Conclusion Exceptions pr?liminaires rejet?es (non-?puisement des voies de recours internes, victime) ; Violation de l’art. 6-1 ; Incomp?tence en ce qui concerne les art. 13, 17 et 34 (griefs nouveaux) ; Pr?judice moral – r?paration p?cuniaire ; Remboursement partiel frais et d?pens – proc?dure de la Convention
GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE COCCHIARELLA c. ITALIE
(Requ?te no 64886/01)
ARR?T
STRASBOURG
29 mars 2006
Cet arr?t est d?finitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l?affaire Cocchiarella c. Italie,
La Cour europ?enne des Droits de l?Homme, si?geant en une Grande Chambre compos?e de :
MM. L. Wildhaber, pr?sident,
C.L. Rozakis,
J.-P. Costa,
Sir Nicolas Bratza,
MM. B.M. Zupančič,
L. Caflisch,
C. B?rsan,
K. Jungwiert,
M. Pellonp??,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska,
MM. R. Maruste,
S. Pavlovschi,
L. Garlicki,
Mme A. Gyulumyan,
MM. E. Myjer,
S.E. Jebens, juges,
L. Ferrari Bravo, juge ad hoc,
et de M. T.L. Early, adjoint au greffier de la Grande Chambre,
Apr?s en avoir d?lib?r? en chambre du conseil les 1er juillet 2005 et 18 janvier 2006,
Rend l?arr?t que voici, adopt? ? cette derni?re date :
PROC?DURE
1. A l?origine de l?affaire se trouve une requ?te (no 64886/01) dirig?e contre la R?publique italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. G. C. (? le requ?rant ?), avait saisi la Commission europ?enne des Droits de l?Homme (? la Commission ?) le 22 d?cembre 1997 en vertu de l?ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l?Homme et des Libert?s fondamentales (? la Convention ?).
2. Le requ?rant a ?t? repr?sent? par Me S. de N. de M., avocat ? B?n?vent, pour la proc?dure devant la chambre, puis par Mes S. de N. de M., T. V., C. M., A. N. et V. C.e, avocats ? B?n?vent. Le gouvernement italien (? le Gouvernement ?) a ?t? repr?sent? successivement par ses agents, MM. U. Leanza et I.M. Braguglia, et ses coagents, MM. V. Esposito et F. Crisafulli, ainsi que par son coagent adjoint M. N. Lettieri.
3. Le requ?rant all?guait la violation de l?article 6 ? 1 de la Convention en raison de la dur?e d?une proc?dure civile ? laquelle il ?tait partie. Par la suite, le requ?rant a indiqu? qu?il ne se plaignait pas de la fa?on dont la cour d?appel avait ?valu? les retards mais du montant d?risoire des dommages accord?s.
4. La requ?te a ?t? transmise ? la Cour le 1er novembre 1998, date d?entr?e en vigueur du Protocole no 11 ? la Convention (article 5 ? 2 du Protocole no 11).
5. La requ?te a ?t? attribu?e ? une section de la Cour (article 52 ? 1 du r?glement). A la suite du d?port de M. V. Zagrebelsky, juge ?lu au titre de l?Italie (article 28), le Gouvernement a d?sign? M. L. Ferrari Bravo comme juge ad hoc pour si?ger ? sa place (articles 27 ? 2 de la Convention et 29 ? 1 du r?glement).
6. Le 20 novembre 2003, la requ?te a ?t? d?clar?e recevable par une chambre de la premi?re section, compos?e de MM. C.L. Rozakis, P. Lorenzen, G. Bonello, A. Kovler, Mme E. Steiner, M. K. Hajiyev, juges, de M. L. Ferrari Bravo, juge ad hoc, ainsi que de M. S. Nielsen, greffier adjoint de section.
7. Le 10 novembre 2004, la m?me chambre a rendu son arr?t dans lequel elle concluait ? l?unanimit? qu?il y avait eu violation de l?article 6 ? 1 de la Convention.
8. Le 27 janvier 2005, le gouvernement italien a demand? le renvoi de l?affaire devant la Grande Chambre au titre des articles 43 de la Convention et 73 du r?glement. Le 30 mars 2005, un coll?ge de la Grande Chambre a fait droit ? cette demande.
9. La composition de la Grande Chambre a ?t? arr?t?e conform?ment aux articles 27 ?? 2 et 3 de la Convention et 24 du r?glement. Le pr?sident de la Cour a d?cid? que dans l?int?r?t d?une bonne administration de la justice l?affaire devait ?tre attribu?e ? la m?me Grande Chambre que les affaires Riccardi Pizzati c. Italie, Musci c. Italie, Giuseppe Mostacciuolo c. Italie (no 1), Apicella c. Italie, Ernestina Zullo c. Italie, Giuseppina et Orestina Procaccini c. Italie et Giuseppe Mostacciuolo c. Italie (no 2) (requ?tes nos 62361/00, 64699/01, 64705/01, 64890/01, 64897/01, 65075/01 et 65102/01) (articles 24, 42 ? 2 et 71 du r?glement). A cette fin, le pr?sident a ordonn? aux parties de constituer un coll?ge de d?fense (paragraphe 2 ci-dessus).
10. Tant le requ?rant que le Gouvernement ont d?pos? un m?moire. Des observations ont ?galement ?t? re?ues des gouvernements polonais, tch?que et slovaque, que le pr?sident avait autoris?s ? intervenir dans la proc?dure ?crite (articles 36 ? 2 de la Convention et 44 ? 2 du r?glement). Le requ?rant a r?pondu ? ces commentaires (article 44 ? 5 du r?glement).
11. Une audience s?est d?roul?e en public au Palais des Droits de l?Homme, ? Strasbourg, le 29 juin 2005 (article 59 ? 3 du r?glement).
Ont comparu :
? pour le gouvernement d?fendeur
M. N. Lettieri, coagent adjoint ;
? pour le requ?rant
Mes S. de N. de M., avocat au barreau de B?n?vent,
T. V., avocat au barreau de B?n?vent,
C. M., avocat au barreau de B?n?vent,
A. N., avocat au barreau de B?n?vent,
V. C., avocat au barreau de B?n?vent, conseils.
La Cour a entendu en leurs d?clarations Mes S. de N. de M., T. V. et M. N. Lettieri, ainsi que ce dernier en ses r?ponses aux questions de juges.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L?ESP?CE
12. Le requ?rant est n? en 1942 et r?side ? B?n?vent.
A. La proc?dure principale
13. Le 15 juillet 1994, Mme P., m?re du requ?rant, d?posa un recours devant le juge d?instance de B?n?vent, faisant fonction de juge du travail, en vue d?obtenir la reconnaissance de son droit ? une pension d?invalidit? civile (pensione di inabilit?) et ? une allocation d?aide ? domicile (indennit? di accompagnamento).
14. Le 23 juillet 1994, le juge d?instance fixa la premi?re audience au 11 mars 1996. Ce jour-l?, le juge nomma un expert puis remit les d?bats ? l?audience du 9 avril 1997.
15. Par un jugement du m?me jour, dont le texte fut d?pos? au greffe le 13 juin 1997, le juge rejeta la demande de Mme P.
16. Le 29 juillet 1997, Mme P. interjeta appel du jugement devant le tribunal de Naples. Le pr?sident du tribunal d?signa un juge rapporteur et fixa l?audience de plaidoiries au 30 avril 2001.
17. Entre-temps, dans la m?me journ?e du 29 juillet 1997, Mme P. d?c?da. Selon les informations fournies par le conseil du requ?rant le 18 mars 1998, lorsqu?il essaya de d?poser au greffe l?acte de constitution de son client en tant qu?h?ritier, l?employ? du greffe du tribunal de Naples lui r?pondit de repasser en l?an 2000. Il justifia cette r?ponse par le fait que l?audience n??tait pr?vue qu?en 2001 et qu?il aurait sinon perdu plusieurs heures ? chercher dans les centaines de dossiers pr?vus pour avril 2001. Le 25 janvier 2000, le requ?rant se constitua dans la proc?dure en tant qu?h?ritier. Une audience fut fix?e au 14 f?vrier 2002.
18. Par un jugement du 16 janvier 2003, dont le texte fut d?pos? au greffe le 21 mars 2003, le tribunal remarqua que le nouveau rapport d?expertise d?montrait que Mme P. souffrait d?un ensemble de pathologies qui excluaient toute capacit? de travailler et rendaient n?cessaire l?assistance permanente d?une personne ? domicile. Partant, il fit droit ? la demande de Mme P. ? compter du 1er juin 1996 jusqu?? la date de son d?c?s.
