Conclusion Violation de l’Art. 6-1 du fait de l’absence d’un proc?s ?quitable ; Violation de l’Art. 6-1 du fait du refus du droit d’acc?s ? un tribunal ; Violation de P1-1 ; Satisfaction ?quitable r?serv?e
AFFAIRE BRUMĂRESCU c. ROUMANIE
(Requ?te n? 28342/95)
ARR?T
STRASBOURG
28 octobre 1999
En l?affaire Brumărescu c. Roumanie,
La Cour europ?enne des Droits de l?Homme, constitu?e, conform?ment ? l?article 27 de la Convention de sauvegarde des Droits de l?Homme et des Libert?s fondamentales (? la Convention ?), telle qu?amend?e par le Protocole n? 111, et aux clauses pertinentes de son r?glement2, en une Grande Chambre compos?e des juges dont le nom suit :
M. L. Wildhaber, pr?sident,
Mme E. Palm,
M. C.L. Rozakis,
Sir Nicolas Bratza,
MM. L. Ferrari Bravo,
L. Caflisch,
L. Loucaides,
J.-P. Costa,
W. Fuhrmann,
K. JUNGWIERT,
B. Zupančič,
Mme N. Vajić,
M. J. Hedigan,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska,
MM. T. PanŢ?ru,
E. Levits,
L. MIHAI, juge ad hoc,
ainsi que de Mme M. de Boer-Buquicchio, greffi?re adjointe,
Apr?s en avoir d?lib?r? en chambre du conseil les 17 juin et 30 septembre 1999,
Rend l?arr?t que voici, adopt? ? cette derni?re date :
PROC?DURE
1. L?affaire a ?t? d?f?r?e ? la Cour par un ressortissant roumain, M. D. B. (? le requ?rant ?), le 3 novembre 1998 et par la Commission europ?enne des Droits de l?Homme (? la Commission ?) le 6 novembre 1998, dans le d?lai de trois mois qu?ouvraient les anciens articles 32 ? 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requ?te (no 28342/95) dirig?e contre la Roumanie et dont M. B. avait saisi la Commission le 9 mai 1995 en vertu de l?ancien article 25.
La demande de la Commission renvoie aux anciens articles 44 et 48 ainsi qu?? la d?claration roumaine reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (ancien article 46), et la requ?te du requ?rant aux anciens articles 44 et 48 tels qu?amend?s par le Protocole n? 92 ratifi? par la Roumanie. Elles ont pour objet d?obtenir une d?cision sur le point de savoir si les faits de la cause r?v?lent un manquement de l?Etat d?fendeur aux exigences des articles 6 ? 1 de la Convention et 1 du Protocole n? 1.
2. Conform?ment ? l?article 5 ? 4 du Protocole n? 11, lu en combinaison avec les articles 100 ? 1 et 24 ? 6 du r?glement, un coll?ge de la Grande Chambre a d?cid?, le 14 janvier 1999, que l?affaire serait examin?e par la Grande Chambre de la Cour.
Cette Grande Chambre comprenait de plein droit M. C. B?rsan, juge ?lu au titre de la Roumanie (articles 27 ? 2 de la Convention et 24 ? 4 du r?glement), M. L. Wildhaber, pr?sident de la Cour, Mme E. Palm et M. C.L. Rozakis, vice-pr?sidents de la Cour, Sir Nicolas Bratza, pr?sident de section, et M. G. Ress, vice-pr?sident de section (articles 27 ? 3 de la Convention et 24 ?? 3 et 5 a) du r?glement). Ont en outre ?t? d?sign?s pour compl?ter la Grande Chambre : M. L. Ferrari Bravo, M. L. Caflisch, M. L. Loucaides, M. W. Fuhrmann, M. K. Jungwiert, M. B. Zupančič, Mme N. Vajić, M. J. Hedigan, Mme M. Tsatsa-Nikolovska, M. T. Panţ?ru et M. E. Levits (article 24 ? 3 du r?glement).
Ult?rieurement, M. B?rsan, qui avait particip? ? l?examen de l?affaire par la Commission, s?est d?port? de la Grande Chambre (article 28 du r?glement). En cons?quence, le gouvernement roumain (? le Gouvernement ?) a d?sign? M. L. Mihai pour si?ger en qualit? de juge ad hoc (articles 27 ? 2 de la Convention et 29 ? 1 du r?glement).
3. En application de l?article 59 ? 3 du r?glement, le pr?sident de la Cour a invit? les parties ? soumettre leurs m?moires sur les questions soulev?es par l?affaire.
4. Le requ?rant a d?sign? son conseil (article 36 ?? 3 et 4 du r?glement).
5. Le 3 mai 1999, le greffier a re?u le m?moire du requ?rant et le 10 mai 1999, celui du Gouvernement, apr?s une prorogation du d?lai imparti.
6. Le 1er juin 1999, le requ?rant a pr?sent? des observations compl?mentaires ? son m?moire du 3 mai 1999, et le Gouvernement y a r?pondu le 14 juin 1999. Bien que ces derniers documents fussent parvenus apr?s l?expiration du d?lai fix? pour la pr?sentation des m?moires, le pr?sident a d?cid? le 17 juin 1999, conform?ment ? l?article 38 ? 1 du r?glement, d?accepter qu?ils soient l?un et l?autre vers?s au dossier.
7. Ainsi qu?en avait d?cid? le pr?sident, qui avait ?galement autoris? le repr?sentant du requ?rant ? employer la langue roumaine (article 34 ? 3 du r?glement), une audience s?est d?roul?e en public le 17 juin 1999, au Palais des Droits de l?Homme ? Strasbourg.
Ont comparu :
? pour le Gouvernement
M. C.-L. Popescu, conseiller, minist?re de la Justice, agent,
Mme R. Rizoiu, minist?re de la Justice,
M. T. CorlaŢean, minist?re des Affaires ?trang?res, conseillers ;
? pour le requ?rant
Me C. D., avocat au barreau de Bucarest, conseil.
La Cour a entendu en leurs d?clarations, ainsi qu?en leurs r?ponses aux questions de l?un des juges, Me Dinu, M. Popescu et Mme Rizoiu.
8. Le 30 juin 1999, conform?ment ? l?article 61 ? 3 du r?glement, le pr?sident a accord? ? M. M. D. M. l?autorisation de pr?senter des observations ?crites sur certains aspects de l?affaire. Ces observations ont ?t? re?ues le 28 juin 1999.
9. En vertu de l?article 61 ? 5 du r?glement, le requ?rant y a r?pondu par des observations ?crites le 29 juillet 1999 et le Gouvernement le 30 juillet 1999.
10. Le 30 septembre 1999, M. Ress, emp?ch?, a ?t? remplac? par M. J.-P. Costa, suppl?ant (article 24 ? 5 b)).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L?ESP?CE
11. En 1930, les parents du requ?rant construisirent une maison ? Bucarest. A partir de 1939, ils en lou?rent le rez-de-chauss?e aux fr?res M., les oncles du tiers intervenant M. M. D. M.
12. En 1950, l?Etat prit possession de la maison des parents du requ?rant, sise ? Bucarest, en invoquant le d?cret de nationalisation n? 92/1950. Les motifs ou la base l?gale de cette privation de propri?t? ne furent jamais notifi?s aux parents du requ?rant. Ceux-ci furent n?anmoins autoris?s ? rester dans l?un des appartements de la maison, en tant que locataires de l?Etat.
13. En 1973, en application de la loi n? 4/1973, l?Etat vendit aux fr?res Mirescu le logement qu?ils occupaient jusqu?alors en tant que locataires. Le tiers intervenant, M. Mircea Dan Mirescu, et sa s?ur A.M.M., h?rit?rent de l?appartement en 1988. En 1997, ? la suite du d?c?s de sa s?ur, le tiers intervenant demeura le seul h?ritier dudit appartement.
A. L?action en revendication de propri?t?
14. En 1993, en tant qu?h?ritier, le requ?rant saisit le tribunal de premi?re instance de Bucarest d?une action visant ? faire constater la nullit? de la nationalisation de la maison. L?int?ress? fit valoir qu?en vertu du d?cret n? 92/1950, les biens des salari?s ne pouvaient ?tre nationalis?s et que ses parents ?taient salari?s au moment de la nationalisation de leur maison. Il n?est pas pr?cis? dans les documents pr?sent?s devant la Cour si, devant le tribunal de premi?re instance, le requ?rant fit mention de la vente conclue par l?Etat avec les fr?res Mirescu en 1973.
