Conclusion Exception pr?liminaire rejet?e (non-?puisement) ; Violation de P1-1 ; Satisfaction ?quitable r?serv?e
PREMI?RE SECTION
AFFAIRE BUFFALO SRL en liquidation c. ITALIE
(Requ?te no 38746/97)
ARR?T
STRASBOURG
3 juillet 2003
D?FINITIF
03/10/2003
Cet arr?t deviendra d?finitif dans les conditions d?finies ? l’article 44 ? 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Buffalo Srl en liquidation c. Italie,
La Cour europ?enne des Droits de l’Homme (premi?re section), si?geant en une chambre compos?e de :
MM. C.L. Rozakis, pr?sident,
B. Conforti,
G. Bonello,
Mme F. Tulkens,
M. E. Levits,
Mme S. Botoucharova,
M. A. Kovler, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier adjoint de section,
Apr?s en avoir d?lib?r? en chambre du conseil le 12 juin 2003,
Rend l’arr?t que voici, adopt? ? cette date :
PROC?DURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requ?te (no 38746/97) dirig?e contre la R?publique italienne et dont une soci?t? ayant son si?ge dans cet Etat, Buffalo Srl en liquidation (? la requ?rante ?), avait saisi la Commission europ?enne des Droits de l’Homme (? la Commission ?) le 24 juin 1997 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libert?s fondamentales (? la Convention ?).
2. La requ?rante est repr?sent?e devant la Cour par Me F. C., avocat ? Milan. Le gouvernement italien (? le Gouvernement ?) est repr?sent? par son agent, M. Ivo Maria Braguglia, et son co-agent, M. Francesco Crisafulli.
3. La requ?rante all?guait notamment que les retards dans le remboursement des cr?dits d’imp?t de la part de l’administration des finances avaient m?connu son droit au respect des biens, tel que garanti par l’article 1 du Protocole no 1.
4. La requ?te a ?t? transmise ? la Cour le 1er novembre 1998, date d’entr?e en vigueur du Protocole no 11 ? la Convention (article 5 ? 2 du Protocole no 11). Elle a ?t? attribu?e ? l’ancienne deuxi?me section de la Cour (article 52 ? 1 du r?glement). Au sein de celle-ci, la chambre charg?e d’examiner l’affaire (article 27 ? 1 de la Convention) a ?t? constitu?e conform?ment ? l’article 26 ? 1 du r?glement.
5. Par une d?cision du 26 octobre 2000, la chambre a d?clar? la requ?te partiellement recevable (article 54 ? 4 du r?glement).
6. Tant la requ?rante que le Gouvernement ont d?pos? des observations ?crites sur le fond de l’affaire (article 59 ? 1 du r?glement). La chambre ayant d?cid? apr?s consultation des parties qu’il n’y avait pas lieu de tenir une audience consacr?e au fond de l’affaire (article 59 ? 3 in fine du r?glement), les parties ont chacune soumis des commentaires ?crits sur les observations de l’autre.
7. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifi? la composition de ses sections (article 25 ? 1 du r?glement). La pr?sente requ?te a ?t? attribu?e ? la premi?re section ainsi remani?e (article 52 ? 1).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESP?CE
8. La soci?t? requ?rante a cess? son activit? en 1994 et est inscrite au registre des soci?t?s en liquidation volontaire depuis le 19 d?cembre 1994.
9. La requ?rante a ?t? titulaire de cr?dits d’imp?ts envers l’Etat. Le gouvernement d?fendeur a fourni le tableau suivant, dont le contenu n’a pas ?t? contest? par la requ?rante :
ann?e
cr?dit (ITL)
date du remboursement
montant rembours? (ITL)
1985
50 317 000
07.98
44 582 000 capital
38 115 000 int?r?ts
1986
65 869 000
07.97
65 869 000 capital
39 521 000 int?r?ts
1987
27 800 000
09.96
27 800 000 capital
15 846 000 int?r?ts
1987
111 199 000
02.98
111 199 000 capital
48 928 000 int?r?ts
1988
69 437 000
07.97
54 313 000 capital
22 812 000 int?r?ts
1989
146 609 000
12.98
146 591 000 capital
76 960 000 int?r?ts
1990
400 125 000
09.00
400 110 000 capital
214 064 500 int?r?ts
1991
255 016 000
12.98
255 016 000 capital
87 981 000 int?r?ts
En 1994, la soci?t? requ?rante demanda pour l’ann?e 1992 le remboursement d’un cr?dit d’imp?t de 89 747 000 ITL. A ce jour, cette somme n’a pas ?t? vers?e par l’administration financi?re.