B. La proc?dure ? Pinto ?
19. Le 3 octobre 2001, le requ?rant saisit la cour d?appel de Rome conform?ment ? la loi no 89 du 24 mars 2001, dite ? loi Pinto ?, afin de se plaindre de la dur?e excessive de la proc?dure d?crite ci-dessus. Le requ?rant demanda ? la cour de conclure ? la violation de l?article 6 ? 1 de la Convention et de condamner le Gouvernement au d?dommagement du pr?judice moral subi, qu?il ?valuait ? 30 000 000 lires italiennes (15 493,71 euros (EUR)), plus un montant non quantifi? pour frais et d?pens.
20. Par une d?cision du 7 mars 2002, dont le texte fut d?pos? au greffe le 6 mai 2002, la cour d?appel constata que la dur?e de la proc?dure avait ?t? excessive, pour les motifs suivants :
? (…) Attendu que la proc?dure de premi?re instance s?est termin?e apr?s environ trois ans, et que l?appel pr?sent? en 1997 est encore pendant ;
Attendu que l?on doit consid?rer comme viol? le principe de la Convention qui assure ? toute personne qu?une proc?dure soit examin?e dans un d?lai raisonnable ;
Qu?en effet la dur?e de la proc?dure en question ne correspond pas ? l?exigence du d?lai raisonnable dans la mesure o? elle n?aurait pas d? d?passer ? vu son objet ? deux ans en premi?re instance et dix-huit mois en appel puisque l?affaire n?est pas complexe ;
Attendu qu?aucun comportement particuli?rement r?p?titif tendant ? prolonger la proc?dure ne peut ?tre attribu? ? la partie requ?rante ;
Qu?il est indiscutable que le syst?me judiciaire ? du fait des r?gles de proc?dure pr?vues et du manque d?effectif ? ne permet pas aux proc?dures judiciaires de se terminer rapidement, malgr? l?intervention du l?gislateur qui a introduit des r?formes sp?cifiques, lesquelles n?ont toutefois pas r?ussi ? avoir une incidence d?terminante sur les ? lenteurs ? de la justice ;
Qu?eu ?gard ? ce qui pr?c?de on ne peut que reconna?tre que le requ?rant a subi un dommage moral du fait du pr?judice psychologique et de l?in?vitable ?tat d?angoisse prolong? dans lequel il s?est trouv? pendant la p?riode de sept ans environ o? il a ?t? oblig? d?attendre la fin d?une proc?dure ayant pour objet le droit ? une indemnit? pour une aide ? domicile ;
Qu?en estimant ? un an le retard en premi?re instance et ? trois ans celui en appel et en les ?valuant sur la base des ?l?ments d?j? indiqu?s, le dommage peut ?tre d?termin? en ?quit? comme s??levant actuellement ? 1 000 euros, plus les int?r?ts ? compter de la date de d?p?t de la pr?sente d?cision. ?
La cour d?appel accorda ?galement 800 EUR pour frais et d?pens. Cette d?cision fut notifi?e le 20 d?cembre 2002 et passa en force de chose jug?e en f?vrier 2003.
21. Par une lettre du 8 janvier 2003, le requ?rant informa la Cour du r?sultat de la proc?dure nationale et lui demanda de reprendre l?examen de sa requ?te.
22. Faute de paiement, le 26 mai 2004 le requ?rant mit en demeure l?administration de payer les sommes dues. La d?marche ?tant rest?e sans r?sultat, il entama une proc?dure de saisie qui aboutit le 12 mai 2005 ? une ordonnance de saisie-attribution des sommes d?tenues par la Banque d?Italie. Selon les informations fournies par le requ?rant ? l?audience du 29 juin 2005, la d?cision de la cour d?appel n?avait alors pas encore ?t? ex?cut?e.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La loi no 89 du 24 mars 2001, dite ? loi Pinto ?
23. Octroi d?une satisfaction ?quitable en cas de non-respect du d?lai raisonnable et modification de l?article 375 du code de proc?dure civile
Chapitre II ? Satisfaction ?quitable
Article 2 ? Droit ? une satisfaction ?quitable
? 1. Toute personne ayant subi un pr?judice patrimonial ou extrapatrimonial ? la suite de la violation de la Convention de Sauvegarde des Droits de l?Homme et des Libert?s fondamentales, ratifi?e par la loi no 848 du 4 ao?t 1955, ? raison du non-respect du ? d?lai raisonnable ? pr?vu ? l?article 6 ? 1 de la Convention, a droit ? une satisfaction ?quitable.
2. Pour appr?cier la violation, le juge prend en compte la complexit? de l?affaire et, dans le cadre de celle-ci, le comportement des parties et du juge charg? de la proc?dure, ainsi que le comportement de toute autorit? appel?e ? participer ou ? contribuer ? son r?glement.
3. Le juge d?termine le montant de la r?paration conform?ment ? l?article 2056 du code civil, en respectant les dispositions suivantes :
a) seul le pr?judice qui peut se rapporter ? la p?riode exc?dant le d?lai raisonnable indiqu? au paragraphe 1 peut ?tre pris en compte ;
b) le pr?judice extrapatrimonial est r?par? non seulement par le versement d?une somme d?argent, mais aussi par la publication du constat de violation selon les formes appropri?es. ?
Article 3 ? Proc?dure
? 1. La demande de satisfaction ?quitable est d?pos?e aupr?s de la cour d?appel o? si?ge le juge qui, selon l?article 11 du code de proc?dure p?nale, est comp?tent pour les affaires concernant les magistrats du ressort o? la proc?dure ? au sujet de laquelle on all?gue la violation ? s?est achev?e ou s?est ?teinte quant au fond, ou est pendante.
2. La demande est introduite par un recours d?pos? au greffe de la cour d?appel, par un avocat muni d?un mandat sp?cifique contenant tous les ?l?ments vis?s par l?article 125 du code de proc?dure civile.
3. Le recours est dirig? contre le ministre de la Justice s?il s?agit de proc?dures devant le juge ordinaire, le ministre de la D?fense s?il s?agit de proc?dures devant le juge militaire, ou le ministre des Finances s?il s?agit de proc?dures devant les commissions fiscales. Dans tous les autres cas, le recours est dirig? contre le pr?sident du Conseil des ministres.
4. La cour d?appel statue conform?ment aux articles 737 et suivants du code de proc?dure civile. Le recours, ainsi que la d?cision de fixation des d?bats devant la chambre comp?tente, est notifi?, par les soins du demandeur, ? l?administration d?fenderesse domicili?e aupr?s du bureau des avocats de l?Etat [Avvocatura dello Stato]. Un d?lai d?au moins quinze jours doit ?tre respect? entre la date de la notification et celle des d?bats devant la chambre.
5. Les parties peuvent demander que la cour d?appel ordonne la production de tout ou partie des actes et des documents de la proc?dure au sujet de laquelle on all?gue la violation vis?e ? l?article 2, et elles ont le droit d??tre entendues, avec leurs avocats, en chambre du conseil si elles se pr?sentent. Les parties peuvent d?poser des m?moires et des documents jusqu?? cinq jours avant la date ? laquelle sont pr?vus les d?bats devant la chambre, ou jusqu?? l??ch?ance du d?lai accord? par la cour d?appel sur demande des parties.
6. La cour prononce, dans les quatre mois suivant la formation du recours, une d?cision susceptible de pourvoi en cassation. La d?cision est imm?diatement ex?cutoire.
7. Le paiement des indemnit?s aux ayants droit a lieu, dans la limite des ressources disponibles, ? compter du 1er janvier 2002. ?
Article 4 ? D?lai et conditions concernant l?introduction d?une requ?te
? La demande de r?paration peut ?tre pr?sent?e au cours de la proc?dure au sujet de laquelle on all?gue la violation ou, sous peine de d?ch?ance, dans un d?lai de six mois ? partir de la date ? laquelle la d?cision concluant ladite proc?dure est devenue d?finitive. ?
Article 5 ? Communications
? La d?cision qui fait droit ? la demande est communiqu?e par le greffe, non seulement aux parties, mais aussi au procureur g?n?ral pr?s la Cour des comptes afin de permettre l??ventuelle instruction d?une proc?dure en responsabilit?, et aux titulaires de l?action disciplinaire des fonctionnaires concern?s par la proc?dure. ?
Article 6 ? Dispositions transitoires
? 1. Dans les six mois ? compter de la date d?entr?e en vigueur de la pr?sente loi, toutes les personnes qui ont d?j?, en temps utile, introduit une requ?te devant la Cour europ?enne des Droits de l?Homme pour non-respect du ? d?lai raisonnable ? pr?vu par l?article 6 ? 1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l?Homme et des Libert?s fondamentales, ratifi?e par la loi no 848 du 4 ao?t 1955, peuvent pr?senter la demande vis?e ? l?article 3 de la pr?sente loi au cas o? la Cour europ?enne n?aurait pas encore d?clar? la requ?te recevable. Dans ce cas, le recours aupr?s de la cour d?appel doit indiquer la date d?introduction de la requ?te devant la Cour europ?enne.