15. Par un jugement du 9 d?cembre 1993, le tribunal de premi?re instance releva que c??tait par erreur que la maison des parents du requ?rant avait ?t? nationalis?e en application du d?cret n? 92/1950, car ils faisaient partie d?une cat?gorie de personnes que ce d?cret excluait des actions de nationalisation. Le tribunal constata ensuite que la possession exerc?e par l?Etat ?tait fond?e sur la violence et, par cons?quent, jugea que l?Etat ne pouvait pas se pr?valoir d?un titre de propri?t? fond? sur l?usucapion. Les juges d?cid?rent ?galement que l?Etat n?aurait pas pu non plus s?approprier la maison en application des d?crets nos 218/1960 et 712/1966, car ces textes ?taient contraires respectivement aux Constitutions de 1952 et 1965. Le tribunal ordonna d?s lors aux autorit?s administratives, ? savoir la mairie de Bucarest et l?entreprise d?Etat C., g?rant de logements d?Etat, de restituer la maison au requ?rant.
16. En l?absence de recours, le jugement devint d?finitif et irr?vocable, ne pouvant plus ?tre attaqu? par voie de recours ordinaire.
17. Le 31 mars 1994, le maire de la ville de Bucarest ordonna la restitution de la maison et le 27 mai 1994 l?entreprise C. s?ex?cuta.
18. A cette date, le requ?rant cessa de payer le loyer d? pour l?appartement qu?il occupait dans la maison.
19. A partir du 14 avril 1994, le requ?rant commen?a ? acquitter les taxes fonci?res aff?rentes ? la maison. Il les versa jusqu?en 1996 inclus (paragraphe 25 ci-dessous).
20. A une date non pr?cis?e, le procureur g?n?ral de la Roumanie, saisi par M. M. D. M., forma devant la Cour supr?me de justice un recours en annulation (recurs ?n anulare) contre le jugement du 9 d?cembre 1993, au motif que les juges avaient outrepass? leurs comp?tences en examinant la l?galit? de l?application du d?cret n? 92/1950.
21. L?audience devant la Cour supr?me de justice fut fix?e au 22 f?vrier 1995. M. M. D. M. ne fut pas invit? ? prendre part ? la proc?dure. Le 22 f?vrier 1995, le requ?rant demanda le report de l?audience, son avocat ?tant absent pour cause de maladie.
22. La Cour supr?me de justice rejeta cette demande le m?me jour et, ? l?issue des d?bats, mit l?affaire en d?lib?r? au 1er mars 1995, la cour enjoignant au requ?rant de d?poser avant cette date ses conclusions ?crites.
23. Dans son m?moire, le requ?rant demanda le rejet du recours en annulation. Il fit valoir, d?une part, que le d?cret n? 92/1950 ?tait contraire ? la Constitution de 1948 du fait de sa publication partielle et du non-respect du principe selon lequel toute expropriation devait ?tre faite dans un but d?utilit? publique et apr?s le paiement d?une juste indemnisation. D?autre part, le requ?rant soutint que, du fait que ses parents ?taient salari?s au moment de la nationalisation, l?acte de nationalisation de la maison contrevenait aux dispositions dudit d?cret, lesquelles pr?voyaient que ne pouvaient pas ?tre nationalis?s les logements appartenant aux salari?s. Enfin, le requ?rant se pr?valut de l?article 21 de la Constitution roumaine de 1991 garantissant le libre acc?s ? la justice sans aucune limite.
24. Par un arr?t du 1er mars 1995, la Cour supr?me de justice annula le jugement du 9 d?cembre 1993 et rejeta l?action du requ?rant. Elle souligna que la loi ?tait un moyen d?acquisition de la propri?t?, constata que l?Etat s??tait appropri? la maison en question le jour m?me de l?entr?e en vigueur du d?cret de nationalisation n? 92/1950 et rappela que l?application de ce d?cret ne pouvait pas ?tre contr?l?e par les instances judiciaires. Par cons?quent, la Cour supr?me de justice estima que le tribunal de premi?re instance de Bucarest n?avait pu rendre son jugement constatant que le requ?rant ?tait le v?ritable propri?taire de la maison qu?en modifiant le d?cret susmentionn? et, d?s lors, en outrepassant ses attributions et en empi?tant sur celles du pouvoir l?gislatif. La Cour supr?me de justice confirma le droit des anciens propri?taires d?introduire des actions en revendication, mais jugea qu?en l?esp?ce le requ?rant n?avait pas apport? la preuve de son droit de propri?t?, tandis que l?Etat avait d?montr? que son titre ?tait fond? sur le d?cret de nationalisation. La Cour supr?me de justice conclut que, de toute mani?re, de nouvelles lois devraient pr?voir des mesures de r?paration pour les biens que l?Etat s??tait appropri?s abusivement.
25. Les services fiscaux inform?rent alors le requ?rant qu?? partir du 2 avril 1996, la maison en question avait ?t? r?int?gr?e dans le patrimoine de l?Etat.
B. D?veloppements post?rieurs au rapport de la Commission : l?action en restitution de propri?t?
26. A une date non pr?cis?e, le requ?rant d?posa une demande de restitution aupr?s de la commission administrative pour l?application de la loi n? 112/1995 (ci-apr?s ? la commission administrative ?) de Bucarest. Il fit valoir qu?il avait ?t? d?poss?d? de sa maison en 1950, en violation du d?cret de nationalisation n? 92/1950, que le tribunal de premi?re instance de Bucarest, dans son jugement d?finitif du 9 d?cembre 1993, avait jug? cette privation de propri?t? ill?gale et qu?il ?tait d?s lors en droit de se voir r?int?gr? dans son droit de propri?t? sur l?ensemble de la maison.
27. Dans un rapport r?dig? en novembre 1997, la commission technique d??valuation, cr??e par la loi n? 112/1995, estima la valeur de la maison ? 274 621 286 lei roumains (ROL), dont 98 221 701 ROL pour l?appartement habit? par le requ?rant.
28. Par une d?cision du 24 mars 1998, la commission administrative restitua au requ?rant l?appartement dans lequel il habitait en tant que locataire et lui accorda un d?dommagement pour le reste de la maison. Eu ?gard ? l?article 12 de la loi n? 112/1995 plafonnant les d?dommagements, et compte tenu du plafond en vigueur en novembre 1997, ? savoir 225 718 800 ROL, la commission administrative octroya au requ?rant 147 497 099 ROL.
29. Le 14 mai 1998, le requ?rant forma un recours contre cette d?cision. Devant le tribunal de premi?re instance de Bucarest, il critiqua le refus de la commission administrative de lui restituer l?ensemble de la maison et l?absence de motivation de ce refus. Il fit valoir que dans son cas, s?agissant d?une privation de propri?t? ill?gale, la loi n? 112/1995 sur les privations l?gales de propri?t? n??tait pas applicable. D?s lors, la seule solution permettant de prot?ger son droit de propri?t? ?tait l?action en revendication. N?anmoins, puisqu?il avait d?j? introduit une telle action et que, par un jugement d?finitif du 9 d?cembre 1993, le tribunal de premi?re instance avait jug? qu?il ?tait propri?taire de la maison, le requ?rant estima qu?il ne pouvait plus introduire une nouvelle action en revendication. Par cons?quent, il demanda la reconnaissance de son droit de propri?t? sur l?ensemble de la maison et fit valoir qu?il ne comptait pas solliciter un d?dommagement sur la base de la loi n? 112/1995.
30. Le recours du requ?rant fut rejet? par une d?cision du 21 avril 1999. Le requ?rant interjeta appel. Cette proc?dure est actuellement pendante devant le tribunal d?partemental de Bucarest.
II. le droit et la pratique internes pertinents
A. La Constitution
31. L?article 21 de la Constitution se lit ainsi :
? Toute personne peut s?adresser ? la justice pour la protection de ses droits, de ses libert?s et de ses int?r?ts l?gitimes.
Aucune loi ne peut restreindre l?exercice de ce droit.
(…) ?
B. La loi n? 59/1993 portant modification du code de proc?dure civile
32. Les dispositions pertinentes de cette loi sont ainsi libell?es :
Article 330
? Le procureur g?n?ral, d?office ou ? la demande du ministre de la Justice, peut attaquer, par la voie du recours en annulation devant la Cour supr?me de justice, les d?cisions judiciaires pass?es en force de chose jug?e, pour les raisons suivantes :
1. lorsque la juridiction a outrepass? les attributions du pouvoir judiciaire ;
2. (…) ?
Article 3301
? Le recours en annulation peut ?tre introduit ? tout moment. ?
C. La loi n? 17 du 17 f?vrier 1997 portant modification de l?article 3301 du code de proc?dure civile
33. L?article 3301 fut ainsi modifi? :
? Article 3302 ? Pour le motif pr?vu ? l?article 330 (1), le recours en annulation peut ?tre form? dans un d?lai de six mois ? partir du jour o? la d?cision judiciaire est pass?e en force de chose jug?e (…) ?