10. Dans la p?riode concern?e, la requ?rante s’est adress? ? des banques pour obtenir des financements ? concurrence de 550 millions ITL. Puis, elle a obtenu des financements de particuliers. La requ?rante a enfin c?d? une partie des cr?ances litigieuses, ? concurrence de 400 millions ITL, ? une soci?t? de factoring.
Ces op?rations ont entra?n? des frais ? la charge de la soci?t? requ?rante. En outre, la requ?rante a pay? des int?r?ts d?biteurs sur les financements obtenus qui ont ?t? en moyenne sup?rieurs au taux d’int?r?t pay? par l’Etat sur le montant des cr?dits d’imp?ts rembours?s.
11. Les retards dans le remboursement des cr?dits ont retard? les op?rations de liquidation de la requ?rante au motif que cette derni?re est responsable envers la soci?t? de factoring du remboursement des financements obtenus.
12. Pour ce qui concerne les cr?dits concernant les ann?es 1986, 1987, 1988 et 1989, la soci?t? requ?rante, en date du 29 septembre 1994, opta pour le remboursement tel que pr?vu par le d?cret minist?riel no 307 du 23 mai 1994. Ce dernier pr?voit un remboursement de 20 % en esp?ces et de 80 % en titres d’Etat.
13. Tout au long de l’attente des remboursements, par effet de la l?gislation fiscale, la requ?rante a d? payer des imp?ts sur les int?r?ts relatifs aux montants non encore encaiss?s, qui sont consid?r?s comme des revenus imposables.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
14. En Italie, les soci?t?s sont tenues de verser ? l’Etat des acomptes sur les imp?ts dus sur les revenus. Chaque ann?e, au moment de pr?senter sa d?claration d’imp?t, le contribuable calcule le montant imposable des revenus effectifs de l’ann?e pr?c?dente. Il se peut que les sommes pr?lev?es par l’administration ? titre d’acompte soient sup?rieures au montant de l’imp?t d? et que le contribuable devienne ainsi titulaire d’un cr?dit d’imp?t envers l’Etat.
15. Lorsqu’il s’agit d’un cr?dit d’imp?t sur le revenu, l’administration est tenue de proc?der d’office au remboursement du cr?dit, la d?claration des revenus valant demande de remboursement (article 41 du d?cret du Pr?sident de la R?publique (DPR) no 602 de 1973).
16. Lorsqu’il s’agit par contre d’un montant ind?ment pay? par le contribuable, et que celui-ci en souhaite la restitution, les articles 37 et 38 du DPR no 602 de 1973 disposent notamment qu’en cas d’erreur mat?rielle, de duplication ou d’inexistence totale ou partielle de l’obligation fiscale de versement, l’int?ress? doit introduire une demande en remboursement aupr?s de l’administration fiscale. Ces m?mes dispositions stipulent qu’en l’absence de r?ponse, dans un d?lai de 90 jours ? compter du d?p?t de la demande, le contribuable peut saisir les juridictions fiscales (commissioni tributarie), l’absence de r?ponse de l’administration ?tant consid?r?e comme un refus.
17. L’article 36bis du DPR no 600/1973, en vigueur pendant la p?riode concern?e, pr?voyait que l’administration fiscale ?tait tenue de rembourser les cr?dits d’imp?t r?sultant de la diff?rence entre la somme due et celle pr?lev?e en exc?s avant le 31 d?cembre de l’ann?e suivant celle de pr?sentation de la d?claration d’imp?ts.
Cet article a ?t? remplac? par le d?cret l?gislatif (DL) du 9 juillet 1997 no 241, applicable aux d?clarations pr?sent?es depuis le 1er janvier 1999. Ce d?cret pr?voit que l’administration fiscale est tenue de rembourser le cr?dit d’imp?t avant le d?but de la p?riode de pr?sentation des d?clarations concernant l’ann?e suivante (? entro l’inizio del periodo di presentazione delle dichiarazioni relative all’anno successivo ?).
