Conclusions: Non-violation de l’article 10 – Libert? d’expression-{G?n?rale} (Article 10-1 – Libert? de communiquer des informations)
PREMI?RE SECTION
AFFAIRE BRAMBILLA ET AUTRES c. ITALIE
(Requ?te no 22567/09)
ARR?T
STRASBOURG
23 juin 2016
Cet arr?t deviendra d?finitif dans les conditions d?finies ? l?article 44 ? 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l?affaire Brambilla et autres c. Italie,
La Cour europ?enne des droits de l?homme (premi?re section), si?geant en une chambre compos?e de :
Mirjana Lazarova Trajkovska, pr?sidente,
Guido Raimondi,
Kristina Pardalos,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Paul Mahoney,
Ale? Pejchal,
Robert Spano, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,
Apr?s en avoir d?lib?r? en chambre du conseil le 31 mai 2016,
Rend l?arr?t que voici, adopt? ? cette date :
PROC?DURE
1. ? l?origine de l?affaire se trouve une requ?te (no 22567/09) dirig?e contre la R?publique italienne et dont trois ressortissants de cet ?tat, MM. C. OMISSIS (? les requ?rants ?), ont saisi la Cour le 21 avril 2009 en vertu de l?article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l?homme et des libert?s fondamentales (? la Convention ?).
2. Les requ?rants ont ?t? repr?sent?s par OMISSIS, avocats ? Milan. Le gouvernement italien (? le Gouvernement ?) a ?t? repr?sent? par son agente, Mme E. Spatafora, ainsi que par sa coagente, Mme P. Accardo.
3. Les requ?rants all?guent que les mesures prises ? leur encontre ? savoir, la perquisition de leur v?hicule et de leur bureau de r?daction, la saisie de leurs appareils radiophoniques et leur condamnation, ont constitu? une ing?rence disproportionn?e dans leur libert? d?expression prot?g?e par l?article 10 de la Convention, compte tenu notamment du fait qu?ils ont agi dans l?exercice de leur profession de journalistes.
4. Le 7 novembre 2013, la requ?te a ?t? communiqu?e au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L?ESP?CE
5. Les requ?rants sont n?s respectivement en 1954, 1976 et 1971 et r?sident ? Lecco.
6. Le premier requ?rant est le directeur d?un journal en ligne local dans la province de Lecco. Les deux autres requ?rants sont des journalistes travaillant pour ce journal.
7. Dans l?exercice de leur activit?, les requ?rants utilisaient des appareils radiophoniques acc?dant ? des fr?quences utilis?es par la police ou la gendarmerie. Ainsi, ils prenaient connaissance des communications transmises, dans le but de se rendre rapidement sur les lieux des faits qu?ils souhaitaient relater dans des articles de presse.
8. Le 1er ao?t 2002, les requ?rants ?cout?rent une conversation au cours de laquelle le centre op?rationnel de la gendarmerie de Merate d?cidait d?envoyer une patrouille sur un lieu o?, selon des informations anonymes, des armes avaient ?t? stock?es ill?galement.
9. La gendarmerie se rendit donc sur le lieu incrimin? et, dans l?imm?diat, le deuxi?me et troisi?me requ?rants arriv?rent sur place.
10. Munis d?un d?cret de perquisition, les gendarmes fouill?rent la voiture des requ?rants trouvant deux appareils ?metteurs-r?cepteurs ? modulation de fr?quences capables d?intercepter les radiocommunications des forces de l?ordre.
11. Les gendarmes se rendirent ensuite aupr?s du bureau de r?daction des requ?rants et saisirent deux appareils r?cepteurs fixes, cal?s sur les radiofr?quences de la gendarmerie. Dans la m?moire de ces appareils, d?autres fr?quences de centres op?ratifs des forces de police ?taient enregistr?es.
A. La proc?dure p?nale entam?e ? l?encontre des requ?rants en premi?re instance
12. Une proc?dure p?nale fut ouverte ? l?encontre du premier et deuxi?me requ?rants pour installation ill?gale d?appareils visant l?interception de communications entre les centres op?ratifs des forces de l?ordre et les patrouilles (articles 617, 617 bis et 623 bis du code p?nal). Le troisi?me requ?rant fut incrimin? pour avoir acquis les communications mentionn?es ci-dessus (articles 617 et 623 bis du code p?nal).
13. Le 9 novembre 2004, le tribunal de Lecco acquitta les requ?rants. Il estima que les articles du code p?nal en cause devaient ?tre interpr?t?s ? la lumi?re de l?article 15 de la Constitution, prot?geant uniquement les communications ayant caract?re confidentiel.
14. Le tribunal observa que l?outil-radio utilis? par les forces de l?ordre n??tait pas de nature ? pouvoir assurer la confidentialit? des informations transmises. Ainsi, l?interception des communications en cause ne constituait pas une infraction. De plus, la possession et l?utilisation d?appareils radior?cepteurs n??taient pas interdites en tant que telles.
B. La proc?dure en appel
15. Le procureur g?n?ral de Milan et le procureur de Lecco interjet?rent appel. Ils estim?rent que l?interpr?tation fournie par le tribunal de Lecco n??tait pas conforme ? la jurisprudence de la Cour de cassation en la mati?re (ils cit?rent notamment l?arr?t no 12655 du 23 janvier 2001) et que le caract?re confidentiel des communications en cause ?tait ?vident, compte tenu des objectifs de protection de la s?curit? et l?ordre publics. En outre, ces communications concernaient des premi?res investigations apr?s la commission d?une infraction. D?s lors, elles tombaient sous le coup d?une obligation de confidentialit? en application de l?article 329 du code de proc?dure p?nale.