D. Le d?cret n? 92/1950 de nationalisation de certains immeubles
34. Les dispositions pertinentes se lisent ainsi :
Article I
? (…) afin d?assurer une bonne gestion des logements qui se sont d?labr?s du fait de la volont? de sabotage de la grande bourgeoisie et des exploiteurs qui poss?dent un grand nombre d?immeubles ;
Afin de d?poss?der les exploiteurs d?un important moyen d?exploitation ;
Sont nationalis?s les immeubles mentionn?s dans les listes annex?es (…) au pr?sent d?cret et qui font partie de celui-ci. Ont ?t? retenus pour l??tablissement desdites listes :
1. les immeubles appartenant aux anciens industriels, grands propri?taires terriens, banquiers, grands n?gociants et aux autres repr?sentants de la grande bourgeoisie ;
2. les immeubles appartenant aux exploiteurs immobiliers (…) ?
Article II
? Sont exclus du champ d?application du pr?sent d?cret et ne peuvent ?tre nationalis?s les immeubles appartenant aux ouvriers, fonctionnaires, petits artisans, intellectuels par profession et retrait?s. ?
E. Le d?cret n? 524 du 24 novembre 1955 portant modification du d?cret n? 92/1950
35. Les dispositions pertinentes se lisent ainsi :
Article XI
? Sous r?serve de l?obligation pour lui d?appliquer les crit?res fix?s (…) par l?article II, le Conseil des Ministres peut modifier les annexes au d?cret [contenant la liste des immeubles nationalis?s].
Il peut ?galement d?cider, pour tout appartement ou immeuble, de ne pas appliquer les dispositions de nationalisation. ?
F. La position de la Cour supr?me de justice
1. Jurisprudence jusqu?au 2 f?vrier 1995
36. La chambre civile de la Cour supr?me de justice confirma ? plusieurs reprises la jurisprudence des tribunaux inf?rieurs qui s?estimaient comp?tents pour examiner les litiges portant sur les biens immeubles nationalis?s, notamment ceux l?ayant ?t? en application du d?cret n? 92/1950. Par exemple, dans son arr?t n? 518 du 9 mars 1993, elle s?exprima comme suit sur la question de savoir si les tribunaux avaient comp?tence pour examiner des litiges concernant l?application du d?cret n? 92/1950 :
? (…) en statuant sur l?action en revendication de la requ?rante et accueillant la demande de l?int?ress?e, les tribunaux ? auxquels la loi conf?re une comp?tence g?n?rale pour trancher les litiges civils ? n?ont fait qu?appliquer le d?cret. Plus pr?cis?ment ils ont appliqu?, d?une part, les dispositions interdisant la nationalisation de certains biens immeubles et, d?autre part, celles exigeant la restitution de ces biens en cas d?application erron?e ou abusive du d?cret. ?
2. Le revirement de jurisprudence du 2 f?vrier 1995
37. Le 2 f?vrier 1995, la Cour supr?me de justice, statuant toutes chambres r?unies, d?cida, ? une majorit? de vingt-cinq voix contre vingt, de changer la jurisprudence de sa chambre civile. Elle jugea ainsi que :
? les tribunaux n?ont pas comp?tence pour censurer le d?cret et ordonner la restitution des immeubles nationalis?s en application du d?cret n? 92/1950 (…) ; la mise en conformit? des nationalisations effectu?es en application du d?cret n? 92/1950 avec les dispositions de la pr?sente Constitution relatives au droit de propri?t? ne peut se faire que par voie l?gislative (…) ?
3. Le revirement de jurisprudence du 28 septembre 1998
38. Le 28 septembre 1998, la Cour supr?me de justice, statuant toutes chambres r?unies, d?cida, ? l?unanimit?, de revenir sur son arr?t du 2 f?vrier 1995, dans lequel elle avait estim? que les tribunaux n??taient pas comp?tents pour trancher les litiges concernant les atteintes au droit de propri?t? commises entre 1944 et 1989. Elle s?exprima ainsi :
? [L]es tribunaux sont comp?tents pour conna?tre de toute action relative ? des all?gations d?atteintes au droit de propri?t? et ? d?autres droits r?els commises entre 1944 et 1989. ?
G. La position de la Cour constitutionnelle
39. Le 19 juillet 1995, la Cour constitutionnelle se pronon?a sur la constitutionnalit? du projet de loi pr?cisant la situation juridique des immeubles ? usage d?habitation devenus propri?t? d?Etat. Elle statua ainsi sur la possibilit?, pour les propri?taires des immeubles dont l?Etat s??tait adjug? la propri?t? abusivement ou sans titre, d?obtenir soit la restitution des biens par le biais d?une action en justice, soit un d?dommagement :
? (…) La situation est diff?rente dans le cas des logements devenus propri?t? d?Etat par la voie d?un acte administratif ill?gal, ou simplement de facto, c?est-?-dire sans titre, le droit de propri?t? de l?Etat ne reposant sur aucun fondement juridique. Dans ces cas, le droit de propri?t? l?gal de la personne physique ne s?est pas ?teint, de sorte que, l?Etat n??tant pas propri?taire, les biens en cause ne peuvent pas ?tre inclus dans la cat?gorie des biens vis?s par une loi dont l?objet est de r?glementer la situation juridique des logements devenus propri?t? d?Etat. En d?autres termes, (…) les mesures pr?vues dans la pr?sente loi ne sont pas applicables aux logements pour lesquels le droit de propri?t? de l?Etat n?a pas de fondement juridique.
Si la loi consid?rait que le droit de propri?t? de l?Etat porte sur les immeubles qu?il s?est appropri?s sans titre, cela signifierait qu?elle a un effet constitutif du droit de propri?t? de l?Etat, c?est-?-dire r?troactif, ou qu?elle met en ?uvre une modalit? de transformation du droit de propri?t? des personnes physiques en propri?t? d?Etat qui n?est pas pr?vue par la Constitution de 1991, ce qui ne saurait ?tre accept?.
Il s?ensuit qu?il convient d?accueillir l?exception d?inconstitutionnalit? de cette partie de la loi pour ce qui est des immeubles que l?Etat ou d?autres personnes morales se sont appropri?s sans titre. (…)
Il appartient au Parlement de d?cider, lors de la r?vision du projet de loi, d?adopter des mesures conf?rant aux personnes que l?Etat a priv?es de leurs logements sans poss?der de titre, ou ? leurs h?ritiers, le droit d?opter pour le b?n?fice de cette loi au cas o? elles souhaiteraient renoncer ? la voie lente, incertaine et co?teuse d?une action en revendication. (…) ?
H. La loi n? 112 du 23 novembre 1995 pr?cisant la situation juridique de certains biens immeubles ? usage d?habitation, entr?e en vigueur le 29 janvier 1996
40. Les dispositions pertinentes de cette loi se lisent ainsi :
Article premier
? Les anciens propri?taires ? personnes physiques ? des biens immeubles ? usage d?habitation qui sont pass?s, en vertu d?un titre, dans le patrimoine de l?Etat ou d?autres personnes morales apr?s le 6 mars 1945 et qui ?taient poss?d?s par l?Etat ou d?autres personnes morales le 22 d?cembre 1989 b?n?ficient, ? titre de r?paration, des mesures pr?vues par la pr?sente loi.
Les dispositions de la pr?sente loi sont ?galement applicables, sans pr?judice des lois existantes, aux h?ritiers des anciens propri?taires. ?
Article 2
? Les personnes mentionn?es ? l?article premier b?n?ficient d?une restitution en nature sous la forme du r?tablissement de leur droit de propri?t? sur les appartements dans lesquels elles habitent en tant que locataires et sur ceux qui sont libres ; pour les autres appartements, elles sont indemnis?es dans les conditions pr?vues par l?article 12 (…) ?
Article 13
? Les indemnit?s devant ?tre accord?es aux anciens propri?taires ou ? leurs h?ritiers pour les appartements qui ne leur auraient pas ?t? restitu?s en nature, ou le prix de vente de ces appartements, selon le cas, seront fix?s sur la base du d?cret n? 93/1977, du d?cret-loi n? 61/1990 et de la loi n? 85/1992, et la valeur des terrains y aff?rents sera d?termin?e sur la base des crit?res (document 2665 du 28 f?vrier 1992) devant servir ? l?identification et ? l??valuation des terrains int?gr?s dans le patrimoine des soci?t?s commerciales ? capital d?Etat (…). Aux valeurs ainsi d?termin?es seront appliqu?s des coefficients d?actualisation ne pouvant ?tre inf?rieurs au taux de croissance du salaire moyen de l??conomie.
La valeur totale de l?appartement restitu? en nature, ou des indemnit?s dues pour les appartements non restitu?s en nature et les terrains y aff?rents ne peut pas d?passer la somme des salaires ? plafonn?s au niveau du salaire moyen de l??conomie ? qu?aurait pu percevoir une personne sur une p?riode de 20 ans expirant ? la date de fixation de l?indemnit?.