18. Afin d’effectuer ces remboursements, l’administration ?tablit une liste des contribuables ayant droit au remboursement, v?rifie le montant ? rembourser et proc?de ? l’?mission des mandats de paiement. Ces derniers sont communiqu?s aux int?ress?s.
19. Le DPR no 787 de 1980 pr?voit la possibilit? pour le contribuable d’introduire un recours pour contester le montant des sommes qui lui ont ?t? rembours?es par l’administration fiscale.
20. La proc?dure fiscale est actuellement disciplin?e par les d?crets l?gislatifs (DL) no 545 et no 546 de 1992, qui sont entr?s en vigueur en 1996. La proc?dure se d?roule devant deux instances de fond (commission fiscale provinciale et commission fiscale r?gionale) et ensuite devant la Cour de cassation. Avant l’entr?e en vigueur desdits d?crets, il existait une troisi?me instance sur le fond (commission fiscale centrale).
Aux termes de l’article 69 du DL no 546 de 1992, lorsque l’administration est condamn?e au remboursement d’une somme en faveur du contribuable, la d?cision y relative ne devient ex?cutoire qu’apr?s son passage en force de chose jug?e.
Sur la base d’une d?cision favorable devenue d?finitive, lorsque l’administration ne proc?de pas au paiement, le contribuable peut introduire un recours en obtemp?rance devant les commissions fiscales, au sens de l’article 70 du DL no 546 de 1992. Si le recours aboutit, la Commission fiscale adopte les mesures n?cessaires pour l’ex?cution de la d?cision en se substituant ? l’administration ou bien nomme un commissaire ad acta.
21. Le DPR no 602 de 1973 pr?voit qu’au moment du remboursement du cr?dit d’imp?t sur les revenus, l’administration doit verser au contribuable des int?r?ts sur les sommes rembours?es. Il s’agit d’int?r?ts simples et non pas d’int?r?ts compos?s. Cela signifie que chaque ann?e, l’int?r?t est calcul? sur le montant de base, sans tenir compte des int?r?ts appliqu?s les ann?es pr?c?dentes. Les int?r?ts ne sont pas calcul?s pour les premier et dernier semestre. Le taux d’int?r?t, initialement fix? ? hauteur de 6 % par semestre, a ?t? successivement modifi?. Les taux d’int?r?t appliqu?s sur les cr?dits d’imp?ts sont les suivants :
– 6 % par semestre (12 % par ann?e), jusqu’en d?cembre 1987 ;
– 4,5 % par semestre (9 % par ann?e), ? partir du 1er janvier 1988 ;
– 3 % par semestre (6 % par ann?e), ? partir du 1er janvier 1994 ;
– 2,5 % par semestre (5 % par ann?e), ? partir du 1er janvier 1997 ;
– 1,25 % par semestre (2,5 % par ann?e), ? partir du 1er janvier 1999.
22. L’inflation en Italie globalement calcul?e pour la p?riode allant de 1986 ? 2000 a ?t? de 78,1 %.
23. Aux termes de la loi no 516 du 7 ao?t 1982, en vigueur au moment des faits, les d?clarations de revenus contenant de fausses indications sur les revenus ?taient consid?r?es des infractions p?nales. Cette mati?re a ensuite fait l’objet d’un processus de d?p?nalisation.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALL?GU?E DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 ? LA CONVENTION
24. D?non?ant le retard de l’administration dans le paiement des cr?dits d’imp?t, la requ?rante se dit victime d’une violation de l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libell? :
? Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut ?tre priv? de sa propri?t? que pour cause d’utilit? publique et dans les conditions pr?vues par la loi et les principes g?n?raux du droit international.
Les dispositions pr?c?dentes ne portent pas atteinte au droit que poss?dent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent n?cessaires pour r?glementer l’usage des biens conform?ment ? l’int?r?t g?n?ral ou pour assurer le paiement des imp?ts ou d’autres contributions ou des amendes. ?