2. Le greffe du juge saisi informe sans retard le ministre des Affaires ?trang?res de toute demande pr?sent?e au titre de l?article 3 et dans le d?lai pr?vu au paragraphe 1 du pr?sent article. ?
Article 7 ? Dispositions financi?res
? 1. La charge financi?re d?coulant de la mise en ?uvre de la pr?sente loi, ?valu?e ? 12 705 000 000 de lires italiennes ? partir de l?ann?e 2002, sera couverte au moyen du d?blocage des fonds inscrits au budget triennal 2001-2003, dans le cadre du chapitre des pr?visions de base de la partie courante du ? Fonds sp?cial ? de l??tat de pr?vision du minist?re du Tr?sor, du Budget et de la Programmation ?conomique, pour l?ann?e 2001. Pour ce faire, les provisions dudit minist?re seront utilis?es.
2. Le minist?re du Tr?sor, du Budget et de la Programmation ?conomique est autoris? ? apporter, par d?cret, les modifications n?cessaires au budget. ?
B. Extraits de la jurisprudence italienne
1. Le revirement de jurisprudence de 2004
24. La Cour de cassation pl?ni?re (Sezioni Unite), saisie de recours contre des d?cisions rendues par des cours d?appel dans le cadre de proc?dures ? Pinto ?, a rendu le 27 novembre 2003 quatre arr?ts de cassation avec renvoi (nos 1338, 1339, 1340 et 1341), dont les textes furent d?pos?s au greffe le 26 janvier 2004 et dans lesquels elle a affirm? que ? la jurisprudence de la Cour de Strasbourg s?impose aux juges italiens en ce qui concerne l?application de la loi no 89/2001 ?.
Elle a notamment affirm? dans son arr?t no 1340 le principe selon lequel :
? la d?termination du dommage extrapatrimonial effectu?e par la cour d?appel conform?ment ? l?article 2 de la loi n? 89/2001, bien que par nature fond?e sur l??quit?, doit intervenir dans un environnement qui est d?fini par le droit puisqu?il faut se r?f?rer aux montants allou?s, dans des affaires similaires, par la Cour de Strasbourg, dont il est permis de s??loigner mais de fa?on raisonnable. ?
25. Extraits de l?arr?t no 1339 de l?Assembl?e pl?ni?re de la Cour de cassation d?pos? au greffe le 26 janvier 2004 :
? (…) 2. La pr?sente requ?te pose la question essentielle de la nature de l?effet juridique qui doit ?tre attribu? ? en application de la loi du 24 mars 2001 no 89, en particulier quant ? l?identification du dommage extrapatrimonial d?coulant de la violation de la dur?e raisonnable du proc?s ? aux arr?ts de la Cour europ?enne des droits de l?homme, qu?ils soient pris en r?gle g?n?rale comme des directives d?interpr?tation ?labor?es par cette Cour au vu des cons?quences de ladite violation, ou avec une r?f?rence ? l?hypoth?se sp?cifique selon laquelle la Cour europ?enne a d?j? eu l?occasion de se prononcer sur le retard dans la d?cision d?un proc?s donn?. (…)
Comme le stipule l?article 2 ? 1 de ladite loi, le fait (juridique) g?n?rateur du droit ? r?paration pr?vu par le texte, est constitu? par la ? violation de la Convention de Sauvegarde des Droits de l?Homme et des Libert?s fondamentales, ratifi?e par la loi no 848 du 4 ao?t 1955, ? raison du non-respect du d?lai raisonnable pr?vu ? l?article 6 ? 1 de la Convention ?. Ainsi, la loi no 89/2001 identifie le fait g?n?rateur du droit ? indemnisation ? par r?f?rence ? ? une norme sp?cifique de la CEDH. Cette Convention a institu? un Juge (la Cour europ?enne des Droits de l?Homme, qui si?ge ? Strasbourg) pour faire respecter ses dispositions (article 19) ; c?est la raison pour laquelle elle n?a pas d?autre choix que de reconna?tre ? ce juge le pouvoir de d?terminer la signification de ces dispositions et de les interpr?ter.
Puisque le fait g?n?rateur du droit d?fini par la loi no 89/2001 consiste en une violation de la CEDH, il incombe au Juge de la CEDH de d?terminer les ?l?ments de ce fait juridique, qui finit donc par ?tre ? mis en conformit? ? par la Cour de Strasbourg, dont la jurisprudence s?impose aux juges italiens pour ce qui touche ? l?application de la loi no 89/2001.
Il n?est donc pas n?cessaire de se poser le probl?me g?n?ral des rapports entre la CEDH et l?ordre juridique interne, sur lesquels le procureur g?n?ral s?est longuement arr?t? lors de l?audience. Quelle que soit l?opinion qu?on ait sur ce probl?me controvers?, et donc sur la place de la CEDH dans le cadre des sources du droit interne, il ne fait aucun doute que l?application directe d?une norme de la CEDH dans l?ordre juridique italien, sanctionn?e par la loi no 89/2001 (et donc par l?article 6 ? 1, dans la partie relative au ? d?lai raisonnable ?), ne peut pas s??carter de l?interpr?tation que le juge europ?en donne de cette m?me norme.
La th?se contraire, qui permettrait des divergences importantes entre l?application tenue pour appropri?e dans l?ordre national selon la loi no 89/2001 et l?interpr?tation donn?e par la Cour de Strasbourg au droit ? un proc?s dans un d?lai raisonnable, retirerait toute justification ? ladite loi no 89/2001 et conduirait l?Etat italien ? violer l?article 1 de la CEDH, selon lequel ? Les Hautes Parties contractantes reconnaissent ? toute personne relevant de leur juridiction les droits et libert?s d?finis au titre I de la pr?sente Convention ? (qui comprend l?article 6 susmentionn?, lequel d?finit le droit ? un proc?s dans un d?lai raisonnable).
Les raisons qui ont d?termin? l?adoption de la loi no 89/2001 reposent sur la n?cessit? de pr?voir un recours jurisprudentiel interne contre les violations tenant ? la dur?e des proc?dures, de fa?on ? mettre en ?uvre la subsidiarit? de l?intervention de la Cour de Strasbourg, pr?vue express?ment par la CEDH (article 35) : ? La Cour ne peut ?tre saisie qu?apr?s l??puisement des voies de recours internes ?. Le syst?me europ?en de protection des droits de l?homme se fonde sur ce principe de subsidiarit?. Il en d?coule l?obligation pour les Etats ayant ratifi? la CEDH de garantir aux citoyens la protection des droits reconnus par la CEDH, particuli?rement dans le cadre de l?ordre juridique interne et devant les organes de la justice nationale. Cette protection doit ?tre ? effective ? (article 13 de la CEDH), de fa?on ? ouvrir une voie de recours sans saisir la Cour de Strasbourg.
Le recours interne introduit par la loi no 89/2001 n?existait pas auparavant dans l?ordre juridique italien. Par cons?quent, les requ?tes contre l?Italie pour violation de l?article 6 de la CEDH avaient ? satur? ? (terme utilis? par le rapporteur Follieri lors de la s?ance du S?nat du 28 septembre 2000) le juge europ?en. La Cour de Strasbourg a relev?, avant la loi no 89/2001, que lesdits manquements de l?Italie ? refl?taient une situation qui perdure, ? laquelle il n?a pas encore ?t? port? rem?de et pour laquelle les justiciables ne disposent d?aucune voie de recours interne. Cette accumulation de manquements est, d?s lors, constitutive d?une pratique incompatible avec la Convention ? (voir les quatre arr?ts de la Cour rendus le 28 juillet 1999 dans les affaires Bottazzi, Di Mauro, Ferrari et A.P.).
La loi no 89/2001 constitue la voie de recours interne que la ? victime d?une violation ? (telle que d?finie ? l?article 34 de la CEDH) de l?article 6 (quant au non-respect du d?lai raisonnable) doit exercer, avant de s?adresser ? la Cour europ?enne pour solliciter la ? satisfaction ?quitable ? pr?vue ? l?article 41 de la CEDH, laquelle, lorsque la violation subsiste, est accord?e par la Cour uniquement ? si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d?effacer qu?imparfaitement les cons?quences de cette violation ?. La loi no 89/2001 a par cons?quent, permis ? la Cour europ?enne de d?clarer irrecevables les requ?tes qui lui ont ?t? pr?sent?es (notamment avant l?adoption de cette loi) et visant ? obtenir la satisfaction ?quitable pr?vue ? l?article 41 de la CEDH relative ? la dur?e du proc?s (Brusco c. Italie, arr?t du 6 septembre 2001).