Lorsque l?ancien propri?taire, ses h?ritiers ou des apparent?s jusqu?au deuxi?me degr? du propri?taire en vie se voient, en application de l?article 2, restituer en nature un appartement dont la valeur, calcul?e selon les r?gles fix?es au premier alin?a, d?passe la somme pr?vue au deuxi?me alin?a, ils ne peuvent ?tre oblig?s de payer la diff?rence.
La valeur des indemnit?s d?termin?es dans les conditions d?crites ci-dessus sera actualis?e au jour du paiement, sur la base du salaire moyen sur l??conomie du dernier mois du trimestre expir?.
Aux fins d?application des dispositions de la pr?sente loi, il sera constitu? un fonds extrabudg?taire qui sera mis ? la disposition du minist?re des Finances et aliment? comme suit :
a) les sommes provenant de la vente des appartements non restitu?s en nature, qu?il s?agisse de paiements int?graux, d?acomptes, de mensualit?s ou d?int?r?ts, apr?s d?duction de la commission de 1 % de la valeur des appartements ;
b) les sommes provenant des emprunts d?Etat lanc?s aux fins d?alimenter le fonds, dans les conditions pr?vues par la loi n? 91/1993 concernant la dette publique.
A partir du fonds ainsi constitu? seront effectu?es des d?penses correspondant, par ordre de priorit? :
a) au paiement des indemnit?s dues ? dans les conditions de la pr?sente loi ? aux propri?taires ou ? leurs h?ritiers ;
b) au remboursement des emprunts ?mis et aux frais entra?n?s par ceux-ci ;
c) ? la construction de logements, qui seront attribu?s en priorit? aux locataires se trouvant dans la situation pr?vue ? l?article 5 ? 3. ?
I. La position de l?ex?cutif au sujet de la loi n? 112/1995
41. Le 23 janvier 1996, le gouvernement adopta la d?cision n? 20/1996 pour l?application de la loi n? 112/1995, selon laquelle ?taient consid?r?s comme des immeubles sur lesquels l?Etat avait un titre les immeubles devenus propri?t? d?Etat en application d?une disposition l?gale. Selon la m?me d?cision, la loi n? 112/1995 n??tait pas applicable aux immeubles d?tenus par l?Etat en l?absence d?une disposition l?gale constituant le fondement juridique du droit de propri?t? de l?Etat.
42. Le 18 f?vrier 1997, le gouvernement adopta la d?cision n? 11/1997 qui compl?tait la d?cision n? 20/1996. Selon l?article 1 ? 3 de la d?cision n? 11/1997, les biens acquis par l?Etat en application du d?cret n? 92/1950 ?taient d?finis comme ceux qui avaient ?t? acquis dans le respect des articles I ?? 1-5 et II dudit d?cret et pour lesquels il y avait identit? entre la personne figurant comme propri?taire sur les listes dress?es en application du d?cret et le v?ritable propri?taire ? la date de la nationalisation.
J. La position des juridictions inf?rieures quant ? l?autorit? de la chose jug?e
43. Apr?s la d?cision n? 11 prise par le gouvernement le 18 f?vrier 1997, des propri?taires ? propos desquels des d?cisions de justice d?finitives avaient ?t? annul?es par la Cour supr?me de justice ? la suite d?un recours en annulation introduisirent devant les tribunaux de nouvelles actions en revendication. La question de l?exception de l?autorit? de la chose jug?e, soulev?e ? l?occasion de ces nouvelles actions, ne re?ut pas une r?ponse uniforme de la part des tribunaux.
1. Tribunal de premi?re instance du 2e arrondissement de Bucarest, jugement n? 5626 du 16 mai 1997 pass? en force de chose jug?e
? (…) le bien revendiqu? a d?j? fait l?objet d?un litige entre les m?mes parties, ? l?issue duquel le tribunal de premi?re instance du 2e arrondissement de Bucarest a prononc? le 12 janvier 1994 le jugement n? 212, pass? en force de chose jug?e, par lequel la demande de I.P. a ?t? accueillie et ce dernier reconnu propri?taire de l?immeuble (…)
Contre ce jugement, le procureur g?n?ral a form? un recours en annulation, ? la suite duquel la Cour supr?me de justice, par un arr?t du 28 septembre 1995, a annul? le jugement susmentionn? et, sur le fond, a rejet? l?action de I.P. (…)
(…) en application de l?article 1201 du code civil, selon lequel ? il y a autorit? de la chose jug?e lorsqu?une deuxi?me demande en justice a le m?me objet, est fond?e sur la m?me cause et concerne les m?mes parties dans la m?me qualit? ?, le tribunal constate qu?un litige a d?j? eu lieu entre les m?mes parties, au sujet du m?me immeuble, qui a ?t? tranch? par la Cour supr?me de justice (…)
(…) d?s lors, le tribunal accueille l?exception de l?autorit? de la chose jug?e et rejette l?action du demandeur. ?
2. Tribunal de premi?re instance de Făgăraş, jugement susceptible de recours n? 3276 du 10 d?cembre 1998
? (…) le tribunal constate que l?application du d?cret n? 92/1950 a ?t? ill?gale en ce qui concerne l?immeuble de la requ?rante (…), ordonne la restitution de l?immeuble et rejette l?exception de l?autorit? de la chose jug?e (…) ?
K. La loi n? 213 du 24 novembre 1998 sur le domaine public et son r?gime juridique
44. Les dispositions pertinentes de cette loi sont ainsi ?nonc?es :
Article 6
? 1. Font ?galement partie du domaine public ou priv? de l?Etat ou des autres entit?s administratives les biens acquis par l?Etat entre le 6 mars 1945 et le 22 d?cembre 1989, pour autant qu?ils sont entr?s dans le patrimoine de l?Etat en vertu d?un titre, c?est-?-dire dans le respect de la Constitution, des trait?s internationaux auxquels la Roumanie ?tait partie et des lois en vigueur ? la date ? laquelle les biens en question sont entr?s dans le patrimoine de l?Etat.
2. Hormis le cas o? leur situation se trouve r?gie par les lois sp?ciales de r?paration, les biens d?tenus par l?Etat sans titre valable, y compris ceux qui ont ?t? acquis par suite d?un vice du consentement, peuvent ?tre revendiqu?s par les anciens propri?taires ou leurs h?ritiers.
3. Les tribunaux sont comp?tents pour appr?cier la validit? du titre. ?
PROC?DURE DEVANT LA COMMISSION
45. M. Brumărescu a saisi la Commission le 9 mai 1995. Il all?guait qu?au m?pris des articles 6 ? 1 de la Convention et 1 du Protocole n? 1, la Cour supr?me de justice l?avait priv? de l?acc?s ? un tribunal qui aurait pu lui permettre de reprendre possession de sa maison.
46. La Commission a retenu la requ?te (n? 28342/95) le 22 mai 1997. Dans son rapport du 15 avril 1998 (ancien article 31 de la Convention), elle conclut ? l?unanimit? ? la violation de l?article 6 ? 1 de la Convention et de l?article 1 du Protocole n? 1. Le texte int?gral de son avis figure en annexe au pr?sent arr?t1.
CONCLUSIONS PR?SENT?ES ? LA COUR
47. Le Gouvernement invite la Cour ? constater qu?? la suite de faits nouveaux intervenus apr?s l?adoption de son rapport par la Commission, le requ?rant a perdu la qualit? de victime d?une violation de la Convention et, quoi qu?il en soit, n?a pas ?puis? les voies de recours internes. Quant au fond, il prie la Cour de rejeter la requ?te.
Le requ?rant prie la Cour de rejeter les exceptions pr?liminaires soulev?es par le Gouvernement, de constater qu?il y a eu violation de l?article 6 ? 1 de la Convention et de l?article 1 du Protocole n? 1 et de lui allouer une satisfaction ?quitable au titre de l?article 41 de la Convention.
EN DROIT
I. sur les exceptions pr?liminaires du gouvernement
A. Sur la qualit? de victime du requ?rant
48. D?apr?s le Gouvernement, les faits nouveaux intervenus apr?s la d?cision sur la recevabilit? du 22 mai 1997 entra?nent, pour le requ?rant, la perte de la qualit? de victime, au sens de l?article 34 de la Convention.