A. Sur l’exception pr?liminaire du Gouvernement
25. Le Gouvernement soul?ve une exception tir?e du non-?puisement des voies de recours internes. Il soutient que la requ?rante aurait pu pr?senter une demande de remboursement aupr?s de l’administration fiscale et attaquer l’absence de r?ponse ?ventuelle de l’administration par un recours devant les commissions fiscales.
26. La Cour note que le Gouvernement a d?j? soulev? cette exception au stade de l’examen initial de la recevabilit? et que celle-ci a ?t? rejet?e. La Cour rel?ve que le Gouvernement fonde son exception sur les m?mes arguments.
Par cons?quent, la Cour ne voit pas de raisons de s’?carter de cette conclusion.
B. Sur le bien-fond? du grief
Sur l’applicabilit? de l’article 1 du Protocole no 1
27. La requ?rante d?nonce les retards dans le remboursement de cr?dits d’imp?ts et soutient que cette situation rel?ve de l’article 1 du Protocole no 1.
28. La Cour rel?ve que le Gouvernement ne conteste pas l’applicabilit? de cette disposition au cas d’esp?ce.
En tout ?tat de cause, elle note qu’en droit italien, l’administration est tenue de proc?der d’office au remboursement d’un cr?dit d’imp?t sur les revenus, apr?s r?ception de la d?claration des revenus qui vaut demande de remboursement. Aucun d?lai de rigueur pour rembourser n’est pr?vu. C’est uniquement au moment o? l’administration communique ? l’int?ress? que le remboursement est imminent que celui-ci conna?t le montant pr?cis qu’il va encaisser. Il est certes possible que, en raison d’une erreur de calcul de la part de l’int?ress?, il y ait un ?cart entre la somme ? laquelle celui-ci estimait avoir droit, selon ses calculs, et celle qui lui est reconnue. Cet ?l?ment ne saurait toutefois amener la Cour ? conclure que, pendant toute la p?riode d’attente du remboursement, la situation d?nonc?e par la requ?rante ne relevait pas de l’article 1 du Protocole no 1, alors que les circonstances de l’affaire, consid?r?es dans leur ensemble, ont rendu la requ?rante titulaire d’un int?r?t substantiel prot?g? par cette disposition.
29. En conclusion, la Cour estime que la requ?rante ?tait titulaire d’un int?r?t patrimonial reconnu en droit italien, bien que modifiable dans certaines conditions, depuis la r?ception par l’administration fiscale de la d?claration de revenus et jusqu’au moment o? le remboursement a ?t? effectu?. L’int?r?t de la requ?rante constituait d?s lors un ? bien ?, au sens de l’article 1 du Protocole no 1 (Beyeler c. Italie, [GC], no. 33202/96, ? 105 CEDH 2000 -I ; Dangeville c. France, no 36677/97, ? 48, 16 avril 2002).
30. S’agissant de la norme de l’article 1 du Protocole no 1 applicable en l’esp?ce, la Cour rappelle que cette disposition contient trois normes distinctes : ? la premi?re, qui s’exprime dans la premi?re phrase du premier alin?a et rev?t un caract?re g?n?ral, ?nonce le principe du respect de la propri?t? ; la deuxi?me, figurant dans la seconde phrase du m?me alin?a, vise la privation de propri?t? et la soumet ? certaines conditions ; quant ? la troisi?me, consign?e dans le second alin?a, elle reconna?t aux Etats le pouvoir, entre autres, de r?glementer l’usage des biens conform?ment ? l’int?r?t g?n?ral (…). Il ne s’agit pas pour autant de r?gles d?pourvues de rapport entre elles. Les deuxi?me et troisi?me ont trait ? des exemples particuliers d’atteintes au droit de propri?t?. D?s lors, elles doivent s’interpr?ter ? la lumi?re du principe consacr? par la premi?re ? (voir, entre autres, l’arr?t James et autres c. Royaume-Uni du 21 f?vrier 1986, s?rie A no 98, pp. 29-30, ? 37, lequel reprend en partie les termes de l’analyse que la Cour a d?velopp?e dans son arr?t Sporrong et L?nnroth c. Su?de du 23 septembre 1982, s?rie A no 52, p. 24, ? 61 ; voir aussi les arr?ts Les saints monast?res c. Gr?ce du 9 d?cembre 1994, s?rie A no 301-A, p. 31, ? 56, et Iatridis c. Gr?ce [GC], no 31107/96, ? 55, CEDH 1999-II).
