ve que l?emprise d?une partie du terrain d?implantation de l?ancien d?p?t p?trolier pour ?tendre le territoire de l??cole et l?installation du stade sportif a ?t? pr?vue par les actes adopt?s par les autorit?s r?publicaines et locales en 2006 (paragraphes 5-7 ci-dessus). Or, pr?s de trois ans apr?s l?adoption de ces actes, les autorit?s r?publicaines, locales et f?d?rales ont adopt? d?autres actes concernant ce terrain, allant dans le sens oppos?. En effet, en 2009, l?administration du district a approuv? le plan du terrain en confirmant que celui-ci avait ?t? octroy? ? M. K – pr?d?cesseur du requ?rant. Elle lui a ?galement conf?r? un droit d?usage permanent sur ce terrain, puis le minist?re r?publicain du Patrimoine a vendu le terrain ? M. K. L?autorit? en charge de l?enregistrement des droits r?els a proc?d? ? son tour ? l?enregistrement du droit de propri?t? de M. K. puis du requ?rant sur le terrain, en confirmant par cela la lic?it? de ces transactions (paragraphe 32 ci-dessus et la r?f?rence y cit?e).
46. Les tentatives des diff?rentes autorit?s tendant ? annuler les ventes du terrain ont ?chou?. ? cet ?gard, la Cour trouve sans pertinence l?argument du Gouvernement selon lequel l?int?ress? savait au moment de l?acquisition du terrain que celui-ci ?tait destin? ? l?extension de l??cole en vertu des actes adopt?s en 2006 (paragraphe 39 ci-dessus). En effet, une telle connaissance de la part du requ?rant ou l?ignorance de celui-ci auraient d? faire l?objet d?une appr?ciation par les tribunaux dans le cadre de l?action en annulation de la vente. Or les demandes en justice introduites par les autorit?s tendant ? l?annulation des ventes n?ont pas fait l?objet d?examen, et aucune appr?ciation de la bonne foi du requ?rant n?a eu lieu. De l?avis de la Cour, le Gouvernement ne peut pas valablement avancer de th?ses non d?battues devant les juridictions internes (voir, pour une situation similaire, OOO KD?Konsalting c. Russie, no 54184/11, ? 47, 29 mai 2018).
47. Il r?sulte de ce qui pr?c?de que, au moment de l?ing?rence, le requ?rant restait propri?taire l?gitime et incontest? du terrain.
48. Dans ce contexte, pour pouvoir occuper ce terrain, les autorit?s n?ont pas, comme elles en avaient la possibilit? en droit russe, engag? une proc?dure d?expropriation comportant plusieurs ?tapes et garanties contre l?arbitraire, dont la notification ?crite de la d?cision d?expropriation, la r?daction d?une convention de rachat, en cas de d?saccord du propri?taire, un droit pour l?autorit? publique comp?tente d?intenter une action en expropriation (paragraphe 30 ci-dessus ; voir, pour un r?sum? de la port?e des dispositions pertinentes, Tkachenko c. Russie, no 28046/05, ? 54, 20 mars 2018) et, surtout, le paiement d?une indemnit?.
49. En revanche, en l?esp?ce, le requ?rant a ?t? expropri? de facto de son bien sans contr?le juridictionnel pr?alable, dans le cadre d?une proc?dure l?galement pr?vue, de l?utilit? publique de la privation de sa propri?t? et sans avoir b?n?fici? d?une quelconque indemnit?. Puis, lorsqu?il a demand? le d?montage du stade occupant son terrain contre sa volont?, les juridictions se sont born?es ? constater que les actes relatifs ? l?extension du territoire de l??cole avaient ?t? adopt?s ant?rieurement ? l?acquisition du terrain par l?int?ress? et que la construction du stade respectait les r?gles d?urbanisme et de s?curit?.
50. Dans ces circonstances, la Cour conclut que l?ing?rence, op?r?e en m?connaissance compl?te par les autorit?s de la proc?dure l?galement pr?vue pour op?rer une d?expropriation et en l?absence de toute indemnisation, a permis aux autorit?s de tirer b?n?fice de leur comportement ill?gal (Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction ?quitable) [GC], no 58858/00, ? 94, 22 d?cembre 2009). Cette expropriation de fait a ?t? arbitraire et donc ? ill?gale ? au sens de l?article 1 du Protocole no 1 ? la Convention. Cette conclusion rend superflu l?examen des autres exigences de cette disposition (voir aussi Abiyev et Palko c. Russie, no 77681/14, ?? 66-67, 24 mars 2020).
Partant, il y a eu violation de l?article 1 du Protocole no 1 ? la Convention.
SUR L?APPLICATION DE L?ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
51. Aux termes de l?article 41 de la Convention,
? Si la Cour d?clare qu?il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d?effacer qu?imparfaitement les cons?quences de cette violation, la Cour accorde ? la partie l?s?e, s?il y a lieu, une satisfaction ?quitable. ?
52. Le requ?rant n?a pas soumis de demande de satisfaction ?quitable. Partant, la Cour estime qu?il n?y a pas lieu de statuer sur cette question.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, ? L?UNANIMIT?,
D?clare la requ?te recevable quant au grief concernant l?occupation du terrain du requ?rant et irrecevable pour le surplus ;
Dit qu?il y a eu violation de l?article 1 du Protocole no 1 ? la Convention.
Fait en fran?ais, puis communiqu? par ?crit le 8 d?cembre 2020, en application de l?article 77 ?? 2 et 3 du r?glement.
Milan Bla?ko Paul Lemmens
Greffier Pr?sident