16. De plus, le caract?re confidentiel susmentionn? ressortait aussi de ce que les gendarmes utilisaient un langage cod? pour les communications concernant les lieux et le type d?intervention, visant manifestement ? exclure des tierces personnes de la connaissance des informations ?chang?es. Par ailleurs, les fr?quences radiophoniques en cause ?taient assign?es exclusivement aux centres op?rationnels par le minist?re de la D?fense.
17. En outre, afin d??couter lesdites conversations, les requ?rants avaient d? acheter un ?quipement radio sp?cifique, celui ordinaire ne pouvant pas servir ? ce but. De l?autre c?t?, le fait que ces instruments pouvaient ?tre librement acquis sur le march? ne justifiait pas leur utilisation ? des fins d??coutes de conversations des forces de l?ordre.
18. De plus, en application du d?cret du pr?sident de la R?publique no 447 de 2001, en vigueur ? l??poque des faits, ces instruments ?taient normalement achet?s par des radioamateurs mais ne pouvaient pas ?tre utilis?s pour intercepter des radiofr?quences de la police. Enfin, le d?cret du minist?re des Communications du 11 f?vrier 2003 avait interdit express?ment les radioamateurs d?intercepter des communications qu?ils n?avaient pas le droit de recevoir.
C. L?arr?t de la cour d?appel de Milan
19. Par un arr?t du 15 mai 2007, la cour d?appel de Milan condamna le premier et deuxi?me requ?rants ? une peine de un an et trois mois de r?clusion. Le troisi?me requ?rant fut condamn? ? six mois de r?clusion. La cour d?appel accorda aux requ?rants la suspension de la peine.
20. La cour observa que l?article 623 bis du code p?nal, tel que modifi? par la loi no 547 du 23 novembre 1993, avait ?largi la responsabilit? p?nale ? toute transmission de donn?es ? distance, y compris donc, l??coute des conversations entre les centres op?rationnels et les patrouilles des forces de l?ordre.
21. Le caract?re confidentiel de ces communications ?tait d?ailleurs ?vident. R?it?rant l?ensemble des consid?rations des procureurs de Milan et de Lecco, notamment en ce qui concerne les objectifs de protection de la s?curit? et l?ordre publics, la cour d?appel estima que l?article 329 du code de proc?dure p?nale ?tait aussi en cause en l?esp?ce.
D. La proc?dure devant la Cour de cassation
22. Les requ?rants se pourvurent en cassation. Ils soutinrent que les communications en objet ?taient transmises sur des fr?quences en clair et ne pouvaient donc pas ?tre consid?r?es comme ?tant confidentielles. De plus, ils avaient agi dans leur travail de journalistes, ainsi, leurs actions ?taient justifi?es au sens de l?article 51 du code p?nal et de la libert? de presse.
23. Par un arr?t du 28 octobre 2008, la Cour de cassation d?bouta les requ?rants confirmant la position de la cour d?appel pour ce qui ?tait du caract?re confidentiel des communications en cause et r?it?rant que cette interpr?tation ?tait conforme ? la jurisprudence de la Cour de cassation dans des cas similaires, notamment, les arr?ts no 25488 du 6 mai 2004 et no 5299 du 15 janvier 2008.
24. Pour ce qui ?tait de l?argument des requ?rants tir? de la libert? de presse, la Cour indiqua que le droit d?informer invoqu? par ceux-ci aurait pu primer sur les int?r?ts publics prot?g?s par la loi p?nale dans un cas ?ventuel de diffamation. Toutefois, ce droit ne pouvait pas pr?valoir dans un cas d?interception ill?gale des communications des forces de l?ordre.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Les articles pertinents de la Constitution
Article 15
? La libert? et le secret de la correspondance et de toute autre forme de communication sont inviolables.
Leur limitation ne peut se produire que par un acte motiv? de l?autorit? judiciaire et avec les garanties ?tablies par la loi. ?
Article 21
? Tout individu a le droit de manifester librement sa pens?e par la parole, par l??crit et par tout autre moyen de diffusion.
La presse ne peut ?tre soumise ? des autorisations ou ? des censures.
Il ne peut ?tre proc?d? ? une saisie que par un acte motiv? de l?autorit? judiciaire en cas de d?lits ou de crimes, pour lesquels la loi sur la presse l?autorise express?ment, ou en cas de violation des r?gles que la loi elle-m?me prescrit pour l?indication des responsables.
Dans ces cas, lorsque l?urgence est absolue et que l?intervention de l?autorit? judiciaire ne peut avoir lieu en temps utile, la saisie de la presse p?riodique peut ?tre effectu?e par des officiers de police judiciaire, qui doivent imm?diatement, et au plus tard dans les vingt-quatre heures, en avertir l?autorit? judiciaire. Si celle-ci ne confirme pas la saisie dans les vingt-quatre heures qui suivent, la saisie est consid?r?e comme r?voqu?e et priv?e de tout effet.
La loi peut ?tablir, par des r?gles de caract?re g?n?ral, que les moyens de financement de la presse p?riodique soient rendus publics.
Sont interdits les imprim?s, les spectacles et toutes les autres manifestations contraires aux bonnes m?urs. La loi fixe les mesures aptes ? pr?venir et ? r?primer les violations. ?
B. Les articles pertinents du code p?nal
Article 51 ? 1 : Exercice d?un droit
ou accomplissement d?une obligation
? L?exercice d?un droit ou l?accomplissement d?une obligation impos?e par une mesure juridique ou par un ordre l?gitime de l?autorit? publique ne sont pas punissables (…). ?
Article 253 : Saisie
? Par une d?cision motiv?e, l?autorit? judiciaire peut ordonner la saisie du corps du d?lit (…). ?
Article 617 : Prise de connaissance, interruption
ou emp?chement illicites de communication ou conversations
t?l?graphiques ou t?l?phoniques
? La personne prenant connaissance de mani?re frauduleuse d?une communication ou d?une conversation, t?l?phonique ou t?l?graphique, entre autres personnes ou, en tout cas, qui ne lui est pas adress?e, ou bien l?interrompt ou l?emp?che est punie par une peine allant de six mois ? quatre ans de r?clusion.