Ce m?canisme d?application de la CEDH et de respect du principe de subsidiarit? de l?intervention de la Cour europ?enne de Strasbourg ne fonctionne pourtant pas lorsque celle-ci consid?re que les cons?quences de la violation de la CEDH pr?sum?e n?ont pas ?t? r?par?es dans le cadre du droit interne ou ont ?t? r?par?es ? imparfaitement ? car, dans de telles hypoth?ses, l?article 41 susmentionn? pr?voit l?intervention de la Cour europ?enne pour prot?ger la ? victime de la violation ?. Dans ce cas, la requ?te individuelle soumise ? la Cour de Strasbourg au sens de l?article 34 de la CEDH est recevable (Scordino et autres c. Italie, d?cision du 27 mars 2003) et la Cour prend des mesures pour prot?ger directement le droit de la victime qui, selon cette m?me Cour, n?a pas ?t? suffisamment sauvegard? par le droit interne.
Le juge du caract?re suffisant ou imparfait de la protection que la victime a obtenue en droit interne est, sans aucun doute, la Cour europ?enne, ? qui incombe la responsabilit? de faire appliquer l?article 41 de la CEDH pour ?tablir, si, dans le cadre de la violation de la CEDH, le droit interne a permis de r?parer de mani?re exhaustive les cons?quences de ladite violation.
La th?se selon laquelle le juge italien peut avoir, dans le cadre de l?application de la loi no 89/2001, une interpr?tation diff?rente de celle que la Cour europ?enne a donn?e ? la norme de l?article 6 de la CEDH (dont la violation constitue le fait g?n?rateur du droit ? indemnisation, d?fini par ladite loi nationale) implique que la victime de la violation (si elle re?oit dans le cadre de la proc?dure nationale une r?paration jug?e insuffisante par la Cour europ?enne) doit obtenir de ce juge la satisfaction ?quitable pr?vue ? l?article 41 de la CEDH. Cela enl?verait toute utilit? ? la r?paration pr?vue par le l?gislateur italien dans la loi no 89/2001 et porterait atteinte au principe de subsidiarit? de l?intervention de la Cour de Strasbourg.
Il faut donc se rallier ? la Cour europ?enne des droits de l?homme qui, dans la d?cision pr?cit?e relative ? la requ?te Scordino (concernant le caract?re imparfait de la protection accord?e par le juge italien en application de la loi no 89/2001), a affirm? que ? dans le cadre du principe de subsidiarit?, les jurisprudences nationales doivent interpr?ter et appliquer, autant que possible, le droit national conform?ment ? la Convention ?.
(…) Les travaux pr?paratoires de la loi no 89/2001 sont encore plus explicites. Dans son rapport sur le projet de loi (acte s?natorial no 3813 du 16 f?vrier 1999), le s?nateur Pinto affirme que le m?canisme de r?paration propos? par une initiative l?gislative (jug? ensuite recevable par la loi suscit?e) assure au requ?rant ? une protection analogue ? celle qu?il recevrait dans le cadre de l?instance internationale ? puisque la r?f?rence directe ? l?article 6 de la CEDH permet de transf?rer au niveau interne ? les limites d?applicabilit? de cette m?me disposition qui existent au niveau international ; limites qui d?pendent essentiellement de l?Etat et de l??volution de la jurisprudence des organes de Strasbourg, particuli?rement de la Cour europ?enne des droits de l?homme, dont les arr?ts devront donc guider (…) le juge interne dans la d?finition de ces limites ?.
(…) 6. Les consid?rations expos?es dans les sections 3-5 de ce document se r?f?rent en g?n?ral ? l?importance des directives d?interpr?tation de la Cour europ?enne sur l?application de la loi no 89/2001 relative ? la r?paration du dommage extrapatrimonial.
N?anmoins, en l?esp?ce, il convient de consid?rer que le juge national est dans l?impossibilit? d?exclure le dommage extrapatrimonial (m?me une fois ?tablie la violation de l?article 6 de la CEDH) car il en est emp?ch? par la pr?c?dente d?cision de la Cour europ?enne ; en r?f?rence ? ce m?me proc?s pr??tabli, la Cour a en effet d?j? jug? que les retards injustifi?s survenus dans la proc?dure ont entra?n? des cons?quences quant au dommage extrapatrimonial du requ?rant, qu?elle a satisfait pour une partie de la p?riode. Il d?coule de cet arr?t de la Cour europ?enne que, une fois la violation ?tablie par le juge national pour la p?riode qui a suivi celle prise en consid?ration par l?arr?t, le requ?rant a continu? ? subir un dommage extrapatrimonial qui doit ?tre indemnis? en application de la loi no 89/2001.
Il n?est donc pas possible d?affirmer ? comme l?a fait la cour d?appel de Rome ? que l?indemnisation est injustifi?e du fait de la faible valeur de l?enjeu dans le cadre de la proc?dure litigieuse. Ce motif est tout d?abord inappropri? ?tant donn? que la Cour europ?enne a d?j? jug? que le dommage extrapatrimonial subsiste dans le cadre de la dur?e excessive de cette m?me proc?dure et, de surcro?t, inexact. En effet, lorsque le non-respect du d?lai raisonnable a ?t? constat?, le montant en jeu dans le proc?s ne peut jamais avoir pour effet d?exclure le dommage extrapatrimonial, vu que l?anxi?t? et l?angoisse dues ? la suspension de la proc?dure se v?rifient g?n?ralement, y compris dans les cas o? le montant en jeu est minime, et o? cet aspect pourra avoir un effet r?ducteur sur le montant de l?indemnisation, sans l?exclure totalement.
7. En conclusion, la d?cision attaqu?e doit ?tre cass?e et l?affaire renvoy?e ? la cour d?appel de Rome qui, compos?e diff?remment, versera au requ?rant le dommage extrapatrimonial d? en raison du non-respect du d?lai raisonnable pour la seule p?riode cons?cutive au 16 avril 1996 ; elle se r?f?rera aux modalit?s de r?glement de ce type de dommage adopt?es par la Cour europ?enne des droits de l?homme, dont elle pourra s??carter dans une mesure raisonnable (Cour DH, 27 mars 2003, Scordino c. Italie). ?
2. Jurisprudence en mati?re de transmission du droit ? r?paration
a) Arr?t no 17650/02 de la Cour de cassation d?pos? au greffe le 15 octobre 2002
26. La Cour de cassation s?exprima ainsi :
? (…) Le d?c?s d?une personne victime de la dur?e excessive d?une proc?dure, intervenu avant l?entr?e en vigueur de la loi no 89 de 2001 [dite ? loi Pinto ?], repr?sente un obstacle ? la naissance du droit [? la satisfaction ?quitable] et ? sa transmission aux h?ritiers, conform?ment ? la r?gle g?n?rale selon laquelle une personne d?c?d?e ne peut pas devenir titulaire d?un droit garanti par une loi post?rieure ? sa mort (…) ?
b) Arr?t no 5264/03 de la Cour de cassation d?pos? au greffe le 4 avril 2003
27. Dans son arr?t, la Cour de cassation rel?ve que le droit d?obtenir r?paration pour la violation du droit ? un proc?s dans un d?lai raisonnable trouve sa source dans la loi Pinto. Le m?canisme pr?vu par la norme europ?enne ne constitue pas un droit pouvant ?tre revendiqu? devant le juge national. Partant, le droit ? une ? satisfaction ?quitable ? ne peut ?tre ni acquis ni transmis par une personne d?j? d?c?d?e lors de l?entr?e en vigueur de la loi Pinto. Le fait que le d?funt a, en son temps, pr?sent? une requ?te devant la Cour de Strasbourg n?est pas d?terminant. Contrairement ? ce que pr?tendent les requ?rants, la disposition de l?article 6 de la loi Pinto ne constitue pas une norme proc?durale op?rant un transfert de comp?tences de la Cour europ?enne au juge national.
c) Ordonnance no 11950/04 de la Cour de cassation d?pos?e au greffe le 26 juin 2004
28. Dans cette affaire traitant de la possibilit? ou non de transmettre ? des h?ritiers le droit ? r?paration d?coulant de la violation de l?article 6 ? 1 du fait de la dur?e de la proc?dure, la premi?re section de la Cour de cassation a renvoy? l?affaire devant l?Assembl?e pl?ni?re, estimant qu?il y avait un conflit de jurisprudence entre l?attitude restrictive adopt?e par la haute juridiction dans les pr?c?dents arr?ts en mati?re de succession au regard de la loi Pinto et les quatre arr?ts rendus par l?Assembl?e pl?ni?re le 26 janvier 2004, dans la mesure o? une interpr?tation moins stricte permettait de consid?rer que ce droit ? r?paration existait depuis la ratification de la Convention europ?enne par l?Italie le 4 ao?t 1955.
d) Extraits de l?arr?t no 28507/05 de l?Assembl?e pl?ni?re de la Cour de cassation d?pos? au greffe le 23 d?cembre 2005
29. Dans l?affaire ayant donn? lieu ? l?ordonnance de renvoi ?voqu?e ci-dessus (voir paragraphe pr?c?dent), l?Assembl?e pl?ni?re a notamment proclam? les principes suivants, mettant ainsi fin ? des divergences de jurisprudence :
? La loi no 848 du 4 ao?t 1955, qui a ratifi? et rendu ex?cutoire la Convention, a introduit dans l?ordre interne les droits fondamentaux, appartenant ? la cat?gorie des droits subjectifs publics, pr?vus par le titre premier de la Convention et qui co?ncident en grande partie avec ceux indiqu?s dans l?article 2 de la Constitution ; ? cet ?gard l??nonc? de la Convention a valeur de confirmation et d?illustration. (…).