Le Gouvernement soutient que la proc?dure entam?e par le requ?rant en application de la loi n? 112/1995 a abouti ? la d?cision du 24 mars 1998 par laquelle le requ?rant s?est vu restituer une partie de la maison revendiqu?e et accorder un d?dommagement pour la partie non restitu?e en nature. Ce d?dommagement est suffisant pour que le requ?rant ne puisse plus se pr?tendre victime d?une violation de son droit au respect de ses biens. Bien que cette proc?dure soit toujours pendante, le requ?rant ayant contest? devant les tribunaux le refus d?une restitution int?grale en nature, le Gouvernement estime que les tribunaux ne pourront pas rendre une d?cision moins favorable ? l?int?ress? que celle du 24 mars 1998.
49. Le requ?rant invite la Cour ? poursuivre l?examen de l?affaire. Il fait valoir qu?il a ?t? priv? de son bien et qu?? l?heure actuelle, il ne se l?est toujours pas vu restituer. Il souligne aussi qu?il n?a jamais voulu se s?parer du bien en question en acceptant des indemnit?s, et qu?en tout ?tat de cause le montant des indemnit?s offertes est d?risoire au regard de la valeur de la maison. D?s lors, l?octroi des indemnit?s en cause ne saurait le priver de sa qualit? de victime, qu?il a eue et qu?il a toujours.
50. Selon la jurisprudence constante de la Cour, par ? victime ? l?article 34 de la Convention d?signe la personne directement concern?e par l?acte ou l?omission litigieux, l?existence d?un manquement aux exigences de la Convention se concevant m?me en l?absence de pr?judice ; celui-ci ne joue un r?le que sur le terrain de l?article 41. Partant, une d?cision ou une mesure favorable au requ?rant ne suffit en principe ? lui retirer la qualit? de ? victime ? que si les autorit?s nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis r?par? la violation de la Convention (voir, entre autres, l?arr?t L?di c. Suisse du 15 juin 1992, s?rie A n? 238, p. 18, ? 34).
En l?esp?ce, la Cour note que le requ?rant se trouve ? l?heure actuelle dans la m?me situation qu?au 1er mars 1995, aucune d?cision d?finitive n?ayant reconnu, au moins en substance, puis r?par? l??ventuelle violation de la Convention r?sultant de l?arr?t de la Cour supr?me de justice.
En effet, en ce qui concerne le grief relatif au droit de propri?t? du requ?rant, la proc?dure en restitution qui a suivi cet arr?t de la Cour supr?me n?a pas encore abouti ? une d?cision d?finitive. Bien que les d?cisions d?j? intervenues dans cette action ? qui ne fait pas en tant que telle l?objet de la proc?dure devant la Cour ? aillent dans le sens d?une certaine am?lioration de la situation du requ?rant ? restitution partielle de l?immeuble en question et indemnisation pour la part non restitu?e ?, et bien qu?il ne soit pas exclu qu?en fin de compte le requ?rant puisse avoir gain de cause avec sa demande de restitution int?grale de l?immeuble, il reste que le point de d?part de cette proc?dure est pr?cis?ment la situation cr??e par l?arr?t contest? de la Cour supr?me de justice, ? savoir l?acceptation du fait que l?immeuble en question est redevenu propri?t? de l?Etat. D?s lors, cette proc?dure ne peut en aucun cas effacer enti?rement les cons?quences de l?arr?t de la Cour supr?me de justice pour la jouissance par le requ?rant de son droit de propri?t?, l??ventuelle restitution de l?immeuble reposant sur une autre base l?gale que celle qui se trouve ? l?origine du litige port? devant la Cour.
En outre, la Cour observe que les griefs du requ?rant ne se limitent pas ? l?ing?rence, par la Cour supr?me de justice, dans son droit de propri?t?, mais sont tir?s ?galement d?une pr?tendue violation de l?article 6 ? 1 de la Convention par ce m?me arr?t. Le requ?rant peut incontestablement se pr?tendre victime du fait de l?annulation d?une d?cision judiciaire en sa faveur, d?cision qui ?tait devenue d?finitive, et du constat que les tribunaux n??taient pas comp?tents pour examiner des actions en revendication telles que celle qu?il avait introduite. L?impossibilit? de porter devant les tribunaux une telle action a persist? pendant plusieurs ann?es.
M?me si, ? la suite de l?adoption de nouvelles r?glementations et du revirement de la jurisprudence de la Cour supr?me de justice, la voie judiciaire est maintenant ouverte en pareilles circonstances, la Cour consid?re qu?il serait on?reux de demander au requ?rant d?entamer la m?me proc?dure une deuxi?me fois, d?autant plus qu?? la lumi?re de la jurisprudence contradictoire des tribunaux roumains, l?issue d?une nouvelle action en revendication demeure incertaine, eu ?gard au principe de l?autorit? de la chose jug?e.
Dans ces circonstances, on ne saurait nier que le requ?rant, comme il le soutient, demeure concern? par l?arr?t litigieux de la Cour supr?me de justice et continue d??tre victime des violations de la Convention qui, selon lui, d?coulent de cet arr?t.
Il y a donc lieu de rejeter l?exception.
B. Sur l??puisement des voies de recours internes
51. Le Gouvernement plaide ?galement l?irrecevabilit? de la requ?te pour non-?puisement des voies de recours internes. Tout en admettant qu?aucune voie de recours efficace n?existe en droit roumain contre l?arr?t de la Cour supr?me de justice du 1er mars 1995, le Gouvernement fait valoir qu?il est loisible au requ?rant d?introduire une nouvelle action en revendication. Bien que cette voie de recours exist?t avant la d?cision de recevabilit? de la Commission, elle est devenue efficace seulement apr?s l?entr?e en vigueur de la loi n? 112/1995, telle qu?interpr?t?e par la d?cision du gouvernement n? 11/1997, de la loi n? 213/1998 sur le domaine public et apr?s le revirement de jurisprudence de la Cour supr?me de justice du 28 septembre 1998.
52. La Cour note que le Gouvernement a soulev? cette exception pour la premi?re fois devant la Commission le 7 avril 1998, apr?s la d?cision sur la recevabilit? de la requ?te du 22 mai 1997 et apr?s avoir transmis ? la Commission ses observations sur le fond le 11 juillet 1997.
53. La Cour rappelle que pareille exception devrait, en principe, ?tre soulev?e avant l?examen de la recevabilit? de la requ?te (voir, par exemple, l?arr?t Campbell et Fell c. Royaume-Uni du 28 juin 1984, s?rie A n? 80, p. 31, ? 57 ; l?arr?t Artico c. Italie du 13 mai 1980, s?rie A n? 37, pp. 13-14, ? 27). Toutefois, la Cour n?estime pas n?cessaire d?examiner s?il y a, en l?esp?ce, des circonstances particuli?res permettant au Gouvernement de soulever cette exception apr?s l?examen de la recevabilit?, car elle estime de toute fa?on que cette exception se r?v?le mal fond?e.
54. La Cour note qu?avant d?introduire sa requ?te devant la Commission, le requ?rant a utilis? la voie de recours indiqu?e par le Gouvernement, ? savoir une action en revendication. A cette date-l?, tout comme aujourd?hui, cette voie de recours existait et ?tait efficace, ce que le Gouvernement ne conteste d?ailleurs pas.
55. La Cour estime que le Gouvernement, qui est responsable de l?annulation d?un jugement d?finitif rendu ? la suite d?une action en revendication, ne saurait maintenant exciper d?un non-?puisement d? au manquement du requ?rant d?introduire une nouvelle action en revendication (voir ?galement paragraphe 50 ci-dessus in fine).
Partant, il y a lieu de rejeter cette exception pr?liminaire.
II. sur la violation all?gu?e de l?article 6 ? 1 de la convention
56. D?apr?s le requ?rant, l?arr?t du 1er mars 1995 de la Cour supr?me de justice a enfreint l?article 6 ? 1 de la Convention, qui dispose :
? Toute personne a droit ? ce que sa cause soit entendue ?quitablement (…) par un tribunal (…) qui d?cidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caract?re civil (…) ?
57. Dans son m?moire, le requ?rant fait valoir que le refus de la Cour supr?me de justice de reconna?tre aux tribunaux la comp?tence de trancher une action en revendication est contraire au droit ? un tribunal garanti par l?article 21 de la Constitution roumaine et ? l?article 3 du code civil roumain, qui r?git le d?ni de justice. En outre, il fait valoir que l?affirmation de la Cour supr?me de justice, selon laquelle le requ?rant n??tait pas propri?taire du bien en litige, est en contradiction avec le motif invoqu? par cette cour pour accueillir le recours en annulation, ? savoir l?absence de comp?tence des juridictions pour trancher le fond du litige.
58. Le Gouvernement admet que le requ?rant s?est vu opposer un refus du droit ? un tribunal, mais estime que ce refus a ?t? temporaire et qu?en tout cas il ?tait justifi? pour assurer le respect des normes de proc?dure et le principe de la s?paration des pouvoirs.