Faite exception pour l?applicabilit? d?une peine plus grave, la peine mentionn?e ci-dessus est applicable aussi ? la personne qui r?v?le, par tout moyen d?information, au public, int?gralement ou partiellement, le contenu de communications ou conversations dont il est fait mention ? l?alin?a 1 de cet article. (…) ?
Article 617 bis : Installation d?appareils pouvant intercepter
ou emp?cher des communications ou conversations
t?l?phoniques ou t?l?graphiques
? La personne qui, en dehors des cas pr?vus par la loi, installe des appareils, instruments, parties d?appareils ou d?instruments dans le but d?intercepter ou emp?cher des communications ou conversations t?l?phoniques ou t?l?graphiques entre d?autres personnes est punie par une peine allant de un ? quatre ans de r?clusion (…). ?
Article 623 bis : Autres communications ou conversations
(tel que modifi? par la loi no 547 du 23 novembre 1993)
? Les dispositions contenues dans la pr?sente section, relativement aux communications et conversations t?l?graphiques, t?l?phoniques, informatiques ou t?l?matiques s?appliquent ? n?importe quelle autre transmission ? distance de sons, images ou d?autres donn?es ?
Article 684 : Publication arbitraire d?actes tenant ? une proc?dure p?nale
? La personne qui publie, int?gralement ou en partie (…) des actes ou des documents tenant ? une proc?dure p?nale, dont la publication est interdite par la loi, est punie par l?arr?t jusqu?? trente jours ou par une amende allant de cinquante et un ? deux cent cinquante-huit euros. ?
C. Les articles pertinents du code de proc?dure p?nale
Article 247 : Cas et formes de perquisition
? Lorsqu?il y a motif de penser que (…) le corps du d?lit se trouve dans un lieu donn?, la perquisition de ce lieu peut ?tre ordonn?e. (…) ?
Article 329 : Obligation de confidentialit?
? Les actes du procureur de la R?publique et de la police judiciaire tenant aux investigations sont confidentiels jusqu?au moment o? l?inculp? n?en ait pas connaissance et en tout cas, pas au-del? de la fin des investigations pr?liminaires (…) ?
D. Le d?cret du Pr?sident de la R?publique no 447 de 2001 en mati?re d?autorisations et permis concernant les services de t?l?communication de la part de radioamateurs (en vigueur ? l??poque des faits)
25. Ce d?cret pr?voit dans ces parties pertinentes que, afin d?obtenir l?autorisation ? installer et utiliser des instruments en vue d?exercer l?activit? de radioamateur, il est n?cessaire de passer un permis (articles 33 et 34). De plus, l??coute est libre uniquement sur la gamme de fr?quences assign?es au service de radioamateur (article 43). L?utilisation des appareils radio?lectriques (uniquement r?cepteurs) pour lesquels l?assignation des fr?quences n?est pas pr?vue est libre (article 6 ? 2 b).
E. L?article 12 ? 8 du d?cret du minist?re des Communications du 11 f?vrier 2003 (pas en vigueur ? l??poque des faits)
? Il est interdit aux radioamateurs d?intercepter des communications pour la r?ception desquelles ils n?ont pas de droits ; il est en tout cas interdit de porter ? la connaissance de tiers le contenu et l?existence de messages intercept?s et involontairement capt?s. ?
F. La jurisprudence de la Cour de cassation en la mati?re
1) L?arr?t no 12655 du 23 janvier 2001
26. Dans cet arr?t, concernant l?utilisation d?appareils d?enregistrement visant ? intercepter les conversations t?l?phoniques de la partenaire de l?inculp?, la Cour de cassation a ent?rin? la condamnation de celui-ci ? huit mois de r?clusion.
2) L?arr?t no 25488 du 6 mai 2004
27. Dans cet arr?t, la Cour de cassation a confirm? les jugements de premi?re et deuxi?me instance concluant ? la responsabilit? p?nale de l?inculp? pour avoir utilis? des appareils radiophoniques afin d?intercepter les communications entre membres de la police. La Cour de cassation a conclu que ces agissements constituaient une infraction au sens de l?article 617 bis du code p?nal.
28. Elle a relev? que, ? la suite de la modification apport?e par la loi no 547 du 23 novembre 1993 au texte de l?article 623 bis du code p?nal, l?article 617 bis du code p?nal ?tait applicable non seulement en cas d?installation d?appareils visant ? intercepter ? des communications t?l?graphiques ou t?l?phoniques ? (tel qu?il ?tait pr?vu par l?ancienne formulation du texte, impliquant ? une connexion sur fil ou sur des ondes guid?es ?), mais s??tendait ? ? toute transmission ? distance de sons, images ou d?autres donn?s ?.
3) L?arr?t no 5299 du 15 janvier 2008
29. Dans cet arr?t, la Cour de cassation, d?cidant sur des faits similaires ? ceux faisant l?objet de l?arr?t no 25488/2004, parvint aux m?mes conclusions que dans cette derni?re affaire.
30. Elle observa en outre que, avant l?entr?e en vigueur de la loi no 547 du 23 novembre 1993, la jurisprudence ?tait orient?e ? conclure que l?interception des radiocommunications entre les centres op?rationnels et les patrouilles de la police effectu?es ? travers des ondes ?lectriques propag?es dans l?espace dans un sens omnidirectionnel, ne pouvait pas faire l?objet de l?application de l?article 617 bis du code p?nal. En effet, l?article 623 bis du code p?nal, limitait le champ d?application de cette derni?re disposition aux ? connexions sur fil ou sur des ondes guid?es ?, dont les ondes-radio ne faisaient pas partie.