? Il faut r?it?rer le principe selon lequel le fait constitutif du droit ? r?paration d?fini par la loi nationale co?ncide avec la violation de la norme contenue dans l?article 6 de la Convention, qui est d?applicabilit? imm?diate en droit interne.
La distinction entre le droit ? un proc?s dans un d?lai raisonnable, introduit par la Convention europ?enne des Droits de l?Homme (ou m?me pr?existant en tant que valeur prot?g?e par la Constitution), et le droit ? une r?paration ?quitable, qui aurait ?t? introduit seulement par la loi Pinto, ne saurait ?tre admise dans la mesure o? la protection fournie par le juge national ne s??carte pas de celle pr?c?demment offerte par la Cour de Strasbourg, le juge national ?tant tenu de se conformer ? la jurisprudence de la Cour europ?enne. (…)
? Il en ressort que le droit ? une r?paration ?quitable du pr?judice d?coulant de la dur?e excessive d?une proc?dure s??tant d?roul?e avant la date d?entr?e en vigueur de la loi no 89 de 2001 doit ?tre reconnu par le juge national m?me en faveur des h?ritiers de la partie ayant introduit la proc?dure litigieuse avant cette date, la seule limite ?tant que la demande n?ait pas d?j? ?t? pr?sent?e ? la Cour de Strasbourg et que celle-ci ne se soit pas prononc?e sur sa recevabilit?. (…)
3. Arr?t no 18239/04 de la Cour de cassation, d?pos? au greffe le 10 septembre 2004, concernant le droit ? r?paration des personnes morales
30. Cet arr?t de la Cour de cassation concerne un pourvoi du minist?re de la Justice contestant l?octroi par une cour d?appel d?une somme au titre du dommage moral ? une personne morale. La Cour de cassation a repris la jurisprudence Comingersoll c. Portugal ([GC], no 35382/97, CEDH 2000-IV) et, apr?s s??tre r?f?r?e aux quatre arr?ts de l?Assembl?e pl?ni?re du 26 janvier 2004, a constat? que sa propre jurisprudence n??tait pas conforme ? celle de la Cour europ?enne. Elle a estim? que l?octroi d?une satisfaction ?quitable pour les personnes ? juridiques ? selon les crit?res de la Cour de Strasbourg ne se heurtait ? aucun obstacle normatif interne. Par cons?quent, la d?cision de la cour d?appel ?tant correcte, elle a rejet? le pourvoi.
4. Arr?t no 8568/05 de la Cour de cassation, d?pos? au greffe le 23 avril 2005, concernant la pr?somption d?un dommage moral
31. La haute juridiction formula les observations suivantes :
? (…) [Consid?rant] que le dommage extrapatrimonial est la cons?quence normale, mais pas automatique, de la violation du droit ? un proc?s dans un d?lai raisonnable, de telle sorte qu?il sera r?put? exister sans qu?il soit besoin d?en apporter la preuve sp?cifique (directe ou par pr?somption) d?s lors que cette violation a ?t? objectivement constat?e, sous r?serve qu?il n?y ait pas de circonstances particuli?res qui en soulignent l?absence dans le cas concret (Cass. A.P. 26 janvier 2004 no 1338 et 1339) ;
? que l??valuation en ?quit? de l?indemnisation du dommage extrapatrimonial est soumise, du fait du renvoi sp?cifique de l?article 2 de la loi du 24 mars 2001 no 89 ? l?article 6 de la Convention europ?enne des Droits de l?Homme (ratifi?e par la loi du 4 ao?t 1955 no 848), au respect de ladite Convention, conform?ment ? l?interpr?tation jurisprudentielle rendue par la Cour de Strasbourg (dont l?inobservation emporte violation de la loi), et doit donc, dans la mesure du possible, se conformer aux sommes octroy?es dans des cas similaires par le juge europ?en, sur le plan mat?riel et pas simplement formel, avec la facult? d?apporter les d?rogations qu?implique le cas d?esp?ce, ? condition qu?elles ne soient pas d?nu?es de motivation, excessives ou d?raisonnables (Cass. A.P. 26 janvier 2004 no 1340) ; (…)
? que la diff?rence entre les crit?res de calcul [entre la jurisprudence de la Cour et l?article 2 de la loi Pinto] ne touche pas ? la capacit? globale de la loi no 89 de 2001 ? garantir une r?paration s?rieuse pour la violation du droit ? un proc?s dans une dur?e raisonnable (capacit? reconnue par la Cour europ?enne, entre autres, dans une d?cision du 27 mars 2003 rendue dans la requ?te no 36813/97 Scordino c. Italie), et donc n?autorise aucun doute sur la compatibilit? de cette norme interne avec les engagements internationaux pris par la R?publique italienne par le biais de la ratification de la Convention europ?enne et la reconnaissance formelle, ?galement au niveau constitutionnel, du principe ?nonc? ? l?article 6 ? 1 de ladite Convention (…) ?
III. AUTRES DISPOSITIONS PERTINENTES
A. Troisi?me rapport annuel sur la dur?e excessive des proc?dures judiciaires en Italie pour l?ann?e 2003 (justice administrative, civile et p?nale)
32. Dans ce rapport CM/Inf/DH(2004)23, r?vis? le 24 septembre 2004, les d?l?gu?s des Ministres ont indiqu?, en ce qui concerne l??valuation du recours Pinto, ce qui suit :
? (…) 11. S?agissant du recours interne introduit en 2001 par la ? loi Pinto ?, il reste un certain nombre de d?faillances ? r?gler, notamment li?es ? l?efficacit? de ce recours et ? son application en conformit? avec la Convention : en particulier, cette loi ne permet toujours pas d?acc?l?rer les proc?dures pendantes. (…)
109. Dans le cadre de son examen du 1er rapport annuel, le Comit? des Ministres a exprim? sa perplexit? quant au fait que cette loi ne permettait pas d?obtenir l?acc?l?ration des proc?dures contest?es et que son application posait un risque d?aggraver la surcharge des cours d?appel. (…)
112. Il est rappel? que, dans le cadre de son examen du 2e rapport annuel, le Comit? des Ministres avait pris note avec pr?occupation de cette absence d?effet direct [de la Convention et de sa jurisprudence en Italie] et avait par cons?quent invit? les autorit?s italiennes ? intensifier leurs efforts au niveau national ainsi que leurs contacts avec les diff?rents organes du Conseil de l?Europe comp?tents en la mati?re. (…) ?
B. R?solution Int?rimaire ResDH(2005)114 concernant les arr?ts de la Cour europ?enne des Droits de l?Homme et les d?cisions du Comit? des Ministres dans 2 183 affaires contre l?Italie relatives ? la dur?e excessive des proc?dures judiciaires
33. Dans cette r?solution int?rimaire, les d?l?gu?s des Ministres ont indiqu? ce qui suit :
? Le Comit? des Ministres (…)
Notant (…)
(…) la mise en place d?une voie de recours interne permettant une indemnisation dans les cas de dur?e excessive des proc?dures, adopt?e en 2001 (loi ? Pinto ?), et les d?veloppements r?cents de la jurisprudence de la Cour de la cassation, permettant d?accro?tre l?effet direct de la jurisprudence de la Cour europ?enne en droit interne, tout en notant que cette voie de recours ne permet toujours pas l?acc?l?ration des proc?dures de mani?re ? rem?dier effectivement ? la situation des victimes ;
Soulignant que la mise en place de voies de recours internes ne dispense pas les Etats de leur obligation g?n?rale de r?soudre les probl?mes structuraux ? la base des violations ;
Constatant qu?en d?pit des efforts entrepris, de nombreux ?l?ments indiquent toujours que la solution ? ce probl?me ne sera pas trouv?e ? court terme (ainsi que d?montr? notamment par les donn?es statistiques, par les nouvelles affaires pendantes devant les juridictions nationales et la Cour europ?enne, par les informations contenues dans les rapports annuels soumis par le Gouvernement au Comit? et dans les rapports du procureur g?n?ral ? la Cour de la cassation) ; (…)
Soulignant l?importance que la Convention attribue au droit ? une administration ?quitable de la justice dans une soci?t? d?mocratique et rappelant que le probl?me de la dur?e excessive des proc?dures judiciaires, en raison de sa persistance et de son ampleur, constitue un r?el danger pour le respect de l?Etat de droit en Italie ; (…)
PRIE INSTAMMENT les autorit?s italiennes de renforcer leur engagement politique et de faire du respect des obligations de l?Italie en vertu de la Convention et des arr?ts de la Cour une priorit? effective, afin de garantir le droit ? un proc?s ?quitable dans un d?lai raisonnable ? toute personne relevant de la juridiction de l?Italie ; (…) ?