31. Aux yeux de la Cour c’est le retard dans les remboursements qui constitue l’ing?rence dans le droit au respect des biens de la requ?rante. L’ing?rence en cause ne saurait donc s’assimiler ? une privation de propri?t?, au sens de la seconde phrase du premier alin?a de l’article 1 du Protocole no 1. La situation litigieuse rel?ve ainsi de la premi?re phrase du m?me alin?a, qui ?nonce, de mani?re g?n?rale, le principe du respect des biens (Almeida Garrett, Mascarenhas Falc?o et autres c. Portugal, no 29813/96 et no 30229/96, ? 48, CEDH 2000-I)
Sur l’observation de l’article 1 du Protocole no 1
32. La Cour rappelle que l’imposition fiscale est en principe une ing?rence dans le droit garanti par le premier alin?a de l’article 1 du Protocole no 1 et que cette ing?rence se justifie, conform?ment au deuxi?me alin?a de cet article, qui pr?voit express?ment une exception pour ce qui est du paiement des imp?ts ou d’autres contributions (Travers et autres c. Italie, no 15117/89, d?cision de la Commission du 16 janvier 1995).
La Cour observe toutefois qu’en l’esp?ce il s’agit de remboursement de cr?dits de la part de l’Etat et estime qu’une telle question n’?chappe pas ? un contr?le de sa part.
Aux fins de la premi?re phrase du premier alin?a de l’article 1 du Protocole no 1, la Cour doit rechercher si un juste ?quilibre a ?t? maintenu entre les exigences de l’int?r?t g?n?ral de la communaut? et les imp?ratifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (Almeida Garrett, Mascarenhas Falc?o et autres, pr?cit?, ? 49 ; Sporrong et L?nnroth, pr?cit?, ? 69) ). Par cons?quent, l’obligation financi?re n?e du pr?l?vement d’imp?ts ou de contributions peut l?ser la garantie consacr?e par cette disposition si elle impose ? la personne ou ? l’entit? en cause une charge excessive ou porte fondamentalement atteinte ? leur situation financi?re (Ferretti c. Italie, no 25083/94, d?cision de la Commission du 26 f?vrier 1997, non publi?e).
33. Pour la requ?rante, le ? juste ?quilibre ? n’a pas ?t? respect?. Elle souligne d’embl?e que les int?r?ts pay?s par l’administration sont insuffisants et ne compensent pas l’important retard avec lequel le paiement survient. A cet ?gard, elle all?gue que l’indisponibilit? de sommes importantes pendant une longue p?riode l’a contrainte ? rechercher des financements, moyennant la souscription d’emprunts ou de contrats de factoring. Par cons?quent, elle a d? supporter des frais qui ne sont pas compens?s par les int?r?ts appliqu?s par l’administration aux sommes rembours?es.
En outre, la requ?rante observe que, conform?ment au droit fiscal, elle a d? payer des imp?ts sur les cr?dits non encore encaiss?s. Enfin, la requ?rante soutient ne pas pouvoir mettre fin aux op?rations de liquidation jusqu’au moment o? elle aura encaiss? le dernier cr?dit.
34. Le Gouvernement soutient que la situation d?nonc?e par la requ?rante est compatible avec l’article 1 du Protocole no 1 puisqu’elle rel?ve d’un domaine – la mati?re fiscale – o? les pr?rogatives des Etats sont reconnues. En tout ?tat de cause, selon le Gouvernement il n’y a pas eu rupture du ? juste ?quilibre ? en raison de la simple dur?e des d?lais de remboursements. A cet ?gard le Gouvernement observe que l’administration fiscale proc?de aux remboursements des cr?dits d’imp?t dans les formes et dans les limites de la disponibilit? budg?taire telle qui d?coule des politiques d?cid?es par les institutions de l’Etat.
Le Gouvernement a indiqu? qu’un programme visant l’?limination de l’arri?r? dans les remboursements, ?labor? par le minist?re des Finances, est en cours. Il se r?f?re par ailleurs ? d’autres mesures visant ? ?liminer les inconv?nients r?sultant du retard pris, dans le pass?, par l’administration fiscale dans le remboursement des cr?dits d’imp?ts et notamment en raison du d?cret minist?riel no 307 de 1994, qui permet au contribuable d’obtenir 80 % de la cr?ance en titres d’Etat.