31. Toutefois, ? la suite des modifications apport?es par la loi no 547 du 23 novembre 1993, l?article 617 bis pouvait ?tre appliqu? aux faits incrimin?s.
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALL?GU?E DE L?ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
32. Invoquant l?article 10 de la Convention, les requ?rants se plaignent de la perquisition de leur v?hicule et de leur bureau de r?daction, de la saisie de leurs appareils radiophoniques et de leur condamnation. Ils estiment que ces mesures constituent une ing?rence disproportionn?e dans leur libert? d?expression, notamment dans le cadre de leur acc?s aux informations en tant que journalistes. Cette disposition se lit comme suit :
? 1. Toute personne a droit ? la libert? d?expression. Ce droit comprend la libert? d?opinion et la libert? de recevoir ou de communiquer des informations ou des id?es sans qu?il puisse y avoir ing?rence d?autorit?s publiques et sans consid?ration de fronti?re. Le pr?sent article n?emp?che pas les ?tats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cin?ma ou de t?l?vision ? un r?gime d?autorisations.
2. L?exercice de ces libert?s comportant des devoirs et des responsabilit?s peut ?tre soumis ? certaines formalit?s, conditions, restrictions ou sanctions pr?vues par la loi, qui constituent des mesures n?cessaires, dans une soci?t? d?mocratique, ? la s?curit? nationale, ? l?int?grit? territoriale ou ? la s?ret? publique, ? la d?fense de l?ordre et ? la pr?vention du crime, ? la protection de la sant? ou de la morale, ? la protection de la r?putation ou des droits d?autrui, pour emp?cher la divulgation d?informations confidentielles ou pour garantir l?autorit? et l?impartialit? du pouvoir judiciaire. ?
A. Sur la recevabilit?
33. Le Gouvernement soutient d?embl?e qu?en se penchant sur la question du respect du droit des requ?rants ? la libert? d?expression dans le cas d?esp?ce, la Cour endosserait le r?le d?un juge de ? quatri?me instance ?, cette question ayant d?j? ?t? r?solue par un arr?t de la Cour de cassation.
34. Il observe en outre que les requ?rants ne se sont r?f?r? ? l?argument tir? de la libert? de la presse (article 51 du code p?nal) qu?au stade de la proc?dure devant la Cour de cassation. Ainsi la pr?sente requ?te devrait ?tre rejet?e pour non-?puisement des voies de recours internes, selon l?article 35 ?? 1 et 4 de la Convention.
35. Le Gouvernement estime ensuite que les faits port?s ? l?examen de la Cour ne rel?vent pas de la libert? d?expression garantie par l?article 10 de la Convention, les requ?rants ayant ?t? condamn?s non pas pour avoir exprim? une id?e ou publi? une information mais pour avoir ill?galement intercept? des communications qui, pour des raisons ?videntes tenant ? la s?curit? publique, avaient caract?re confidentiel.
36. Quant ? l?exception de non-?puisement des voies de recours internes, les requ?rants indiquent que, ayant ?t? acquitt?s en premi?re instance, ils n?avaient pas de raisons d?exciper la clause d?exemption au sens de l?article 51 du code p?nal ? un stade ant?rieur ? la proc?dure devant la Cour de cassation.
37. Les requ?rants rel?vent que les radiofr?quences dont il ?tait question ?taient librement accessibles. De plus, ils contestent la position du Gouvernement estimant avoir subi une ing?rence dans leur droit d?informer. ? ce propos, ils font valoir que la Cour a d?j? conclu ? l?applicabilit? de l?article 10 dans des cas de condamnations suivant la communication d?informations confidentielles au stade d?une enqu?te pr?liminaire (Laranjeira Marques da Silva c. Portugal, no 16983/06, 19 janvier 2010), ou ayant trait ? des secrets d??tat (Stoll c. Suisse [GC], no 69698/01, CEDH 2007 V) ou encore, dans un cas de reproduction, dans un livre, d??l?ments d?un dossier d?instruction p?nal (Dupuis et autres c. France, no 1914/02, 7 juin 2007).
38. Les requ?rants d?noncent enfin pour la premi?re fois dans leurs observations en r?ponse ? celles du Gouvernement que l?op?ration de police dont ils ont fait l?objet aurait ?t? orchestr?e.
39. La Cour consid?re tout d?abord que le grief en examen ne porte pas sur une violation du droit ? un proc?s ?quitable (voir Contrada c. Italie (no 2), no 7509/08, ? 70, 11 f?vrier 2014 et, a contrario, parmi beaucoup d?autres, G?fgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, ? 162, CEDH 2010) et que c?est en r?gle g?n?rale dans ce contexte que le r?le de la Cour en tant que ? quatri?me instance ? peut ?tre ?valu?.
40. Quant ? l?exception non-?puisement des voies de recours internes, ? l?instar des requ?rants, la Cour rel?ve que ceux-ci ont soulev? leur grief au premier stade utile de la proc?dure. Il convient donc de rejeter l?exception soulev?e par le gouvernement d?fendeur.
41. La Cour observe ensuite que le Gouvernement conteste que les requ?rants aient fait l?objet d?une ing?rence dans leur libert? d?expression. L?article 10 de la Convention ne serait donc pas applicable en l?esp?ce. La Cour rappelle que, dans leur qualit? de journalistes, les requ?rants se plaignent de leur condamnation pour avoir acc?d? ? des informations que le syst?me juridique italien classifie de confidentielles.
42. Elle constate que les exemples de jurisprudence auxquels les requ?rants se r?f?rent en vue de d?montrer l?existence de leur droit d?informer portent toutefois sur des circonstances diff?rentes de celles de la pr?sente affaire, car elles concernent des sanctions ayant suivi la publication de certaines informations.