59. Pour la Commission, le droit d?acc?s ? un tribunal exige une voie judiciaire permettant de revendiquer des droits civils. D?s lors, l?annulation du jugement du 9 d?cembre 1993, au motif que les tribunaux ne peuvent pas conna?tre d?une telle action, a port? atteinte ? la substance m?me du droit d?acc?s ? un tribunal au sens de l?article 6 ? 1.
60. La Cour doit donc rechercher si l?arr?t du 1er mars 1995 a enfreint l?article 6 ? 1 de la Convention.
61. Le droit ? un proc?s ?quitable devant un tribunal, garanti par l?article 6 ? 1 de la Convention, doit s?interpr?ter ? la lumi?re du pr?ambule de la Convention, qui ?nonce la pr??minence du droit comme ?l?ment du patrimoine commun des Etats contractants. Un des ?l?ments fondamentaux de la pr??minence du droit est le principe de la s?curit? des rapports juridiques, qui veut, entre autres, que la solution donn?e de mani?re d?finitive ? tout litige par les tribunaux ne soit plus remise en cause.
62. En l?esp?ce, la Cour note qu?? l??poque des faits, le procureur g?n?ral de la Roumanie ? qui n??tait pas partie ? la proc?dure ? disposait, en vertu de l?article 330 du code de proc?dure civile, du pouvoir d?attaquer un jugement d?finitif par la voie du recours en annulation. La Cour note que, dans l?exercice de son pouvoir, le procureur g?n?ral n??tait tenu par aucun d?lai, de sorte que les jugements pouvaient ?tre perp?tuellement remis en cause.
La Cour rel?ve qu?en accueillant le recours en annulation introduit en vertu du pouvoir susmentionn?, la Cour supr?me de justice a effac? l?ensemble d?une proc?dure judiciaire qui avait abouti, selon les termes de la Cour supr?me de justice, ? une d?cision judiciaire ? irr?vocable ?, ayant donc acquis l?autorit? de la chose jug?e et ayant, de surcro?t, ?t? ex?cut?e.
En appliquant de la sorte les dispositions de l?article 330 pr?cit?, la Cour supr?me de justice a enfreint le principe de la s?curit? des rapports juridiques. En l?esp?ce, et de ce fait, le droit du requ?rant ? un proc?s ?quitable au sens de l?article 6 ? 1 de la Convention a ?t? m?connu.
Il y a donc eu violation dudit article.
63. En outre, concernant l?all?gation du requ?rant selon laquelle il a ?t? priv? de son droit de faire entendre sa cause par un tribunal, la Cour constate que, dans son arr?t du 1er mars 1995, la Cour supr?me de justice a jug? que la revendication de l?int?ress? revenait ? attaquer un acte l?gislatif, le d?cret de nationalisation n? 92/1950. En cons?quence, elle a estim? que l?affaire ?chappait ? la comp?tence des juridictions et que seul le Parlement pouvait se prononcer sur la l?galit? de la nationalisation en cause.
64. N?anmoins, dans son arr?t, la Cour supr?me de justice affirme que le requ?rant n??tait pas propri?taire du bien en litige.
La Cour n?a pour t?che ni de se pencher sur l?arr?t du 1er mars 1995 ? la lumi?re du droit interne, ni d?examiner si la Cour supr?me de justice pouvait ou non trancher elle-m?me le litige sur le fond, eu ?gard ? la comp?tence dont l?avait investie l?article 330 du code de proc?dure civile.
65. La Cour rel?ve que l?arr?t du 1er mars 1995 a ?t? motiv? par l?incomp?tence absolue des juridictions de trancher des litiges civils comme l?action en revendication dans le cas d?esp?ce. Elle estime qu?une telle exclusion est en soi contraire au droit d?acc?s ? un tribunal garanti par l?article 6 ? 1 de la Convention (voir, mutatis mutandis, l?arr?t Vasilescu c. Roumanie du 22 mai 1998, Recueil des arr?ts et d?cisions 1998-III, pp. 1075-1076, ?? 39-41).
Partant, il y a eu violation de l?article 6 ? 1 ?galement sur ce point.
III. sur la violation ALL?GU?E de l?article 1 du
protocole n? 1
66. Le requ?rant se plaint que l?arr?t du 1er mars 1995 de la Cour supr?me de justice a eu pour effet de porter atteinte ? son droit au respect de ses biens, tel que reconnu ? l?article 1 du Protocole n? 1, ainsi libell? :
? Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut ?tre priv? de sa propri?t? que pour cause d?utilit? publique et dans les conditions pr?vues par la loi et les principes g?n?raux du droit international.
Les dispositions pr?c?dentes ne portent pas atteinte au droit que poss?dent les Etats de mettre en vigueur les lois qu?ils jugent n?cessaires pour r?glementer l?usage des biens conform?ment ? l?int?r?t g?n?ral ou pour assurer le paiement des imp?ts ou d?autres contributions ou des amendes. ?
A. Sur l?existence d?un bien
67. Le Gouvernement admet que la reconnaissance judiciaire du droit de propri?t? du requ?rant, le 9 d?cembre 1993, repr?sentait un ? bien ? au sens de l?article 1 du Protocole n? 1. Toutefois, lors de l?audience du 17 juin 1999, le Gouvernement fait valoir pour la premi?re fois que le jugement du 9 d?cembre 1993 ne concernait pas le rez-de-chauss?e, vendu par l?Etat en 1973.
68. Selon le requ?rant, l?Etat n?aurait pu vendre l?galement un bien qui ne lui appartenait pas. D?autre part, ce n?est qu?en agissant de mauvaise foi que les locataires du rez-de-chauss?e auraient pu acheter cet appartement, puisqu?ils savaient parfaitement que les parents du requ?rant avaient ?t? d?poss?d?s ill?galement.
Le tiers intervenant soutient que l??ventuel bien du requ?rant ne saurait inclure l?appartement se trouvant au rez-de-chauss?e de la maison, achet? en 1973 par ses oncles et dont il a h?rit?. Il indique que l?achat ?tait conforme aux lois en vigueur en 1973.
69. La Cour prend note du fait que le droit du requ?rant sur l?appartement se trouvant au rez-de-chauss?e de la maison en litige est mis en cause par le tiers intervenant. Elle rappelle toutefois que la proc?dure devant elle, engag?e par le requ?rant ? l?encontre de l?Etat roumain, ne saurait produire d?effets que sur les droits et les obligations de ces seules parties. La Cour rel?ve de surcro?t que le tiers intervenant n??tait partie ? aucune des proc?dures internes faisant l?objet de la pr?sente requ?te, les seules parties ? ces proc?dures ?tant le requ?rant et le Gouvernement.
70. La Cour estime que le requ?rant avait un ? bien ? au sens de l?article 1 du Protocole n? 1. En effet, le jugement du tribunal de premi?re instance du 9 d?cembre 1993 avait ?tabli que la maison en question avait ?t? nationalis?e en violation du d?cret de nationalisation n? 92/1950 et avait constat?, avec effet r?troactif, que le requ?rant en ?tait le propri?taire l?gitime, en tant que successeur de ses parents. La Cour rel?ve aussi que le droit du requ?rant ainsi reconnu n??tait pas r?vocable. D?ailleurs, le requ?rant a pu jouir de son bien en toute tranquillit?, en tant que propri?taire l?gitime, du 9 d?cembre 1993 jusqu?au 1er mars 1995. Il s?acquitta ?galement des taxes et des imp?ts immobiliers aff?rents ? son bien.
B. Sur l?existence d?une ing?rence
71. Pour le requ?rant, l?annulation du jugement du 9 d?cembre 1993 a eu pour cons?quence l?impossibilit? absolue de faire valoir son droit de propri?t?, ce qui constitue une ing?rence dans son droit au respect de ses biens.
72. Selon le Gouvernement, l?arr?t de la Cour supr?me de justice, bien que n?ayant pas tranch? la question du droit de propri?t? du requ?rant, a cr?? une incertitude de courte dur?e quant ? ce droit, et constitu? ainsi une ing?rence temporaire dans le droit de l?int?ress? au respect de son bien.
73. La Commission observe que le requ?rant s?est vu reconna?tre son droit de propri?t? par un jugement d?finitif et qu?il pouvait d?s lors esp?rer l?gitimement jouir d?une mani?re paisible de son droit. L?annulation du jugement du 9 d?cembre 1993 constitue une ing?rence dans le droit de propri?t? du requ?rant.
74. La Cour reconna?t que la Cour supr?me de justice n?a pas eu pour but de trancher la question relative au droit de propri?t? du requ?rant. Elle estime pourtant qu?il y a eu ing?rence dans le droit de propri?t? de l?int?ress? tel que le garantit l?article 1 du Protocole n? 1 en ce que l?arr?t de la Cour supr?me de justice du 1er mars 1995 a cass? le jugement d?finitif du 9 d?cembre 1993 attribuant la maison ? M. B. alors que ce jugement avait ?t? ex?cut?.