Le Gouvernement soutient ensuite que la requ?rante n’aurait pas ?t? oblig?e de prolonger la phase de liquidation si elle n’avait pas d?cid? de c?der ses cr?ances ? des tiers, ce qui est en tout cas autoris? par la loi.
Il fait enfin observer que si la soci?t? a eu besoin de faire recours ? des financements et a d? par cons?quent payer des int?r?ts d?biteurs tr?s ?lev?s, cela doit ?tre consid?r? comme la cons?quence de la gestion financi?re de la requ?rante et ne saurait ?tre imput? ? l’administration fiscale.
35. La Cour observe que l’adoption du syst?me de l’acompte d’imp?t repose principalement sur le souci de combattre de fa?on efficace le ph?nom?ne de l’?vasion fiscale. Il est vrai que ce syst?me fait peser sur les contribuables une charge importante, qui semble aggrav?e par le retard pris par les autorit?s fiscales pour rembourser le cr?dit d’imp?t.
36. Aux fins d’appr?cier si un tel ? juste ?quilibre ? a ?t? pr?serv? entre les divers int?r?ts en cause, la Cour doit prendre en compte les modalit?s de remboursement pr?vues par la l?gislation nationale et ? la mani?re dont elles ont ?t? appliqu?es dans le cas de la requ?rante (voir, mutatis mutandis, Aka c. Turquie, no 9639/92, ? 45, CEDH 1998-VI).
A cet ?gard, la Cour constate qu’en l’esp?ce, la dur?e des remboursements varie entre cinq et dix ans. Il est ind?niable que le laps de temps en question est imputable ? l’Etat, sans que les limites de la disponibilit? budg?taire telle qu’elle d?coule des politiques d?cid?es par les institutions puissent justifier une dur?e comme celle en cause ici.
37. La Cour estime que, en l’esp?ce, le retard de la part de l’administration fiscale ne peut pas ?tre consid?r? d’embl?e comme ayant ?t? compens? par le versement d’int?r?ts, m?me si ceux-ci semblent ne pas ?tre inf?rieurs au taux d’inflation, surtout si l’on consid?re qu’il s’agit d’int?r?ts simples et non pas d’int?r?ts compos?s.
En effet, au vu de l’importance des sommes litigieuses, la Cour consid?re que l’indisponibilit? prolong?e des ces sommes a eu un impact certain et consid?rable sur la situation financi?re de la requ?rante. A ce propos, la Cour souligne que un retard anormalement long dans le paiement d’un cr?dit a pour cons?quence d’aggraver la perte financi?re du cr?ancier et de le placer dans une situation d’incertitude (voir, mutatis mutandis, Aka, pr?cit?, ? 49).
38. La Cour estime que, dans le cas d’esp?ce, le retard de l’administration dans le remboursement des cr?dits d’imp?ts a provoqu? une situation d’incertitude qui a pes? sur la requ?rante pendant un laps de temps que l’on ne saurait qualifier de raisonnable.
En outre, la requ?rante n’avait aucune possibilit? de rem?dier ? cette situation (?? 25-26).
39. La Cour estime que l’atteinte port?e aux ? biens ? de la requ?rante a rev?tu un caract?re disproportionn?. En effet, l’impact financier caus? par l’attente des remboursements, doubl? de l’inexistence de tout recours efficace susceptible de rem?dier ? la dur?e de cette attente, et de l’incertitude quant au moment de la liquidation des cr?dits, a rompu le juste ?quilibre qui doit exister entre les exigences de l’int?r?t g?n?ral de la communaut? et les imp?ratifs de la sauvegarde du droit au respect des biens (mutatis mutandis, Almeida Garrett, Mascarenhas Falc?o et autres, pr?cit?, ? 54).
40. En conclusion, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
41. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
? Si la Cour d?clare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les cons?quences de cette violation, la Cour accorde ? la partie l?s?e, s’il y a lieu, une satisfaction ?quitable. ?