43. La Cour rel?ve avoir conclu plus r?cemment ? l?applicabilit? de l?article 10 dans un cas concernant le comportement d?un journaliste ayant refus? d?obtemp?rer ? des ordres de la police lors d?une manifestation, et avoir examin? les mesures prises ? son encontre (Pentik?inen c. Finlande ([GC], no 11882/10, CEDH 2015). En tout ?tat de cause, elle note qu?aucune des affaires susmentionn?es ne concerne la question, nouvelle, de l?interception de la part de journalistes de radiocommunications confidentielles ayant eu lieu entre des membres de forces de l?ordre dans l?exercice de leurs fonctions.
44. Se pose d?s lors la question de savoir si l?affaire de la requ?rante entre dans le champ de l?article 10 de la Convention. Toutefois, la Cour n?estime pas n?cessaire de devoir trancher cette question car ? supposer m?me qu?il y aurait eu une ing?rence dans les droits garantis par cette disposition de la Convention, elle serait justifi?e pour les raisons expos?es ci-dessous (paragraphes 57 ? 68).
45. Enfin, la Cour constate que le grief des requ?rants portant sur la pr?tendue orchestration de l?op?ration de police dont ils ont fait l?objet a ?t? introduit apr?s la communication de la requ?te au gouvernement d?fendeur. Qui plus est, il n?a pas constitu? un aspect de la requ?te sur lequel les parties ont ?chang? leurs observations (voir Piryanik c. Ukraine, no 75788/01, ?? 19-20, 19 avril 2005, Gallucci c. Italie, no 10756/02, ?? 55-57, 12 juin 2007 et M.C. et autres c. Italie, no 5376/11, ? 54, 3 septembre 2013). La Cour estime donc qu?il n?y a pas lieu d?examiner ce grief.
46. Quant au reste, la Cour constate que la requ?te n?est pas manifestement mal fond?e au sens de l?article 35 ? 3 a) de la Convention et qu?elle ne se heurte par ailleurs ? aucun autre motif d?irrecevabilit?. Elle la d?clare donc recevable.
B. Sur le fond
1. Les arguments des parties
47. Les requ?rants soutiennent que les mesures prises ? leur encontre n??taient pas proportionn?es aux objectifs indiqu?s par le gouvernement d?fendeur et que le droit d?informer devait pr?valoir dans leur cas. Les requ?rants estiment aussi que la peine de d?tention qui leur a ?t? appliqu?e ?tait excessive.
48. Le Gouvernement observe que, m?me en admettant qu?il y ait eu une ing?rence dans le droit invoqu? par les requ?rants, celle-ci poursuivait des objectifs l?gitimes consistant en la protection de la s?curit? nationale et de la s?ret? publique, en la d?fense de l?ordre et en la pr?vention du crime et ?tait proportionn?e ? ces derniers.
2. L?appr?ciation de la Cour
a) Sur l?existence d?une ing?rence ? pr?vue par la loi ? et sur les but l?gitimes poursuivis
49. La Cour r?it?re ses doutes quant ? la circonstance qu?une ing?rence dans la libert? d?expression des requ?rants se soit produite en l?esp?ce. ? supposer m?me que l?article 10 f?t applicable, elle observe que les mesures de perquisition, de saisie et de privation de libert? appliqu?es ? leur encontre ?taient pr?vues par la loi, ? savoir, les articles 247 du code de proc?dure p?nale et 253, 617, 617 bis et 623 bis du code p?nal.
50. La Cour estime que lesdites mesures poursuivaient des buts l?gitimes au regard de l?article 10 ? 2 de la Convention, notamment, la protection des droits d?autrui et, pour ce qui concerne plus particuli?rement l?interception des communications des forces de police, la protection de la s?curit? nationale, la d?fense de l?ordre et la pr?vention du crime.
b) Sur la n?cessit? des mesures prises ? l?encontre des requ?rants dans une soci?t? d?mocratique
i. Principes g?n?raux
51. Les principes g?n?raux permettant d?appr?cier la n?cessit? d?une ing?rence donn?e dans l?exercice de la libert? d?expression ont ?t? r?sum?s dans l?arr?t Pentik?inen c. Finlande (pr?cit?, ?? 87-91).
52. Dans ce m?me arr?t, la Cour a rappel? que la protection que l?article 10 offre aux journalistes est subordonn?e ? la condition qu?ils agissent de bonne foi de mani?re ? fournir des informations exactes et dignes de cr?dit dans le respect des principes d?un journalisme responsable (voir, mutatis mutandis, Bladet Troms? et Stensaas c. Norv?ge [GC], no 21980/93, ? 65, CEDH 1999-III, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, ? 54, CEDH 1999 I, Kasabova c. Bulgarie, no 22385/03, ?? 61 et 63-68, 19 avril 2011, et Times Newspapers Ltd c. Royaume-Uni (nos 1 et 2), nos 3002/03 et 23676/03, ? 42, CEDH 2009).
53. En outre, le journalisme responsable est une notion qui ne couvre pas uniquement le contenu des informations qui sont recueillies et/ou diffus?es par des moyens journalistiques. Elle englobe aussi, entre autres, la lic?it? du comportement des journalistes, du point de vue notamment de leurs rapports publics avec les autorit?s dans l?exercice de leurs fonctions journalistiques (Pentik?inen, pr?cit?, ? 90).
54. Il y a lieu de rappeler aussi que ? malgr? le r?le essentiel qui revient aux m?dias dans une soci?t? d?mocratique, les journalistes ne sauraient en principe ?tre d?li?s de leur devoir de respecter les lois p?nales de droit commun au motif que l?article 10 leur offrirait une protection inattaquable (voir, entre autres et mutatis mutandis, Stoll c. Suisse [GC], pr?cit?, ? 102, Bladet Troms? et Stensaas c. Norv?ge [GC], pr?cit?, ? 65, et Monnat c. Suisse, no 73604/01, ? 66, CEDH 2006-X). En d?autres termes, un journaliste auteur d?une infraction ne peut se pr?valoir d?une immunit? p?nale exclusive ? dont ne b?n?ficient pas les autres personnes qui exercent leur droit ? la libert? d?expression ? du seul fait que l?infraction en question a ?t? commise dans l?exercice de ses fonctions journalistiques ? (Pentik?inen, pr?cit?, ? 91).