C. Sur la justification de l?ing?rence
75. Reste ? d?terminer si l?ing?rence constat?e par la Cour a ou non enfreint l?article 1 du Protocole n? 1. Pour ce faire, il faut rechercher si, comme le soutient le Gouvernement, l?ing?rence en cause relevait de la premi?re phrase du premier paragraphe de l?article 1 au motif que l?arr?t de la Cour supr?me de justice ne s?analysait ni en une privation formelle des biens du requ?rant ni en une r?glementation de leur usage, ou si, comme la Commission l?a estim?, l?affaire concerne une privation de propri?t? couverte par la seconde phrase de ce m?me paragraphe.
76. La Cour rappelle que pour d?terminer s?il y a eu privation de biens au sens de la deuxi?me ? norme ?, il faut non seulement examiner s?il y a eu d?possession ou expropriation formelle, mais encore regarder au-del? des apparences et analyser les r?alit?s de la situation litigieuse. La Convention visant ? prot?ger des droits ? concrets et effectifs ?, il importe de rechercher si ladite situation ?quivalait ? une expropriation de fait (arr?ts Sporrong et L?nnroth c. Su?de du 23 septembre 1982, s?rie A n? 52, pp. 24-25, ? 63, et Vasilescu pr?cit?, p. 1078, ? 51).
77. La Cour note qu?en l?esp?ce, le jugement du tribunal de premi?re instance, qui ordonnait aux autorit?s administratives de restituer la maison au requ?rant, ?tait devenu d?finitif et irr?vocable, que, s?y conformant, le maire de Bucarest ordonna la restitution de la maison au requ?rant et que l?entreprise C. s?ex?cuta en mai 1994. En outre, ? cette date, le requ?rant cessa de payer le loyer d? pour l?appartement qu?il occupait dans la maison et, d?avril 1994 ? avril 1996, il acquitta les taxes fonci?res aff?rentes ? celle-ci. La Cour rel?ve que l?arr?t de la Cour supr?me de justice a eu pour effet de priver le requ?rant de tous les fruits de l?arr?t d?finitif en sa faveur en jugeant que l?Etat avait d?montr? que son titre de propri?t? se fondait sur le d?cret de nationalisation. Apr?s cette d?cision, l?int?ress? fut inform? qu?? partir d?avril 1996, la maison serait r?int?gr?e dans le patrimoine de l?Etat. L?arr?t de la Cour supr?me de justice a donc eu pour cons?quence de priver le requ?rant des droits de propri?t? que le jugement d?finitif en sa faveur lui avait conf?r?s sur la maison. L?int?ress? n?avait plus notamment la facult? de vendre ou de l?guer le bien, d?en consentir la donation ou d?en disposer d?une autre mani?re. Dans ces conditions, la Cour constate que l?arr?t de la Cour supr?me de justice a eu pour effet de priver le requ?rant de son bien au sens de la seconde phrase du premier paragraphe de l?article 1 du Protocole n? 1.
78. Une privation de propri?t? relevant de cette deuxi?me norme peut seulement se justifier si l?on d?montre notamment qu?elle est intervenue pour cause d?utilit? publique et dans les conditions pr?vues par la loi. De surcro?t, toute ing?rence dans la jouissance de la propri?t? doit r?pondre au crit?re de proportionnalit?. La Cour ne cesse de le rappeler : un juste ?quilibre doit ?tre maintenu entre les exigences de l?int?r?t g?n?ral de la communaut? et les imp?ratifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l?individu. Le souci d?assurer un tel ?quilibre est inh?rent ? l?ensemble de la Convention. La Cour rappelle aussi que l??quilibre ? pr?server sera d?truit si l?individu concern? supporte une charge sp?ciale et exorbitante (arr?t Sporrong et L?nnroth pr?cit?, pp. 26-28, ?? 69-74).
79. A l?instar de la Commission, la Cour observe qu?aucune justification n?est fournie ? la situation qui d?rive de l?arr?t de la Cour supr?me de justice. En particulier, ni cette juridiction elle-m?me ni le Gouvernement n?ont tent? d?avancer des motifs s?rieux justifiant la privation de propri?t? pour ? cause d?utilit? publique ?. La Cour note en outre que le requ?rant se trouve priv? de la propri?t? du bien depuis maintenant plus de quatre ans sans avoir per?u d?indemnit? refl?tant la valeur r?elle de celui-ci, et que les efforts d?ploy?s par lui pour recouvrer la propri?t? sont ? ce jour demeur?s vains.
80. Dans ces conditions, ? supposer m?me que l?on puisse d?montrer que la privation de propri?t? servait une cause d?int?r?t public, la Cour estime que le juste ?quilibre a ?t? rompu et que le requ?rant a support? et continue de supporter une charge sp?ciale et exorbitante. Partant, il y a eu et il continue d?y avoir violation de l?article 1 du Protocole n? 1.
IV. SUR L?application de l?article 41 DE LA Convention
81. Aux termes de l?article 41 de la Convention,
? Si la Cour d?clare qu?il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d?effacer qu?imparfaitement les cons?quences de cette violation, la Cour accorde ? la partie l?s?e, s?il y a lieu, une satisfaction ?quitable. ?
82. A titre principal, le requ?rant sollicite la restitution du bien litigieux. Il entend recevoir, en cas de non-restitution, une somme correspondant ? la valeur actuelle de son bien, ? savoir, selon le rapport d?expertise soumis ? la Cour, 3 681 millions de lei roumains (ROL). Pour dommage moral, il r?clame 75 000 dollars am?ricains (USD). Il sollicite en outre le versement de 26 000 150 ROL pour honoraires d?avocat pour les proc?dures men?es devant les organes de Strasbourg, ainsi que de 1 543 650 ROL, 500 USD et 300 francs fran?ais au titre de frais divers pour les proc?dures suivies devant la Cour, y compris pour la comparution ? l?audience du 17 juin 1999.
83. Le Gouvernement soutient en premier lieu que l?octroi d?une somme au titre du dommage mat?riel serait injuste, puisque le requ?rant peut toujours revendiquer avec succ?s sa maison devant les juridictions internes. En tout cas, le Gouvernement estime que le montant maximum qui pourrait ?tre octroy? est de 69 480 USD, repr?sentant, selon le rapport d?expertise qu?il a soumis devant la Cour, la valeur marchande de la maison en litige moins la valeur de l?appartement occup? par le requ?rant.
Quant au pr?judice moral, le Gouvernement soutient qu?il n?y a pas lieu ? l?octroi d?une r?paration ? ce titre.
Le Gouvernement se d?clare pr?t ? rembourser les frais et d?pens justifi?s par le requ?rant, en d?duisant les sommes octroy?es au titre de l?assistance judiciaire.
84. Dans les circonstances de la cause, la Cour estime que la question de l?application de l?article 41 ne se trouve pas en ?tat de sorte qu?il ?chet de la r?server eu ?gard ? l??ventualit? d?un accord entre l?Etat d?fendeur et l?int?ress? (article 75 ?? 1 et 4 du r?glement).
PAR CES MOTIFS, LA COUR, ? L?UNANIMIT?,
1. Dit qu?il y a eu violation de l?article 6 ? 1 de la Convention du fait de l?absence d?un proc?s ?quitable ;
2. Dit qu?il y a eu violation de l?article 6 ? 1 de la Convention du fait du refus du droit d?acc?s ? un tribunal ;
3. Dit qu?il y a eu violation de l?article 1 du Protocole n? 1 ;
4. Dit que la question de l?application de l?article 41 de la Convention ne se trouve pas en ?tat ;
en cons?quence,
a) la r?serve en entier ;
b) invite le Gouvernement et le requ?rant ? lui adresser par ?crit, dans les trois mois, leurs observations sur cette question et notamment ? lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;
c) r?serve la proc?dure ult?rieure et d?l?gue au pr?sident de la Grande Chambre le soin de la fixer au besoin.
Fait en fran?ais et en anglais, puis prononc? en audience publique au Palais des Droits de l?Homme, ? Strasbourg, le 28 octobre 1999.
Luzius Wildhaber
Pr?sident
Maud de Boer-Buquicchio
Greffi?re adjointe
Au pr?sent arr?t se trouve joint, conform?ment aux articles 45 ? 2 de la Convention et 74 ? 2 du r?glement, l?expos? des opinions s?par?es suivantes :
? opinion concordante de M. Rozakis ;
? opinion concordante de Sir Nicolas Bratza, ? laquelle se rallie M. Zupančič.
L.W.
M.B.