A. Dommage
42. En ce qui concerne le dommage mat?riel, la requ?rante r?clame la r?paration du dommage r?sultant de l’indisponibilit? prolong?e des sommes dues par l’administration. Elle consid?re que cette situation la place dans celle d’une banque qui a fait un emprunt ? l’Etat et r?clame en premier lieu la diff?rence entre les int?r?ts qu’elle a per?us au moment du remboursement et les int?r?ts qu’elle aurait per?us si elle avait n?goci? des int?r?ts avec l’Etat d?biteur.
Se r?f?rant au taux de base appliqu? par les banques italiennes, ? savoir 8 %, la requ?rante sollicite ? ce titre le paiement d’au moins 1 138 908 000 ITL, somme calcul?e en appliquant l’int?r?t qu’une banque r?serve ? ses meilleurs clients (? prime rate ?).
43. En deuxi?me lieu, la requ?rante r?clame la r?paration du pr?judice r?sultant des r?percussions sur son activit? m?me et sur celle des soci?t?s contr?l?es par elle. A ce titre, elle demande une somme globale de 8 462 520 234 ITL.
44. Ensuite, la requ?rante sollicite le versement de 101 428 000 ITL correspondant aux frais encourus du fait qu’elle ne peut pas mettre fin aux op?rations de liquidation.
45. Enfin, la requ?rante sollicite la r?paration du pr?judice d?coulant du pr?l?vement d’imp?t sur les cr?dits non encore encaiss?s et r?clame une somme d’au moins 372 209000 ITL.
46. Il en r?sulte qu’au titre de dommage mat?riel, la requ?rante sollicite une somme globale de 10 075 065 234 ITL, soit 5 203 336, 95 euros (EUR).
47. La requ?rante r?clame ensuite la r?paration du dommage moral, pour lequel elle s’en remet ? la sagesse de la Cour.
48. La requ?rante ne demande aucune somme au titre de remboursement des frais encourus dans la proc?dure ? Strasbourg.
49. Le Gouvernement fait observer que la requ?rante n’a pas prouv? l’existence du dommage mat?riel et que, non plus, elle n’a pas ?tabli le lien de causalit? entre la violation all?gu?e et le pr?judice pr?tendument souffert.
A cet ?gard, le Gouvernement soutient que si la requ?rante a d? faire appel ? des financements et a d? par cons?quent payer des int?r?ts d?biteurs ?lev?s, ceci doit ?tre consid?r? comme la cons?quence de la gestion financi?re de la soci?t? requ?rante et ne doit pas ?tre consid?r? comme un dommage moral, le Gouvernement rel?ve qu’il n’est attribu? ? l’administration fiscale.
Le Gouvernement indique en outre que la requ?rante ?tait oblig?e de prolonger la phase de liquidation uniquement parce qu’elle a c?d? ses cr?dits d’imp?ts ? des tiers, ce qui est par ailleurs permis par la loi.
50. Le Gouvernement soutient enfin que la requ?rante n’est pas fond?e ? r?clamer la r?paration d’un pr?judice moral puisqu’il s’agit d’une soci?t? commerciale.
51. La Cour estime que la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouve pas en ?tat, de sorte qu’il ?chet de la r?server eu ?gard ? l’?ventualit? d’un accord entre l’Etat d?fendeur et l’int?ress?e (article 75 ?? 1 et 4 du r?glement)
PAR CES MOTIFS, LA COUR, ? l’UNANIMIT?,
1. Rejette l’exception pr?liminaire du Gouvernement ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ? la Convention ;
3. Dit que la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouve pas en ?tat ;
4. En cons?quence,
a) la r?serve en entier ;
b) invite le Gouvernement et la requ?rante ? lui adresser par ?crit, dans les trois mois, leurs observations sur cette question et notamment ? lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;
c) r?serve la proc?dure ult?rieure et d?l?gue au pr?sident de la chambre le soin de la fixer au besoin.
Fait en fran?ais, puis communiqu? par ?crit le 3 juillet 2003 en application de l’article 77 ?? 2 et 3 du r?glement.
S?ren Nielsen Christos Rozakis
Greffier adjoint Pr?sident
ARR?T BUFFALO S.r.l. EN LIQUIDATION c. ITALIE
ARR?T BUFFALO SRL EN LIQUIDATION c. ITALIE