55. De plus, toute personne, f?t-elle journaliste, qui exerce sa libert? d?expression, assume ? des devoirs et des responsabilit?s ? dont l??tendue d?pend de sa situation et du proc?d? technique utilis? (voir, par exemple, Handyside c. Royaume-Uni, 7 d?cembre 1976, ? 49 in fine, s?rie A no 24). Ainsi, malgr? le r?le essentiel qui revient aux m?dias dans une soci?t? d?mocratique, les journalistes ne sauraient en principe ?tre d?li?s, par la protection que leur offre l?article 10, de leur devoir de respecter les lois p?nales de droit commun. Le paragraphe 2 de l?article 10 pose d?ailleurs les limites de l?exercice de la libert? d?expression, qui restent valables m?me quand il s?agit de rendre compte dans la presse de questions s?rieuses d?int?r?t g?n?ral (Stoll, pr?cit?, ? 102 et Pentik?inen, pr?cit?, ? 110).
56. Enfin, la Cour rappelle que, dans l?analyse de la n?cessit? d?une ing?rence donn?e dans l?exercice de la libert? d?expression, la Cour tient compte de plusieurs crit?res, ? savoir, l??valuation des int?r?ts en pr?sence, le comportement des requ?rants, le contr?le exerc? par les juridictions internes et la proportionnalit? de la sanction prononc?e (Stoll, pr?cit?, ? 153, Pentik?inen, pr?cit?, ?? 112 et 113 et Boris Erdtmann c. Allemagne (d?c.), no 56328/10, 5 janvier 2016).
ii. Application de ces principes en l?esp?ce
57. Il y a lieu d?observer d?embl?e que, ? la diff?rence d?autres affaires dont des journalistes ont saisi la Cour sur le fondement de l?article 10 de la Convention (notamment, parmi beaucoup d?autres, l?affaire Stoll, pr?cit?) la pr?sente esp?ce ne porte pas sur l?interdiction d?une publication mais a pour objet des mesures prises ? l?encontre de journalistes en raison d?actes qui, selon le syst?me juridique italien, ?taient contraires ? la loi p?nale.
58. Afin d?appr?cier la n?cessit? de ces mesures, la Cour rel?ve que les int?r?ts ? mettre en balance en l?esp?ce sont constitu?s, d?une part, de l?int?r?t public au bon fonctionnement des forces de l?ordre et, de l?autre part, de l?int?r?t des lecteurs de recevoir des informations.
59. Quoi que ces deux int?r?ts puissent ?tre consid?r?s tous deux comme ayant un caract?re public (voir, mutatis mutandis, Stoll, pr?cit?, ?? 115-116), il y a n?anmoins lieu de relever que l?int?r?t du public de prendre connaissance de faits divers dans un journal local ne saurait avoir le m?me poids que celui du public d?acqu?rir d?informations sur une question d?int?r?t g?n?ral et historique ou rev?tant un grand int?r?t m?diatique, questions que la Cour a d?j? eu l?occasion d?examiner.
60. ? cet ?gard, elle rappelle que l?affaire Stoll (pr?cit?) concernait la diffusion d?informations tenant ? l?indemnisation due aux victimes de l?Holocauste pour les fonds en d?sh?rence sur des comptes bancaires suisse. L?arr?t Pentik?inen (pr?cit?) portait sur la diffusion d?informations relatives ? une manifestation de protestation contre une r?union Asie-Europe, dont la r?sonance au niveau national ?tait exceptionnelle.
61. En l?esp?ce, la Cour note qu?il n?a pas ?t? interdit aux requ?rants de porter ? la connaissance du public des faits divers. Leur condamnation s?est uniquement fond?e sur la d?tention et l?utilisation d?appareils radiophoniques pour obtenir plus rapidement des informations ? ce sujet en interceptant les communications entre les forces de police, de caract?re confidentiel selon le droit interne. Ces limites de l?interdiction doivent fortement ?tre prises en compte pour l?appr?ciation de la proportionnalit?.
62. Dans ce contexte, la Cour estime que les d?cisions de la cour d?appel de Milan et de la Cour de cassation concluant au caract?re confidentiel des communications ?chang?es entre les op?rateurs des forces de l?ordre et, par cons?quent, ? la qualification criminelle des actes accomplis par les requ?rants, ont ?t? d?ment motiv?es. Ces d?cisions, reposant sur une jurisprudence constante de la Cour de cassation, ont accord? une place primordiale ? la d?fense de la s?curit? nationale, ? la d?fense de l?ordre et ? la pr?vention du crime.
63. La Cour note ensuite que, d?apr?s sa jurisprudence (Stoll, pr?cit?, ? 153 et Pentik?inen, pr?cit?, ?? 112 et 113), la gravit? de la sanction impos?e aux requ?rants est aussi un ?l?ment ? prendre en compte dans l??valuation de la proportionnalit? de l?ing?rence litigieuse. Dans la pr?sente affaire, cette sanction a consist? en la condamnation ? une peine de d?tention de un an et trois mois pour le premier et deuxi?me requ?rants et de six mois quant au troisi?me, ainsi qu?en la saisie des appareils-radio.
64. La Cour rappelle que la notion de journalisme responsable implique que, d?s lors que le comportement d?un journaliste va ? l?encontre du devoir de respecter les lois p?nales de droit commun, celui-ci doit savoir qu?il s?expose ? des sanctions juridiques, notamment p?nales (Pentik?inen, pr?cit?, ? 110).