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE ROZAKIS
(Traduction)
Bien que j?aie vot? pour le constat d?une double violation de l?article 6 ? 1 de la Convention en l?esp?ce, j?estime qu?en r?alit? les deux aspects de la violation sont intrins?quement li?s et s?analysent l?un et l?autre en un manquement au droit ? un tribunal, ou d?acc?s ? un tribunal.
La majorit? de la Cour a consid?r? que le fait que la Cour supr?me de justice de Roumanie ? a effac? l?ensemble d?une proc?dure judiciaire qui avait abouti (?) ? une d?cision judiciaire ? irr?vocable ?, ayant donc acquis l?autorit? de la chose jug?e et ayant, de surcro?t, ?t? ex?cut?e (?) a enfreint le principe de la s?curit? des rapports juridiques (…) et de ce fait, le droit du requ?rant ? un proc?s ?quitable au sens de l?article 6 ? 1 de la Convention ?.
Je vois les choses sous un autre angle : la notion de droit ? un tribunal, ou de droit d?acc?s ? un tribunal, s?est d?velopp?e dans la jurisprudence de la Cour europ?enne des Droits de l?Homme et couvre toutes sortes de circonstances dans lesquelles un individu se voit d?nier, par des actions ou des omissions des pouvoirs publics, la possibilit? d?obtenir une d?cision d?finitive d?une cour de justice sur une contestation en mati?re civile ou une accusation en mati?re p?nale. En l??tat actuel, la jurisprudence indique que la notion de droit ? un tribunal ou d?acc?s ? un tribunal ne se limite en aucun cas au stade de l?introduction d?une instance ni au fait qu?une proc?dure judiciaire aboutisse ? une d?cision sur une accusation en mati?re p?nale ; cette notion englobe aussi le droit ? ce qu?un tribunal impose en pratique son verdict ou sa d?cision, et administre la justice sans subir d?entrave ext?rieure. Le droit ? un tribunal n?est donc pas un simple droit th?orique ? ce qu?un juge national examine l?affaire d?un individu, mais il comprend encore l?espoir l?gitime que les autorit?s internes seront tenues de respecter un jugement d?finitif qui sera donc ex?cut?.
En l?occurrence, le requ?rant a eu le droit de saisir la justice d?un diff?rend qui l?opposait ? l?Etat. Il s?est ainsi pr?valu, dans les r?gles, de sa capacit? de faire ex?cuter un jugement ayant acquis force de chose jug?e, et de se voir en cons?quence r?int?gr? dans la propri?t? de son bien. Mais son droit ? un tribunal est devenu illusoire lorsque le procureur g?n?ral et la Cour supr?me sont intervenus, en appliquant l?article 330 du code de proc?dure civile, et ont effac? le jugement du tribunal de premi?re instance et ses cons?quences favorables ? l?int?ress?. Lorsqu?un syst?me judiciaire conf?re ? une juridiction la comp?tence de rendre des jugements d?finitifs puis permet que des proc?dures ult?rieures en annulent les d?cisions, non seulement la s?curit? juridique en p?tit, mais l?existence m?me du tribunal est remise en cause puisqu?il n?a en substance aucune comp?tence pour trancher de mani?re d?finitive une question juridique.
L?on peut donc se demander si une personne qui saisit pareil tribunal pour qu?il se prononce sur la contestation a vraiment un droit ? un tribunal et un droit d?acc?s ? un tribunal.
OPINION CONCORDANTE
DE Sir Nicolas BRATZA, JUGE, ? LAQUELLE SE RALLIE
M. LE JUGE ZUPANČIČ
(Traduction)
Je pense ? l?instar des autres membres de la Cour qu?en l?esp?ce, il y a eu violation de l?article 6 de la Convention sur deux chefs distincts, et manquement ? l?article 1 du Protocole n? 1. Je souscris ?galement pour l?essentiel au raisonnement expos? dans l?arr?t de la Cour quant ? ces deux dispositions, et me contenterai de formuler quelques remarques additionnelles sur la premi?re branche du grief tir? de l?article 6.
La Cour a conclu qu?en appliquant les dispositions de l?article 330 du code de proc?dure civile, la Cour supr?me de justice ? a enfreint le principe de la s?curit? des rapports juridiques ?, et qu?en l?esp?ce, ? le droit du requ?rant ? un proc?s ?quitable au sens de l?article 6 ? 1 de la Convention a ?t? m?connu ? (paragraphe 62 de l?arr?t).
J?estime que ce raisonnement n?est pas enti?rement satisfaisant ; en effet, en ?non?ant ce point de vue, la Cour n?a pas fait r?f?rence ? sa jurisprudence ni donn? d?explications d?taill?es sur la relation entre les notions de ? s?curit? des rapports juridiques ? et de ? proc?s ?quitable ?.
A mon sens, il est possible de consid?rer que le lien tient au principe de l??galit? des armes entre les parties ? une proc?dure judiciaire, condition fondamentale d?un proc?s ?quitable. Dans une proc?dure mettant en cause l?Etat, de m?me que ce principe peut ?tre enfreint en cas d?ing?rence du pouvoir l?gislatif dans l?administration de la justice en vue d?influer sur le d?nouement judiciaire d?un litige (arr?t Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Gr?ce du 9 d?cembre 1994, s?rie A n? 301-B), il est possible d?all?guer sa violation lorsque, comme ici, le procureur g?n?ral, en sa qualit? de fonctionnaire, est investi par l?article 330 pr?cit? du pouvoir de demander ? tout moment l?annulation d?un jugement d?finitif et ex?cutoire en faveur d?un particulier.
Pour ma part, je pr?f?re toutefois consid?rer que la question de l?emploi dudit article 330 n?emporte pas violation des exigences proc?durales d?un proc?s ?quitable en tant que telles, mais entra?ne plut?t un manquement au ? droit ? un tribunal ?, dont le droit d?acc?s, ? savoir le droit de saisir le tribunal en mati?re civile, constitue un aspect (voir, par exemple, l?arr?t Philis c. Gr?ce (n? 1) du 27 ao?t 1991, s?rie A n? 209, pp. 20-21, ? 59).
Dans son arr?t Hornsby c. Gr?ce du 19 mars 1997 (Recueil des arr?ts et d?cisions 1997-II), la Cour a accueilli le grief des requ?rants selon lequel le refus de l?administration de se conformer aux arr?ts du Conseil d?Etat m?connaissait leur droit ? une protection judiciaire effective s?agissant des contestations sur leurs droits de caract?re civil, en violation de l?article 6 ? 1. Apr?s avoir rappel? que d?apr?s sa jurisprudence constante, l?article 6 consacre le ? droit d?acc?s ? un tribunal ?, la Cour a poursuivi en ces termes :
? Toutefois, ce droit serait illusoire si l?ordre juridique interne d?un Etat contractant permettait qu?une d?cision judiciaire d?finitive et obligatoire reste inop?rante au d?triment d?une partie. En effet, on ne comprendrait pas que l?article 6 ? 1 d?crive en d?tail les garanties de proc?dure ? ?quit?, publicit? et c?l?rit? ? accord?es aux parties et qu?il ne prot?ge pas la mise en ?uvre des d?cisions judiciaires ; si cet article devait passer pour concerner exclusivement l?acc?s au juge et le d?roulement de l?instance, cela risquerait de cr?er des situations incompatibles avec le principe de la pr??minence du droit que les Etats contractants se sont engag?s ? respecter en ratifiant la Convention (voir, mutatis mutandis, l?arr?t Golder c. Royaume-Uni du 21 f?vrier 1975, s?rie A n? 18, pp. 16-18, ?? 34-36). L?ex?cution d?un jugement ou arr?t, de quelque juridiction que ce soit, doit donc ?tre consid?r?e comme faisant partie int?grante du ? proc?s ? au sens de l?article 6 ; la Cour l?a du reste d?j? reconnu dans les affaires concernant la dur?e de la proc?dure (voir, en dernier lieu, les arr?ts Di Pede c. Italie et Zappia c. Italie du 26 septembre 1996, Recueil des arr?ts et d?cisions 1996-IV, pp. 1383-1384, ?? 20-24, et pp. 1410-1411, ?? 16-20, respectivement). ? (arr?t Hornsby pr?cit?, pp. 510-511, ? 40)
Si les circonstances de la cause sont bien entendu diff?rentes, il me semble qu?un raisonnement analogue s?applique. A mon avis, le droit ? un tribunal d?un justiciable serait ?galement illusoire si l?ordre juridique d?un Etat contractant permettait qu?une d?cision judiciaire d?finitive et obligatoire soit annul?e par la Cour supr?me de justice ? la suite d?un recours pouvant ?tre introduit ? tout moment par le procureur g?n?ral. Cela est d?autant plus vrai lorsque la d?cision, comme celle du tribunal de premi?re instance de Bucarest dont il est ici question, non seulement est d?finitive et ex?cutoi