C. La Commission europ?enne pour l?efficacit? de la justice (CEPEJ)
34. La Commission europ?enne pour l?efficacit? de la justice a ?t? ?tablie au sein du Conseil de l?Europe par la r?solution Res (2002)12, avec pour objectif d?une part d?am?liorer l?efficacit? et le fonctionnement du syst?me judiciaire des Etats membres afin d?assurer que toute personne relevant de leur juridiction puisse faire valoir ses droits de fa?on effective, de mani?re ? renforcer la confiance des citoyens dans la justice, et d?autre part de permettre de mieux mettre en ?uvre les instruments juridiques internationaux du Conseil de l?Europe relatifs ? l?efficacit? et ? l??quit? de la justice.
35. Dans son programme-cadre (CEPEJ (2004) 19 Rev 2 ? 7) la CEPEJ a remarqu? que ? les dispositifs limit?s ? une indemnisation ont un effet incitatif trop faible sur les Etats pour les amener ? modifier leur fonctionnement et n?apportent qu?une r?paration a posteriori en cas de violation av?r?e au lieu de trouver une solution au probl?me de la dur?e. ?
EN DROIT
I. SUR LES EXCEPTIONS PR?LIMINAIRES DU GOUVERNEMENT
A. Le non-?puisement des voies de recours internes
1. Le gouvernement d?fendeur
36. Le Gouvernement demande ? la Cour de d?clarer la requ?te irrecevable pour non-?puisement des voies de recours internes et donc de revenir sur la d?cision de la chambre selon laquelle le pourvoi en cassation n?est pas une voie de recours obligatoire. Selon lui, c?est ? tort que la Cour, dans sa d?cision Scordino c. Italie ((d?c.), no 36813/97, CEDH 2003-IV), a d?clar? que le recours en cassation n??tait pas une voie de recours interne ? ?puiser car dans ses arr?ts la Cour de cassation a toujours consid?r? les griefs relatifs ? la mesure de l?indemnit? comme relevant de l?appr?ciation des faits, r?serv?s ? la comp?tence du juge du fond. Il est vrai que la Cour de cassation, en tant que juge du droit, ne peut pas superposer sa propre appr?ciation sur les questions de fond ou sa propre ?valuation des faits et des preuves ? celles du juge du fond. Elle a cependant le pouvoir de constater que la d?cision du juge du fond est incompatible avec l?interpr?tation correcte de la loi ou est motiv?e de fa?on illogique ou contradictoire. Dans ce cas, elle peut formuler le principe juridique applicable ou tracer la ligne directrice du raisonnement correct et renvoyer l?affaire devant le juge du fond afin qu?il proc?de ? une nouvelle appr?ciation des faits sur la base de ces indications. Cette th?se a d?ailleurs ?t? confirm?e par les quatre arr?ts rendus par l?Assembl?e pl?ni?re de la Cour de cassation le 26 janvier 2004 nos 1338, 1339, 1340 et 1341 (paragraphes 24 et 25 ci-dessus).
2. Le requ?rant
37. Le requ?rant estime que le Gouvernement est forclos ? soulever cette question, qu?il n?avait jamais ?voqu?e valablement devant la chambre. En tout ?tat de cause, le Gouvernement se contente de soutenir des th?ses qui ont d?j? ?t? rejet?es par la chambre lors de la d?cision sur la recevabilit? et dans son arr?t sur le fond de l?affaire. Le requ?rant observe que jusqu?au revirement de jurisprudence de la Cour de cassation, qui n?est intervenu que post?rieurement ? la d?cision Scordino (pr?cit?e), les juges italiens ne se sont pas sentis li?s par la jurisprudence de la Cour qui ?tait cit?e par les avocats dans les recours, et qu?il n?a connaissance d?aucun arr?t de la Cour de cassation ant?rieur ? ce revirement de jurisprudence o? la Cour de cassation a accept? un pourvoi se fondant uniquement sur le fait que le montant accord? n??tait pas en rapport avec ceux octroy?s par la Cour europ?enne. Il rel?ve en outre qu?en ce qui le concerne la d?cision de la cour d?appel ?tait devenue d?finitive bien avant le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation et demande donc ? la Cour de rejeter l?exception du Gouvernement et de confirmer l?arr?t du 10 novembre 2004 (paragraphes 14-16 de l?arr?t de la chambre).
3. Appr?ciation de la Cour
38. En vertu de l?article 1, aux termes duquel ? [L]es Hautes Parties contractantes reconnaissent ? toute personne relevant de leur juridiction les droits et libert?s d?finis au titre I de la pr?sente Convention ?, la mise en ?uvre et la sanction des droits et libert?s garantis par la Convention revient au premier chef aux autorit?s nationales. Le m?canisme de plainte devant la Cour rev?t donc un caract?re subsidiaire par rapport aux syst?mes nationaux de sauvegarde des droits de l?homme. Cette subsidiarit? s?exprime dans les articles 13 et 35 ? 1 de la Convention.
39. La finalit? de l?article 35 ? 1, qui ?nonce la r?gle de l??puisement des voies de recours internes, est de m?nager aux Etats contractants l?occasion de pr?venir ou de redresser les violations all?gu?es contre eux avant que la Cour n?en soit saisie (voir, entre autres, l?arr?t Selmouni c. France [GC], no 25803/94, ? 74, CEDH 1999-V). La r?gle de l?article 35 ? 1 se fonde sur l?hypoth?se, incorpor?e dans l?article 13 (avec lequel elle pr?sente d??troites affinit?s), que l?ordre interne offre un recours effectif quant ? la violation all?gu?e (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, ? 152, CEDH 2000-XI).
40. N?anmoins, les dispositions de l?article 35 de la Convention ne prescrivent l??puisement que des recours ? la fois relatifs aux violations incrimin?es, disponibles et ad?quats. Ils doivent exister ? un degr? suffisant de certitude non seulement en th?orie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l?effectivit? et l?accessibilit? voulues (voir, notamment, les arr?ts Vernillo c. France, arr?t du 20 f?vrier 1991, s?rie A no 198, pp. 11?12, ? 27 ; Dalia c. France, arr?t du 19 f?vrier 1998, Recueil des arr?ts et d?cisions 1998-I, pp. 87-88, ? 38 ; Mifsud c. France (d?c.) [GC], no 57220/00, CEDH 2002-VIII).
41. En adoptant la loi Pinto, l?Italie a introduit un recours purement indemnitaire en cas de violation du principe du d?lai raisonnable (paragraphe 23 ci-dessus). La Cour a d?j? estim? que le recours devant les cours d?appel introduit par la loi Pinto ?tait accessible et que rien ne permettait de douter de son efficacit? (Brusco c. Italie (d?c.), no 69789/01, CEDH 2001-IX). De plus, au vu de la nature de la loi Pinto et du contexte dans lequel celle-ci est intervenue, la Cour a d?clar? par la suite qu?il ?tait justifi? de faire une exception au principe g?n?ral selon lequel la condition de l??puisement doit ?tre appr?ci?e au moment de l?introduction de la requ?te. Cela vaut non seulement pour les requ?tes introduites apr?s la date d?entr?e en vigueur de la loi, mais aussi pour les requ?tes qui, ? la date en question, ?taient d?j? inscrites au r?le de la Cour. Elle avait notamment pris en consid?ration la disposition transitoire pr?vue par l?article 6 de la loi Pinto (paragraphe 23 ci-dessus) qui offrait aux justiciables italiens une r?elle possibilit? d?obtenir un redressement de leur grief au niveau interne pour toutes les requ?tes pendantes devant la Cour et non encore d?clar?es recevables (Brusco, ibidem).
42. Dans l?affaire Scordino (pr?cit?e), la Cour a estim? que, lorsqu?un requ?rant se plaint uniquement du montant de l?indemnisation et de l??cart existant entre celui-ci et la somme qui lui aurait ?t? accord?e au titre de l?article 41 de la Convention, l?int?ress? n?est pas tenu aux fins de l??puisement des voies de recours internes de se pourvoir en cassation contre la d?cision de la cour d?appel. Pour parvenir ? cette conclusion, elle s?est bas?e sur l?examen d?une centaine d?arr?ts de la Cour de cassation, parmi lesquels elle n?a trouv? aucun cas o? cette derni?re avait pris en consid?ration un grief tenant au fait que le montant accord? par la cour d?appel ?tait insuffisant par rapport au pr?judice all?gu? ou inad?quat par rapport ? la jurisprudence de Strasbourg.