65. En l?esp?ce, dans le but d?obtenir d?informations susceptibles d??tre publi?es sur un journal local, les requ?rants ont tenu un comportement qui, d?apr?s le droit interne et l?interpr?tation constante de la Cour de cassation, allait ? l?encontre de la loi p?nale, qui interdit, de mani?re g?n?rale, l?interception par une personne de toute conversation qui ne lui est pas adress?e, dont celle des forces de police. Les actes des requ?rants consistaient par ailleurs en une technique utilis?e couramment dans l?exercice de leur activit? de journalistes (voir le paragraphe 7 ci-dessus).
66. La Cour rel?ve enfin que, dans son arr?t du 15 mai 2007, la cour d?appel de Milan a accord? aux requ?rants la suspension de leurs peines et qu?il n?y pas d??l?ments dans le dossier attestant que les requ?rants avaient purg? leurs peines de d?tention. Les sanctions appliqu?es dans le chef des requ?rants n?apparaissent partant pas disproportionn?es.
67. Ces juridictions ont ?tabli une distinction appropri?e entre le devoir des requ?rants de respecter la loi interne et la poursuite par eux de leur activit? journalistique, non limit?e pour le surplus.
68. Compte tenu de ces ?l?ments, la Cour conclut qu?il n?y a pas eu violation de l?article 10 de la Convention en l?esp?ce.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, ? L?UNANIMIT?,
1. D?clare la requ?te recevable ;
2. Dit qu?il n?y a pas eu violation de l?article 10 de la Convention.
Fait en fran?ais, puis communiqu? par ?crit le 23 juin 2016, en application de l?article 77 ?? 2 et 3 du r?glement de la Cour.
Abel Campos Mirjana Lazarova Trajkovska
Greffier Pr?sidente
Au pr?sent arr?t se trouve joint, conform?ment aux articles 45 ? 2 de la Convention et 74 ? 2 du r?glement, l?expos? de l?opinion s?par?e du juge Spano.
M.L.T.
A.C.
OPINION CONCORDANTE DU JUGE SPANO
(Traduction)
I
1. Les requ?rants, le directeur d?un journal en ligne local et deux de ses journalistes, furent condamn?s pour acc?s ill?gal ? des fr?quences radio utilis?es par la police pendant les activit?s de celle-ci, les informations ainsi recueillies par les journalistes ?tant consid?r?es comme confidentielles en vertu du code p?nal italien. La Cour a estim? qu?il n?y avait pas violation de l?article 10 de la Convention. Je souscris ? cette conclusion. Cependant, je me propose d?expliquer dans une opinion s?par?e pourquoi j?estime que le raisonnement adopt? par la Cour est dans sa substance un peu trop g?n?ral.
2. Le journalisme d?investigation constitue une caract?ristique importante des soci?t?s d?mocratiques. Comme l?histoire l?a d?montr?, un journalisme responsable peut, s?il est men? de mani?re efficace, mettre au jour des informations de grande valeur pour l?int?r?t g?n?ral et ainsi promouvoir et renforcer les valeurs d?mocratiques fondamentales de responsabilit? et de transparence. Comme la Cour l?a d?j? dit, le journalisme responsable, activit? professionnelle prot?g?e par l?article 10 de la Convention, est une notion qui ne couvre pas uniquement le contenu des informations qui sont recueillies et/ou diffus?es par des moyens journalistiques. Elle englobe aussi, entre autres, la lic?it? du comportement des journalistes, du point de vue notamment de leurs rapports publics avec les autorit?s dans l?exercice de leurs fonctions journalistiques. Il importe de pr?ciser que le fait qu?un journaliste a enfreint la loi ? cet ?gard doit ?tre pris en compte, mais il n?est pas d?terminant pour ?tablir s?il a agi de mani?re responsable.
3. Ainsi que la Cour l?a admis dans son arr?t de Grande Chambre en l?affaire Stoll c. Suisse ([GC], no 69698/01, ? 102, CEDH 2007 V), m?me si un journaliste peut incontestablement avoir enfreint la loi p?nale ? par exemple en publiant des informations confidentielles, comme dans ladite affaire ?, on ne peut s?en tenir au simple constat d?une violation d?une disposition du droit p?nal aux fins de l?examen de la n?cessit? et de la proportionnalit? qui doit ?tre men? sur le terrain de l?article 10 ? 2 de la Convention. S?il en allait autrement, il serait loisible aux ?tats contractants de subvertir le r?le essentiel que joue la presse dans le fonctionnement d?une soci?t? d?mocratique en soumettant des journalistes ? des sanctions p?nales d?s qu?ils s?appr?tent ? mettre au jour des faits susceptibles de nuire ? l?image des d?tenteurs du pouvoir.
4. Mais il est clair qu?un journaliste ne peut se pr?valoir d?une immunit? p?nale exclusive ? dont ne b?n?ficient pas les autres personnes qui exercent leur droit ? la libert? d?expression ? du seul fait que l?infraction en question a ?t? commise dans l?exercice de ses fonctions journalistiques. Toute personne, f?t-elle journaliste, qui exerce sa libert? d?expression, assume ? des devoirs et des responsabilit?s ? dont l??tendue d?pend de sa situation et du proc?d? technique utilis? (Pentik?inen c. Finlande [GC], no 11882/10, ?? 90-91, CEDH 2015).
II
5. Les requ?rants se plaignaient que la saisie de leur v?hicule et de leurs ?quipements radiophoniques ainsi que leur condamnation ult?rieure avaient constitu? une ing?rence disproportionn?e dans leur libert? d?expression, notamment dans le cadre de leur acc?s aux informations en tant que journalistes.