43. Or, la Cour rel?ve que, le 26 janvier 2004, la Cour de cassation, statuant en pl?ni?re, a cass? quatre d?cisions concernant des cas o? l?existence ou le montant du dommage moral ?taient contest?s. Ce faisant, elle a pos? le principe selon lequel ? la d?termination du dommage extrapatrimonial effectu?e par la cour d?appel conform?ment ? l?article 2 de la loi n? 89/2001, bien que par nature fond?e sur l??quit?, doit intervenir dans un environnement qui est d?fini par le droit puisqu?il faut se r?f?rer aux montants allou?s, dans des affaires similaires, par la Cour de Strasbourg, dont il est permis de s??loigner mais de fa?on raisonnable ? (paragraphe 24 ci-dessus).
44. La Cour prend bonne note de ce revirement de jurisprudence et salue les efforts consentis par la Cour de cassation pour se conformer ? la jurisprudence europ?enne. Elle rappelle en outre avoir jug? raisonnable de retenir que le revirement de jurisprudence, et notamment l?arr?t no 1340 de la Cour de cassation, ne pouvait plus ?tre ignor? du public ? partir du 26 juillet 2004. Par cons?quent, elle a consid?r? qu?? partir de cette date il doit ?tre exig? des requ?rants qu?ils usent de ce recours aux fins de l?article 35 ? 1 de la Convention (Di Sante c. Italie (d?c.), no 56079/00, 24 juin 2004, et, mutatis mutandis, Broca et Texier-Micault c. France, nos 27928/02 et 31694/02, ? 20, 21 octobre 2003).
45. En l?esp?ce, la Grande Chambre, ? l?instar de la chambre, constate que le d?lai pour se pourvoir en cassation avait expir? avant le 26 juillet 2004 et estime que, dans ces circonstances, le requ?rant ?tait dispens? de l?obligation d??puiser les voies de recours internes. Par cons?quent, sans pr?juger de la question de savoir si le Gouvernement peut ?tre consid?r? comme forclos, la Cour estime que cette exception doit ?tre rejet?e.
B. L?appr?ciation de la qualit? de ? victime ?
1. La d?cision de la chambre
46. Dans sa d?cision sur la recevabilit? du 20 novembre 2003, la chambre a suivi sa jurisprudence dans l?affaire Scordino (pr?cit?e) selon laquelle le requ?rant pouvait continuer ? se pr?tendre ? victime ? au sens de l?article 34 de la Convention lorsque la somme accord?e par la cour d?appel n??tait pas consid?r?e par la chambre comme ad?quate pour r?parer le pr?judice et la violation all?gu?s. En l?esp?ce, la somme accord?e au requ?rant n??tant pas suffisante pour constituer un redressement ad?quat, la chambre a estim? qu?il pouvait toujours se pr?tendre victime.
2. Les th?ses des comparants
a) Le Gouvernement
47. Selon le gouvernement d?fendeur, le requ?rant n?est plus ? victime ? de la violation de l?article 6 ? 1 car il a obtenu de la cour d?appel un constat de violation et une somme qui doit ?tre consid?r?e comme ad?quate du fait du comportement de l?int?ress? ? le d?c?s de la demanderesse aurait occasionn? l?interruption de la proc?dure et le requ?rant ne se serait constitu? que tardivement ?, de la dur?e et de la complexit? de la cause, qui a n?cessit? une deuxi?me expertise.
48. Le Gouvernement en profite pour demander ? la Cour d?expliciter les diff?rents ?l?ments du raisonnement qui la conduisent ? ses d?cisions, tant dans ses parties concernant la violation que pour ce qui est de la satisfaction ?quitable. Il estime qu?? l?instar des juridictions nationales, la Cour devrait indiquer, dans chaque cas de figure, le nombre d?ann?es devant ?tre consid?r? comme ? normal ? par degr? de proc?dure, la dur?e qui peut ?tre acceptable en fonction de la complexit? de l?affaire, l?ampleur des retards imputables ? chaque partie, le poids de l?enjeu de la proc?dure, l?issue de celle-ci et le mode de calcul de la satisfaction ?quitable d?coulant de ces ?l?ments. Il reproche ? la chambre de ne pas avoir examin? en d?tail le raisonnement du juge national dans son arr?t du 10 novembre 2004. La chambre s?est born?e ? affirmer que la somme liquid?e ?tait insuffisante sans pr?ciser les similitudes ou les diff?rences entre les pr?c?dents cit?s ? titre de comparaison et la proc?dure litigieuse.
49. Selon lui, la Cour doit m?nager un juste ?quilibre entre l?exigence de clart? et le respect de principes tels que la marge d?appr?ciation des Etats et le principe de subsidiarit?. La recherche de cet ?quilibre devrait ?tre gouvern?e par la r?gle g?n?rale d?apr?s laquelle ? tout ?l?ment d??valuation dont l??nonc? reste souple ou vague dans la jurisprudence de Strasbourg doit correspondre le plus grand respect pour la marge d?appr?ciation correspondante dont chaque Etat a le droit de b?n?ficier, sans crainte d??tre ensuite d?savou? par la Cour en raison d?une perception diff?rente d?un fait ou de son importance. Le Gouvernement estime que la reconnaissance de l?existence et la d?termination du dommage font partie de l??valuation des preuves qui rel?ve de la comp?tence du juge national et est en principe soustraite ? celle du juge supranational. Si la Cour a certes le pouvoir de contr?ler que la d?cision soumise ? son examen est motiv?e d?une mani?re qui n?est ni manifestement d?raisonnable ni arbitraire et qu?elle soit conforme ? la logique et aux enseignements de l?exp?rience r?ellement v?rifi?s dans le contexte social, elle ne saurait imposer en revanche ses propres crit?res et substituer sa propre conviction ? celle du juge national quant ? l?appr?ciation des ?l?ments de preuve.
50. Le Gouvernement tient ? expliquer les crit?res utilis?s en droit italien et souligne que le constat de violation est ind?pendant de l?existence d?un pr?judice moral. La Cour de cassation a cependant affirm? que le dommage moral ?tait une cons?quence ordinaire du constat de la violation du d?lai raisonnable que le requ?rant n?avait dor?navant pas besoin de d?montrer. Selon la haute juridiction, c?est ? l?Etat de d?montrer le contraire, c?est-?-dire de fournir la preuve, le cas ?ch?ant, que le d?lai d?attente exorbitant d?une d?cision judiciaire n?a pas caus? d?anxi?t? et de malaise, mais qu?elle a, au contraire, ?t? profitable pour la partie requ?rante, ou bien que la partie requ?rante ?tait consciente d?avoir engag? une proc?dure ou a fait preuve de r?sistance dans le cadre d?une instance sur la base d?argumentations erron?es (Cour de cassation 29.3.-11.5.2004 no 8896), comme, par exemple, lorsqu?elle savait pertinemment depuis le d?but qu?elle n?avait aucune chance de succ?s. De plus, selon l?article 41 la Cour accorde une satisfaction ?quitable lorsque cela est opportun, donc le constat de violation peut suffire. Ainsi, la Cour ne doit pas ?tre la seule ? pouvoir moduler les montants qu?elle donne jusqu?? ne rien accorder. Il rappelle que selon le droit italien seules les ann?es d?passant la dur?e raisonnable doivent ?tre prises en consid?ration pour l??valuation du dommage.
51. A l?audience, le Gouvernement a indiqu? qu?en ce qui concernait les frais de proc?dure, le requ?rant avait obtenu leur remboursement par le juge. Quant au retard dans le versement de l?indemnit?, le Gouvernement remarque que la pr?sente affaire n?a ?t? communiqu?e qu?en ce qui concerne la dur?e de la proc?dure civile et non pour une question d?acc?s au tribunal du fait du retard dans le paiement de la somme accord?e par la cour d?appel. Enfin, se r?f?rant ?galement aux informations fournies lors de l?audience en l?affaire Scordino (no 36813/97) le m?me jour, le Gouvernement a expliqu? que le montant de la ligne budg?taire attribu? ? la loi Pinto s??tant av?r? insuffisant en 2002 et 2003, la somme avait ?t? augment?e en 2004 et 2005.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement consid?re que le requ?rant ne doit plus ?tre consid?r? comme ? victime ? de la violation tir?e de l?article 6 ? 1 de la Convention.
b) Le requ?rant
52. Le requ?rant, pour sa part, estime qu?il est toujours ? victime ? de la violation dans la mesure o? la somme qui lui a ?t? accord?e par la cour d?appel est non seulement d?risoire mais ne lui a m?me pas ?t? vers?e. En r?ponse au Gouvernement qui soutient que le requ?rant aurait d? se constituer plus t?t dans la proc?dure, il rappelle qu?il n?a pas eu la possibilit? de le faire parce que l?organisation du greffe de la juridiction interne ne le lui a pas permis (paragraphe 17 ci-dessus). Il rel?ve de surcro?t que le recours Pinto est uniquement indemnitaire et n?a en rien acc?l?r? la proc?dure le concernant, qui ?tait encore pendante.