6. La Cour commence son examen en laissant ouverte la question de savoir si les requ?rants ont subi une ing?rence au sens de l?article 10 ? 1 de la Convention, d?clarant qu?? supposer m?me qu?il y ait eu pareille ing?rence, elle serait justifi?e dans les circonstances de l?esp?ce (paragraphe 45 de l?arr?t). Pareille d?marche peut para?tre prudente, consid?rant qu?il peut ?tre difficile de d?terminer quelles activit?s pr?alables ? la publication, inh?rentes au journalisme d?investigation, constituent une conduite relevant en soi de la protection de l?article 10 de la Convention. Cependant, dans les circonstances de l?esp?ce, j?aurais pu sans probl?me conclure que l?article 10 ?tait bien applicable et qu?il y avait bien eu ing?rence. ? cet ?gard, j?estime, contrairement ? mes coll?gues (paragraphe 43 de l?arr?t), qu?une telle conclusion aurait ?t? en pleine coh?rence avec les conclusions r?centes de la Grande Chambre dans l?affaire Pentik?inen (pr?cit?e, ? 83), dans laquelle la Cour a estim? que, lorsque le requ?rant fut appr?hend? par la police, d?tenu pendant 18 heures puis accus? et condamn? par les juridictions internes pour avoir d?sob?i ? la police, ? l?exercice par l?int?ress? de ses activit?s de journaliste en a[vait] p?ti car celui-ci s??tait rendu sur les lieux pour couvrir les ?v?nements en qualit? de photographe de presse ?.
7. Je souscris aux conclusions de la Cour sur les questions de savoir si l?ing?rence ?tait pr?vue par la loi et poursuivait un but l?gitime (paragraphes 49?50 de l?arr?t). Au paragraphe 56 de l?arr?t, la Cour renvoie ensuite ? juste titre aux crit?res suivants d?gag?s dans l?arr?t Stoll, estimant qu?ils constituent le cadre d?analyse des faits (voir mon opinion dissidente dans l?affaire Pentik?inen, pr?cit?e, ? 6) : il s?agit des int?r?ts en jeu, de l?examen de la mesure par les juridictions internes, de la conduite du requ?rant et de la proportionnalit? de la sanction inflig?e (Stoll, pr?cit?, ? 112). Cependant, c?est au niveau de l?application de ces crit?res aux faits de la cause que je trouve le raisonnement probl?matique et d?une port?e trop g?n?rale. J?aurais pr?f?r? appliquer une analyse plus cibl?e et plus centr?e sur les faits, comme suit.
8. Tout d?abord, tout en admettant que les faits ne r?v?lent pas des int?r?ts publics de m?me nature que ceux qui ?taient en jeu dans les affaires Stoll ou Pentik?inen, j?estime que l?appr?ciation de la Cour n?aurait pas d? se limiter ? d?clarer en des termes abstraits que l?int?r?t en l?esp?ce se limitait ? ? l?int?r?t du public de prendre connaissance de faits divers dans un journal local ? (paragraphe 59 de l?arr?t). L?examen de la question de l?int?r?t g?n?ral aurait d? plut?t se concentrer sur la nature des informations confidentielles que les journalistes tentaient en fait d?obtenir pour ensuite les diffuser au public. En r?alit?, et cela est tr?s important, il y a des situations dans lesquelles l?article 10 de la Convention peut justifier que des journalistes d?cident d?adopter des strat?gies d?enqu?te agressives dans le travail, ce qui peut impliquer l?acc?s ? des informations confidentielles, s?il existe un fort int?r?t g?n?ral ? diffuser l?information en question, par exemple lorsqu?il s?agit d?essayer de faire la lumi?re sur la corruption ou les activit?s ill?gales de fonctionnaires gouvernementaux ou de repr?sentants ?lus. En outre, le fait que la publication du journal vise une communaut? locale est ? mon sens hors de propos, d?s lors que le contenu du journal en question ?tait publi? en ligne.
9. Cela ?tant, m?me si l?on analyse l?affaire ? travers ce prisme plus ?troit et focalis? sur les faits de l?esp?ce, il en ressort n?anmoins que la nature des informations obtenues par les requ?rants n??tait pas essentielle du point de vue de l?int?r?t g?n?ral. Partant, en vertu de l?article 10 ? 2 de la Convention, les requ?rants doivent assumer la charge d?avoir eu recours ? des moyens ill?gaux pour obtenir des informations confidentielles sans que leurs actions ne soient justifi?es par l?existence d?un fort int?r?t g?n?ral.
10. La deuxi?me question que je trouve probl?matique tient au fait que la Cour estime ? juste titre que les juridictions italiennes ont appliqu? une r?gle du droit p?nal italien qui interdit de mani?re g?n?rale l?interception de toute conversation confidentielle, y compris les communications de la police (paragraphe 65 de l?arr?t). En d?autres termes, les juridictions italiennes n?ont pas mis en balance les int?r?ts concurrents en jeu ainsi qu?il convient normalement de le faire dans les affaires ? article 10 ? de cette nature, en application du deuxi?me des crit?res d?gag?s dans l?affaire Stoll, ? savoir le contr?le de la mesure par les juridictions internes. ? mon sens, la Cour aurait d? reconna?tre le caract?re probl?matique de l?examen des tribunaux italiens, d?autant qu?elle avait d?j? rejet? l?exception de non-?puisement des voies de recours internes pr?sent?e par le Gouvernement, celui-ci ayant soutenu que les requ?rants n?avaient pas invoqu? leur droit ? la libert? d?expression au niveau interne (paragraphe 40 de l?arr?t).
11. Cependant, compte tenu du grief des requ?rants consid?r? globalement sur la base des crit?res Stoll, et en particulier du poids relativement faible qui peut ?tre attach? ? l?int?r?t g?n?ral en jeu dans la mise en balance avec le comportement r?pr?hensible des requ?rants dans l?obtention des informations en question, je souscris aux conclusions de l?arr?t.