53. Le requ?rant saisit cette occasion pour souligner les autres lacunes de la loi Pinto, auxquelles il a lui-m?me d? faire face :
? tout d?abord la cour d?appel comp?tente est loin du lieu de r?sidence des demandeurs ; pour chaque acte il faut faire 300 km alors qu?avec la Cour tout peut se faire par courrier ou t?l?copie ;
? il fallait verser des droits de timbres et des frais d?inscription au r?le (d?cision qui a ?t? prise par le minist?re de la Justice, donc le d?fendeur, par le biais d?une circulaire envoy?e aux greffes), et cela jusqu?? un d?cret du 7 mars 2002 ;
? la proc?dure Pinto est toujours assujettie (qu?elle se solde par une victoire ou une d?faite) au paiement d?autres frais et notamment ? l?on?reuse taxe d?enregistrement de la d?cision ;
? le recours ne comportait qu?une instance, sans possibilit? de se pourvoir en cassation en cas d?erreur d??valuation, jusqu?au revirement de jurisprudence du 26 janvier 2004 ;
? l?utilisation de la proc?dure en chambre du conseil (camera di consiglio) au lieu d?une proc?dure ordinaire emp?che l?admission de moyens de preuve autres que le d?p?t de documents, et le juge peut – mais sans y ?tre oblig? – demander plus de preuves (le choix de ce type de proc?dure par le l?gislateur avait pour but de limiter le plus possible le montant des r?parations des dommages obligeant la chambre comp?tente ? se prononcer en l??tat du dossier) ;
? les crit?res internes de r?paration des dommages diff?rent compl?tement de ceux de la Cour ;
? on observe une in?galit? de traitement quant au paiement des frais et d?pens puisque, quand le demandeur gagne, les sommes accord?es par les cours d?appel sont minimes, alors que, lorsqu?il perd, les sommes devant ?tre vers?es ? l?Etat sont beaucoup plus ?lev?es.
De plus, la loi Pinto pr?voit que le paiement se fait dans la limite des ressources disponibles. La couverture financi?re (environ 6 500 000 euros) en 2002 ?tait ridicule, ?tant donn? les milliers de recours qui ?taient ? l??poque pendants devant la Cour. Aujourd?hui encore les montants fix?s sont inad?quats, d?o? des retards dans le paiement. Une fois obtenue la d?cision de la cour d?appel, l?Etat ne s?ex?cute pas spontan?ment et oblige les demandeurs ? notifier la d?cision, ? attendre les 120 jours obligatoires pr?vus par la loi puis ? commencer la proc?dure de mise en demeure et ?ventuellement la proc?dure de saisie qui n?est pas toujours fructueuse faute de fonds disponibles. Il s?ensuit qu?entre l??mission de la d?cision et le paiement effectif s??coulent en moyenne deux ans, et cela de fa?on parfaitement l?gitime puisque la loi Pinto elle-m?me pr?voit que ? le paiement se fait dans la limite des ressources disponibles ?, c?est-?-dire dans la limite des sommes notoirement insuffisantes assign?es annuellement par l?Etat.
54. Selon le requ?rant, une analyse de la loi Pinto et de la mani?re de l?appliquer des juges italiens d?montre que les mesures prises par l?Etat n?ont pas pour objet d??liminer les retards mais de cr?er un recours qui soit un obstacle tel qu?il d?couragera les demandeurs d?intenter ou de continuer ce recours. Le requ?rant n?est donc pas seulement victime du retard chronique de la proc?dure mais ?galement de frustrations ult?rieures r?sultant des obstacles institu?s par le recours Pinto. En outre, la loi Pinto a augment? la charge de travail des cours d?appel sans que cette augmentation s?accompagne d?un accroissement significatif de l?effectif des magistrats, ce qui ne peut qu?avoir des cons?quences n?gatives sur le travail de ceux-ci.
55. En r?ponse aux critiques formul?es par les diff?rents gouvernements quant aux crit?res ?nonc?s par la chambre, le requ?rant note que la dur?e de la proc?dure fait tellement partie du syst?me judiciaire italien que le Gouvernement en oublie de demander ? la Cour ce qu?il devrait modifier dans ce syst?me pour ?liminer les retards. Au lieu de cela, le Gouvernement invite la Cour ? codifier les param?tres du dommage ou l?autorisation pour les juges de continuer ? utiliser des param?tres totalement diff?rents de ceux de la Cour afin de pouvoir continuer ? g?rer le syst?me italien sans y apporter de modification pour acc?l?rer les proc?s. Selon le requ?rant, le Gouvernement commet une erreur d?appr?ciation puisque ce n?est pas ? la Cour europ?enne des Droits de l?Homme d??viter de se mettre en contradiction avec la loi interne mais c?est au contraire ? la loi nationale (dont la loi Pinto) de ne pas contredire la Convention. Le raisonnement du Gouvernement selon lequel dans certains cas la dur?e de la proc?dure en cause profite au requ?rant quand il r?siste par des moyens mal fond?s ou lorsque l?enjeu du litige est inf?rieur ? la satisfaction ?quitable accord?e serait erron?. En effet, le droit ? un proc?s dans un d?lai raisonnable fait abstraction de la valeur du litige et l?article 6 ne suppose pas, pour faire na?tre un droit ? r?paration, que le requ?rant ait eu gain de cause. De plus, le raisonnement du Gouvernement suppose une analyse post?rieure ? la fin de la proc?dure ; or, lorsque l?on commence une proc?dure, on ne peut savoir ? l?avance quelle en sera l?issue. M?me lorsque l?on a perdu apr?s vingt ans de proc?dure, le dommage moral est sup?rieur puisque, s?il l?avait su plus t?t, l?individu aurait probablement orient? diff?remment certains aspects de sa vie.
56. Quant ? la suffisance d?un constat de violation, cette affirmation pourrait ?tre valable pour un Etat qui commet peu de violations dues ? des conditions particuli?res dans un syst?me sain au demeurant, ce qui n?est pas le cas pour l?Italie qui ne fait rien pour ?liminer les violations. Or on ne peut certes pas r?compenser la conduite d?un tel Etat en ?liminant la satisfaction ?quitable. Au contraire, pour forcer l?Etat ? prendre des mesures permettant d??viter les violations, il faudrait augmenter le montant des condamnations jusqu?? l??limination des motifs provoquant la dur?e excessive des proc?dures.
57. En ce qui concerne les remarques relatives au principe de subsidiarit?, pour le requ?rant l?article 13 de la Convention ne saurait ?tre interpr?t? comme permettant ? un Etat d?adopter un recours interne qui d?terminera la satisfaction ?quitable pour des violations de droits fondamentaux reconnus par la Cour de mani?re et selon des crit?res compl?tement diff?rents de ceux que la Cour utilise. Celle-ci se doit donc d?agir sur ces d?cisions nationales afin de permettre une compl?te r?paration des cons?quences des violations des droits et libert?s pr?vus par la Convention. L?intervention de la Cour est toujours possible lorsque le juge national a pris une d?cision qui porte atteinte au caract?re effectif de ce recours interne. Accueillir totalement la th?se de la ? subsidiarit? ? reviendrait ? priver la Cour de sa fonction, qui consiste ? veiller ? l?application par les Etats contractants de la Convention et de ses protocoles.
3. Les parties intervenantes
a) Le gouvernement tch?que
58. Selon le gouvernement tch?que, la Cour devrait se limiter ? v?rifier la conformit? ? la Convention des cons?quences qui d?coulent des choix de politique jurisprudentielle op?r?s par les juridictions internes, cette v?rification devant ?tre plus ou moins rigoureuse en fonction de la marge d?appr?ciation que la Cour accorde aux autorit?s nationales. Elle devrait uniquement s?assurer que les autorit?s internes, conform?ment ? l?article 13 de la Convention, respectent les principes qui se d?gagent de sa jurisprudence ou appliquent les dispositions nationales de mani?re ? permettre aux int?ress?s de b?n?ficier d?un niveau de protection ? de leurs droits et libert?s garantis par la Convention ? sup?rieur ou ?quivalent ? celui dont ils b?n?ficieraient si les autorit?s internes appliquaient directement les dispositions de la Convention. La Cour ne devrait d?pas